MAURICE RAVEL – Couleurs passées.
MAURICE RAVEL – Couleurs passées.
Décidément, j’engage mes écoutes en mode Ravel et me voici sous influence de sa
musique, avide d’y retourner, passant les heures d’écoute à le choyer, le
remettre, en cd, vinyle et cherchant parmi les listes d’interprètes celles ou
ceux qui m’apportent du bonheur tant que de la curiosité à le reprendre en
imaginaire.
Ravel à l’aube – oui, ce matin je me suis levé relativement tôt – c’est ouvrir
les volets vers le jour musical, c’est écarter les rideaux pour découvrir le
frémissement puis l’éclat de la nature environnante.
C’est certainement cette impression impressionniste qui s’invite et ne laisse
place qu’au sentiment d’admiration de la beauté, car tout est beau chez Ravel,
chaque trait, chaque dessin, chaque ligne de contour, chaque éclat, chaque
demi-teinte …
Ravel est peut être bien resté un éternel enfant, en attestent ces contes et
récits qu’il a installé en musique.
Je vais m’arrêter cette fois sur quelques-uns de ces récits mis en trames
sonores et plus particulièrement sur l’interprétation qu’en a fait François
Xavier Roth avec Les Siècles, pour des raisons que j’évoquerais plus loin.
« Ma Mère l’Oye » est, avec « L’enfant et les sortilèges »,
certainement l’œuvre qui me touche immédiatement et qui sent cette odeur de
naïveté enfantine surannée, tels ces malheurs d’une certaine Sophie, tels ces
visions d’un monde adulte abordées par l’enfant (mais relatées par l’adulte en
souvenir d’enfance) et tels ces contes et récits qui forcent l’imaginaire et qui,
bien avant que celui-ci ne soit en représentation sur écran, lui ôtant ainsi
toute dimension personnelle pour le normaliser, le standardiser, lui
donnent une dimension personnelle poétique et intime.
Inspirée par les contes de Charles Perraud, de Madame Leprince de Beaumont et
de Madame d’Aulnoy cette œuvre se décline en trois présentations. Initialement
elle a été écrite pour piano à quatre mains (décidément Ravel a tout exploré
dans l’approche du piano, deux mains, quatre mains et main gauche…), puis, sur
une commande Jacques Rouché pour son Théâtre des Arts pour la chorégraphe Jane
Hugard, elle a été augmentée de préludes, interludes et autres phases
préparatoires ou conclusives aux thèmes principaux.
Et enfin elle a été réduite pour le piano à deux mains.
En soit, cela est absolument captivant, cela permet d’avoir la vision musicale
de Ravel dans toute sa palette. De sa version minimale et épurée (qui est la
dernière production), en passant par sa vision pianistique étendue (qui est
pourtant celle écrite en premier lieu) puis en sa dimension colorée, chatoyante
dans laquelle le prétexte offre des possibilités orchestrales inédites.
Quatre mains, orchestre et piano seul, voici l’ordre chronologique.
Adolescent, j’ai travaillé et joué au piano la version solo et je sais y avoir
passé de nombreuses heures, non seulement à tenter de passer ces traits et
autres artifices techniques rudes et complexes qu’il faut exécuter avec aisance
et facilité, souplesse et détachement, mais également à chercher la vérité du
timbre, de la couleur à faire ressortir.
A comprendre les entrelacs de ces partitions où tout existe et où tout a
importance et étager les degrés de ces importances afin d’en tirer la substance
de lisibilité pour l’auditeur.
Adolescent l’on n’a pas (en tout cas je n’avais pas) la maturité suffisante
pour arriver à cela en pleine conscience, c’est du domaine de l’instinctif.
Cela suffit parfois, mais comme ces interprétations de pianistes - généralement
des écoles asiatiques – même si l’aisance digitale permet de nombreuses
possibilités d’entrées en matière, même si la seule musique peut permettre en
soit, de sortir un résultat magnifique, cela ne remplace pas la profonde
culture, la connaissance et la maturité qu’installe le vrai recul.
Alors on se contente avec plaisir des arrêts sur tels accords, aux agencements
fabuleux.
Alors on s’esbaudit à faire s’exprimer d’une façon finalement presque
romantique, certains traits mélodiques, qu’ils soient chants, contre-chants,
toile d’horizon.
Alors on aime s’amuser avec ces traits véloces bien plus intéressants à
travailler que toutes ces gammes et arpèges qu’on n’a cesse de se taper à
chaque ouverture du couvercle du piano.
Alors on insiste trop lourdement sur le dessin rythmique, croyant, à tort,
qu’il faille le prendre trop en considération.
