ORGAN … (01).
ORGAN … (01).
Je n’ai jamais caché ici ma fascination pour cet instrument qu’est l’orgue.
Du plus loin que mes souvenirs sonores s’y raccrochent, j’ai une petite idée de
ce qui m’a captivé face à la majesté de cet instrument, qu’il soit liturgique
et bardé de tuyaux, comme électrique au gré d’artistes mais aussi de «
marques » aux prestiges transversaux.
Hammond, Elka, Vox, Yamaha, Farfisa…
Jimmy Smith, Rhoda Scott, Jon Lord, Rick Wakeman, Keith Emerson, Lucky
Peterson…
La liste peut prendre une tournure de bottin…
Pour cette nouvelle série de playlist en mode K7 – j’en reste à ce format usuel
et surtout pratique tant que convenable pour l’auditeur (qui arrive maintenant
au bout d’un album de plus de 80 mn… ? il faut vraiment que le propos y
soit passionnant…) – j’en suis pour l’instant resté à l’orgue électrique ou
électronique selon la présentation qu’en font / firent certaines marques.
Vous voulez plonger dans le monde des leslies, tirettes, pédaliers, double
claviers et autres vibratos ?
Venez faire un tour, c’est par ici que ça se passe…
---
FACE A
01- SLY AND THE FAMILY STONE : « L.O.V.I.N.U » - Album
« Ain’t But the one Way » | WEA 1982.
Musiciens cités en vrac dans la pochette, sans précision instrumentale, on note
tout de même des figures comme Andy Newmark, Pat Rizzo, Reginald Burke, Bobby
Lyle, Ngudu, Abraham Laboriel et la section de Jerry Hey.
1982, qui franchement en a encore quelque chose à faire du réveilleur de foules
de Woodstock ?
Je ne sais plus pourquoi je me suis payé ce CD à 59 francs trébuchants chez le
disquaire, l’un des derniers de Bourgoin Jallieu dans les années 90, mais ce
que je sais c’est qu’il n’a pas été forcément le point de départ d’un fanatisme
de Sly.
Juste que cet album, en lui-même m’a toujours fasciné par son groove, sa bonne
humeur, son feeling et surtout… comme dans ce titre d’ouverture : son solo
d’orgue (auquel se succédera un plan de clavinet issu directement du
Superstition de Stevie).
A l’écoute, futur accro de l’instrument dont je vais, je le sais, très bientôt
devenir un joueur invétéré, j’ai trouvé dans ce solo pourtant minuscule tout ce
qu’il m’était nécessaire de savoir et de comprendre sur le jeu de l’instrument.
Le glissando d’approche, le jeu rythmique sur une note en percussion, les
interventions en voicings cuivrés qui ponctuent le chant, les tenues boostées
qui explosent par l’effet rotary, le fait de tenir une note d’un doigt pour
bricoler avec les autres des inventions solistes et ainsi booster le sujet et
faire ronfler en bruitisme le propos sans en dégager la moindre note, juste de
l’énergie pure.
Ce listing n’est pas exhaustif, l’orgue permet tant et tant de figures
d’acrobatie, de rapports physiques avec le son, qu’en quelques mesures il
apparait évident qu’il est impossible d’en faire un tour complet et, qui plus
est, chacun selon l’instrument mis à sa disposition et son feeling tant que son
savoir-faire sait en tirer son propre jeu personnel.
Mais je dois admettre qu’ici, nouvellement engagé dans un groupe de
rythm’n’blues pour le rôle de claviériste, j’ai trouvé largement de quoi
comprendre et user.
Je suis passé à la batterie par choix cornélien.
Si, si.
A l’issue de mon brevet, possédant déjà une caisse claire et quelques élément
de batterie mon père pour me récompenser (à cette époque avoir le brevet
c’était plus qu’avoir le Bac aujourd’hui – et oui, l’école est finie a dit un
certain chroniqueur … mais ne nous égarons pas) en montant à Paris (on venait
d’émigrer à Grenoble) débarque chez Beuscher, Bastille.
Le temple des instruments et partitions de musique.
Il me pose un choix cornélien : orgue ou batterie ?
Le temps d’une fugace réflexion qui me dit qu’en ce moment je suis batteur dans
un groupe, empruntant la batterie du bahut pour fracasser avec mes maigres
moyens techniques les titres de l’époque (des Beatles à Genesis), que je passe
mes heures à bosser le piano classique donc qu’un ras le bol adolescent des
touches noires et blanches se dessine, je réponds, mécaniquement :
batterie.
