CARLA BLEY – Saison 3 - « Il était temps »

 

CARLA BLEY – Saison 3
« Il était temps »

C’est certain, il était temps de réaliser que sa musique est incontournable.
De s’y pencher plus que sérieusement et de prendre enfin en compte son écriture.

Il s’agit bien de cela en effet.
D’écriture.
De compositions certes, aux volutes complexes et à l’apparat épuré et simple – tout un art ("Lawns").
Et ayant récupéré nombre de ces écrits en partitions souvent manuscrites, j’ai été interpellé par cette distance entre une écoute en général aisée et une écriture ardue, complexe à jouer, aux harmonies truffées d’extensions, de chemins modulants, de chant et contre chants permanents, de rythmes déboussolés, de voicings organisés en sections…
« Dreams so real » … un parfait exemple.
Une mélodie d’une apparence claire et minime sous laquelle se glisse la progression harmonique la plus retords qui soit, usant de notes d’extension communes afin de moduler à foison. Sans parler de la grille qui, une fois ce thème, en fait, ancré dans cette progression, sert de base à improviser. Trouver un chemin soliste inventif tant qu’expressif devient alors un casse-tête mais de celui-ci, en faisant ressortir l’essentiel, l’écueil d’un trop plein de virtuosité, sera forcément évité et cette balade délicieuse pourra donc s’exprimer à travers cette obligation de sobriété.

Il était temps et en même temps ces années 80 – début 90 sont aussi quelque part les années glorieuses, de franc succès de l’artiste auprès d’un public de plus en plus large.
Elle produit et se produit beaucoup (je vous recommande son concert parisien de 88 facile à trouver sur YouTube). Elle passe allègrement de Watt à E.C.M, ses deux labels (Watt étant une annexe américaine de E.C.M qu'elle a créé avec M.Mantler).
Son équipe est stable et plurielle. On pourrait même parler quelque part d’une « famille ».
La multiplicité des timbres est toujours là mais les pupitres semblent se fixer autour de ces jeunes encadrés par quelques bons piliers.
A la batterie David Sharpe se partage le rôle avec Victor Lewis, selon les albums.
Steve Swallow est tant son compagnon à la vie qu’à la scène et son jeu guitaristique sur la basse devient souvent l’élément central de la progression des compositions.
En live c’est souvent le phénoménal Lew Soloff qui vient taquiner les sommets solistes à la trompette tout en étant le chef de sections (un rôle qu’il a l’habitude d’endosser – cf Gil Evans, B S & T). Son apport à la pâte sonore de Carla est essentiel.
Andy Sheppard, Gary Windo, Wolfgang Pusching aux anches.
Karen Mantler, sa fille, en instrumentarium divers dont l’orgue, les claviers percussions et l’harmonica.
Et bien entendu Gary Valente, qui reste l’un des principaux dépositaires du son Carla Bley de ces années-là par ses solos d’une intense expression souvent latine, d’une puissance hors normes et d’une inventivité posant l’ensemble au-dessus du commun de ce jazz qui a à nouveau et plus que jamais le vent en poupe.

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« NIGHT GLO » - 1985 / Watt.

Nous voici en 1985. Le CD commence sérieusement à battre son plein et à remplacer les vinyles dans le quotidien, ce, en général.
Malgré son prix encore exorbitant ce nouveau support s’est taillé la part de marché et devient très vite la norme.
S’acheter un CD E.C.M-Watt c’est un pas financier à franchir, le label n’en est pas encore et en sera rarement à brader. Ses artistes valent cher, leur musique aussi.
Eicher a une intransigeance commerciale et respectueuse inaltérable sur ce point.

