LYLE MAYS – « SOLO – Improvisations for expanded piano »


LYLE MAYS – « SOLO – Improvisations for expanded piano » / 2000, Warner. Prod Steve Rodby.

Les passionnés d’ECM sont tristes, les fans de Pat Metheny en deuil sans parler de nombre de pianistes.
Lyle Mays est décédé d’une « maladie récurrente », ce 10 février 2020.
Je voudrais ici rendre un dernier hommage à ce pianiste/claviériste qui fut le parfait et complet alter ego de Pat Metheny et dont le jeu musical était le parfait complément de ce guitariste marquant.

La première fois que j’ai écouté Lyle Mays c’est au travers de l’album « Offramp » de Pat Metheny.
Cet album m’a, à l’époque, marqué profondément à de nombreux égards.
Je me souviens même être resté dans ma voiture, k7 engagée dans l’autoradio, afin de me laisser submerger par la vague d’émotions que déchargeait le titre « Are you Going with me ? », son solo dont j’ai largement débattu ici, l’envoutement de ces nappes de claviers et le sens orchestral de progression développé tant par Metheny que par Lyle Mays et… le choix des textures synthétiques, de ce solo d’harmonica/mélodica à ces immenses nappes et pads aux richesses tant de couleur sonore que d’harmonies empreintes de jazz, de classique et de pop-folk.
Ce soir-là, je suis resté sous la pluie battante qui attaquait la voiture, une vieille Opel Kadett, j’étais fasciné…
Je le suis resté, très longtemps, envers ce Pat Metheny Group ce même lorsqu’ils quittèrent ECM pour signer chez Geffen et se diriger vers des cieux plus internationaux, si ce n’est commerciaux.

J’ai toujours associé Pat Metheny à Lyle Mays, Lyle Mays à Pat Metheny, comme deux frangins liés par la musique, associés par une sorte de pacte d’éternité.

Il y eut, après « Offramp », « First Circle » avec sa fanfare déjantée en ouverture, et ces titres tous aussi magiques et merveilleux les uns que les autres « Mas Alla » et « The First Circle » au développement identique mais avec ces voix sorties du Brésil ensorcelantes.
Je me doutais bien qu’un jour les deux frangins oseraient d’avantage et je fus naturellement comblé à la sortie de leur album, cette fois réellement en duo (avec quelques interventions de Nana Vasconcelos) « As falls wichita, so wichita falls », un album que je crois avoir usé en vinyle tant cette nouvelle notion, sous couvert d’étiquetage jazz, mais embarquant vers d’autres données de musique instrumentale, me captivait.

Pat Metheny désormais renommé est alors parti vers des aventures diverses, revenant régulièrement à son « Group », socle au personnel changeant mais au claviériste resté fidèle et surtout indispensable à la pâte identitaire de ce concept musical.
Ils participèrent à la BO de ce film, « Falcon and the Snowman » dont Lyle composa le titre phare, chanté par David Bowie, une sacrée reconnaissance et surtout la mise en évidence que Lyle Mays était un claviériste, un pianiste et un compositeur pas exclusivement étiqueté jazz, mais bel et bien universel.
D’ailleurs « Shadows and Lights », l’album live de Joni Mitchell est un puissant témoignage de la capacité de cette génération sortie de Berkeley à embrasser toute les musiques, sans limites, sans frontières, sans gêne. Là, les deux compères se frottent à Michael Brecker, dans une verve olympique et positionnent entre Jaco Pastorius véloce, volubile, incroyable et le saxophoniste une passerelle de sérénité, d’immensité, de paysages sonores en parfaite adéquation avec les titres folk-jazz et les textes poétiques de la dame. Passerelle entre « Mingus » et « Hejira », sans oublier « Don Juan ».

A ce stade je réalise que le jeu, la (les) sonorité (s) de Lyle Mays ainsi que son image d’éternel étudiant, habité par la musique, fasciné par le piano tant que par la technologie (la génération des premiers synthétiseurs numériques, du M.I.D.I, les Oberheim et autres Fairlight, tout cela associé à la guitare synthé de P.Metheny) me sont restés familiers, courants, comme habituels.