La suite je la connais et le retour aux claviers aussi.
Mais…
Dès ce retour, je n’ai eu qu’un seul rêve : m’offrir un Hammond (et il
s’est réalisé seulement il y a 2 ans)… et en attendant j’ai usé tout ce que les
sons d’orgues en synthés offraient (et cassé de nombreuses touches de claviers
car pas adaptées aux glissandos massifs) et bien entendu j’ai tout de même un
suitcase, pour les quelques rares mais grandes occasions.
Et c’est avec ce titre funky en diable que j’ai mis le pied à ce nouvel étrier.
Un beat quasi disco, des cuivres pêchus, la voix souple et chat de gouttière de
Sly, ensorcelante, les chœurs obligatoires, les acrobaties entre divers
claviers (clavinet, Rhodes chorusé et bien sûr en ce qui nous concerne ici,
l’orgue Hammond).
Quand on ouvre un album avec de tels atouts, forcément, ça incite à non
seulement aller plus loin (la version de « You really Got Me ») ,
mais également installer ce disque dans l’étagère « à y revenir », et
très souvent.
Années après années cet album me procure le même plaisir, la même sensation de
fun simple, efficace, qui met de très bonne humeur.
02- MICHAEL JACKSON : « Bad » - Album « Bad » | Epic
1987.
Michael Jackson : solo and background vocals, | How Now : percussions
| Jimmy Smith : Hammond B3 MIDI Organ solo | Greg Phillinganes :
Synthesizeur solo | John Robinson : drums | Douglas Getshal : drum
programming | David Willimas : guitar | Kim Hutchcroft, Larry
Williams : saxophones | Gary Grant, Jerry Hey : trumpets | Paulhino
Da Costa : percussions |Christopher
Currell : Synclavier & digital guitar | Rubba John Barnes,
Michael Boddicker, Greg Phillinganes : synthesizers.
Dernier album de la collaboration fructueuse Quincy Jones / Michael Jackson,
« Bad » tentera de retrouver le succès de « Thriller »,
l’aura mondiale de Michael fera que de toute façon, cet album va cartonner.
Le titre éponyme de l’album ouvre ce pavé de funk émaillé de balades sensuelle,
machine à tubes, taillée pour le succès et on l’aurait presque oublié, d’un
modernisme et d’un avant-gardisme qui, avec le recul, sidère.
Du moins continue à me sidérer.
Michael et Quincy étaient des chercheurs, ils sont arrivés avec un critère
hyper populaire à faire évoluer la musique et ses pratiques tant de jeu que
d’usage des technologies de pointe, de studio, etc.
Ces mecs-là étaient des génies purs et très durs, d’une incommensurable
exigence, envers eux, envers leur « produit », envers les acteurs de
leur musique, envers tout…
Des faiseurs d’idées…
Un petit exemple, pour donner un peu plus d’énergie à certains titres, comme
celui-ci, Michael va monter le pitch de quelques comas, aussi impossible de
savoir en quelle tonalité réelle (même si le songbook tranchera) s’exécute ce
« Bad ».
Il est un peu trop haut, ou un peu trop bas, selon l’approche que l’on voudra
en avoir.
Pitcher la musique pour inciter à l’énergie mais aussi éveiller l’auditeur
habitué inconsciemment au tempérament, voilà bien ce que permettait la nouvelle
technologie et l’idée qu’ils pouvaient avoir d’en user.
Comme « accorder » la grosse caisse de la boite à rythme sur la
« tonalité » du titre…
entre tant d’exemples qui font chaque détail de l’album et le rendent, pour le
musicien, l’ingénieur du son, le producteur et l’amateur curieux… passionnant.
Dans ce titre il y a un invité.
Un invité de marque.
Le sortir de son jazz-blues, de ses reprises pop, tv, soul et funky… pour le
poser en studio avec son vieil orgue mais passé à la moulinette du nouveau système
MIDI, il fallait certainement oser le faire et être convainquant.