« Night Glo » sera mon premier Carla Bley sur ce support.
Comme (et ça n’a pas changé) je passe énormément de temps sur la route, j’ai investi à prix d’or dans un autoradio lecteur de CD.
Cet album je sais être parti des semaines durant sur la route avec lui seul.
Cet album je l’ai apprécié, aimé et écouté presque plus que tout autre, passant mon temps mental à en décrypter chaque recoin, chaque écriture.
Il est l’album qui met Steve Swallow en exergue, au premier plan.
Sa section rythmique me sera un exemple de référence pendant des lustres, dépassant en efficacité et en mise au service de la musique tout ce que je pouvais aduler jusqu’alors, comprenant que la technique n’empêche pas la sobriété et l’efficacité.
L’écriture serrée des vents est un modèle du genre, leur agencement, leur disposition tant verticale qu’horizontale (question/answer-contrechant-contrepoints-tenues de notes communes qui font chauffer sans exciter…) sans parler du phrasé. L’écriture du phrasé…
Il y a là le regretté et volubile (tant qu’agaçant, souvent, parfois…) Hiram Bullock à la guitare, essentiel, touche indispensable de cette musique en reliefs pointillistes.
Randy Brecker s’est échappé de ses frasques débridées fusionnelles et est venu là prêter sa trompette et son talent.
Bref.
J’ai déjà largement parlé de cet album en blog par le passé.
C’est autour de lui et par lui que cette fois la musique de Carla Bley est devenue boulimie, curiosité insatiable, forme d’apprentissage évidente et obligatoire et plaisir sans limites.

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Sans souci chronologique

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« HEAVY HEART » - 1984/Watt.

Avec « Night Glo », son digne successeur, cet album fait partie de ceux qui ont le plus « tourné » chez moi.
On y trouve un penchant « latinisant » qui va désormais beaucoup inonder la musique de Carla et qui s’affiche dès « Light or Dark », un choix consonant/dissonant qu’il va falloir assumer d’entrée ce, dès le solo d’Hiram Bullock sous-titré d’atonalisme maitrisé.
C’est en quelque sorte un album pour Hiram Bullock qui y va de bon cœur, passant de soliste à l’influence hendrixienne (« Starting Again ») à rythmicien toujours extrêmement subtil et coloriste aux effets multiples.
Il a charge mélodique, une nouveauté. Il est ici remarquable.
Kenny Kirkland deviendra une star, happé par un policier en mal d’environnement jazz. Il est ici le formidable soliste que l’on connait, jazz et funky à la fois, un jeu plein, en accords, large et volubile… (« Joyful Noise »-« Starting Again », ouvert à souhait sur drums quasi solo).
Et le « son » Carla cuivré à la Rota/Weill reste présent avec Valente (son rôle poignant et déchirant dans le titre « Ending it » - un moment d’anthologie) et Mantler (toujours aussi « lyrique »).
La section rythmique est centrale, reste sobre mais a la charge des rôles mélodiques, thématiques et souvent solistes (y compris la batterie, cadrée par des riffs). Elle est très « écrite ».
Carla triture les nouveaux jouets synthétiques en plus de son orgue.
Quelques flûtes (« Joyful Noise » en samba réinventée) éclairent le tout qui est d’une atmosphère plutôt fun, joyeuse, enlevée.
Encore une fois c’est l’écriture des vents et l’agencement de leurs couleurs qui me laisse admiratif.
Et la qualité des protagonistes, car, entrer et sortir ainsi du pupitre est un art musical d’une grande maitrise.
Les vents, en section ponctuent, relancent, insufflent, tonifient – une écriture de mise en service de rôles d’une merveilleuse organisation.
Carla n’est pas en manque d’inspiration, comme certains eurent pu le dire. Bien au contraire elle a choisi une voie certes moins avant gardiste, certes plus en corrélation (n’oublions pas sa contemporanéité) avec ce temps, mais pour autant, sa musique reste subtile, inventive, chargée d’une profonde expression féminine et humaine.
Et n’évitera pas de bien belles surprises
Rien que pour « Ending it » je garde précieusement cet album, cette musique, cette force émotionnelle.
« Heavy Heart » et son thème bouleversant digne des plus grands standards de jazz nous laisse en grande sensiblerie, Carla intensifie de son orgue ce trait de génie mélodique. Magique (comme son solo) !...
Mais ne nous laissons pas attendrir car, comme toujours elle va faire volte-face au gré d’un pont cuivré amené en grand renfort d’appuis pour cet ultime solo d’orgue qui va servir de pont à ce final latinisant où son orgue (et son synthé...) complète les cuivres en sous voicings légers avant de revenir au thème principal.
Peut être l’un des autres essentiels de la dame que ce « Heavy Heart ».