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« Pascal, fais-nous ces nappes à la… tu sais ce gars qui fait les claviers avec Metheny, ah oui...  Lyle Mays sur ce morceau, tu sais, ces trucs qui donnent de l’espace, c’est ça qu’il faudrait pour le fond de ce titre » - un ami guitariste m’avait sorti ça, un jour, alors qu’on était en studio et que je cherchais une toile sonore pour le titre qu’on enregistrait. J’avais commencé à creuser en ce sens avec mon fidèle X3 Korg et effectivement je tentais très humblement et très modestement de me rapprocher de cette idée installée depuis des lustres dans mon mental musical.

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Rares sont les pianistes pouvant à la fois se frotter à des monuments comme Keith Jarrett et en même temps avoir un sens réel de l’usage du synthétiseur non en soliste comme Corea, par exemple, ou en orchestrateur jazz, comme Zawinul, mais en texture, en orchestrateur ambient, sachant mettre sa technique digitale au placard pour, en toute humilité et surtout musicalité installer des nappes et pads où le son compte plus que la prolongation technique pianistique virtuose.
Lyle Mays est à cet égard non seulement rare mais aussi quelque part véritablement unique.

J’ai aussi justement cette image de gars simple, humble, passionné tant qu’efficace, effacé car intègre et peu enclin à la starification, resté éternel étudiant, certainement fasciné par l’avancée technologique et les possibilités que celle-ci apporte à la création musicale.

C’est pour cela que je veux mettre en avant son album « solo – improvisations for expanded piano », enregistré sur un piano à queue (certainement un Steinway), un piano midi et des synthétiseurs.
Un album intriguant prouvant les capacités multiples de cet artiste.
Il a de prime abord enregistré ses improvisations au piano, puis celles-ci dans l’ordinateur, il a ajouté des orchestrations midi, des extensions synthétiques permettant d’augmenter le potentiel de ses élans spontanés et à la charge émotionnelle immédiate.
D’emblée le concept interpelle, cette idée jarrettienne d’improvisation totale, sans thème initial, juste se « mettre » au piano et aller là où son âme vous mène. Ici, si l’on s’en tient au jeu pianistique original, la virtuosité n’est pas gratuite, elle est utile, jaillit lorsque l’on sent que le propos doit obligatoirement en passer par une forme d’énergie où le débit des notes s’impose. 

L’esprit créatif et instantané de Lyle Mays se révèle là encore tel l’image qu’il donne, tel que son parcours tant extrêmement personnel qu’ouvert sur toutes les musiques qui lui permet de nombreuses références intégrées afin d’être langage et bagage identitaire.

Son producteur et autre acolyte du Pat Metheny Group, Steve Rodby a su parfaitement saisir ce projet et a su le mettre en valeur, en relief sans charger vers une vision où le son de synthèse prendrait le pas sur l’essence des improvisations et à l’inverse sans effacer ces apports et renforts synthétiques.
Le point d’équilibre est donc atteint, la musique est alors là posée comme je l’ai précisé, dans une totale universalité permettant d’oublier l’étiquette stylistique pour rester justement et simplement musique.
Une performance, en soi.
Une véritable idée de passerelles, d’ouverture et de réelle transversalité (ce mot trop à la mode de nos jours dans les échanges pédagogiques) émane de cet acte artistique.

Seul et en solo, Lyle Mays, préférant certainement la compagnie musicale de son frère de musique et de route Pat Metheny, a présenté là un album unique, rare et finalement trop confidentiel.
Cet album est un véritable témoignage musical de liberté, de langages, de vision actuelle tant que futuriste de l’outil technologique au profit de la création, de simplicité (et pourtant la musique ici est loin de l’être), d’humilité et d’émotions.

...