Certes, vu le chèque - très certainement aux chiffres dépassant l’entendement
de la session de studio de base - certes vu les droits d’interprètes qui ont
certainement été signés, il y a fort à croire que l’invitation et l’incitation
triturer le bon vieil Hammond furent acceptées sans grosses négociations
(j’affabule)…
En tout cas, sur ce beat robotique induit par le synclavier (doit-on rappeler
que ce premier ordinateur musical tout en un était un véritable coup de génie
technologique, précurseur et surtout à la base de nombreux, très nombreux tubes
des années 80, jusqu’à en être l’image sonore toutes catégories confondues – de
Ponty à… Balavoine), avec cette surcharge acide et aigue, impactante et
énergique, le grand Jimmy Smith, même s’il ne pose pas là le solo de son siècle
(il en fait tant et tant), reste indétrônable.
Ici pas de mode vintage, non… on va moderniser l’instrument vintage pour le
rendre très actuel.
Cette direction fait réfléchir.
Premier invité de l’album, Jimmy Smith agit là en phrasé jazz comme juste avant
un certain Van Halen tributaire de la nouvelle guitare hard rock, le fit dans
« Thriller ».
A chacun son style et surtout sa pâte inimitable.
Jimmy Smith en plus grand représentant encore actif de l’orgue Hammond en jazz
est donc ici, invité soliste et c’est toute la planète qui va peut-être bien
non le découvrir, car seuls les curieux iront se renseigner sur le qui et le
comment de ce solo bizarroïde, mais en tout cas intégrer le son de cet
instrument, même trafiqué pour s’inclure dans le propos total électronique du
« dernier » ou « nouveau », Michael Jackson.
On n’en aura jamais terminé avec Michael.
Le génie n’a pas de limites et se révèle au sortir, à chaque écoute en faisant
paraitre tant et tant d’angles, de mystères, des sous-sols cachés qui
surgissent, un jour, malgré l’idée qu’on « connait » et croit
« connaitre », par cœur.
03- BARBARA DENNERLEIN : « One for Miss D » - Album
« That’s Me » | Enja 1992.
Barbara Dennerlein : organ | Ray Anderson : trombone | Dennis
Chambers : drums.
« Attention, ça brûle ! » - voilà un peu comment je pourrais
résumer ce titre et cet album.
Sur ce titre les autres protagoniste invités se sont retirés et ils admirent
certainement depuis la cabine d’enregistrement l’incroyable performance que
font ces trois-là…
Ils s’appellent Mitch Watkins (guitare) et le regretté Bob Berg (ténor
saxophone) et peut être bien que ce « One for Miss D » a été poussé
en bœuf pour la pause.
On trouve de nombreuses vidéos de l’organiste sur YouTube qui permettent
d’admirer son jeu – en particulier - de pédalier, qui est époustouflant. Cela
dit, impossible de n’en rester que là, en atteste également son solo
impressionnant.
Mais ce titre, au-delà de la texture imminente de l’orgue Hammond, on lui devra
surtout l’admiration que je porte au solo de Ray Anderson, hurleur, nerveux,
rauque et d’une rare sauvagerie – tout tromboniste digne de cet instrument
devrait, en sus des Slickaphonics que le brillant artiste dirigea et créa,
connaitre cet album.
Dennis Chambers, généralement trop prolixe et hyper technique est ici
curieusement sobre. Et justement encore plus grand.
S’il est un album où l’orgue Hammond se pare de feux féminins autres que
tamisés de façon douceâtre et sépia ou encore churchy-blues, c’est là qu’il
faut aller plonger son oreille.
On frise la saturation, on est collé au swing (et dans l’album tout y passe,
samba, groove, balade…), tenace, insistant, percutant, on serre les dents, on
attaque le circuit de F1 et la piste est pleine de surprises qu’il faut
esquiver, contourner, défier pour arriver en tête…
C’est par là que j’ai découvert cette immense artiste et depuis, quand l’idée
organique me vient en esprit, immédiatement cet album sort des étagères.
04- PAUL MORAN : « Mission Impossible » - Album « Smokin’
B3 » | Baseline 2000.
Paul Moran : Hammond B3 organ | Tim Cansfield : guitars | Geraint
Roberts : bass | Andy Gangadene : drums | Chris Snake Davis :
flute solo.
Le mouvement acid jazz londonien nous a offert de bien belle pépites, dont cet
album, enregistré aux studios Abbey Road.
