FRANKIE – antidote du quotidien - Chapitre 2

FRANKIE – antidote du quotidien.

La pause d'une semaine en chansons a mis notre ami Frankie sur la touche...
Mais le revoici tous charmes dehors, tout swing fringuant entouré des rutilants orchestres des années Capitol sur lesquelles je me suis (re) centré ici tant sa carrière est vaste, sa discographie en almanach, ses versions en tables de multiplication.
On aurait pu faire cette semaine entière de thématiques sympathiques rien qu'avec des chansons interprétées par Frankie, il y avait là de quoi largement satisfaire...
Partir le lundi "Come Fly with me", motivé...
Se retrouver seul face à soi même le mardi "One for my baby"...
Madeleine du mercredi, "South of the border"...
Effort du jeudi, "I've got the world on a string" (tentez donc de la chanter...)
le vendredi espoir ? "If I had you"
le samedi je festoie avec "Night and Day", direct dans le piano...
le dimanche au lever ? "Spring is here" m'impose un calme absolu...
C'eut été assez simple d'en rester à Mr The Voice, Frankie, ou Sinatra... après tout.
Mais jouer n'est pas tricher... 

Alors reprenons le fil des cordes soyeuses et frottées avec amour dans un chapitre précédent.
On y parlait de blues, d'Amérique aussi... des sujets d'influence qui tombent sous le coup de l'évidence mais qu'il a transcendé, mis en relief, cinématographiquement dimensionnés.
Frankie est un catalyseur de la vie en chansons...
Tout ce qui fait sa vie (et aussi la notre, c'est certainement pour cela aussi qu'il "nous parle") il le chante, l'exprime en mélodies inoubliables, pas forcément simples à reproduire, mais qui s'inscrivent dans nos têtes - ainsi va le véritable sens du mot "standard" probablement.
Alors reprenons le fil de la vie.

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Frank Sinatra et l’influence météorologique...

Qu’il pleuve, vente, neige...
Qu’il fasse soleil de plomb...
Qu’il y ait un brouillard dense ou une légère brume...
Frank Sinatra est sous l’influence du temps qu’il fait, de ses bienfait ou méfaits sur le moral.
Il y associe ses états d’âme, son quotidien amoureux, ses pensées profondes...
Cela est bien sûr lié aux saisons, qu’il chante au fil des ans et à ces lieux rarement éloignés de la ville ou de l’approche citadine, car, campagne, plage, montagne, sont avant tout séjours vacanciers pour le citadin des quartier, des rues... devenu star.

« Wrap your troubles in dreams » - Album « Swing Easy » - recording dates Avril 1954 Capitol Studios Hollywood. Arranged and Conducted by Nelson Riddle.

Wrap Your Troubles In Dreams (Frank Sinatra - with Lyrics) - YouTube

Après la pluie vient le beau temps – oubliez donc vos soucis, enveloppez les de rêve, finalement soyez positifs...
Nos spécialistes politiques du pessimisme devraient chanter ce titre plus souvent.
Il dégage la bonne humeur logique du contexte, un irrésistible swing que même Keith Jarrett ne peut éviter lors de ses réappropriations de standards.
Issu d’un album « Swing Easy » au titre si adéquat, voilà bien la chanson qui peut installer le bonheur dans le foyer, en quelques secondes, en une ritournelle de clarinette à la Benny (Eddie Miller), par quelques cuivres de big band bien accentués (Harry Sweets Edison en chef de file), autour d’un vibraphone très West Coast (Frank Flynn) et avec un solo de trombone dialoguant avec Eddie, à se prendre les pieds dans le tapis du salon, tant cette humeur est joviale et entrainante...
Un petit accent en point d'exclamation juste placé en Wrap - ! - une forme éternelle de AABA permettant au B de roucouler en glissades de bois délicieuses... une coda aux airs de déjà entendu Mr Frankie... hmm, hmm...
Légèreté, insouciance ?... Allez, prenez la vie du bon côté...
Avec classe et élégance, bien entendu.

