SI VOUS AIMEZ LE JAZZ … (6)

SI VOUS AIMEZ LE JAZZ … (6)


Oh, vous ne croyiez pas qu’on allait aborder les beaux jours sans petites playlists jazz, histoire de les agrémenter de quelques tracés swing, blues, bossa et même un peu funky …
Alors enclenchez ce vieux truc antique appelé lecteur de K7, qu’il soit dans la vieille caisse que vous sortez uniquement l’été pour réchauffer ses vieux os, que ce soit entre potes – de tous genres - autour du barbec’ (n’en déplaise à Mme Rousseau – mais ça je l’ai déjà dit) en mode radiocassette, ressorti du fond du garage où il dormait, et bien sûr pour les maniaques de ce son, la HiFi où il suffira de tourner d’un cran l’habituelle habitude vinyle, cd et se rappeler qu’elle est toujours là, cette bonne vieille platine.
Et puis si vous n'en avez plus, pas de panique, ces playlist en respectent au moins, simplement le format.
Deux faces de 45 mn et c’est parti pour une heure trente de jazz.

---

FACE A

01- PAUL CHAMBERS AND TOMMY FLANAGAN : « Let’s Play one » - Album « Motor City Scene » | United Artist (1959)-Bethlehem (1961).
Pepper Adams, barytone saxophone – Thad Jones, cornet, flugelhorn – Billy Mitchell, tenor saxophone – Al Grey, trombone – Donald Byrd, trumpet – Kenny Burrell, guitar – Paul Chambers, bass – Elvin Jones, Louis Hayes, drums – Tommy Flanagan, piano.

On entre dans ce blues mâtiné jazz sorti de l’école du hard bop, avec ce tempo médium bien appuyé et porté par l’inimitable Elvin Jones.
On a bien vite classé Tommy Flanagan dans la direction qu’il prit avec et par Trane, collaborateur de celui-ci pour son album « Giant Steps », de là étiquette oblige on va le catégoriser jazz moderne, tendance free. Et bien, on aura vite oublié que quand ce gars là attaque le blues, c’est toute l’Amérique afro-jazz qui est sous ses doigts.
Avec Paul Chambers ils forment une osmose instantanée et la sauce prend dès le départ.
Les arrangements combo des cuivres sont somptueusement écrits.
Ils sont certainement écrits par Thad Jones.
Le solo de trombone avec sourdine est certainement le plus qui fait adorer ce morceau, tellement de feeling …
Bon, rien de bien compliqué, mais c’est là que réside tout l’art de ce « jeu musical », de prendre un sujet apparemment commun et simple et se voulant éculé, pour le transformer par le talent et la maitrise en une sculpture qu’on peut admirer sous tous les angles sans s’en lasser.

---

02- SONNY STITT : « Birth of the Blues » - Album « Blows the Blues » | Verve  1960.
Sonny Stitt, alto saxophone – Lou Levy, piano – Leroy Vinnegar, bass – Mel Lewis, drums.

Le titre de l’album, le titre du morceau ici choisi.
Là encore on va chercher dans ce qu’est et reste et même restera à jamais : le blues.
Qu’il soit de ses origines rurales, de Chicago, ancré dans le jazz, la spiritualité, la pop, le funk, r’n’blues, r’n’b  et tant d'autres branches ayant poussé de son arbre foisonnant, le blues est finalement, partout – si l’on veut bien y prêter attention.
Un altiste de plus – il y en a tant et tant.
Un altiste là encore qu’on connait … de nom … mais dont l’aura parkérienne, encore elle, a, non effacé, mais mis en route annexe, parallèle.
Personnellement j’ai plusieurs albums de Sonny Stitt.
J’ai toujours aimé ce phrasé cool, fluide, bien dedans, rapide sans qu’on y prête plus d’attention que cela tellement l’aisance est au rendez-vous.
Ici, en quartet avec la colonne vertébrale Vinnegar, le swing tranquille mais infaillible de Mel Lewis et l’imagination de chaque instant de Lou Levy on peut dire qu’il est bien entouré le bougre et que du coup, le plaisir de cette session entre amis est évident.

---

03- ELLA FITZGERALD & OSCAR PETERSON : « The Midnight Sun » - Album « Ella and Oscar » | Pablo 1976.
Ella Fitzgerald, vocals – Oscar Peterson, piano – Ray Brown, bass.

1976, Ella reste une figure de proue du jazz vocal, une sorte de mythe, une artiste intouchable.
On parle jazz vocal et automatiquement son nom semble une évidence, ce même aujourd’hui.
On l’avait un peu oubliée, mise de côté par toutes ces pseudo stars du jazz « à la the voice », qui pourtant lui doivent beaucoup, si ce n’est tout.
Mais régulièrement d’heureux rappels sur cette voix tant unique qu’indiciblement attirante permettent de se souvenir de ce qu’elle a apporté au jazz et pas que vocal.