Mais malgré tout cela, malgré ces écueils immédiats, l’on est face à de la
poésie musicale pure et ça, l’instinct nous le dit dès les premières notes et
l’on sait que il va falloir tenter de comprendre cela.
C’est un peu comme quand à l’adolescence, le prof de français vous met dans les
pattes Hugo, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, De Vigny et que à l’intérieur de
ces mots parfaitement agencés, subtilement choisis, organisés pour leur donner
plusieurs sens et ne pas se contenter du premier de ceux-ci, il faut aller par
là et au-delà, vers la seule chose qui est la beauté artistique par le mot, la
phrase, dépassant la rigueur de la forme (comme en musique) avec laquelle
pourtant, tout est posé.
L’adolescent rejettera, ou partira en rêves, poussé par la saveur du mot, par
l’expression du texte et épousant l’âme poétique.
Maurice Ravel a composé, initialement pour quatre mains ce recueil intitulé
« Cinq pièces Enfantines ».
Elles étaient d’ailleurs destinées à être jouées par deux enfants et pour leur
première elles furent jouées par des enfants de l’âge de 6 et 10 ans.
Ravel, resté célibataire était en émerveillement face à l’enfance et il avait
composé ces miniatures pianistiques pour les enfants de son ami sculpteur Cipa
Godebski.
Au-delà de ces considérations, ce sont loin d’être des partitions aisées à
jouer et les enfants qui s’y attèlent doivent avoir tout de même de bons
prérequis.
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« Ma Mère l’Oye / le Tombeau de Couperin / Shéhérazade » - Les
Siècles, François Xavier Roth – Harmonia Mundi 2018.
Réalisme.
Pureté.
Teintes et couleurs.
L’interprétation de François Xavier Roth avec cet orchestre dépassant la notion
de « remarquable » tant ils sont impliqués, bien au-delà de la seule
idée d’exécution apporte une pierre considérable à l’édifice de la perception
de la musique de Ravel.
Il en est d’ailleurs de même avec toutes ses interprétations et Ravel y est
largement représenté.
Au-delà d’une lecture et d’une approche méticuleuse, historique et
musicologique de la partition, ce qui pourrait sembler juste intellectuellement
austère, alors qu’il en va du contraire, cette interprétation se distingue par
un jeu sur instruments d’époque.
Cela fait largement la différence, car on va découvrir (là encore comme dans
toute les interprétations de FXR avec Les Siècles) d’une façon réaliste, avec
qui plus est une prise de son d’une rare limpidité, comment finalement
« sonnait » l’orchestre du temps de Ravel.
En un bon siècle les instruments ont considérablement évolué.
Cordes en boyaux, percussions avec peaux et vents de facture française, alors
qu’aujourd’hui (excepté en musique baroque, justement sur instruments anciens)
les « grandes » marques ont envahi la sphère pour proposer des
instruments à la facture se voulant parfaite.
Le résultat, même si le jeu et l’interprétation prévalent, semble avoir
progressivement normalisé la texture orchestrale.
Yamaha, Buffet Crampon, Steinway, Bach, Selmer et tant d’autres marques
devenues incontournables et référentes sont omniprésentes. Des instruments
justes et conçus pour ce faire, à la sonorité standardisée et qui inondent la
sphère musicale dans son entier (classique, pop-rock, jazz etc.).
Dans ces interprétations, nous embarquons également dans un voyage dans le
temps.
Dans le temps où le compositeur avait dans son oreille, en écrivant à la table,
aidé ou non de son piano français Gaveau ou Pleyel, ces couleurs, ces textures,
ces sonorités, ces timbres orchestraux, ces sensations mues par les pupitres,
par les solistes, par la richesse timbrale de leurs instruments.
Pour « Ma Mère L’oye », Maurice Ravel a écrit pour un effectif
relativement réduit, laissant, justement, la place à la pertinence des timbres
instrumentaux.
On découvrira un basson bien plus souple et velouté, on appréciera une harpe
moins cristalline, bien plus délicate, on se laissera envouter par la douceur
des flutes aux aigus moins nerveux qu’à notre accoutumée.
Les percussions qu’elles soient claviers ou métaux et surtout peaux n’agressent
plus, forçant les cuivres, habitués à des brillances inappropriée du fait de
leurs lutheries respectives, à entrer dans le son de l’orchestre plutôt que
s’en émerger. On va découvrir d’autres xylophones, d’autres cymbales et gongs,
des timbales souples et bondissantes.
