DEAR QUINCY … (Quincy Jones – 14 mars 1933 Chicago / 03 novembre 2024 Los Angeles) Part 2
DEAR QUINCY … (Quincy Jones – 14 mars 1933 Chicago / 03 novembre 2024 Los Angeles)
Part 2
Nous reprenons la playlist de titres issus des albums estampillés Quincy Jones.
On repart pour huit titres, les albums se croisent et se recroisent, mais peu importe,
au gré de ces titres, c’est encore une fois le génie de ce visionnaire que l’on
saura apprécier, découvrir ou confirmer.
Les décennies courent…
Quincy les parcoure.
Et s’en empare.
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01/ « Birdland » - Album « Back on the Block » - Qwest
1989.
Rien de tel pour reprendre que ce « Birdland », prétexte signé Joe
Zawinul, titre qui fit réellement positionner en succès international à la fois
Weather Report, Jaco Pastorius et un jazz-rock déclinant vers la fusion.
Weather Report, le plus formidable Big Band synthétique avait tapé très fort
avec, en intro de « Heavy Weather », ce titre, « Birdland »,
posé comme un rappel détournant le swing des grandes formations, tout cela
traité avec une bardée de cuivres factices et poussé par la basse de Jaco qui –
au passage – mit en nos têtes un plan de basse (pourtant transitoire)
incontournable de son langage.
D’ailleurs Quincy en use et en abuse. Il en fait le point central de son
arrangement hyper musclé sur lequel viennent en vrac s’exprimer James Moody,
Miles Davis, Dizzy Gillespie, Ella Fitzgerald, George Benson (dont le solo est
d’une rare et inédite virtuosité, même de sa part…), Sarah Vaughan et Joe
Zawinul lui-même.
Quincy racontait que ce dernier arriva avec ses vieux synthés, usés par les
tournées et crachotants et qu’il fallut une bonne dose de patience et de savoir-faire
des ingés son afin de gérer ce matériel qui, à l’époque, semblait totalement
obsolète…
Aujourd’hui ledit matériel serait porté aux nues avec le sceau vintage et
positionné en première ligne dans le moindre des studios, mais nous sommes au
seuil de l’entrée en décennie 90 et le
tout digital/numérique est légion, alors les « vieux truc »…
Cet arrangement entre pur jazz (avec qui plus est des invités qui à eux seuls
feront, rien que pour ce titre et par curiosité quant à leur
« performance », foncer acheter l’album – stratégie supplémentaire à
mettre au palmarès de Quincy Jones) et programmation Cubase/Atari hyper
quantifiée met en phase et relation directe deux univers que l’on aurait pu
croire éloignés, voire divergents.
Mais encore une fois Quincy veut mettre en lumière tout le jazz et ses
axiomes, mieux, il veut mettre en avant l’évolution de la musique
afro-américaine dont le jazz est un pan certes capital, mais dont il ne faut
négliger tant de paramètres évolutifs ce, depuis un certain blues, tels que, en
vrac, soul, rythm’n’blues, funk, disco, hip hop, rap et tant d’autres.
Ce titre est à l’origine idéalement construit autour de deux idées principales.
La première est posée sur cette ligne de basse synthétique et binaire ornée de
breaks, de passages sous thématiques additionnels…
La seconde rappelle autour de deux riffs caractéristiques les tuttis swing des Big
Bands de la grande époque et agit comme une collective conclusive.
Quincy va faire circuler et dialoguer ses invités en profitant du matériau idéal
tant formel que de références au jazz si ce n’est formidablement incitatif,
qu’offre « Birdland ».
Chacun prend sa part du gâteau d’un anniversaire jazz auquel, en vétérans
survivants, ils rendent un dernier, mais non ultime hommage.
Miles a sorti sa Harmon, Ella son Scat, James son bop-hard bop, Diz son délire
virtuose et facétieux, Sarah sa douceur , Joe son plus beau lead solo fluté et
George sa plus sérieuse aisance.
Tout cela organisé de main de maitre autour de ce plan transitoire de basse
initié par Jaco, invité posthume, symbolisé par ce trait de génie instrumental
(il était décédé en 1987) ornementé de marimbas de synthèse qui intensifient
l’arrangement.
« Birdland » est quelque part le sommet de l’album, ou du moins le
premier plan du tableau, mais, il ne faut pas oublier les nombre de plans
cachés, indirects, en arrière et au fond qu’un chef d’œuvre présente.
En ça, « Back on The Block » en est truffé.
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02 / « Lalo Bossa Nova » - Album « Big Band Bossa Nova » -
Mercury 1962
Retour à cet album capital de Quincy avec ce titre composé par, non « Edouard »,
mais Lalo Schifrin.
L’arrangement rythmique et pour grande formation est ici précurseur de ce que
feront de la bossa des arrangeurs tels que Schifrin, bien entendu, mais aussi
Ogerman et un certain Deodato, chez CTI.