Ella c’est d’abord un feeling, comme ici, chargé de toutes les racines de la musique afro-américaine (gospel, spiritual, blues).
Ella c’est le contrôle absolu de toute une technique vocale dont elle est, à y penser, à l’initiative et l’origine.
Perfection du phrasé, justesse absolue (ici le chromatisme du thème semble une amusette…), tessiture parfaitement maitrisée, qualité du timbre toujours travaillée, fluidité instrumentale de la voix, articulation irréprochable, sens aigu de la nuance dans ses recoins les plus subtils et donc musicalité hors pair.
On peut ajouter à cette liste non exhaustive nombre de qualités qualifiant Ella, puisque « Elle l’a, Ella », titre qui ne lui a pas forcément apporté le plus de succès en hexagone qu’elle aurait mérité. Mais au moins, c’était un bel et méritoire hommage …

Dans cet album que j’ai en vinyle et qui a eu de belles heures d’écoute, elle s’installe au creux du piano et tente, réussit même … à calmer le fougueux Oscar Peterson, le genre de pianiste qui est incapable, croit-on, de sobriété, de simplicité ou d’un jeu disons, épuré.
Mais comme toujours, l’enthousiasme admiratif face à ce monstre du piano, aux performances live titanesques démontrant l’impossibilité au quidam pianiste de jazz moyen d’arriver très en dessous de la cheville obèse de celui-ci, n’est que la partie émergée d’un iceberg très entretenu par les médias « culturels » d’une époque "à la Chancel" révolue.
Oscar Peterson c’est également un feeling gros comme son cœur, toujours proche de l’AVC.
C’est aussi une technique imparable qu’on connait certes, mais, qui, quand il se retrouve comme ici en nécessité de pure expression et de dialogue est mise à un service grand luxe.
Et puis, il a ce swing dépassant le naturel…

Pour compléter ce délicieux « Midnight Sun », voilà que Ray Brown, époux d’Ella et qui a dû l’accompagner pour ces sessions décide d’empoigner sa contrebasse, afin d’apporter un petit plus amoureux et amical.
Alors ce simple titre va devenir un paysage chargé de swing aux reflets multiples.
Ella, Oscar, Ray – Pablo Records.
On touche au mythe.

---

04- STEPHANE GRAPPELLI : « Djangology » - Album « Young Django » | MPS 1979.
Stéphane Grappelli, violin – Larry Coryell, Philippe Catherine, guitars – Niels Henning Orsted Pedersen, bass.

Pour être honnête, jusqu’à cet album le jazz « gypsy » avait le don de me gonfler fortement.
Rien dans cette musique ne m’intéressait, ne m’attirait, bref, néant total.
Puis Larry et Philippe sortirent un beau jour un album en duo (« Twin House » - 1977), suivi d’un autre (« Splendid » - 1979) absolument magnifiques où leurs deux guitares entrecroisées faisaient merveille et où je découvrais Larry hors des sentiers dans lequel je l’avais étiqueté, à savoir le jazz rock.
Vint alors celui-ci, aux côtés de Stéphane Grappelli et là, cela m’a permis d’ouvrir une porte que j’avais réellement fermé, par incompréhension, par désintérêt.

Je ne reste pas un fan comme certains inconditionnels de ce jazz, loin s’en faut.
Le « genre » a été tellement galvaudé, récupéré, repopularisé que je n’y trouve toujours guère de quoi m’en satisfaire pleinement – mais quand j’écoute Stéphane en d’aussi remarquable compagnie je m’incline et la musique prend alors toute sa réelle valeur.

---

05- HOWARD ROBERTS : « Johnson’s Wax » - Album « The Swingin’ Groove of Howard Roberts » | Fresh Sound Records 2018 (Compilation).
Howard Roberts, guitar – Victor Feldman, piano, vibraphone – Curtis Bounce, bass – Bert Dahlander, drums.

Ça c’est du rapide !
J’avais chroniqué l’album et mettre un titre rutilant extrait de celui-ci me semblait très fun pour une playlist.
Le voici donc.
J’adore le jeu de balais de Bert, complètement festif et effréné (ce solo de 4/4 en fin de parcours, un modèle !).
La rondeur de la basse de Curtis qui ne cesse jamais de tracer sa route jusqu’à son "presque" solo, autrement dit, il reste dans le walking.
Puis Feldman, délicat, diaphane, tel un papillon, qui vient se poser délicatement.
Et pour conclure, le leader, Howard, précis, incisif, habité, fugitif…
Vite emballé, à peine pesé, direct !