« Ill Wind » - Album « in the Wee Smal Hours » - recording dates 1954/55 Capitol Studios Hollywood. Produced by Voyle Gilmore – Arranged and Conducted by Nelson Riddle.

12. Ill Wind - YouTube

"Il n’y a plus de soleil quand la personne que vous aimez s’en est allée...
Au petit matin, pendant que le monde entier est endormi, vous ne dormez pas et pensez à cette fille...
Et en chantant, il créait une ambiance de petit matin, empreinte d’une extrême solitude..."

Frank est là, il fume sa clope dans la lueur d’un réverbère, Ava lui manque...

« Ill Wind » est le moment fort du film Cotton Club chargé de métissage, de l’empreinte de Harlem, de doutes, de peines, de réalisme social.
Ici les bois chargent l’introduction hitchcockienne d’une atmosphère brumeuse, ce vent glace l’âme et là encore la voix de Frank, survole l’arrangement – véritable petite pièce minimaliste aux multiples contours subtils (traits de contrebasse du pont, solo jazzy de Harry Edison comme au bon vieux temps de Duke, célesta de Paul Smith, riffs de clarinettes sortis du club enfumé).
Il s’en émancipe pour lui donner cette autonomie qui le rend plus clair, plus lisible, plus direct.
Cet art de la différenciation, de la mise en valeur, du contraste est aussi une des clés de ces interprétations si chargées d’émotion de Sinatra.
Le phrasé est bluesy, le jazz s’invite discrètement mais efficacement au cœur de cette ballade emplie de sentiments, de regrets...
« Met ta gabardine Frankie, ça caille dehors ! Rentre ! »...

« Stormy Weather » - Album « No One Cares » - recording dates 1959-60 Capitol Studios Hollywood. Produced by Dave Cavanaugh – Arranged and Conducted by Gordon Jenkins.

Stormy Weather - Frank Sinatra

L’orage gronde au loin, un unisson sur fond de timbales en mode grand orchestre installe le sujet, l’effet, l’atmosphère.
Ce standard du blues prend encore ici une dimension orchestrale, hollywoodienne, grand format et pourtant il est présenté avec une écriture d’une grande sobriété.
Ce standard du blues transcendé par Billie Holiday qui meurt, là, pendant cette période où Frankie enregistre ce somptueux album.
« La simplicité des arrangements de Gordon Jenkins me touche infiniment. On touche ici à l’essentiel de la vie » - dira-t-il...
Les cordes pleurent et pleuvent, chantent et s’émeuvent en répondant à Frank, la contrebasse pose le minima sur balais délicats, les bois tournent en ritournelle obsédante.
The voice infléchit chaque mot, s’épanche en phrasés bluesy, prolonge à l’infini cette séparation, installe cette immense solitude et lui donne un relief, une profondeur qui subliment tant l’orchestration d’une rare pureté (pupitres par pupitres avec soutien minimal) que ce standard inscrit au répertoire de toutes les grandes voix américaines.

Frank Sinatra, s’amuse, se gausse, fait la fête...

« Makin’ Whoopee » - Album « Songs for Swingin’ Lovers » - recording date 16 janvier 1956 Capitol Studios Hollywood - Produced by Voyle Gilmore - Arranged and Conducted by Nelson Riddle.

Makin' Whoopee (Frank Sinatra - with Lyrics) - YouTube

Frank fait la bringue, le fric, l’ambition, les gonzesses, les mariages, les divorces, l’insouciance, le superficiel, le bling bling...
Ça grince et ça couine d’emblée, le ton est moqueur, sarcastique, au vitriol...
Glissades acides, harmons et sourdines de trombones qui se marrent, cordes qui virevoltent et hésitent, clarinettes qui provoquent, une petite transposition sur trombone rigolard...
Frankie danse dans sa suite luxueuse, le drumming s’est renforcé, Broadway a rameuté toutes les maîtresses du charmeur et n’exclura pas la petite morale de l’histoire...
Le jazz façon grand show, le swing façon universelle, l’argument façon comédie musicale...
Un sitcom fifties...