Tout particulièrement au fil des albums solo du « créateur du
genre » qui est Antonio Carlos Jobim.
La part belle est ici donnée au pupitre trombones et tubas (une caractéristique
de l’écriture d’arrangeur de Schifrin – cf « the Cat »/Jimmy Smith),
contrastant avec une guitare demi caisse pur jazz (Jim Hall) et soutenu par une
rythmique qu’introduit parfaitement l’intitulé de pochette à savoir :
« the newest latin american rythm ».
L’arrangement bossa en grande formation sera globalement par le futur guidé par
cette approche qu’en firent Quincy et Schifrin.
Il « s’adoucira » avec des cordes sous l’impulsion de Sinatra, mais
cet axe influent avec un caractère quasi dansant et festif (qui est le terreau
des Big Band de Dizzy Gilespie, arrangés également par Schifrin- c’est
d’ailleurs là que Quincy, engagé comme trompettiste chez Diz, le rencontrera)
va rester longtemps en tête.
Derrière ce titre, une part de sincère amitié…
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03/ « Whisper Not » - Album « The Birth of a Band » -
Mercury 1959.
Il est oublié que Benny Golson, issu des Messengers, est un remarquable
compositeur de la sphère jazz.
Ce « Whisper Not » traité, comme il se doit, par le Quincy de fin de
décennie cinquante en grande écriture de Big Band (devenant ici Méga Band) en
est un court mais cuisant rappel.
Benny Golson, comme le fait souvent Quincy quand il prend et arrange un titre,
est invité au jeu.
Je souligne la présence du batteur exceptionnel Sam Woodyard, directement sorti
de chez Duke Ellington et dont le « drive » réellement inscrit
dans la tradition du genre Big Band fait ici montre de savoir-faire pour un
soutien indéfectible du propos musical.
Quincy a chopé sa trompette pour l’occasion, ce sera de plus en plus rare.
Il a depuis un bon moment opté pour l’écriture, l’organisation et la vision
globale de la musique.
On ne s’en plaindra pas.
A chacun son chemin et ses choix.
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04/ « Hikky Burr » - Album « Smackwater Jack » - A&M
1971.
Thème du Bill Cosby Show, un sitcom américain qui a inondé la TV (NBC) avec
Bill Cosby himself s’invitant pour le petit délirium vocal…
Bon…
On sort tout ça du contexte, on écoute attentivement et on se laisse
directement séduire par ce groove-loungy seventies.
On sait maintenant que l’équipe des amis est là, avec Toots Thielemans en chef
de file pour son côté laid back inimitable – une ligne de basse qui vous
rappelle quelque chose, des cuivres à tomber par terre, compacts en écriture,
un drumming de feu, funky à souhait, une extraordinaire interjection de
trombones sous le solo d’orgue (Jimmy Smith).
Freddie Hubbard se la joue Miles, Eric Gale n’a pas encore véritablement ce
vibrato qui est sa prochaine marque de fabrique, mais son jeu bluesy est déjà
bien là et Hubert Laws va conclure à la flûte alto tout ce panorama.
Ils ont de la chance ces américains d’avoir pour des sitcoms en véritables mode
soap, au quotidien, de tels générique pour ouvrir leur navet préféré.
Si l’on compare aux scies surchargées de clichés - ou chantées par le choix le
plus merdique parmi les taux d’écoutes spoty qu’il est possible d’imaginer afin
de nous rebattre les oreilles - fait par les chaines françaises en matière de
générique de série tv, de quelque ordre que ce soit… ça laisse pensif.
Avec Quincy la grande classe s’invite partout.
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05/ « The « in » Crowd » - Album « Quincy plays for
Pussycats » - Mercury 1965.
Un bonne petite plongée rythm’nblues, la caisse claire martèle les temps, le
grand orchestre en mode panavision est là sur l’écran géant.
J’adore ce très vieil orgue, saturé, et hypra blues comme si un Jon Lord était
passé dans le coin.
J’adhère direct à ce côté série B, entre humour et polar à l’américaine où se
mélange un rock teinté de rythm’n’blues,
mélange mixte de cultures.
Quincy véhicule l’image avec ses arrangements, avec ses orchestrations,
flagrant ici.
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06/ « The Pink Panther » - Album « Quincy Jones explores the
music of Henri Mancini » - Mercury 1964.
Bien fichue cette playlist, on s’évoque toute une imagerie cinématographique et
nous voici au cœur du sujet avec ce thème hyper bien ficelé, hypra connu, jazz
comme pas possible revisité par le maestro.
Major Holley chante tout archet dehors sur sa contrebasse et crée ainsi une
atmosphère que l’on pourrait qualifier d’unique tant ce moment est inédit, les
flûtes rauquent pour s’adoucir en thème, le sax est l’évidence, le
« négliger » eut été impensable et le petit claquement de doigts
remplace légèrement le rimshot/crosstick habituel de la batterie.
