JAZZ ? …
JAZZ ? …
Sortis des étagères vinyliques, ils ont eu besoin de refaire un petit tour de
platine…
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ANDY NARELL – « Slow motion » / HipPocket 1985.
with : Andy Narell, Steel Drums-Keyboards / Kenneth Nash,
Percussions-Vocals / Steve Erquiaga, Guitars / Keith Jones, Bass / William
Kennedy, Drums.
Guest : Frank Martin, Synthetizers / John Thomas, Vocals.
Le son caribéen se mêle au groove, au funk pour un certain jazz qui est en
train de s’installer « fusion ».
C’est bien de cela qu’il s’agit et en 1985 quand je me suis procuré cet album,
ayant simplement entendu parler de cet artiste par son instrument aux couleurs
totalement inédite (je me suis d’ailleurs par la suite procuré tout ce qu’il
était possible de steel drums), je n’avais strictement aucune notion
d’appellation fusion référençant cette musique.
Cet album était assez difficile à se procurer et c’est d’abord un ami qui me
l’a prêté puis la vendeuse de la Fnac qui me trouvait toujours des trucs
improbables a fait le reste.
Ils sont jeunes, fringants et ils ont investi le studio de la Berkeley pour
enregistrer cette « démo » qui sera culte et sortie au compte-goutte.
Hormis le côté rareté de l’objet, vaut-il le coup ?
Les amateurs des Spyro Gyra, Casiopea et autres Sadao Watanabe, Grover
Washington version smooth et soft iront directement écouter cet album. Il
possède tous les bons ingrédients de cette musique à la fois easy et exigeante,
servie par des musiciens d’un niveau remarquable mais qui n’en font montre,
juste pour rester sobres et efficaces.
Le propos avant la démonstration.
Voici les nouveaux requins des studios, jeunes artistes touche à tout,
lecteurs, arrangeurs, compositeurs, instrumentistes nourris à des études
pointues qui entrent sur le marché musical, diplômes prestigieux en mains,
personnalité affirmée et capacités indiscutables.
Voilà quelque part ce qui caractérise cette musique pas encore véritablement
« à la mode », encore un peu confidentielle mais qui va très vite
inonder le marché pour devenir « Smooth Jazz » et malheureusement
récupérer une étiquette d’ascenseur.
Ok, il m’arrive et m’est arrivé de le prendre cet ascenseur et … j’aurais bien
aimé y entendre de la musique de la sorte, car malheureusement on est très très
loin de ce niveau.
Faut sortir des clichés les gars…
Bon, je pose le diamant sur le premier sillon et directement ce rappel, cette
sonorité, cette précision de la rythmique et surtout ce côté quasi jovial, pas
prise de tête, insouciant, transmetteur de bonheur sans filtre intello-virtuose
démonstratif de base.
Deux premiers titres trempés de groove, un arrêt surprise sur « Slow
Motion » avec une exploration toute basse en harmoniques dehors et la fin
de face en ritournelle afro des îles, chantée comme il se doit, qui va vous
faire fredonner toute le belle journée et y apporter le soleil nécessaire à la
bonne humeur.
J’en reste là où je tourne la face ?
Allez.
Une grosse mise en place, ces congas qui ont pris la place rythmique utile et
ces guitares en cocottes dont ça y est, on a maintenant l’habitude et qui ont
largement participé à la face un pour donner le sens de l’album. Le thème est
furtif, la batterie droite et accolée à la ligne de basse. Et le beat samba est
l’invité, avec au centre, ce moment en climat à l’écriture de forme quasi
classique. L’association steel drums et basse en unisson apporte un grain
incroyable. Et puis, les voilà partis dans un tempo bop – Andy a lâché ses
mailloches et s’est tourné vers le piano pour pousser son compère guitariste
qui envoie du pur jazz solo. Rien que pour sa « construction » ce
titre vaut plus qu’un simple détour - il nécessite un arrêt sur image.
« Trapeze » ouvre grand le champ solo de cet instrument unique qui
déploie ici toute sa richesse et ses capacités émotionnelles – la transmission,
par la rudesse métallique, des sentiments.
Parsemé de pianos discrets et ponctué de percussions ancestrales qui ont pris
racines …
Magnifique.
Sans transition nous voici repartis au pays de Weather Report ou autres
Caldera, Osibisa …
de trilles en appuis sur le beat inaltérable de William Kennedy (qui passera
chez Yellowjackets) et avec toujours ces climats internes qui apaisent et font
désirer toute basse en avant (quel bassiste ce Keith Jones), nous voici déjà
proches de la phase finale pour ce seul titre que n’a pas signé l’artiste et
qui est de Ray Obiedo. Ecoutons les différentes phases, les changements
rythmiques et les diverses mises en place – rien n’est simple ici.
Ce, tout au long de l’album qui pourtant défile avec cet immense plaisir de
fraicheur et de luminosité ensoleillée.
On va conclure en s’effaçant pianistiquement. Andy s’est mis au piano, il
dialogue avec Steve et nous quitte sur
la toile de fond de cette mer, changeant certainement au gré des lumières de la
journée, puis de la nuit.