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« Something There » - Michael Mantler – Watt 1983.

C’est en revenant en arrière qu’on réalise les parcours.
Un peu comme si j’avais fait une avancée vers… fait une pause… et fait un retour en arrière pour repartir plus après.
Cet album de Michael Mantler est captivant à bien des égards.
La musique est finalement bien celle de ce compositeur en continuité de « Hapless Child », du moins dans la lignée de ce qu’il compose avec brio et force. Une musique dense, intense, chargée d’une hargne expressive souvent peu soutenable.
C’est un album avec des passages écrits joués de façon souvent rapide et approximative ce qui lui confère, non une critique en ce sens, et curieusement, au contraire, une sonorité particulière et attachante.
Le L.S.O, enfin quelques membres orchestraux est face à un contexte inédit et pas forcément très à l’aise ; ce qui justement renforce le malaise général de cette musique au demeurant pas spécialement fun…
C’est aussi une rencontre d’univers musicaux à travers des personnalités musicales qui n’auraient pas eu spécialement la chance ou l’envie de se croiser et jouer ensemble si un tel projet ne les y avaient incitées, invitées.
Mike Stern, tout droit sorti de chez Miles…
Nick Mason en chômage Floyd.
Michael Gibbs, l’orchestrateur et chef d’orchestre de tous les projets les plus barrés.
Steve Swallow et Carla Bley en soutien familial et rythmique/harmonique.

Mason est lourd, au fond d’un temps qui laisse peu de place à l’évasion.
Mike Mantler est un soliste qui déchire à de nombreux sens du terme, tant d’émotion que d’aigus et de sonorité.
Le peu de reconnaissance de ce trompettiste reste pour moi une énigme.

Des titres en numérologie qui défilent comme un ruban d’asphalte cinématographique, là encore, l’image – le plus dense et intense est ce « nineteen » posé sur ce drone de basse, cette métrique de basse. Des tenues qui hurlent, un solo de Stern, distordu, distendu, déviant, comme il n’en fera plus jamais, revenant vite à son espace de fusion, des cordes stridentes sorties d’un Hurlevent à la Herrmann. Hypnose…
« Seventeen » va là où l’école américaine répétitive se devait de les emmener – cette prise en compte culturelle d’un patrimoine musical moderniste la voilà, enfin, ici, avec eux.
L’entrée de Michael Mantler prend carrément aux tripes.
« Eighteen » alourdit l’asymétrie là où Zappa s’en amuserait.
Un lourd développement qui juxtapose Stern et Mantler – charge émotionnelle garantie car… au centre… cet espace, ce climat…
« Something There » va définitivement teinter de sombre, en le refermant, cet album créatif, nocturne, souvent dépressif.
L’écriture (quel immense compositeur), tant que la sonorité de Michael Mantler, restent à jamais gravés par ces longues phrases plaintives, criardes, souffrantes – y revenir comme avec « Hapless Child » ne me sera qu’exceptionnel – il faut « un état » pour pénétrer un tel espace.

 

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« I Hate To Sing » - Watt - 1984.

Brr… celui-là, de prime abord – (à demi) live qui plus est – c’est vraiment un truc de barrés.
Vaudeville, parodie, humour à tous degrés et partir en tournée avec un tel concept !
Oser donc…

Maltraitance des voix ici complètement déjantées, la fausseté étant la norme, genre fin de soirée vraiment bourrés…
En plus, soutenues par l’axe mélodique instrumental, bien carré, bien juste, histoire d’en rajouter une couche.