---

06- WALTER BISHOP JR : « Summertime » - Album « Keeper of my soul » | Black Jazz Records 1973.
Walter Bishop Jr, organ – Gerald Brown, bass – Bahir Hassan, drums – Shakur M.Abdulla, congas.

Jamais simple de mettre un morceau si connu et joué, de surcroit, de la façon la plus roots et churchy possible au programme d’une playlist.
Le son tranche forcément, plus acide, plus brut, moins easy.

Ce quartet de fortune respire le ghetto, le quartier chaud de Harlem, l’engagement politique sur fond de Black Power, un peu comme un certain Gil Scott Heron à ses débuts revendicatifs.
On ne s’encombre pas de subterfuges, de subtilités de genre – non – on file directement au sujet et on se sert comme prétexte d’un titre, au demeurant obligatoire et incontournable, que le jazz a dans son lexique pour le jeter, autrement, différemment … à la face de l’auditoire.
L’orgue a ses tirettes et sa leslie en mode churchy, la basse semble noyée dans l’omniprésence de celui-ci, la batterie scande et martèle de façon imperturbable son beat hypnotique et une paire de congas, posée là, l’aide à enfoncer ce pieu quasi biblique.
Et on assiste à ce moment de grâce, pantois.

---

07- KENNY GARRETT : « Lonnie’s Lament » - Album « Pursuance : The Music of John Coltrane » | Warner 1996.
Kenny Garrett, alto saxophone – Pat Metheny, guitar & guitar synthesizer – Rodney Whitaker, bass – Brian Blade, drums.

Certainement le point culminant de cette face 1 de playlist.
Tout ce qui embarque quand on se laisse porter dans le jazz se trouve là, dans ces quelques minutes de pure extase musicale.
Kenny Garrett, se souvient (et nous aussi) de ce moment historique où, à Paris, Miles s’est tourné vers lui, au creux du « Human Nature » de Mickael Jackson et lui a soufflé, admiratif et sachant l’impact que cela aurait : « vas-y, c’est … TON moment ! ».
Alors il a offert à la planète un solo inouï tant qu’inoubliable, de ceux qui marquent à jamais une vie et te placent dans la cour des grands.
Miles était allé à très bonne école et il est resté la meilleure à son tour.

Kenny Garrett, altiste, s’attaque à Trane, ténor et sopraniste. Qu’à cela ne tienne.
Il en a pigé l’essence, la substance et le message subliminal.
Il sait également s’entourer pour porter ces trois idiomes au paroxysme.
Commençons par Pat Metheny, le guitariste de la pluralité par excellence, une sorte de Keith Jarrett de l’instrument, capable de ratisser tout ce qui est possible musicalement, de la pop (ou du moins sa conception de celle -ci) au jazz (aucun doute) – et pas des plus aisés, on se remémorera un certain « Song X » où il rend hommage à Ornette – en passant par le Brésil.
Il est aussi l’un des plus grands représentants de cette guitare synthé dont, depuis « Offramp » il tire – toujours avec ce son lead pulse et cuivré – les solos aux développements les plus intenses, les plus captivants et denses.
Et c’est le cas, encore une fois ici où il se place directement en relayant l’altiste sur une hauteur de jeu absolument subliminale, faisant hurler, crier, se livrer totalement sa guitare, devenue l’outil humble et sincère de sa magnificence.
Mais pour arriver à tout cela, il faut que ce soit ancré quelque part, sur un fond, sur un argument, sur une fondation et le tandem Whitaker-Blade dépasse les espérances en ce domaine.

Tout est ici parfait, ce qui est superlatif.
En tout cas, ce titre méritera avec sa montée orgasmique qu’on ait envie de le revivre, encore et encore et … toujours et à jamais., comme une sorte d’expression ultime et définitive de ce que le mot jazz transporte avec lui.
Pas moins … et j’ose l’affirmer.

---

08- NATHAN DAVIS : « Rio de Janeiro » - Album « London by Night | Hot House/DIW 1987.
Nathan Davis, soprano and tenor saxophones – Dusko Goykovitch, trumpet – Kenny Drew, piano – Jimmy Woode, bass – Al Levitt, drums.

Après Kenny Garrett, une chute en douceur s’impose, on ne peut pas rester en tension permanente, c’est … émotionnellement impossible. Il faut reprendre un chemin plus normal, plus droit et balisé.
Est-ce pour autant « négligeable » que cette pseudo douceur où l’on imaginerait (cruelle erreur) un retour à la case bossa parce qu’un titre le prétexte.

Nathan Davis est un américain « exilé » à Paris.
Il s’y est installé et a fait sa carrière en Europe, créant le et dirigeant le Paris Reunion Band dont certains musiciens sont ici venu l’accompagner.

L’écriture sax-trompette est très subtile.
La rythmique est très souple.
Chaque solo chante véritablement, en toute quiétude (mention spéciale à Kenny Drew).

