COUPS DE CŒUR… (Jazz)

COUPS DE CŒUR… (Jazz)

KAT EDMONSON – « Dreamers Do » - Spinnerette Records 2020.

Tout frais, tout en fraîcheur sorti, nouvel album de la chanteuse Kat Edmonson, américaine rompue à la vie des clubs d’Austin, repérée fut un temps par le grand Willie Nelson et à la musique complètement multiple, originale et pourtant si simple et aisée à écouter.

Ici, parmi des compos là encore originales éparpillées au gré des plages elle s’ingénie à revisiter les grands standards de l’univers Disney.
Cela pourrait paraître tellement… et ce rien que de le dire et de le constater… mais là, dès que sa voix caressante au timbre infantile tant que d’une féminité doucement sensuelle entre dans le jeu alors, cela va tout bouleverser.
Et nous bouleverser.

Les arrangements d’une part, tellement originaux, vont chercher un instrumentarium tant courant qu’insolite.
La forme nonchalante qui auréole ce jazz aux aspects délibérément pop caresse de traits swingués et improvisés l’idée effective d’un rêve. 
Cordes soyeuses, délicats célestas, interludes pensifs, bossas chaloupées et jazz de club sur orgue vintage, guitares acoustiques pointues et faussement nerveuses en flirt manouche, chœurs sortis des films hollywoodiens les plus kitchs, drumming aventureux ou en beat swing soutenu et piano aéré, guitare magique de Mr Bill Frisell venu apporter là sa touche si miraculeuse (« the age of not believing »), pizzicatos rebondissants (« what a wonderful world »)… ce cocktail, savant mélange de saveurs, au service d’une articulation remarquable, d’une justesse tant de propos que de vérité dans l’interprétation, voilà bien un album qu’il faut découvrir.

« Vous en reprendrez bien un peu ?... » m’a demandé le canapé du salon.
« Avec grand plaisir » - ai-je répondu sur le champ, charmé par tant de surprises, de délicatesse et de douceur féminine.


THE MUSIC OF WAYNE SHORTER – Jazz at Lincoln Center with Wynton Marsalis – 2020.

J’attrape à la volée cet album, cette nouveauté et je sais d’avance que je vais l’aimer.
La déception est impossible et elle n’a pas été.

Il y a là tout ce qu’en fait j’aime quand je parle de jazz.

Il y a la musique de Wayne Shorter, que je considère comme le plus grand compositeur jazz de la fin du XXe, sans parler de son jeu au saxophone qu’on aura eu tort de mésestimer au moment où il entra chez Miles. Coltrane n’avait que trop marqué de son aura, sa place dans le précédent quintet.

Il y a Wynton Marsalis que j’admire et même si parfois j’admets décrocher de ses vertigineuses mises à jour de l’avant-garde, cet artiste reste une forme d’exemple, d’intégrité et ce depuis que je l’ai découvert, un beau soir à Vienne, en Herbie Hancock Quintet avec Tony, Ron, Wayne et Herbie… C’était un gamin, mais il nous a de suite montré qu’il compterait parmi les plus grands. Wynton c’est le son parfait, le soliste hors normes et le dépositaire intègre du patrimoine du jazz purement afro américain.

Il y a là un Big Band (le jazz lincoln center orchestra créé et dirigé par W.Marsalis depuis 1987) qui balance la sauce, genre bien rentre dedans, bien swing, bien je pousse vers le jubilatoire, bien je marque la pâte sonore cuivrée pour ce florilège de thèmes ratissant large dans la carrière du grand homme (« yes or no », issu de « juju » ou encore l’inattendu « endangered species » - sans parler de ces « three marias » - sortis de leurs contexte post météorologique synthétisé et magnifiés ici sans perdre une once de leur direction initiale, il y a également des compositions issues de ses débuts avec Art Blakey et les Jazz Messengers).

Des thèmes envoyés plein pot aux riffs de ponctuation poussant les solistes au c… tout ça avec le bonheur du partage live, voilà bien qui ne peut qu’apporter un bonheur jouissif en ces temps de morosité ambiante.
Des thèmes ici arrangés dans un luxueux écrin sonique, qui n’en peut plus de briller de tous éclats.