La famille est soudée jusque dans cet humour caustique, sarcastique, de théâtre de boulevard, de commedia dell’arte et la recette consistant à prendre un élément (« The piano lesson » et sa / ses gammes), un argument (« Murder » - « The very Simple Song »- « the Battleship » et ses fanfares claironnantes incluses dans une rythmique désarticulée), une situation (« I hate to sing » comme sorti d’un film de Fellini – génialissime réappropriation de Rota avec un Mantler à fond dans le « rôle »), un flash (« The lone arranger » en western bluesy au brio incommensurable qui envoie un solo de Gay et de Steve chargés un swing d’un rare feeling – un autre grand morceau de la dame), etc…
Et en faire musique expertement agencée, orchestrée, en restant dans les us maintenant familiers (Rota/Weill/Jazz/Broadway Song/Marching Band/Rock à la R.I.O et-ou Canterburry School/Kaléidoscope international/Pop song/Latino/Western/B.O).
David Sharpe est ici une star vocale à contrepied et ça fonctionne grave… encouragé par ses potes à chanter l’impossible, malgré ces mélodies spécialement écrites pour lui, cette note qu’il n’arrive pas à choper ou ce solo de batterie incroyablement et parfaitement « débutant ».
Tout est hilarant, acerbe, exagéré dans les moindres recoins, du riff bien marqué, à la batterie sur-renforcée, du solo « de style » poussé dans les clichés au gimmicks tellement évidents.
Gary Valente cuivre comme jamais et se permet un panorama total de l’instrument.
Cet artiste est un géant. Si je pense trombone j’ai immédiatement (avec Ray Anderson) son nom qui s’inscrit.
Mantler fait mouche en expression lyrique et joue du contraste.
Swallow/Sharpe sont carrés, attentifs pour soutenir ce bordel organisé.
La section d’anches est un pur joyau d’équilibre et de clowneries, de swing et de délirium jeté en pâture à un public tant ébahi qu’hilare.

« I Hate to Sing », un véritable chef d’œuvre de musique théâtrale, pour la scène, un truc à part mais pas tant que cela, Carla a toujours eu ces pointes d’humour, de parodie, dans nombres parties de sa musique, mais là, c’est carrément le passage dans…
J’ai écouté et adoré cet album, il a rempli de rires (et d’admiration face à tant de capacités à rendre cela en musique sérieuse) mes longues heures de voiture, il m’a également servi pédagogiquement, car la « facture » musicale ici se prête largement à nombre de récupérations.
Un album pour lequel j’ai une grande affection, un rapport particulier quant à ce génie permettant de détourner sérieusement la musique de son tracé, tout en prenant en compte celui-ci.
Un truc qui là encore (et je compare souvent à lui) dépasse largement (car tellement plus subtil et fin) l’univers zappaien, dont pourtant je reste un inconditionnel.

Passer à côté de ce truc unique et pas que dans la discographie de Carla Bley c’est juste impossible.
Génial ?
- oui.

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« Live ! » - Watt – 1982.

Enregistrement réalisé lors de deux concerts en 1981 (The Great American Music Hall / San Francisco
et Grog Kill, Willow, NYC) ce « Live ! » au point d’exclamation parfaitement approprié résumerait bien à lui seul l’orientation que prend Carla en ce début eighties.
Le jazz-rock n’est presque plus, un jazz fusion de plus en plus smooth se dessine et le remplace.
Le free et l’avant-gardisme perdurent difficilement et cet axe créatif s’étiole.
Budgétairement, certainement, réduire l’effectif donc l’écriture sont également et probablement de mise.
Chaque décennie, finalement a son lot de contraintes, d’entrées en matière de nouvelles esthétiques et de vagues. Le jazz est à la mode. Oui mais, lequel ?
Sade, Matt Bianco, Kid Creole, Liane Foly, Working Week, Jonasz … cet axe jazz (y) empaquette cette musique en image(s), en parfums, en style vestimentaire, en attitude.