 La sensation de plénitude auréole le titre de part en part.
Et on part, quelque peu, en voyage à travers cette carte postale brésilienne musicale.

---

09- ART PEPPER : Softly as a morning sunrise » - Album « Gettin’ Together ! » | Contemporary Records 1960.
Art Pepper, alto saxophone – Conte Candoli, trumpet – Wynton Kelly, piano – Paul Chambers, Bass – Jimmy Cobb, batterie.

Rien que ça ! Ah oui, quoi ? …
Et bien Art se paye carrément la rythmique de Miles. Conte Candoli, son fidèle ami trompettiste se met dans la partie et go, comme ils disent, les voilà qui boppent ce titre usuel mais dont la grille permet de belles échappées.
A noter celle toute particulière et rare de Paul Chambers à l’archet pour un solo sensationnel.
Puis ce sera les 4/4 communs entre soliste (Art) et batterie (Jimmy Cobb) – schéma classique certes, mais exploité avec la grande classe de ces gars hors pair.

On va conclure avec ce titre jovial, up tempo et chantant comme le printemps, cette première face.
On pourra rembobiner ou attendre que l’autoreverse fasse son travail.
Car c’était vraiment sympa que ce parcours de 45 mn jalonné d’étapes tant diverses que variées.
Qui plus est elle m’a permis quelques mises en projecteurs de quelques oubliés des clubs, des sessions, des comptoirs, des ruelles qui avaient bien besoin d’un petit coup de lustre pour se retrouver à pied d’égalité aux cotés de certains « grands ».

Il faut toujours un peu de justice et d’équité.

---

Allez ! Face B.

---

01- KENNY BURRRELL : « Lucky So And So » - Album « Lucky So and So » | Concord Jazz 2001.
Kenny Burrell, guitar and vocals – Onaje Allan Gumbs, piano – Rufus Reid, bass – Akira Tana, drums.

On va repartir avec un titre joyeux, léger, guilleret, présenté par un bon vieux de la vieille, le guitariste Kenny Burrell qui, de surcroit, s’autorise à chanter et même scatter en fin de parcours avec sa guitare soliste.
Il est heureux, avec ses amis, et ça s’entend.

De suite cette petite touche groovy, présentant le maestro Duke sur ce piano gospel-soul-funky installe ce bonheur immédiat.

Rufus Reid a posé une ligne de basse des plus sautillantes, qui fait d’emblée transpirer le morceau tout en lui posant une coolitude décontract’ des plus sympathiques.
Alors, le reste suit, joue avec ce feeling narquois, s’en joue même.
Comme il se doit, le solo de Kenny place immédiatement l’image sonore de la « guitare jazz » dans nos oreilles habituées à cette sonorité de demi caisse – avec tout le talent qu’on lui connait.
Onaje - quasi méconnu mais pour celles et ceux qui ont croisé un jour son nom il savent qu’il est signe de tension de l’oreille vers un jeu pianistique des plus accrocheurs – est un partenaire idéal pour Kenny, il le sollicite, le relance, le motive.
Il tente de le sortir de son laidback tranquille, mais rien n’y fera et c’est justement là la magie du truc.
Akira, batteur connu pour ses nombreuses sessions aux côtés de Sonny Rollins, George Russell, Milt Jackson ou encore Sonny Stitt est fusionnel avec Rufus et il est la machinerie qui déploie ce groove magistral.
On a bien démarré la face B – ça m’a mis en appétit.

 Titre suivant.

---

02- GROVER WASHINGTON JR : « Nature Boy » - Album « All My Tomorrows » | Columbia 1994.
Grover Washington Jr, soprano saxophone – Hank Jones, piano – George Mraz, bass – Lewis Nash, drums.

Mettre ce titre qui est un diamant brut et subtil du répertoire des standards est une véritable madeleine.
Alors quand il est présenté et interprété de la sorte, c’est carrément jubilatoire.
Grover, après le succès planétaire tant mérité qu’inattendu de « Winelight », en 1980, est passé par de nombreuses étapes d’un jazz qui est maintenant libellé smooth pour progressivement, au fil de ses albums, revenir à un jazz plus « classique ».
En témoigne cette somptueuse version pour laquelle il est accompagné avec toute l’excellence possible par ces sommités que sont Hank Jones, George Mraz (qui lui aussi sort l’archet en début de thème, rubato) et le discret et si musical Lewis Nash.

