REECOUTES, REHABILITATIONS IV - GENESIS, PETE TOWNSEND, TARIKA BLUE.

REECOUTES, REHABILITATIONS IV


Petites piqures de rappel, parfois c’est utile.

GENESIS : « Duke » - Virgin 1980.

Voilà que Dev’ me fait le rappel.
Je me dis que, certainement, faut absolument le réécouter.

« Behind the Lines » entre en grande pompe, composé dans la pure tradition prog, grosse introduction instrumentale certainement signée et surtout arrangée Banks, le CP 70 (80 ?) est le piano de texture, la guitare de Rutherford arrose copieusement, le drumming de Phil est juste énorme et monstrueux entre rock avec parfois des écarts/éclats funky.
L’entrée dans l’album est particulièrement engageante. Le chant se fait attendre et quand Phil amorce l’affaire, chœurs en sus, c’est obligatoirement emballé et bien pesé.
Mais c’est vrai… ils ne sont plus que trois.
D’ailleurs ils l’affirmaient haut et fort dans leur précédent album.
Et à trois, pfff… ils en abattent de la présence, tellement soudés, tellement collectifs et pourtant avec tellement d’immenses personnalités individuelles.
Un son eighties ? Hmmm, on n’y est pas encore, pas vraiment et ce aussi dans l’approche compos.
Le Genesis prog reste encore bien présent, l’axe mélodique insiste aussi sur ce fait et je suis – à y bien réfléchir - dans les fragments restants d’une certaine trilogie post Peter et d’une grandiloquence claviériste exacerbée dans « The Lamb ».
Forcément ça m’avait plu et ça me plait encore et peut être bien d’avantage.

« Duchess » et Phil a pris dans sa sacoche sa célèbre boite à rythmes (il en est à ses débuts en la matière, mais déjà…) et d’un coup de baguette(s) magique(s) avec les précieuses sonorités de Tony nous voici partis en voyage. L’intro instrumentale est, là encore, longue et fait désirer le chant. Tout va se tuiler, Phil part en marching drums, un gros break et une mélodie absolument sortie de nulle part, comme si elle était la résultante d’une mélodie précédente qui n’aurait pas eu lieu.
Effet incroyable puis tout va s’organiser, se mettre en place de façon empirique, s’additionner de chœurs en sections de plus en plus amples.
La boite et son pattern tant léger qu’insidieux sert de repère, de point de départ, pour tout.
Comme toujours le travail orchestral synthétique de Tony Banks dépasse largement l’idée de « modèle » d’un genre. C’est un symphonique(iste) à lui seul, un orchestrateur - bien plus qu’un simple arrangeur – absolument phénoménal qui use avec brio et savoir des outils synthétiques et pseudo acoustiques les plus divers.
Un titre parti de rien qui mène vers strictement rien de « prévisible » et qui est porté par un sens mélodique étrangement organisé.
Un moment rare, qu’il faut écouter de nombreuses fois avant de tenter d’en saisir le sens et l’essence.

« Guide Vocal » suit.
Courte chanson d’un peu plus d’une minute où Phil s’exprime avec une émotion qu’il sait désormais réellement transmettre et qui transpire, mais également respire à chaque phrase.

A ce stade de l’album une petite pause empreinte de réflexion s’impose.
Similitudes…
Parallèles…
Comparaisons…
Duke et sa face A se voulaient au départ conçus comme une suite racontant l’histoire d’Albert, personnage qui figure sur la pochette – mais le groupe avait voulu éviter les rapprochements avec les suites composées précédemment notamment à leurs débuts, ces grands moments épiques qui permettaient à Peter (soutenu vocalement par Phil) d’endosser des personnages théâtraux multiples et d’emmener le public (et l’auditeur) vers des univers inspirés de Lewis Caroll – entre autres références contées.
Arrivés à la fin de ce titre chargé d’émotion un arrêt sur pause s’avère donc utile.
Il faut savoir que le titre « Behind the Lines » sera repris avec la section cuivres de E.W & F, dans le premier album de Phil, ce qui explique cette direction parfois funky dans son jeu.
Puis il y a le travail Banks – Rutherford qui avaient commencé pour créer le « nouveau Genesis », sans Phil, ou plutôt en attendant Phil.
Il était parti au Canada pour tenter de sauver son mariage, ce qu’il ne réussit à faire.
Il apparait évident qu’entre « Face Value » (chargé de l’émotion et de ses (re)sentiments à cette époque à travers son chant et sa musique) et « Duke », (avec l’interprétation de Phil, au chant, comme dans ses fracas de batterie qui deviendront caractéristique de sa hargne et de son jeu), un parallèle bien réel puisse être fait.
Maintenant, Phil Collins a besoin de créer en toute intimité et de s’épancher hors de son cercle d’amis Genesis.
Et… il reste l’un des membres clés du groupe.
Ce que cet album démontre.