Un bon vieux B3, mythique, légendaire, séculaire, y trônait… il suffisait de le
dépoussiérer, de cirer son bois laqué, de vérifier que les lampes, branchements
et autres tirettes et touches fonctionnaient encore et ensuite le mettre sous
les doigts experts de Paul Moran.
Pour cela, tous les prétextes de répertoire furent bons.
Marley, Beatles, Dizzy, Jimmy Smith évidemment, un tournant rap-acid jazz et
surtout, Lalo Shifrin…
La mission n’était pas impossible, il suffisait de remettre cette sonorité au
gout du jour et l’acid-jazz londonien a beaucoup exploité l’orgue Hammond dans
ses productions.
Le tube de Lalo…
On commence comme il se doit à 5 temps puis on va reprendre le beat à 4,
histoire d’enfoncer un groove qui emplit le territoire de façon absolue,
impériale.
Paul Moran devient alors mon nouveau héros de l’orgue, opérant ainsi une sorte
de revival de l’instrument en le remettant, malgré un poids certain si ce n’est
considérable, au centre de la scène.
Nous sommes en 2000, on franchit un nouveau millénaire et il était temps
d’aller fouiller dans les greniers où se nichaient ces instruments destinés non
à la casse (quoique), mais à l’oubli – les orientations tech ayant eu raison de
ces maisons prestigieuses jusqu’à leurs faillites – et de leur redonner leur
lustre d’antan.
Avec Paul Moran, le B3 a alors pu rugir de nouveau, par un album où il l’a fait
effectivement fumer, comme au bon vieux temps où il occupait, royalement, le
centre de la scène.
Et, en passant, l’association orgue – flûte, mais quelle bonne idée ! ...
Paul Moran … organiste, pianiste, trompettiste, bugliste et sideman ou
directeur artistique de tant d’artistes, de Wishbone Ash, Bronsky Beat … à Van
Morrison.
Un grand artiste, à suivre tant que possible car discret, très (bien trop) discret…
05- PINK FLOYD : « Set The Controls for The Heart of the Sun » -
Album « Ummagumma » | Harvest 1969.
David Gilmour : guitars | Rick Wright : organ | Roger Waters :
vocals & bass | Nick Mason : drums.
Enregistrée le 02 Mai 1969 au Manchester College of Commerce, cette version de
« Set The Controls for The Heart of the Sun » fait partie de ces
espaces soniques qui ont réellement traumatisé mon entrée dans l’adolescence.
« Ummagumma », c’est un album qu’avait acheté mon oncle chez lequel
j’allais, chaque samedi ou dimanche matin écouter des disques sur son système
HiFi. Mon oncle et ma tante me laissaient le salon et vaquaient à leurs
occupations et je restais là, assis sur le canapé, parfois seul mais aussi avec
lui, à écouter, très fort, de puissants albums.
A cette époque j’en achetais, tant que possible, je m’en aussi faisais prêter
et lui bien sûr en achetait aussi – il est resté fan d’opéra, mais dans ces années-là
il s’intéressait aussi à toute la mouvance rock et ses choix me furent souvent
décisifs.
« Ummagumma » …
J’ai passé des heures à regarder cette pochette en multi-trappes
photographiques …
Je me suis passionné pour écouter en boucle sur le Phillips à bande de mon père
branché à la hâte pour enregistrer la musique sortant du téléviseur lors de la
diffusion de « Pink Floyd à Pompéi » et il y avait là, justement, ce
titre, tout aussi habité, tout aussi mystique que mystérieusement oriental…
Et ce solo d’orgue ! découverte absolue de l’instrument pour moi et espace
de gamme idéal pour inventer sur ces quelques notes de longues improvisations
pianistiques, enfermé dans ma chambre, sur mon bon droit Sauter. Rentré avant
mes parents… puis la porte s’ouvrait et vite fait, le Hanon reprenait ses
droits studieux.
Ce titre exerce encore sur moi une totale fascination, comme s’il ne cessait de
m’envouter.
De ce titre et de « Meedle » qui est le second disque que j’ai acheté
et usé dans ma discothèque naissante est venue une addiction totale pour la
musique du Floyd, sans distinction instrumentale ou de personnalités, juste par
l’hypnose que me procurait leur musique.
Je pouvais, sur la chaine de mon oncle, mettre le premier disque de ce double
album en boucle et l’écouter des heures durant, possédé par les hurlements de
Waters avec Gilmour et son Axe (sa guitare) et envouté par ce voyage oriental
dont on parle ici.