Quant aux cordes, qu’elles soient d’ensembles ou de parties soliste, elles
prennent une dimension chaleureusement humaine, un son boisé les caractérise et
l’on comprend mieux l’accord des pupitres entre bois et cordes, posé sur un
même horizon sonore.
Avec une telle interprétation me voici parti en redécouverte de l’œuvre,
accoudé à la fenêtre d’un de ces trains, bateaux, etc… mythique d’une époque
qui fut dite belle et dont la musique en est témoin.
Pierre Boulez a été le passeur avec une mise en aquarelle pastel de cette
école, favorisant la demi-teinte, le non éclat, le relief suggéré et un peu
exprimé.
Claudio Abbado a été un formidable coloriste, cherchant dans le pupitre et dans
toute la musique la mélodie, la trame horizontale dans cette musique à
l’harmonie tant complexe que riche et belle - en mettant le tout en perspective.
François Xavier Roth est le choix représentatif, historique, réaliste et
totalement expressif, avec certainement là l’idée la plus contemporaine de
l’idéal impressionniste.
Il ne faudrait pas pour autant négliger les « anciens » chefs,
contemporains de Maurice Ravel qui ont passé cette musique pour qu’elle puisse
avoir – l’enregistrement au XXe siècle, aidant à avoir une substance de travail
– un étalon de référence.
« Shéhérazade » a été composé alors que Maurice Ravel avait 24 ans.
Il va diriger cette œuvre le 27 mai 1899 à la Société Nationale de Musique et
la critique envers celle-ci sera rude : « C’est l’œuvre d’un
apprenti musicien de vingt quatre ans, débutant médiocrement doué, il est vrai,
mais qui pourrait peut-être, dans une dizaine d’années, devenir quelque chose,
sinon quelqu’un, à condition de beaucoup travailler » (cf livret).
Vincent D’Indy, décidément à l’origine de bien des méfaits de paroles et de
pouvoirs, l’histoire en sait quelque chose, l’aurait rebaptisé « Chère
Razade ».
Pourtant le jeune Ravel va – comme on a coutume de le dire aujourd’hui –
« positiver ».
Certes il y a eu des sifflements, mais son applaudimètre intime lui dit qu’il
aura eu plus de ces claquements sonores et trébuchants que de ces cris
d’oiseaux jaloux.
Il délaissera pourtant l’œuvre refusant de la faire éditer et la jugeant par la
suite « mal fichue » et usant bien trop en surenchère de la gamme par
tons. Ce n’est qu’en 1975 qu’elle aura fini par paraitre.
Au-delà de ces considérations d’une époque qui, comme toutes les autres
(précédentes, futures et ce actuellement où l’envie normative et le savoir
passéiste dominent toujours aux mains et pouvoirs des autocrates de tous bords)
craignait l’innovation, avait peur de la nouveauté, suspectait le génie en le
jalousant …
On trouvera dans cette ouverture bien plus captivante que nombre d’œuvres, même
de maturité, de contemporains tels que, justement d’Indy des axes qui resteront
chers au compositeur.
En premier lieu – et le titre en atteste – cette fascination pour
l’orientalisme (et de ce qu’on appelait exotisme) qui sera présente tout au
long de la vie de Ravel et sera exprimé avec des gammes et phrases-mélodies
inventées, retranscrites, adaptées …
En second lieu, la place prépondérante des flutes et des bois, des pupitres que
Maurice Ravel va enrichir en palette, en emprise sonore dans l’orchestre, leur
octroyant des rôles de premier plan et usant des leurs spécificités de timbres
pour augmenter d’un réalisme sonore les « histoires » qu’il raconte –
en musique.
On connait tous Shéhérazade et ces contes des mil et une nuits qu’elle
susurrait à l’oreille du sultan Schahriar afin de rester en vie.
Mil et une nuits de récits…
Un creuset mythique qui a inspiré l’art dans sa splendeur générale et installé
l’Orient comme fascination.
Le jeune Maurice Ravel entre de plein pied dans cette magie féconde et nous
passe par sa musique et cette ouverture ses premiers idéaux musicaux pour ce
« genre ».
Un véritable « carnet de voyage »…
En ce qui concerne le « Tombeau de Couperin », un recueil que j’ai
également beaucoup travaillé et joué au piano, Maurice Ravel rend hommage en
deux axes.
Le premier met en valeur à travers Couperin, qui lui sert de prétexte, la
musique d’une époque aujourd’hui estampillée baroque, et les compositeurs
français de cette époque qui, comme tant d’autres des contrées avoisinantes,
usaient des rythmes et mélodies populaires pour les organiser en suites – de
danses.