Ils vont tous les rejoindre pour s’effacer paisiblement vers l’horizon.
Il est des albums qu’il fait bon retrouver, comme de vieux amis. Celui-ci en
fait partie.
Andy
narell slow motion - YouTube
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SHAKATAK – « LIVE ! » - Polydor 1985
with : Bill Sharpe, Keys – George Anderson Jr, Bass – Roger Odell, Drums –
Keith Winter, Guitars – Jill Saward, Vocals, Percussions, Flute.
Années 80, le jazz prend un tournant commercial sous nombres de coutures.
Être jazz, s’afficher jazz …
Fringues, parfums, publicités … tout y passe.
Joe Jackson pastiche une pochette Sonny Rollins …
Le jazz est symbole de classe, de coolitude.
Une forme de dandisme semble renaitre.
En Angleterre le style est récupéré, remodelé, actualisé et mis en forme FM. Il
se fusionne soul (Sade), swing et bossa (Matt Bianco), latino (Kid Creole)
groove et funk (Level 42), funk tout court mâtiné disco (Shakatak).
Au sein de chansons, l’improvisation reprend ses droits et il faut des
musiciens aptes à user des modes de jeu du jazz pour les intégrer dans cette
mouvance. Une jeune génération qui va finalement, avec et par le jazz, créer un
style en phase avec les mutations de son époque.
Dans les années 80, tout groupe s’arborant jazz et qui cachetonnait en piano
bar avait à son répertoire Sade, Matt Bianco et surtout Shakatak, un groupe qui
mettait en avant un pianiste-claviériste absolument excellent, inventif et
particulièrement véloce : Bill Sharpe.
Avec ce répertoire, on était sûrs et certains d’avoir du boulot dans les clubs,
les pubs et même en première partie dans les boites de nuit – et on l’a fait.
Il fallait un bassiste rompu au slap, un guitariste au son funk et rock,
capable également d’improviser fusion, une chanteuse à la voix pop, un batteur
au tempo marqué et pas trop libre, mais plutôt axé sur le groove et bien
entendu un pianiste imaginatif et volubile.
Une audition avec « Invitation » et l’affaire était directement
entendue, la poignée de mains faite et le contrat signé.
Ne nous méprenons pas, ces titres qui envahissaient la bande FM restent dans
les mémoires et je les joue encore, parfois.
Et à chaque fois c’est le regard stupéfait des clients, du public, la curiosité
qui pousse à demander de quel groupe c’était, ce titre ? …
Et au-delà de ce seul fait, il faut être concentré, bien relire sa partition et
envoyer physiquement et techniquement, car Shakatak avec ses mélodies
accrocheuses, son apparente simplicité de propos c’est … casse gueule.
Cela dit, ça permet de s’éclater, de briller un peu là où en général on reste
dans le feutré.
Là, faut envoyer et se dépasser, d’autant que le phrasé binaire n’est pas
forcément le plus aisé quand on use des licks pianistiques du jazz ternaire et
bebop.
Bill Sharpe fonctionne un peu, « à l’anglaise », comme Jeff Lorber à
ses débuts, lui restant « à l’américaine ».
Shakatak a été balayé du paysage musical comme nombre de ses pairs
anglo-saxons.
Le dur destin du produit consommable qui reste soit sur l’étagère soit passe
aux oubliettes, jeté mais parfois ressorti, revival oblige.
Je prendrais un jour le temps de reparler de Sade, au gré d’un groupe dans
lequel je joue et qui reprend ses titres « iconiques » (je mets
volontairement ce terme car au passage, ce matin un certain Matt Pokora ose en
user pour certaines de ses chansons – y’en a qui franchement n’ont pas peur,
surtout quand en plus on les présente dans une rubrique « culture »,
on touche le fond. Et pourtant Pokora ce n’est pas ce qu’il y a de pire me
dis-je mais… « iconique ? »).
Shakatak, en studio, c’est une machine d’énergie funkoïde, parfaitement emmenée
par un groupe pointu et en parfaite maitrise de son propos musical et créatif.
Mais, qu’en est-il en live ?
C’est en me posant cette question, les jouant dans ces années où la musique a
été le vecteur commercial le plus éloquent, que je me suis procuré ce
« Live ! ».
Et sans réelle surprise, ça joue.
Les claviers - avec un CP70 ou 80, un lead moog, très certainement et un
Rhodes, bref, la panoplie habituelle alors qu’on aurait pensé au DX7, modèle
sonore de l’époque sont la cheville ouvrière du groupe – inondent le spectre.
Le chant est omniprésent et même si Jill force un peu parfois, afin de sortir de
cette masse sonore, un peu à la manière de Cindy Lauper (ces voix nasillardes
de l’époque mixées très aigu-médium aigu), on se laisse envouter par son
charisme vocal, parfaitement en place sur ces mélodies accrocheuses.
Le tandem basse-batterie est une merveille de mise en place, un tantinet
bourrin, le slap écrase tout sur son passage et la batterie se doit d’être
rigide. Mais ça fonctionne.