Envouté…
06- JIMMY SMITH : « Since I Fell For You » - Album « Home
Cookin’ » | Blue Note 1958-1961.
Jimmy Smith : organ | Kenny Burrell : guitar | Donald Bailey :
drums.
Dans les rééditions, il y a des alternate takes mais aussi des titres passés en
second plan et non édités. C’est le cas avec ce titre qui n’apparait pas dans
la version originale.
Peu importe, mais parler d’orgue sans mettre une fois encore en avant Jimmy
Smith serait une véritable hérésie, surtout dans une première playlist, digne
du lynchage…
Jimmy Smith, son nom évoque immédiatement l’orgue, son influence sur
l’instrument est encore omniprésente et son jeu churchy et bluesy voire
funky-groovy est bien plus sur cette sensibilité que celle d’un jazz pur et
dur.
Rarement un bassiste chez Jimmy.
Il fait le taff, soit en main gauche soit bien sûr avec les pieds, ce qui force
l’admiration.
Jimmy c’est le blues à l’état quasi pur.
Jimmy c’est l’orgue de l’église qu’elle soit de quartier, qu’elle soit rurale
plantée au milieu d’un nulle part d’immensité cultivée.
Jimmy c’est un swing implacable, des lignes de basse grosses comme son cœur à
l’ouvrage.
Jimmy c’est des traits de gamme blues fulgurants qui cavalent dans le plein jeu
du B3 ou de tout modèle que le mot orgue a su produire au fil des décennies.
Des trilles, des riffs à inspiration cuivrée, des variations de registres en
pagaille, des percussifs haletants, des tenues vibrantes, des solos précis et
véloces et une inspiration sur fond de blues qui ne faillit jamais.
Ce titre est un poncif du blues, on y pleure, on s’épanche comme il se doit et
généralement c’est pris lent… très lent.
Mais Jimmy en a décidé autrement et lui donne un éclairage funny, presque
enjoué.
Il déploie là tout son savoir de l’instrument et du blues et Kenny nage comme
un gros poisson dans ce marécage aux profondeurs du sud poussé par le beat
shuffle de Donald.
Inimitable.
Incredible ! …
07- JOHN PATTON : « String Bean » - Album « That Certain
Feeling » | Blue Note 1968.
John Patton : organ | Jimmy Ponder : guitar | Junior Cook :
tenor sax | Clifford Jarvis : drums.
Big John Patton a fait les années d’or de l’orgue Hammond dans les années
soixante, enregistrant principalement chez Blue Note avec ce style qu’on a
maintenant bien intégré, oscillant entre rythm’n’blues, blues et bien entendu
trempé dans le jazz.
C’est sa mère, pianiste d’église qui lui a appris les bases, un fait nullement
anodin quand on repère son jeu. Puis à l’âge de 19 ans il va intégrer
l’orchestre de Lloyd Price, point de départ de sa brillante carrière au cours
de laquelle il va croiser, accompagner et inviter sur ses albums des
personnalités telles que John Zorn, Lou Donaldson, Clifford Jordan, Johnny
Griffin, Grant Green.
Il est venu à l’orgue sur le tard, découvrant l’Hammond pour ne plus le quitter
une fois sa fascination pour les possibilités de l’instrument devenue réalité
sonore sous ses doigts.
Avec le courant naissant de l’acid-jazz John Patton a bénéficié d’un regain de
popularité, un peu comme ces bluesmen qui firent exploser le blues boom.
Sur ce titre délibérément binaire et fonctionnellement rythm’n’blues, on est
dans l’usage classique de l’instrument, en blues licks, sur basse métrique et
quasi mécanique, avec nombre de riffs rythmiques. Le solo de Junior Cook, sous
mixé peine à faire décoller le sujet et c’est finalement Jimmy Ponder qui va
reprendre habilement le sujet tricoté par Junior.
Patton est quant à lui un habitué des sessions, des studios, mais également de
la direction en leader l’orchestre (ce qu’il fit de nombreuses années aux côtés
de Lloyd Price) et cela se perçoit ici.
Un très bon titre pour un très bon album de pur Hammond B3, comme on les aime.
08- REUBEN WILSON : « Bus Ride» - Album « Blue Mode » |
Blue Note 1970.
Reuben Wilson : organ | Melvin Sparks : guitar | John Manning :
tenor sax | Tommy Derrick : drums.