Carla range ses projets pharaoniques, déviants, osés et absurdes, libres et hasardeux et resserre les rangs. Musiciens souvent jeunes, en devenir, écriture concise, improvisations encadrées, efficacité rythmique, mélodies accrocheuses et effets de bravoure.
Ce « Live ! » qui reprend le titre phare du film « Mortelle randonnée » dont la B.O a été composée par ses soins possède tous les ingrédients qui vont faire s’infléchir sa musique et cristalliser sa « famille » à la scène, au studio comme à la vie.
Il y a là David Sharpe, à la batterie dont elle a dit l’avoir engagé à cause de son nom (!).
Un gars sobre, marteleur efficace et bien au fond du temps qui maintient la cadence en puissance et simplicité presque rock.
Tony Dagradi et Steve Slagle sont aux anches et saxophones et surfent sur cette nouvelle vague de solistes fusion tant groove que funky que jazz(y). Leurs solos sont brillants, vibrants, enthousiasmants, juvénile. Leurs dialogues se tirent une bourre des plus amicales et leur langage puise dans un patrimoine assimilé, personnalisé, intégré.
Gary Valente inonde le spectre de son charisme musical et soliste.
Vincent Chancey le complète au cor.
Michael Mantler est lui aussi de la partie et nous offre quelques thèmes magnifiquement « chantés » - « Still in the room ».
Earl Mcintyre au tuba complète Steve Swallow dont la sonorité et le jeu sont depuis des lustres la part identitaire du « son » Carla Bley.
Arturo O’Farrill complète la dame au piano, celle-ci restant lui préférant son fidèle orgue.
L’écriture est donc plus compacte, plus tonique aussi, moins éparse et grandiloquente  et la place offerte aux solistes est magistrale.
Cela donne à cette captation de concerts une tonicité, un plaisir immédiat et total.
L’ensemble est en totale maitrise de son sujet, rigueur et mise en place (ce qu’on lui aura souvent reproché dans cette période) laissent pantois.
Le jeu est nuancé, posé, retenu tant que tonitruant.
Massif, souvent.
Lourd aussi – « Song sung long » …
« Real Life Hits » est un parfait moment de la complexité d’agencement des écrits de Carla.
Un tutti improbable qui sert de thème, une rythmique latino qui module au fil de l’avancée du morceau, ponctuée d’incisions du tutti qui se retrouve disséminé en parts entrecoupées ou de riffs.
Solos de trombone, gueulements aigus de cor, flatterzunges de flûte sortis d’une session salsa…

Côté répertoire, c’est un aller-retour jubilatoire entre quelques extraits de ses créations ambitieuses ici réorganisées et sa facétieuse habitude à jouer des genres (« The Lord is listenin’ to Ya, Hallelujah ! » en pur giga gospel – surchargé d’effets de style grossis – et d’orgue)
Sur la pochette Carla ose enfin sa féminité et semble heureuse – avec une famille pareille qui l’entoure, qui croirait le contraire ?...

Une grosse claque que cet album !

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Sextet » - Watt – 1987.

Je vais conclure cette grosse saison 3 par cet album. Celui-ci a été directement avec « Night Glo » dans mon panthéon Carla Bley.
D’abord parce qu’il n’a pas de cuivres, il est véritablement écrit pour une section rythmique.
Ensuite parce que c’est là que j’ai réellement fait une fixette sur ce batteur rare qu’est Victor Lewis que je suivrais entre autres chez Stan Getz, par la suite.
Ici Carla Bley avec un effectif réduit en sextet (Larry Willis/piano – Steve Swallow/Bass – Hiram Bullock/Guitar – Don Alias/Percussions – Victor Lawis/Drums et elle-même /orgue) compose un véritable écrin pour ses amis, sa famille, ses soutiens.
Dès « More Brahms » V.Lewis impose son incroyable imagination, son jeu subtil, nuancé et doté d’une technique imparable pour ce titre écrit forcément à son égard, parsemé de points d’accroche sur lesquels il va organiser un solo digne des plus grands (je pense en particulier à celui de Gadd dans le « Aja » de Steely Dan ou le « Seven Steps to Heaven » de Ben Sidran). On reviendra dans une saison plus tardive sur la progressive appropriation en hommages de Carla envers les compositeurs du romantisme européen.
« Houses and Peoples » me rappelle toujours à quel point Hiram Bullock a pu être un guitariste tant imposant que présent et incontournable de ces eighties, mettant son talent au service de nombre d’artistes (Sanborn en particulier…). Ce titre lui fait sortir toute la palette de son jeu.
Ici Carla tombe un solo d’orgue magistral.
Mais pour autant même si la place soliste est bel et bien primordiale et si les compositions semblent agencées en cet axe, les solistes n’en « montrent pas », ils restent en développement musical et pas en rapport individuel sur la musique. La musique de Carla Bley est celle d’une famille, d’un collectif et cette philosophie est évidente – ici elle ne laisse pas de doutes.
« The girl who cried Champagne » est une composition qui s’ouvre en percussions laissant le brillant Don Alias sur cette samba vraiment luxueuse prendre une place méritée. Ce titre avec sa noire pointée croche, en after beat sera beaucoup réutilisé, réarrangé et prétexte en concert par Carla. On y trouve les clichés samba, latino, piano salsa/mambo… en axe directionnel. Sur ce simplissime pattern (sur lequel se sont greffés quelques autres schématiques) un développement en multi-strates va s’organiser permettant l’expression soliste la plus large possible. Une écriture parfaite, une synthèse stylistique reposant sur peu d’éléments de récup’ mais sublimés.
« Brooklyn Bridge » installe un thème majestueux présenté par Steve Swallow, soutenu par quelques écrits mis en place communément entre l’orgue basse et les drums. Directement expressif que ce dialogue entre Carla et son compagnon de vie et de musique. Don Alias apporte la touche pointilliste, Larry Willis place des voicings qui seront aisés à réorchestrer cuivrés, un jour probable pour ensuite s’échapper pour un solo limpide et sensible. Carla sait écrire de délicieuses balades (elle n’en est pas à sa première) et celle-ci peut s’inscrire dans cette lignée.
« Lawns » - un simple motif de deux notes sur ce quatrième temps et voilà…
Cela suffit et la magie opère.
Je resterais toujours épaté par cette faculté créative qui peut user de l’extrêmement simple pour le sublimer. Cet espace sied parfaitement à Larry Willis qui va chercher l’imaginaire expressif dans son solo. Autre balade, autre lévitation sur tempo au demeurant d’une carrure implacable sur sobriété absolue. Le jeu retenu de Victor Lewis qui intensifie – juste admirable.
« Healing Power » conclut en semi rythm’n’blues mode. Hiram reprend le « power », Steve enfonce le clou, Carla triture l’orgue et le fait groover, Larry la joue churchy/monky, Victor retient tout ce beau monde. Rock ?...