« Nature boy », cette chanson si paisible et nostalgique – avant qu’elle ne passe en route de traverse swing – vient directement s’inscrire en chantant dans nos mémoires et nous appelle.
Me rappelle …

---

03- JOE SAMPLE : « Creole Love Call » - Album « Nils Landgren & Joe Sample – Créole Love Call » - ACT 2006.
Nils Landgren, trombone(s) – Joe Sample, piano – Ray Parker Jr, guitars – Sammie Williams, trombone – Leon Brown &  Andrew Baham, trumpets – Kirk Joseph, soubassophone – Chris Severin, bass – Raymond Weber, drums – Lenny Castro, percussions.

En écoutant ce titre je ne peux oublier la version qu’en avait fait Steely Dan (« Pretzel Logic ») et même si cela n’a strictement rien à voir avec la saucisse, donc la choucroute et sa logique, c’est en tout cas par cette version que j’ai eu envie de découvrir, adolescent, Duke.
Et c’est aussi par ces « vieux titres » que je suis tombé amoureux de cette sonorité issue du, et liée au, Cotton Club.
J’ai même par la suite été enthousiasmé quand on m’a sollicité pour la jouer, cette musique, à la batterie, dans ce groupe d’anciens qui, je le sais, m’ont énormément appris, si ce n’est tout, pour la « façon » dont on joue le jazz. Cela se faisait en clubs et c'était ça notre "école".

Dans les vieilles gamelles ... je ne vais pas vous refaire le dicton, mais que ce titre on le sorte du chapeau des vieux 78 tours soigneusement restaurés de l’époque de Duke, qu’on se le rappelle dans le film « Cotton Club », qu’on se pâme d’aise quand le plus brillant des représentants de la culture jazz, Mr Marsallis, le reprend, etc. il fait toujours son redoutable effet.

Avec ses trombones jungle, sa batterie martiale, son soubassophone de rue et de défilé, sa trompette cornettisante, bref toute cette imagerie instrumentale et ce thème simplissime à l’excès…
Et il ne faut pas oublier cet apport créole, si cher à Duke (et pas que musicalement)…

---

04- CLIFFORD JORDAN : «  Blues Shoes » - Album « Cliff Jordan » | Blue Note 1957.
Cliff Jordan, tenor saxophone – Curtis Fuller, trombone – Lee Morgan, trumpet - Ray Bryant, piano – Paul Chambers, bass – Art Taylor, drums.

On reprend la route bien engagée du hard bop par un album Blue Note, parmi tant d’autres représentant ce mouvement, dans lequel quelques fleurons du genre se retrouvent sous l’égide du saxophoniste ténor Clifford Jordan, au pseudo Cliff Jordan  (intitulé de l’album).
Rien de vraiment particulier si ce n’est un plaisir convainquant à écouter encore et encore ce jeu typiquement funky avant l’heure, trempé là encore de blues sur lequel tour à tour les solistes s’engagent.
Brillant solo de Ray Bryant, il va sans dire.
Redoutable solo et long (d’entrée) et interjections de Curtis Fuller.
Efficace arrangement des cuivres pour le thème et de la section rythmique agissant en mode Big Band.
Inventivité sur swing inéluctable de Art Taylor.
Tracé obscur et omniprésent (jusqu’à solo majestueux) de Paul Chambers, décidément très présent en cette période dans nombre de sessions et pas que chez Blue Note.
Douceur du solo du leader pour un son mi cool, mi hard bop, demi-teinte donc, qui prend en bonne place son pourvoir avec un jeu chargé de respirations rythmiques, de traits fugitifs issus du bop, de poids bluesy.
(Lee Morgan crédité dans l’album est absent lors de la session de ce titre).

---

05- HORACE SILVER : « Cherry Blossom » - Album « The Tokyo Blues » | Blue Note 1962.
Horace Silver, piano – Gene Taylor, bass – John Harris Jr, drums.

Les tournées japonaises, la fascination pour ce pays, cette culture  ... cela n'a pas épargné les musiciens de jazz. Ils s'en sont même souvent inspiré.

Leurs albums souvent pressés de façon remarquable et méticuleuse, parfois même en exclusivité, les rendirent parfois cultes…
L’adoration des japonais pour le jazz, lui octroyant des scènes incroyables pour le mettre en valeur…
L’immense respect que les japonais offre à ces artistes alors qu’en leur propre pays la bataille socio-culturelle est vive, cruciale, politique, ethnique, musicale…

Brubeck a sorti un album fascinant où il attrape des bribes musicales d’une culture qui lui aussi le fascine pour en sortir un jazz à sa façon.
Horace Silver fait ici de même, avec des titres plutôt empreints non de réappropriation culturelle, mais simplement de sensations procurées par ce pays et transmises en langage jazz plutôt commun à son mode compositionnel.