« Man of Our Times » reprend sur le jeu puissant de Phil en premier plan.
Comme au bon vieux temps, il va jouer sur plusieurs registres vocaux, comme quand il jouait avec Peter. Tony joue également sur ce critère avec des sonorités lead aigrelettes.
Le titre est possédé par une structure avec développements organisés sur des cellules rythmiques saccadées, syncopées et marquées pesamment par Mike.
Un rappel de « The Lamb » (« Back in N.Y.C ») ne manquera pas de surgir, occasionnellement, pour celles et ceux qui chercheraient des repères désormais passéistes, mais restés tapis dans l’ADN du groupe.

Passons maintenant à « Misunderstanding », reposant sur une rythmique shuffle et un riff rock efficace, du moins pour sa première partie, puis, comme toujours l’ouverture harmonique va en seconde partie nous emmener ailleurs.
Les chœurs de Phil sont (volontairement ?) kitchs en section A, puis en section B ils vont rejoindre l’ouverture harmonique afin de la sublimer.
Le titre dépasse à peine les trois minutes – Genesis a désormais franchi la frontière qui les séparaient du prog aux développements long et faisant la part belle à des instrumentaux symphoniques pour opter pour le pop song.
C’est un début.
Ils sauront en faire un très bon usage comme certains de leurs collègues de la même veine (Yes et même K.C, sans parler de Asia, même E.L.P oscille vers cet axiome commercial aimanté).

« Heathaze » et là je fonds, il y a tout pour que cela me touche immédiatement ici.
L’introduction de Tony au CP est l’éternel émerveillement de sensibilité que lui seul sait donner avec autant de subtilité. Le chant de Phil, qui va chercher quelques rauquements, les arpèges de dentelle de Mike, le jeu de batterie, souple, en retrait… et la structure, l’organisation du titre en sections qui amènent l’émotion.
Tony a sorti la panoplie et auréole de flûtes et hautbois imaginaires ses cordes virtuelles, ses soutiens soniques amples.

« Turn it on Again » - où comment envisager un tube… et ça a marché, un peu comme le « Owner of a Lonely Heart » de Yes, pas la même approche, forcément, mais dans l’idée… dans l’idée.
Un beat qui marche, une guitare en power chords, un jeu de batterie enfoncé, des interjections dignes d’un Van Halen découvrant le synthé (« Jump »).
C’est peut-être bien arrivé ici que j’ai dû passer mon tour, et pourtant… quand j’écoute ce titre aujourd’hui et que j’y pense…

« Alone Tonight » va calmer le jeu, Phil rêvasse sur les doux arpèges de Mike, Tony tisse une toile faite d’un contre chant éthéré…
Un contraste va s’opérer avec l’entrée de la batterie.
La grandiloquence de Genesis est de retour – mais est-elle vraiment partie ?

« Cul de Sac » est l’un des titres sur lesquels je me penche et m’arrête.
Il bénéficie d’une forme agissant en elle-même, finalement, comme une petite suite, comme si Genesis avait ramassé en quelques cinq minutes son ingéniosité en la matière.
Tout ce que j’ai dit sur Tony Banks est là, bien présent.
Tony Banks a d’ailleurs exprimé que « Duke » fait partie de ses albums de Genesis préférés et quand on prend en compte l’immensité du travail qu’il accomplit ici tout au long des titres on peut aisément le croire, cette réflexion se suffirait en elle-même.
Peut-être bien qu’à partir de là c’est lui le maitre d’œuvre du futur…

« Please don’t Ask » est encore une balade pop qui s’impose et installe cette mélancolie que désormais Phil ne va cesser d’exprimer et exploiter, humainement, sentimentalement, machinalement.
Ce chant fait maintenant partie totale de lui-même, de son être musical.

« Duke’s Travel » suivi de « Duke’s End » vont opérer comme justement ce reliquat de suite typique du groupe.
Le premier titre va installer de longues plages instrumentales qui dépassent la seule idée d’introduction puisque sur 8mn il faudra attendre la 6e pour que Phil sorte ses cordes vocales.
Un peu comme dans « Los Endos » qui concluait « A Trick of The Tail » cet enchainement semble déjà taillé pour conclure les concerts et offrir aux deux batteurs Chester et Phil « leur » moment.
Parfois l’on compose pour une situation donnée.
En tout cas ces deux pièces concluent avec brio l’album en reprenant des éléments des titres (dont « Behind The Lines » qui du coup va s’entêter en l’auditeur).
Une « coda » effrénée, exaltante, dans laquelle les trois marchent de front, unifiés, solidement et amicalement liés.