///

C’est ici que cette saison 3 prend sa fin.
Tout ce pan de musique de Carla resserré autour de ces albums m’a accompagné durant un sacré moment. Je m’y suis référé, je m’en suis inspiré, je les ai écoutés en boucle, je n’ai jamais pu m’en lasser et même aujourd’hui si j’entre dans l’univers de l’un je ne peux m’empêcher d’aller reprendre les autres.
Cette musique m’est addictive, obligatoire et impérative.
Elle est un sujet d’étude d’écriture à elle seule.
Elle est représentative d’une esthétique stylistique américaine qu’on ne doit contourner, éviter ou négliger si ce n’est (pour certains encore) mépriser.
Sa place est au-dessus de nombreux lots – elle est… primordiale.


 






Commentaires

  1. J'étais à Bergerac, chez moi, presque en terme d'installation et de temps passé. J'avais pu concocté un petit papier, j'y tenais, "I HATE TO SING" qui a testé ma nouvelle installation sonore, pas très au point mais c'est tellement bon de redécouvrir son univers.
    Et quel album. J'y ai trouvé un carrefour de bonheur musical, me manquait plus que Zappa, mais voilà, au moment où je transformais en YouTube des titres car étrangement absents, hop, dans la presque seconde, interdiction et blocage. Pas grave, je remplace par des liens SPOTI... Plus tard en DROP d'où je suis maintenant ça ne devrait pas être possible.
    Et donc merci, je rappelle pour des lecteurs de passage...
    Je te cite "(Rota/Weill/Jazz/Broadway Song/Marching Band/Rock à la R.I.O et-ou Canterburry School/Kaléidoscope international/Pop song/Latino/Western/B.O)"
    Ce qui été mon déclencheur.

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    1. le paquet de références stylistiques possibles...
      tout de même et tout cela emballé dans un package personnalisé qui rassemble et réunit tout.
      I hate to sing a été un album que j'ai littéralement bouffé (la K7) dans l'autoradio.
      Le sérieux humoristique - qui dépasse Zappa je trouve, mais ça reste subjectif. L'humour féminin quoi, pas la beauferie enrobée écriture compliquée du moustachu (que j'aime, comme le jeu de la marguerite - désormais et dont je peux largement me passer et... me lasser).
      Mais laissons là les comparatifs.
      juste goûter le plaisir.

      Installe toi vite et bien. Il faut un lieu pour ça (écouter la zic...)
      à +

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