Je n’ai jamais vraiment été passionné par la musique d’Horace Silver, tout en lui accordant un réel respect et une grande admiration.
Il reste un emblème du piano jazz et a surtout laissé des compositions souvent complexes et forcément intéressantes.
Mais comme toujours, on s’est contenté de jouer irréversiblement … les mêmes (et c’est peut être bien là, en fait, mon manque d’intérêt).
Et je sais qu’il faut que je me décide à me pencher avec un sérieux réel sur son jeu captivant, comme ici, où il développe son sujet avec un rare minimalisme qui fait ressortir chaque note de sa riche imagination toujours teintée de ce blues dont il a une complète possession.

A l’issue de ce titre je sais que l’envie d’ouvrir le catalogue Real Book Horace Silver va prendre le dessus.

---

06- DUKE PEARSON : « Blues for Alvina » - Album « The Phantom » | Blue Note 1968.
Duke Pearson, piano – Sam Brown, Al Gafa, guitars – Bob Cranshaw, bass – Mickey Roker, drums – Jerry Dodgion, flutes – Carlos Valdez, congas.

Toujours le piano, encore le blues avec cet apport désormais intégré, assumé, presque normal et courant des percussions latin-jazz (congas et parfois les plus aigus et percutants bongos).
La flûte est l’élément douceur de ce thème typiquement blues-jazz qui va tranquilliser, ici en tout cas, cette playlist décidément chargée de blues.
Pearson et Dodgion dialoguent en thème puis c’est parti pour le solo de flûte qui, afin de respirer se fera sans aucun accompagnement harmonique.
Pearson prend ensuite le relais et en toute quiétude sa place soliste, économe, minimal, efficace et décontract’.
Pas de nervosité, aucune aigreur.
Juste une fluidité qui laisse rêveur d’aisance.
Et, au son de cette flûte, de ce piano diaphane, de cette contrebasse ronde comme un beau cercle, de ces balais discrets tant qu’efficaces et de ces congas qui scandent le tout, je m’évade et ça fait du bien.

---

07- SIR ROLAND HANNA : « Dancing on the Ceiling » - Album « This must be love » - Progressive Records 2014
Sir Roland Hanna, piano – George Mraz, bass – Ben Riley, drums.

Un trio classieux, distingué et classique  pour ce titre assez peu usité et qui permet de belles possibilités dont d’empare Sir Roland Hanna avec une aisance qui ne peut laisser qu’admiratif.
Ses partenaires, dont l’impeccable George Mraz, le suivent avec délectation, s’arrêtent sur pédale harmonique, histoire de le laisser patienter et tout repart en bon ordre.
Tout cela est bien léger et circule comme un papillon coloré dont on ne cesse de suivre les virevoltants mouvements à la délicatesse désarmante et admirable.
Le fil conducteur est à suivre dans heurts sur un horizon ensoleillé.

 Un de ces moments privilégiés dont on sait que l'on doit profiter pleinement.

---

08- LOU DONALDSON : « A Foggy Day » - Album : « Here’tis » | Blue Note 1961.
Lou Donaldson, alto saxophone – Baby Face Willette, organ – Grant Green, guitar – Dave Bailey, drums.

On va terminer cette face avec un titre porté par cet instrument que j’adule : l’orgue Hammond.
Baby Face Willette n’est pas son représentant le plus connu et comme Lou Donaldson, altiste dans la verve de Bird, lui aura été camouflé par le grand Jimmy Smith, détenteur du titre ou même par Rhoda Scott, médiatiquement auréolée, ce encore.
L’instrument est saturé, brutal et nerveux. Lou l’est tout autant (nerveux) et balance tout son jus poussé en presque paroxysme par un Grant Green, comme toujours au sommet et un Dave Bailey qui retient tant que possible la ligne de basse organique de Baby Face…
Immédiat, presque urgent.
En tout cas idéal pour terminer cette playlist aux connotations blues(y) – langage universel du jazz.

---

Profitez pleinement de cette plongée jazz et on se retrouve très vite pour d’autres listes du même acabit.














Commentaires

  1. Miam, encore beaucoup de choses que je connais pas. Dès que je me pose, j'explore.et recherche tous ces titres. Exploit, j'en ai déjà trois présents sur mon disque dur !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Trois, c'est déjà bcp...
      Bonnes explorations alors.
      merci

      Supprimer
    2. De nouveau merci de me mener sur des terrains que je ne sais explorer. No comment sur ce que je connaissais Django, Ella et Horace.
      Du mal avec Creole Love Call, depuis plus de 50 ans je suis bercé à la version de 1928 du Duke avec cette petite voix douce féminine (?) initiale qui tourne au Wah Wah rauque ...
      Toujours du mal avec certains morceaux de bop.
      Beaucoup aimé Paul Chambers, Kenny Garrett, Kenny Burrell et Duke Pearson ... c'est déjà pas mal.