Décidément, ECM en prend un coup ce mois-ci…

Jon Christensen, ce batteur dont j’ai parlé récemment, lui aussi si personnel, si atypique.
Lyle Mays, ce créateur d’images sonores, ce mélancolique aux doigts sensibles et au toucher délicat, cet éternel jeune homme au regard détaché de la réalité, la musique étant sa réalité, ce musicien à la carrière tant impressionnante qu’enthousiasmante et ce frère de route et de musique indissociable de l’une des plus grandes stars de la guitare, qui certainement, sans lui…
RIP, Mr Mays, tes longues plages musicales restent définitivement en moi et je t’en remercie.


Commentaires

  1. OUi j'ai appris cette disparition cette semaine, un nom clairement associé à Pat Metheny pour moi, à tel point que je ne savais pas qu'il avait enregistré quelques albums...j'ai donc été écouter son 1er, l'impression que Metheny allait débarquer à chaque minute, tant ce son était si reconnaissable et indissociable du guitariste...;)
    Celui dont tu parles me dit bien, ainsi que le Joni Mitchell... :)

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    1. hello chris,
      une artiste discret, beaucoup en background, aussi en solo c'est rare et donc précieux.
      à +

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  2. Hi Pax, il me semble avoir déjà parlé de "Letter from Home" avec toi. Je jeu du duo est clair, joyeux, extrêmement lumineux, à égalité. Un dialogue qui avait de cet album mon fétiche à moi. Puis tout le reste est apparu, le gros travail d'immersion dans leur discographie colossale. Le son Metheny est unique, aussi j'imagine à côté le piano donner la lumière, une certaine lueur, éclaircie ou légère ondée. Je vais m'y replonger. Merci.

    ps: dsl pour ma présence hyper light sur le net. Non seulement j'ai repris la peinture, un déclic, ça me bouffe un temps dingue, et depuis une semaine on nous a bugger notre connection orange. QQun nous a résilié bizarrement sans qu'on le sache. Une galère monstrueuse pour se faire reconnecter, pire que de s'abonner. Là je boue de ouf.. opérateurs etc etc (on est pompé pour des services déplorables). Donc, pas de phone, ni internet, ni télé.. me connecte vite fait au boulot :o je rattraperai mon retard ;D
    La biz

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    1. je m'y suis replogé, de fait...
      de très beaux moment, de l'espace et tt et tt...
      sinon courage pour ta galère.
      j'ai eu des pb similaires avec un autre opérateur, 6 mois de galère...
      courage !

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    2. Ahhh, 6 mois..merci Pax :s
      On vient de nous annoncer un écrasement de ligne, à l'insu de notre pleine gré.. je comprends pas tout. Il n’empêche,y'a pas que la télé la connexion etc etc.. le télé travail est HS par exemple et spotify en berne ;D.. bref, on passe des soirées merveilleuses avec au bout du fil le management corporeted truc et je pense à la chanson de Jonasz "L'homme orange".

      J'écoute l'album "Letter From Home"... le morceau "Beat 70".. tu nous ferais pas un petit solo clavier Pax, une nappe redondante et joyeuse ??
      Tu sais quoi .. j'adore "Slip Away" , elle passe en boucle et j'oublie un paquet de truc.
      Tiens..dans le livret je lis que c'est Pedro Aznar la voix sans parole. Comme quoi la rupture de certains faisceaux fait ressortir qq disques, même si Metheny dorénavant restera solo.

      Quant au titre éponyme Compo Metheny pour son pianiste.... élégiaque, nébuleux, cosmique.. Lyle s'envole :(



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    3. à te lire, sans réécouter, tous ces titres sont inscrits dans ma tête...
      c'est te dire...
      que de merveilles !...
      bon courage, surtout si c'est un écrasement de ligne...
      va falloir retrouver ta ligne - la réactiver, mettre celui qui est sur la tienne par erreur sur une autre... etc; etc...
      sois patient et courageux... ou gueule... parfois ça marche aussi...
      Bizs

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