Quant à la guitare elle offre le plus de légèreté dont l’écoute a besoin,
créant le point d’équilibre entre basse-batterie et les deux leaders.
Cet album balaie tous les tubes du groupe, face à un public que l’on perçoit
nombreux mais encore à échelle humaine. Il passe comme un excellent moment de
vie musicale, sans heurts, avec un bonheur évident et un tracé sans faille.
Un témoignage public d’un groupe et de sa musique (d’une musique) qui pouvait
sans difficultés s’apparenter au terme jazz même si les éternels puristes lui
on tiré la tronche (mais ceux-là, sorti du walking et du chabada la tirent
systématiquement).
On appréciera, ou pas, ce retour vers une époque où le jazz devint commercial
et fusionnel, permettant ainsi, par ces groupes, de toucher à la fois un public
nombreux mais également de faire entrer nombre de jeunes musiciens (dont je
fus), dans cette musique en la jouant sur des critères semblant culturellement
plus abordables.
Il faut des portes d’entrée.
Shakatak en a certainement été une pour nombre de musiciens et pour un public
qui a étiqueté cette musique « jazz ».
Il est toujours bon de les remettre en platine.
Et ce fut un grand plaisir de le faire et de les revivre, live, avec l’album du
passé.
Live!
– Shakatak (Full Album) - YouTube
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MICHAEL URBANIAK CONSTELLATION – « In Concert » - Muza 1973.
with : Urszula Dudziak : vocals, percussions – Michael Urbaniak :
electric violin – Wojciech Karolak : Hammond organ, Farfisa – Czeslaw Bartkowski :
drums – Adam Makowicz : fender Bass & Fender piano.
Rare et réjouissant que cet album en concert.
Le jazz issu des pays de l’Est a toujours une connotation particulière,
originale et free-libre, logique d’un engagement politico-social qui a trouvé
là, dans un genre musical ouvert et sans contrainte d’expression, son axe
revendicatif.
Le violon est un instrument emblématique dans ces contrées nourries tzigane, c’est
du moins l’image de base que l’on en a et que les compositeurs classiques ont
su mettre en avant.
Miles Davis et son éclatant « Bitches Brew », signataire du mouvement
jazz rock ainsi que son ancien batteur Tony Williams et son Lifetime seconde
mouture ou encore Weather Report des débuts ont inondé de leur électricité
innovante la planète et le vieux continent en a pris acte.
Enregistré à Varsovie, au Warsaw Philharmonic, en mai 1973, voici un témoignage
de cette réappropriation musicale absolument renversante de « don »
musical.
La musique présentée reste d’une incroyable actualité et la prise de son est d’un
réalisme saisissant. Ces musiciens sont totalement libres dans un propos
conceptuel qui permet les ouvertures les plus multiples, les échappées les plus
diverses et les textures triturées les plus avant-gardistes.
Michael Urbaniak use de son violon électrique comme Miles de la wahwah avec sa
trompette, relayé abondamment par Urszula Dudziak aux performances vocales
dignes d’une Laureen Newton (Vienna Art Orchestra), qu’elle ne manquera pas,
par la suite, d’ailleurs de rencontrer.
Sa voix, sans aucune limite technique, agit en total instrument capable de
toutes les tessitures, de tous les effets et de tous les borborygmes possibles
et inimaginables. Elle nous installe dans une nouvelle dimension de l’appréciation
vocale et transporte l’auditeur vers des contrées inédites. Elle aussi – cela peut
sembler incroyable en 1973 et tellement avant-gardiste et nouveau – se joue du
réel avec moultes effets guitaristiques affectés à son micro.
Avec ces deux leaders une totale immersion électrique prend vie.
Passerelle de leurs explorations, Wojciech Karolak et ses orgues triturés - tel
que le firent Rick Wright, dans les débuts floydiens ou Mike Ratledge avec Soft
Machine - et Adam Makowicz, quand il s’empare du Fender Rhodes créent tour à
tour des ambiances, des grooves, des interactions, des relances pour étayer le
sujet qui va alors s’embarquer dans des improvisations débridées.
Et puis, il y a cet incroyable batteur Czeslaw Bartkowski, forcément inconnu,
qui déploie tant inventivité que densité, ne laissant aucune place à l’hésitation
de ses comparses, les poussant à leur paroxysme.
On sort de ce concert avec la sensation d’un véritable choc.
C’est une véritable secousse sismique tant parfaitement agencée et exécutée que
d’une rare liberté de jeu. Une combinaison incroyable à aligner aux côtés des
grands précités et qui leur tient très haut la dragée, sans écart de
comparaison.
Ce jazz là mérite plus que de l’attention ou un détour, il mérite de figurer en
haut représentant d’une époque seventies où, avec le jazz-rock et l’électricité
instrumentale une forme de libération s’affichait par la jeunesse.
Une époque où la musique était un moyen d’expression puissant et se suffisant à
lui seul.
Si vous avez la chance de le choper, foncez écouter cet ovni polonais
estampillé Polish Jazz.
Constellation
In Concert - YouTube
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Bon Week End
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