Un arrêt sur image en la douce ballade « teru ».
Et ces deux remarques, la première de son ami Herbie Hancock, la seconde définissant la « mission » tant ambitieuse que respectable du Jazz Lincoln Center Orchestra :

« Les compositions de Wayne peuvent prendre une forme complètement différente entre les mains de différents types de groupes. Il est rare de trouver une composition, et encore moins un certain nombre de compositions d'un seul compositeur, avec une telle flexibilité. Ses compositions sonnent humaines ; elles vous touchent d'une manière qui transcende les règles universitaires de la musique. La musique n'est pas censée se résumer aux accords de si bémol-VII et de do mineur. C'est censé être une expression de la vie et "la vie". C'est ce qui se trouve dans les compositions de Wayne. » - Herbie Hancock

« La mission de Jazz at Lincoln Center est de divertir, d'enrichir et d'élargir une communauté mondiale pour le jazz par la performance, l'éducation et le plaidoyer. Nous pensons que le jazz est une métaphore de la démocratie. Parce que le jazz est improvisé, il célèbre la liberté personnelle et encourage l'expression individuelle. Parce que le jazz oscille, il consacre cette liberté à trouver et à maintenir un terrain d'entente avec les autres. Parce que le jazz est enraciné dans le blues, il nous incite à affronter l'adversité avec un optimisme persistant. »

Indispensable, tout simplement.


JOACHIM KÜHN, MATEUSZ SMOCZYNSKI - « Speaking sound » - ACT 2020.

J’ai toujours une appréhension quand je vois le nom de Joachim Kuhn, je n’ai que trop le souvenir de ce trio avec Daniel Humair et Jean François Jenny Clark et sa prestation, entre autres en jazz français à NY.
Le type de musique et de jazz en particulier que j’adorais écouter à plein rendement, sorte de moment musical débridé tant qu’invasif culturellement et intellectuellement, bien engagé, bien rentre dedans, tellement volontariste en free attitude et contemporain en écriture et improvisations.
Une appréhension car j’ai décroché depuis longtemps de l’addiction que peut installer cette musique, ce bien entendu et de plus, quand on a eu la chance, d’y goûter en tant que musicien.
Y revenir ou y retourner est pour moi reprendre un chemin qui m’a marqué et dont j’ai souhaité humainement me détacher pour aller vers d’autres contrées moins élitistes, moins autosuffisantes, moins supérieures…
Je précise et souligne le "humainement" car musicalement l'entrée en ces espaces musicaux est et reste captivant.
Je continue alors, de loin ou en lisière, à suivre ces musiciens extraordinaires qui ont marqué de leur empreinte tant artistique, comportementale que philosophique une grande part de mes idées à la fois musicales et pédagogiques, à la fois créatives ou instrumentales – car parfois la passion guette et c’est au détour d’un album comme celui-ci, justement qu’on se demande si elle ne reviendrait pas un beau jour pour repartir vers ces comportements musicaux engagés, excessifs tant qu’expérimentaux mais tellement convaincus.

Ici, le duo piano-violon, violon-piano même s’il est ancré dans une forme logique de liberté tant que d’écriture contemporaine est en totale maîtrise de son sujet créatif et sait retenir les écarts tentants et réflexes vers la virtuosité débridée, vers la liberté personnelle hors contrôle pour se cristalliser autour d’un propos certes véritablement ouvert, mais complètement transmissible, abordable et collant avec l’idée de « beau », « d’esthétisme », de « pièce musicale ».

La rugosité, la nervosité, l’agressivité ont été remisées au placard pour l’axe poétique, souvent mélodique et une gestion de l’espace qui permet une véritable interprétation de pièces agissant finalement comme une musique contemporaine jazz européenne, sensible, posée sur des bases désormais acquises et référentes afin de les déployer sereinement.

On dit que l’écoute de certains albums voire de certaines musiques « se mérite »… cet album se mérite largement et mérite qu’on sache s’y attarder car ici tout est véritablement et authentiquement « musique ».
Passionnant…


Commentaires

  1. Le Wayne Shorter me tente plus que le Joachim Kuhn parce que j'imagine très bien ce que la musique va être en te lisant et j'ai encore beaucoup de mal à rentrer dedans...

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    1. Il te reste kat, ça je suis sûr que tu vas aimer...
      à l'occas' tu me diras.
      le shorter c'est vraiment comme on "aime" le jazz, c'est tout et c'est déjà énorme.

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