« Duke » a certainement été créé dans des conditions spéciales et même difficiles.
Les difficultés privées de Phil, la sortie après « And There They Were Three… », album semblant clore une trilogie post Peter qui s’est construite vers un ailleurs, mais ne pouvait probablement en rester là – de toute façon « And Then … » inscrivait déjà un  mutation sensible vers le pop song.
« Duke » reste sur les traces d’un passé glorieux et semble ne pouvoir véritablement s’en défaire, mais le format song, pop-song plus réduit, plus efficace et dans l’obligation FM devenue normative prend généralement le dessus.
Il sortira d’ailleurs de l’album quelques tubes bien envoyés et cela créera un tout nouveau public, une génération bien éloignée de « Tresspass », désormais rangé dans la genèse de Genesis.

Pour ma part, tellement subjugué par « And Then… » puis passé directement à cet ovni que Phil nous offrit avec « Face Value », j’avais directement été vers « Abacab », le suivant, incontournable me semble-t-il de la Genesis bibliothèque…
Mais « Duke » vient de se repositionner avec de nombreux avantages.

Il faut du temps, parfois…

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PETE TOWNSEND «  White City : A Novel » - Atco 1985.

Qui s’intéressait en 1985 à ce dinosaure de Pete Townsend ?
Fervent défenseur du rock et de son évolution, guitariste mais également tête pensante de nos chers Who, créateur, quelque part, de l’idée d’opéra rock, ce bon Pete avait encore ses suiveurs, son reliquat de fans intéressés à son espace imaginatif post Who, ce qui semble un must en soi, mais qui se révèle, au sortir, portion congrue.
Pete Townsend, il avait tout pour continuer le bon chemin dans lequel il nous avait puissamment menés, mais voilà, en 1985, les « vieux » rockers n’ont plus la cote.
Il suffira de lire via Wiki, à la fois le classement de cet album et ses critiques mitigées ou acerbes, pour se dire que, soit Pete était déjà « déclassé », soit comme toujours, en avance sur certains temps, soit tout simplement passé en mode confidentialité.
Ses projets ambitieux, comme ici avec ce « White City : The Novel », thématique, ne semblaient plus véritablement intéresser personne.

« White City : The Novel » est là encore un de ces albums passés rapidement aux oubliettes et pourtant il mérite largement qu’on s’y attarde.
Le sujet, d’une part, ces chansons organisées en chapitres, petites nouvelles décrivant le quartier et la vie de « White City », à l’ouest de Londres, où Pete a vécu son enfance.
Un quartier pauvre, conflictuel entre ethnies et cultures, un quartier que l’on nomme aujourd’hui « populaire », sorte de ghetto urbanisé et organisé afin de réunir dans un même secteur la frange sociale travailleuse, utile certes, mais surtout à écarter socialement du politiquement correct et bien-pensant.
Un quartier en guérilleras urbaines permanentes, luttes de territoires, trafics en tous genres, pauvreté et mafias et… espoirs d’en sortir un jour, ce qui arriva à Pete et ses acolytes.
« Non, non, rien n’a changé, tout, tout va continuer » nous martelaient les Poppys, ce groupe vocal de gamins biberonnés aux idéaux babas/hippies/freaks des années 70 - une chanson criante de vérité naïve et d’actualité cruelle, une vision qui se serait voulue optimiste sur lisier de réalité pessimiste.
Pourtant… en 2024… vous trouvez que ça a changé ?

Pete Townsend.
Il a tout de même tenu les rênes d’un des groupes fondamentaux du rock avec une équipe de zozos pas spécialement simple à driver.
Un beau gosse au physique avantageux et à la voix mémorable, un taciturne virtuose, un trouble-fête génial - tout ça à secouer pour un cocktail unique et détonant.
Bon, sortons des Who et plongeons nous dans cet enchainement de nouvelles aux caractères distincts (ce qui donne un côté presque versatile à l’album, chaque chanson agissant comme un chapitre).
Un groupe semblant officiel et de nombreux invités dont David Gilmour venu redonner une seconde chance à « White City Fighting », qu’il composa pour son second album.
Mais le texte de Pete ne lui convenait pas, de même qu’à Roy Harper qui tenta également de lui donner sa chance… c’est ici qu’elle finit par trouver sa juste place.
Juste étant un mot parfaitement adapté.