      Supprimer
    3. Pour le titre de Duke, c'est vrai que c'est toujours difficile de se sortir d'une version avec laquelle on a un affect particulier. Je comprends cela.
      Pour ma part, si bien entendu je vois très bien de quelle version tu parles et qui a aussi bercé mon enfance (ma grand mère), il est vrai que les musiciens apprennent à se détacher de ça, car de toute façon ces titres, si tu les aimes, tu les joues un jour ou l'autre... alors comme en jazz le mimétisme ou plutôt le copié collé est plutôt rare, on a pour coutume de prendre la musique sous d'autres considérations, même si l'on a toujours telle ou telle version référente en tête.
      Ceci dit, au milieu des années 80 j'ai été engagé dans un groupe de papys (ils avaient l'âge que j'ai aujourd'hui ...) qui d'une part m'ont tout appris pour jouer le jazz profond, celui des racines et m'ont enseigné les usages, mais aussi le son, l'interprétation, l'esprit du truc et d'autre jouaient certains arrangements de Duke, dont celui ci, dans l'exactitude, comme on le fait en classique. Bon dans mes souvenirs la chanteuse était remplacée par le wahwah d'un excellent tromboniste - un coup à se péter les cordes vocales de chanter rauque comme ça...
      Le bop est et reste un écueil pour nombre de personnes, trop rapide, trop "illisible", très apparemment démonstratif sauf que c'était volontaire pour faire la guerre au jazz blanc...
      Mais là encore, le langage du bop comme celui du blues, est partout, dans toutes les cultures... tu le retrouves sous les doigts de David Paich chez Toto, dans les traits d'orgue de Jon Lord qui le mélange à JS Bach, etc.
      J'en use personnellement et voir abuse parfois dans toutes les musiques que je joue, sans être bop pour autant, il y a dans ce langage nombre d'usages, de gimmicks, bref de réflexes digitaux qui se sont installés chez chacun et chez tout instrumentiste. Le langage universel post blues posé sur le blues.
      En tout cas, ravi de t'avoir fait découvrir qq artistes.
      y'en aura d'autres - là je rentre de vacances, donc du retard en posts et comm's mais je vais reprendre le fil.
      à +
      merci

      Supprimer
    4. Belle playlist que j'ai pris le temps d'écouter.A part nature boy que je connaissais ( il y à une très belle version de i'm glad there is you sur l'album)que de belles découvertes donc .un bémol pour Nathan Davis que je comprends pas trop.
      Thad Jones ,Gerry Dodgion,pepper Adams , membres du count Basie sous Thad Jones..un big band de folie.( + Joe Henderson,Eddie Daniels)
      Il y à ce fameux'' the groove merchant'' ( et ce tutti d'enfer )morceau que si on arrive à le jouer ..un jour..au big band ,un cap sera passé ...

      Supprimer
    5. Merci d'être passé commenter.
      Oui, la grande période de Basie avec tant d'émules qu'ils soient instrumentistes ou futurs arrangeurs. Faut que je (re)trouve l'arrangement de groove merchant - on y arrivera un jour, t'inquiète... en tout cas ça fait un challenge.
      Nathan Davis c'est sûr que ça "tranche" un peu, mais c'est moins direct, j'ai un peu creusé et il y de belles et bonnes choses chez cet artiste.
      à lundi.

      Supprimer
  2. Je me jette dessus même si je continue à décortiquer les anciennes chroniques, mais l’échange avec Sorgual était passionnant, c’est aussi ça l’intérêt du/des blogs. Pour l’instant je résous une interrogation : j’ai écouté à l’époque du forum « Papillons Noirs » un album de Pepper Adams & Donald Byrd « Motor City Scene » et surprise c’est le même, et je ne trouvais pas « Let's Play One ». Haaaa ces enregistrement jazz, donc « ta » version c’est « Motor City Scene Complete Recordings » y’a du bon à ne plus être limité par la durée des vinyles, « Let's Play One » c’est bon de les imaginer jouer ensemble, complicité. Du coup j’en profite aussi pour réécouter ce « Stardust » magique, surtout que je suis sur un futur post consacré à un autre trompettiste « Kenny Dorham ». Allez c’est ma journée « Jazz », je continue.

    RépondreSupprimer
  3. Tiens une anecdote, nous avons failli perdre notre petit chien par empoisonnement, il a bouffé une plaque de médicaments hier soir et je suis loin de Pascale qui est avec lui à Menton. Maintenant tout va bien, mais nous avons passé une très mauvaise nuit. Quel rapport ? Cette journée de Mercredi j’écoute tes choix et bien, par exemple, Sonny Stitt c’est … apaisant, consolant, ça colle avec la chute de cette tension que nous avons vécue. Très étrange comme sensation et bienfaisante. « Frankie And Johnny » passe une troisième fois.
    Ella And Oscar ! Heureusement que je ne fais pas le blasé, C’est une chanteuse que j’écoutais à une époque où le genre « Jazz » ne signifiait rien pour moi et que je continue inlassablement à écouter, mais là tu nous proposes une pépite, je ne pense pas connaître d’album aussi épuré que celui-là : c’est la Ella la plus intime que j’ai pu écouter. Tu fais bien d’insister sur le jeu de Oscar Peterson, davantage qu’un accompagnateur mais Ella dompte le fauve. J’ai poussé sur le « April in Paris » jamais entendu une version aussi libre.