Rigaudon, forlane, menuet (Ravel a aussi composé un merveilleux « Menuet
Antique ») se voient passés au crible – avec le respect de la forme
ancienne – de l’inventivité ravélienne, pour un voyage dans le temps passé
avec les modes de jeu d’un présent ... du présent de Ravel.
Ces pièces étaient à l’origine, encore une fois, écrites pour le piano et c’est
la grande Marguerite Long qui les a créées.
Puis Ravel les a réorganisées et, pour la version orchestrale absolument délicieuse et délicate,
« antique » dirais-je, merveilleusement colorée en tons pastel il n'a gardé que les moments adaptables et orchestraux, mettant à l’écart ceux
trop pianistiques.
Ce « tombeau de Couperin » orchestral est une suite qui fait partie
de mes moments musicaux ravéliens préférés. J’y trouve là une poésie, encore
une fois, un côté suranné et ancien que Maurice Ravel a su mettre en évidente
mélancolie sans sentimentalisme exacerbé.
Il s’est emparé d’un prétexte musicologique et historique et avec ce cadre –
qui était un carcan qui s’est fissuré au fil des siècles – de la suite devenue
symphonie pour ensuite faire apparaitre le poème symphonique, libérateur
finalement réorganisé tel une suite (boucle bouclée …) … il a créé un univers
sensible et certainement impressionniste.
Le second axe, est que chacune de ces pièces est dédiée à un ami mort à la
guerre.
La guerre, les guerres restent là, omniprésentes et ne laissent les artistes,
les créateurs, insensibles.
Avec leur art, ils expriment leurs ressentis face à ces atrocités, que ceux-ci
soient réaliste, idéologiques ou simplement comme ici, actes de mémoire.
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« L’Heure Espagnole / Bolero » - Les Siècles, François Xavier Roth –
Harmonia Mundi 2023.
Maurice Ravel a composé pour le chant de nombreuses mélodies mais côté lyrique
il n’aura que peu été enclin à créer pour ce domaine.
« L’Enfant et les Sortilèges » …
« L’Heure Espagnole », présentée ici, encore une fois par ce chef
incontournable qu’est François Xavier Roth pour ce qui est de ce répertoire
français, n’eut que peu de succès.
En hommage à son père qui avait soutenu de façon inconditionnelle sa carrière
de compositeur, Maurice Ravel décidait d’avoir un succès de scène, cette
reconnaissance valant à ses yeux, plus que celle de concert.
Il lui fallait un livret, un argument et c’est en assistant à la comédie de
Franc-Nohain, « l’Heure Espagnole » qu’il se décida. Il demanda son
autorisation à Franc-Nohain et se lança dans l’écriture de cet ouvrage qu’il
estampilla comédie musicale lui préférant, au regard de sa durée et surtout de
son argumentaire – qui fut jugé par la critique ouvertement pornographique (!)
– cette étiquette de genre, plutôt que celle d’opéra.
Cette œuvre a été très peu jouée et a été crée à l’Opéra-Comique en 1911.
Il est très intéressant de rencontrer Ravel sous cet angle. Son approche vocale
est très moderniste, théâtrale, un langage véritablement chanté parlé, ce qui
autorise à la langue française très difficile à la compréhension lyrique, une
véritable articulation et clarté.
L’action de cet opéra bouffe est donc au et Le cœur du sujet, pas de chœurs, juste
les actrices et acteurs.
De plus, afin de renforcer l’action, le compositeur use ici d’instruments rarement mis en scène orchestrale.
L’orchestre quant à lui, est
complètement au service de celle-ci.
Il illustre, il ponctue, il soutient, il est un accompagnateur du synopsis des
plus réalistes et expressifs. L’orchestre devient un acteur à part entière.
En ce qui concerne le « Boléro », la version présentée ici laisse la
caisse claire au placard pour lui préférer le tambour, donnant ainsi, par cet élément
central, une direction différente et posant sur l’édifice de ces
interprétations auxquelles apporter un vent nouveau semble un casse-tête
gigantesque, un jalon supplémentaire de réflexion.
Certains jouent sur l’exactitude du tempo, d’autres sur le détail de certains
timbres. Ici, FXR s’est simplement attaché à l’interprétation à partir d’une
édition originale à laquelle il a juste porté une attention particulière.
Il suffit parfois de cet éclat de recherche, d’idée et surtout d’intelligence
pour changer de quelques degrés les choses habituelles et l’angle de l’écoute
prend alors un sens non tout autre, mais différent.
Quelle version du « Boléro » serait-il possible de préférer en
dessous de cette mélodie que l’on fredonne en tête dès qu’elle apparait ?