« You make me feel so young » - Album « Songs for Swingin’ Lovers » - recording date 16 janvier 1956 Capitol Studios Hollywood - Produced by Voyle Gilmore - Arranged and Conducted by Nelson Riddle.

Frank Sinatra- You make me feel so young - YouTube

L’amour, l’insouciance, le bonheur de la pétillante jeunesse, tout cela est ici transporté sur le swing d’une contrebasse oscillante en toum- toutoum, placide et immuable.
Autour de ce mouvement irrésistiblement dansant va s’articuler un Big Band pur jus rehaussé de bois et cordes coloristes qui s’amusent, se divertissent à admirer Frankie emballer la belle.
Ils dansent bien sûr et la caméra suit l’incorrigible séducteur, Don Juan des temps modernes, le long de ce salon d’hôtel grand luxe Riviera, ça brille de mil feux.
Smoking aux plis parfaits et nœud pap’  à la classe intemporelle accompagnent le sourire charmeur de notre crooner, un sourire aux éclats scintillants, comme dans une belle pub de dentifrice.
Elle est belle, jeune et parfaite, et forcément ingénue... Frankie a mis tout son pouvoir de séduction pour cette romance qui, comme toujours, a des accents d’éternité qui commence... à peine.

« I Won’t Dance » - Album « A Swingin’ Affair ! » - recording dates 15 -11 /1956 Capitol Studios Hollywood. Produced by Voyle Gilmore – Arranged and Conducted by Nelson Riddle.

Frank Sinatra - I Won't Dance - YouTube

Frankie refuse de s’offrir à la dame ? Courtoisie...
Ne nous méprenons pas, il a déjà bien du mal à s’en sortir avec ses multiples conquêtes notre brillant séducteur que bon, là, il hésite, il sait qu’il va vite, encore une fois, « redevenir » amoureux.
A ce jeu-là, il y laisse des plumes l’ami Frankie...
L’insert du « Madame » en français, s’il vous plait, summum du « bon goût » donne à ce standard ce côté classieux / palaces / croisières de luxe qui fait rêver.
L’intro est un pas de danse hésitant – j’y vais, j’y vais pas... là encore formidable mise en bouche du sujet par Mr Riddle.
Le Big Band a pris sa place sur la scène, la piste attire Frankie, l’immense lustre scintille de mil feux et la dame aguiche notre beau séducteur...
Il va encore sentimentaliser en violonades de rhumba de pacotille (là encore le B du AABA qui permet bien des possibilités orchestrales sur ce format usuel), non, il ne veut pas.
Il martèle en triolets de noires (retour du A) en traînant ainsi de la patte, hésitant et se forçant à ne pas tomber dans les bras de la merveilleuse créature, non « merci beaucoup » car si je tombe dans vos bras...
Le pont revient en violons langoureux, il résistera jusqu’au bout malgré un swing qui se renforce, qui pousse l’after beat plus que mesure et le rend fou de désir.

La fête Frankie... le fête... le champagne, Frankie, le champagne... la danse Frankie, la danse...

Commentaires

  1. C'est une musique que j'aime associer à cette période de l'année. ..
    Il y a quelques années j'avais emprunté un coffret (peut-être bien les années Capitol ) à la mediatheque. ...et malheureusement mon DD de l'époque a lâché, avec ce petit trésor à l'intérieur. ..:(
    Ça aurait été pas mal aussi une semaine spéciale Frankie. ...;)