Gilmour participe, en tant qu’invité, dans l’album.
Il y a nombre de bassistes, de batteurs, dont encore une fois chez Pete le démoniaque Simon Phillips et des cuivres en sections (« Face the Face » à l’arrangement jumpy excitant qui se conclut de façon surprenante) sont conviés.
L’univers présenté est un rock nerveux, incisif et engagé.
Pete empoigne le sujet et lève le poing.
Rebelle.

Encore et toujours Pete Townsend démontre son immense faculté à composer avec une verve créatrice toujours intacte.
Textes, musiques, arrangements, mise en musiciens, tout ici est imparable et indiscutable et même si le sujet posé n’est pas la plus enthousiasmante des destinations de voyage, la conscience et les constats que Pete prend à pleine voix et guitares – tout cela produit avec une présence tonique magnifiée par Chris Thomas – ne me laissent pas insensible.
Mais Pete Townsend m’a toujours positivement surpris à chacun de ses albums.
Celui-là ne fait pas exception et je dirais même qu’il se place haut et fort.

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TARIKA BLUE « Tarika Blue » - Chiaroscuro Records 1977.

Tarika Blue…
Si une fois dans votre vie vous avez croisé la musique de ces newyorkais jouant un jazz/funk teinté de soul vous en seriez assez vite devenu suiveur.
Mais, pas de pot, Tarika Blue n’a sorti que deux albums…
« The Blue Path » en 1976 et celui-ci, éponyme, en 1977.
Les amateurs de ce son seventies d’un jazz décrit comme rock mais allant chercher à Harlem d’autres racines se retrouveront joyeusement ici.
Phil Clendennin, claviériste très obscur (malgré un CV incluant Nile Rodgers, les Rolling Stones ou encore Diana Ross) et Ryo Kawasaki (l’un des pionniers du jazz fusion qui a aidé au développement de la guitare synthé, et qui a travaillé avec Gil Evans, Elvin Jones, Chico Hamilton…) sont à l’origine de ce groupe.
Un sample utilisé par Erykah Badu – « Dreamflower » pour « Didnt’ Cha Know » - sans autorisation et voilà que d’un coup cet album va devenir culte.
Et nombre de DJ’s, de fans de soul, de NuSoul etc… vont aller chercher qui est Tarika Blue.

Tellement de « bon » critères sont réunis ici, sous une approche musicale certes familière mais qu’il fait bon (re)trouver (Caldera, Corea, Maupin, Cortex, Crossfire, Crusaders, Shakatak, quelques bons EW&F des débuts, Spheroe et même quelque part Gong en France…) en chaque plage.
L’enregistrement est d’une rare fraicheur, légèreté et cela donne au tout un aspect funny et les titres peuvent alors défiler avec un plaisir qui est communicatif dès « Love it ».
Kevin Atkins est un batteur nourri au jeu funky et volubile de Harvey Mason – il est ici très bien complété par Marvin Speller aux congas.
Barry Colemen est tout ce qui nous amené Bernard Edwards de Chic, un groove à tomber par terre, des lignes miraculeuses, un son rond et généreux.
James Mason prend aussi la guitare.
Il faut aussi mettre un bel éclairage sur Justo Almario au sax soprano qui contribue largement à définir la couleur de l’ensemble tel  « un » Joe Farrell chez Corea.
Les deux leaders sont fusionnels et complémentaires ce qui donne un album d’une rare cohésion avec de surcroit des chanteuses (Dolores Smith et Irène Datcher) qui, justement insufflent immédiatement l’idée bien avant l’heure d’une certaine Erykah Badu (mais également d’une Gayle Moran ou plus soul d’une certaine Syretta).
Nous voici face à une perle rare, d’une grande pureté musicale.

Comment un tel album est passé dans l’ombre alors qu’il est une véritable lumière, difficile à le croire, mais c’est ainsi et si nos éternels ré utilisateurs, fouilleurs, sampleurs multiculturels n’étaient pas là pour parfois faire émerger de l’obscurité de tels petits miracles musicaux, Tarika Blue serait resté dans les oubliettes de certaines personnes qui se l’étaient procuré à l’époque.

Pourquoi je cite ici tant de références ? C’est, même si je n’aime pas vraiment le faire, afin de mieux cibler et inciter à votre écoute et vous faire découvrir sans hésiter cet album et ce groupe, totalement imbriqués dans leurs temps d’une fusion seventies qui était émergeante mais pas encore identifiée car sous tutelle de l’étiquette plus rigide et imposante qu’était le jazz-rock.
Foncez, il y a là de quoi largement satisfaire les amateurs du genre.

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Trois albums pour démarrer la semaine.
Faites vos choix.













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