Ce serait justement en oubliant de se fixer sur ces deux simples thèmes
déclinés à l’infini d’un crescendo orchestral qu’une possible solution serait
de mise.
Mais franchement, comment résister à cette répétition entêtante et obsédante
qui, parait il tourne dans le monde entier en redémarrant toutes les quinze
minutes de façon universelle par un éternel recommencement, allant jusqu’à
imaginer que ce « Boléro » serait … le mouvement perpétuel de la
planète…
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MAURICE RAVEL « Ravel plays Ravel » - Legacy 1965
L’avantage de l’enregistrement naissant au XXe siècle est qu’il permet « d’entendre »,
mieux, « d’écouter » comment un compositeur pouvait interpréter lui-même
sa musique.
J’ai beaucoup écouté Stravinsky par Stravinsky.
Plus actuellement on a un réalisme supérieur avec Bernstein interprétant lui-même
sa musique, mais Bernstein était un chef extraordinaire – on aurait tant aimé
avoir un tel témoignage, par exemple de Mahler, considéré comme l’un des grands
chefs de son époque, soit pour ses interprétations que pour ses œuvres.
Ici Maurice Ravel, pile en quart de siècle, s’est mis au piano.
Il est de coutume d’affirmer qu’il n’était pas un « grand pianiste »,
ce qui sur une échelle de valeurs exclusivement relatives à la technique sur l’instrument,
ne veut pas dire grand-chose, si ce n’est rien. Cela étant, il regrettait de n’avoir
la capacité d’interpréter correctement ses concertos pour piano, du fait de
leur difficulté technique.
Mais le pianiste Maurice Ravel était tout de même bien plébiscité de son temps.
Une autre valeur, probablement émanait de son jeu dont, dans ces
enregistrements, on peut avoir une idée précise.
D’emblée, la surprise … avec la Pavane, interprétée sans pédale excessive,
presque sèchement dans l’exposé du thème initial, avec un jeu plus proche du
piano forte et de l’esprit pas encore exprimé baroque, mais s’en approchant, que
des interprétations actuelles où la pédale est souvent abusive, si ce n’est
envahissante.
Ces enregistrements ont été réalisés en 1925, sur un Steinway avec le mécanisme
Duo-Art (pour en savoir plus : Duo-Art — WikipédiaDuo-Art — Wikipédia), une
invention qui permettait de reproduire fidèlement avant mise en presse par
rouleaux et acceptation de l’interprète via un « technicien du son »
le jeu pianistique et toute sa dynamique d’interprétation.
Une étape révolutionnaire dans les techniques d’enregistrement dont on parle
trop peu, mais qui a contribué largement à son évolution par ce procédé de
captation.
Cette innovation nous permet aujourd’hui d’avoir un réalisme et une idée la
plus précise possible du jeu de nombreux pianistes et compositeurs.
Ainsi, de nombreux virtuoses du début du XXe siècle se sont prêtés à ce jeu et
ces pianos mécaniques permettent d’une façon plus fidèle que l’enregistrement
phonographique de restituer la palette de leur vision d’une œuvre.
Un voyage dans le temps est de mise avec ces rouleaux exhumés d’on ne sait où
mais qui sont représentatifs de ce que Maurice Ravel imaginait pour sa musique.
Et on réalise à quel point elle a été par la suite réinterprétée, remodelée,
révisée même et peut être bien dénaturée par nombre de pianistes en
appropriation (affres de l’interprète de ces époques – et pas qu’en musique où
le nom de l’interprète primait sur le créateur) plutôt qu’en respect initial de la volonté du compositeur.
Je prends pour exemple la « Toccata » du « Tombeau de Couperin »
souvent jouée trop vive alors qu’ici Maurice Ravel pose calmement le tempo.
Et les
comparaisons permettent de donner à cette pièce, sous les doigts du
compositeur, une dimension plus posée, plus claire, moins virtuose, moins démonstrative
et surtout plus sensible.
Elle ne perd pas pour autant de sa brillance instrumentale,
de l’éblouissement digital qu’elle procure, et, bien au contraire, son dessin
devient plus clair, moins pianistique et forcément, plus musical.
Alors je repense et réécoute les interprétations de Monique Haas (que j’admire)
et de Samson François (que je relativise), magnifiques certes, incroyables de
vélocité et de précision de jeu, limpides et lumineuses – et référentes - et je
compare ces cavalcades effrénées, moments idéaux de démonstration du pianiste
en point central et de l’œuvre récupérée pour ce faire, car elle s’y prête ... à la lecture de et par Maurice Ravel lui-même.
Et je me pose bien des questions…
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Bonne semaine à toutes et tous.
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