    RépondreSupprimer
  4. Je rebondis sur ton impression sur ce jazz « manouche », contrairement à toi je suis vite tombé amoureux du genre, qui était joué par mon ami André et ses copains, du coup musique systématiquement associée à des soirées Jardin ou simple café à Chatelet autour de pichet de vin rouge, ça marque plus que ça tache (désolé 😊 ) un exemple de prestation de monsieur Debarre ici dont je ne me lasse pas, aussi jouissif qu’un bon rock dansant. C’est à la joie de vivre ce que le Klezmer est à la mélancolie. Si je ne t’ai déjà pas fait, place toi à 4 minutes du début et n’oublie pas un bon vin de soif… https://www.youtube.com/watch?v=fGRrl9mqoWQ

    RépondreSupprimer
  5. Howard Roberts, je reviens de presque loin, j’ai trouvé son nom comme faisant parti d’un disque de Chico Hamilton, impossible à trouver, en fait fourvoyé dans le nom de l’album et grâce à ton papier je me suis souvenu de cette recherche et enfin j’ai trouvé, cela dit en suivant d’autres pistes j’avais pris « Good Pickin's » je n’ai écouté que « ton » morceau mais déjà le plaisir de retrouver ce son nulle part ailleurs, et séance de rattrapage j’ai pris pour lire plus tard le papier que tu avais fait sur cet album, j’avais pas vu. J’en ai profité pour trouver les albums de Larry Coryell & Philip Catherine curieux d’entendre en quoi ils t’ont « ramené » au bercail manouche 😉
    Maintenant WALTER BISHOP, un « Summertime », tu as raison de parler de grâce, une fois la surprise passée, en parlant de surprise, j’ai été scotché, ébloui, emballé par « Those Who Chant » je t’avoue l’avoir passé deux fois quitte à oublier « Summertime » c’est pas possible Zappa a dû l’écouter….
    Et KENNY GARRETT, j’ai retrouvé l’effort nécessaire que m’avait demandé « Stellar Regions », surtout sur « Countdown » & « Equinox », finalement « Lonnie's Lament » était une bonne idée d’écoute pour entrer dans l’album, je l’ai compris ensuite.
    Nathan Davis et Art Pepper sont arrivés à point pour une écoute plus décontracté…. J’avoue que je commençais à écouter comme une musique d’ambiance, il était temps d’arrêter. Stop le Jazz… un Harry Bosch pour finir la soirée, au passage dans la saison 1 et 2 la musique a une place très rare finalement. Mais cette série est aussi chouette que les livres
    Bonne soirée et merci

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je réponds à l'ensemble de tes comm's.
      J'ai toujours eu une difficulté avec le jazz dit manouche, un truc que je ne m'explique même pas alors que j'ai pourtant fait des efforts pour appréhender le truc.
      Mais parfois...
      Bon c'est certain Django, Stephane et puis les déviances comme celles ici avec Coryell et Catherine, magnifiques.
      Y'a aussi Dorado que j'aime bcp
      Donc pas irrécupérable.

      Ce que j'aime faire avec ces playlist c'est ratisser divers, large et inédit, pas connu, bref...
      Après il est parfois difficile d'écouter l'entièreté d'un album, alors c'est souvent sympa de s'y lancer après une écoute d'un titre, ça ouvre un horizon qui permet d'aller explorer, ou d'en rester là.
      Car il y a tout de même des albums pas simples à se fader... le son d'une époque, des titres plus ou moins inspirés, des solos à rallonge, bref tout ce qui fait la réalité du jazz et de ses écueils/défauts quand ça devient de la musique pour musiciens, par et avec musiciens.
      MAis quand tu prends un titre comme summertime tu pourrais faire une playlist de 10h rien qu'avec ce titre tant les versions les plus improbables existent (même peter gabriel s'y est collé...)

      Merci en tt cas pour tous ces retours et ton éternel enthousiasme
      je t'enverrais une autre date concert où je joue, pour juin, en cas.
      Bonne journée

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

WILLIAM SHELLER – « Les miroirs dans la boue »

DEAR QUINCY … (Quincy Jones – 14 mars 1933 Chicago / 03 novembre 2024 Los Angeles) - Chapitre 1