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    1. Marrant, Sinatra rime souvent avec Noël, ceci dit, pas étonnant. tellement américain que ce principe -jazz/chants de noël, album de noël...
      Il fait partie (sondage récemment lu) des artistes les plus écoutés en cette période - donc son album "christmas album", à consommer sans modération en cette période en sus de ces années capitol (bon je sais que tu les as perdus je vais tenter de te retrouver ça car là je me suis basé sur un gros coffret de vinyls), mais j'ai un bout de compil's que j'écoute souvent en voiture (à encoder).
      une semaine spéciale frankie m'a franchement titillé dès le départ du jeu...
      j'étais vraiment dedans, car j'ai écouté en boucle(s) pour ces articles.
      et puis il correspond finalement à n'importe quelle thématique.
      vraiment... tellement universel.

      merci du passage, j'ai encore qq chapitres à faire le concernant...
      à +

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    2. Quelle belle surprise ! Je te remercie beaucoup, vraiment. ..:)
      Un beau cadeau de Noël justement. ...Je me délecte d'avance ! 😍

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    3. ça va être un régal.
      j'ai mis les albums en toile de fond à ma petite fille pendant qu'elle joue, et hop, direct, elle fredonne...
      frankie le bonheur, j'aurais dû titrer...
      bonnes fêtes

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  2. J'adore tes tableaux qui se déclinent, une chanson, une émotion.. comme une semaine à attaquer avec un auteur précis, un morceau par jour. Pas des masses d'artistes peuvent écrire un quotidien.
    C'est pas malin, je fouille Frankie.. Ava.. Elizabeth.. des œuvres qui racontent des vies. Je me noie dans "Watertown".

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    1. La musique, accompagnement de son quotidien...
      On connait ça tous les jours, hein !.
      Mais il est vrai que peu d'artistes peuvent accompagner comme ça, l'ensemble de tes quotidiens.
      Les grands, oui, les productifs et s'inspirant de la vie...
      Comme ça me viennent les Beatles, bien entendu, Miles, car la somme de sa musique peut couvrir largement la vie, selon les jours, Springsteen est apparu la semaine dernière dans le jeu, et à y bien réfléchir, comme Waits, d'ailleurs...
      Chez nous tu pourrais avoir Gainsbourg, je dirais bien Bashung, mais pas tous les jours... Sheller idem, mais pas tous les jours non plus...
      Sinatra reste universel...
      J'aime le faire talonner par mon papy préféré, Mr Tony Bennett, dont j'ai toujours raffolé, qu'il chante le blues, les standards, en duo ou même Noël...

      Si tu fouilles Frankie, attention, parfois ça pique ou ça brûle...
      Méfies toi avant noël, de tes découvertes, y'a pas que de la romance...
      PASSE DE BELLES FÊTES DE FIN D'ANNÉE - A TRÈS BIENTÔT ET MERCI DE TON SOUTIEN ICI OU LORS DE NOS ECHANGES MAILS.
      :)

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  3. Ton article va accompagner une compil que je monte, une partie des titres mis en lumière ici n'avaient pas ma préférence, juste par inattention. Pour créer une nostalgie, que dis-je, un fantasme assumé des US, pas mieux que Franck Sinatra. vouloir le "salir" en évoquant ses relations mafieuses ne font qu'enrichir la légende. Et cette voix, une fois la maturité vocale atteinte, impossible de l'atteindre. Dès que j'entends du Swing... je l'attends et son absence se remarque.
    Test vignettes par titre sont super. Et alterner le mélancolique avec le léger et/ou le vécu c'est le cocktail idéal. Il t'inspire le monsieur.

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    1. merci, de ce retour.
      Sinatra m'a toujours inspiré, il est si évident, avec lui le jazz n'est pas un vain mot ni une montagne apparemment audacieuse à franchir.
      il rend les choses plus simples et universelles.
      le fantasme assumé des US avec lui c'est le voyage par la zic, les légendes, le cinéma, bref tout ce qui a mis l’Amérique dans notre culture du fantasme de celle ci, rêve américain en tête .
      il me reste quelques chapitres à continuer, si j'en reste à cette période Capitol, car sinon il me faudra plus d'une année pour couvrir l'évolution de sa carrière immense.
      il sera à l'honneur ce 31, comme chaque année, normal, il est incontournable.
      bonne fin d'année.
      à +

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