Une minute trente et nous voici partis en mode polaroïd, le big band obligatoire
est sur le grand écran, le sax a pris le pouvoir et voici là Gary Burton qui assouplit
le tout de son vibraphone feutré.
Retour en mode clapping claquettes et voilà, le tour est joué – un relecture
d’une incroyable originalité avec, pourtant, les moyens habituels du big band
de jazz.
Chez Quincy, l’idée… c’est le truc primordial et de là, tout se construit,
s’organise et ose, car oui, cette version ose des sentiers non battus, une voie
de traverse originale et pourtant, le canevas initial est là, présent, accroché
en l’état à notre mémoire hilare par… soit le film, soit le cartoon.
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07/ « Baia » - Album « Around the World » - Mercury 1961.
Sinatra est parti sur le même principe, faire un tour du monde, Quincy embarque
également.
C’est à la mode, l’exotisme, le voyage, le « tour du monde », alors
Quincy (comme l’a fait Frankie), chope ce que son oreille entend de clichés,
s’entoure bien entendu des musiciens qui pimenteront l’affaire et lui donneront
cette « authenticité » et il part, toute orchestration dehors, avec
son papier à score, pour le grand voyage.
Si vous aimez le « Gainsbourg percussions », cela va très vite sonner
comme un rappel, comme une familiarité.
La flûte déjantée (déchantée mais enchantée) a été confiée à Sahib Shihab et
les envahissantes percussions à Michael Olatunji, Tito Puente et Potato Valdez.
Et tiens, justement, Michael « Babatunde » Olatunji, vous le retrouvez
… comme performer et compositeur chez… Gainsbourg pour cet album aux
connotations franchement identiques à ce titre.
61, Quincy – 64, Serge…
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08/ « Stuff like That » - Album « Sounds… and Stuff like
That » - A&M 1978.
Bon là j’entre directement dans l’un de mes titres préférés de Quincy, porté
par, quelque part l’équipe de Stuff, avec au centre : le son, le groove,
le feeling de l’immense Steve Gadd (écoutez moi ce jeu fédérateur de grosse
caisse).
Groovy et collectif à souhait, avec en cheffe de file une certaine Chaka Khan,
habituée à pousser le lead au-dessus d’une impressionnante artillerie funk (cf
Rufus).
On trouve ici tous les schémas usuels du profond gospel, sous la forme la plus
actuelle et débridée possible, mais sous contrôle absolu de l’écriture parfaite
de Quincy.
En premier lieu on sera sidérés par la puissance fédératrice des chœurs sur et
à partir desquels Chaka et Valérie Simpson vont émerger, vocaliser, s’échapper,
s’inspirer. Ce principe lead/collectif ou encore, au choix, collectif/lead… est
réutilisé à de nombreux égards dans toute la production afro américaine et à
connotation funk, groove, soul (« Takin’ it to the Streets » de
Michael McDonald, chez Rufus avec justement Chaka, sans parler d’Aretha, bien
évidemment et même chez Michael Jackson si l’on veut bien y prêter attention … « Earth
Song »).
Ici on va renforcer le trait avec une section de cuivres à l’écriture comprimée
(truffée d’impacts, de glissandos en tout genre, breckerisée et en mode Jerry Hey)
permettant, encore une fois, l’échappée de Ernie Watts, notre sublime ténor
habitué des sessions Quincy.
Ernie, lyrique à souhait et en désir de contraste avec l’addiction rythmique
qu’impose le titre…
Le jeu des musiciens et l’orchestration de ce tout enthousiasmant agissent comme
une grand-messe gospel chargée de ferveur.
Gadd envoie des relances et des contre temps de grosse caisse qui ont dû rendre
l’ingé son chauve, le Fender Rhodes tenu par le spécialiste du jeu
groovy-churchy qu’est Richard Tee est un modèle du genre (tout pianiste se
voulant funky devrait étudier attentivement Richard Tee) et Eric Gale ajoute le
piment à cette sauce rythmique envoutante.
Quincy reprendra ce titre fétiche plus tard, même envie, même joie jubilatoire,
même sensation – ce don musical collectif est intemporel et c’est bien cette
force qui fait que cette musique nous touche directement.
Et… constat peu négligeable … « Stuff Like that » est signé de tous
les participants, ce qui renforce encore la notion de collectif.
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Et « Stuff Like that » sera idéal pour conclure ce second parcours,
suite de la playlist dédiée à Quincy.
Huit titres cette fois et seulement, mais d’un tel foisonnement que chacun d’eux
méritera de nombreuses écoutes et retours - afin d’en apprécier toute l’infinie
richesse.
Sur ce,
Bon week end à vous toutes et tous, il vaut mieux par les temps qui courent
s’échapper en musique plutôt qu’en une politique dont le swing de ceux qui
balancent d’un côté puis de l’autre n’est vraiment pas en place et dont le
groove n’a aucune tenue, absolument incapable de fédérer l’auditeur …
Bien à vous.
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