On va rester à la fois chez Blue Note et dans le rythm’n’blues avec ce titre
enthousiasmant pour terminer cette première face.
L’axe rythm’n’blues est bel et bien délibéré.
Le jeu funky sur encore cette basse métrique est d’un feeling addictif avec la
rythmique de guitare très imprégnée de ces gimmicks.
L’éternel socle trio : orgue, guitare et batterie est ici véritablement
non au paroxysme, mais exploité avec les usages ce qui permet à John Manning de
partir vers des contrées caressant le free.
Un thème correspondant à une seule phrase et c’est parti.
Il en faut, avec ces gars-là, fort peu pour embarquer et s’embarquer…
Et, en passant, quelle belle pochette !
---
FACE B.
09- JIMMY Mc GRIFF & RICHARD « GROOVE » HOLMES :
« Things ain’t what they used to be » - Album : « Giants of
the Organ : Come Together » | Groove Merchant 1973.
Jimmy Mc Griff (right channel) and Richard « Groove » Holmes (left
channel) : organs | O’Donel Levy (right channel) and Malcom Addey (left channel) :
guitars | Kwasi Jayourba : congas | Bernard Purdie : drums.
C’est sur ce thème de Duke Ellington joué très shuffle (la spécialité de
Bernard Purdie qu’il a mélangé avec un rythme halftime créant ainsi un style
qui lui est propre et dont certains Jeff Porcaro – « Rosana » –
surent se servir à foison et qui firent ses belles heures chez Steely Dan comme
avec « Babylon Sisters ») qu’on va ouvrir la face B.
Bernard s’est placé au centre et de part et d’autre il va être le batteur de
deux trios, aidé pour ce faire par une paire de congas bien swinguants.
Voilà, c’est tout et peu, mais le blues est là pour faire rencontrer ces deux
pointures de l’instrument et avec deux d’entre eux c’est encore mieux, alors ça
joute amicalement, ça se répond, ça s’amuse et surtout ça groove-swingue comme
pas possible, avec chacun son truc, son style, ses usages…
La surenchère du plaisir et de la gourmandise.
On est très loin de certains duos pianistiques d’un profond ennui tel que le
firent Hancock et Corea, seuls à s’amuser sur une scène face à un public certes
admiratif de leurs acrobaties diverses, mais n’apportant strictement rien à
l’espace musical.
Là le fil - encore une fois - du blues est là pour les tenir avec respect et
ils savent que de là-haut en ayant sorti de leurs églises respectives leur
massifs instruments ils sont sous surveillance et qu’il faut rester attentifs
des usages et du patrimoine.
Si votre chaine HiFi sature, pas d’inquiétude, ces bestioles-là vont parfois
chercher des fréquences tant basses que suraiguës peu communes, alors il faut
du temps à l’enceinte (et à l’ingénieur du son en cabine dont les voyants
passent dans le rouge cramé) pour réaliser qu’elle peut s’ouvrir avec
générosité à ces nouvelles et inédites dimensions.
10- JEFF GOLUB with BRIAN AUGER : « J&B» - Album :
« Train Keeps a Rolling » | Entertainment One 2013.
Brian Auger : organ | Jeff Golub : guitar | Derek Frank : bass |
Steve Ferrone : drums | Horn Section : Mindi Abair (alto sax), Nick
Lane (trombone), Dave Woodford (baritone sax, flute) & Steve Madaio
(trumpet).
Il n’y a pas très longtemps j’ai découvert le regretté Jeff Golub, guitariste
de studio aux multiples sessions, capable de jouer tous styles avec la même
vigueur, le même feeling intense, le même charisme musical.
Il s’est souvent associé avec l’un des plus grands représentants de
l’orgue : Brian Auger.
Et il est l’un souvent étiqueté smooth-jazz, car sous son propre nom il a,
effectivement pondu de magnifiques albums du genre.
Là les voici associés sur un pur blues boogie, surligné par une section de
cuivres à l’écriture rythm’n’ blues comme au bon vieux temps d’où Auger bossait
chez Burdon.
Dans le genre on n’a plus grand-chose à inventer, juste jouer et faire montre
de feeling.
C’est leur cas.
10- SPENCER DAVIS GROUP : « I’m a Man » - Album : « I Can’t get
enough of It ! » | Fontana 1967.
Spencer Davis : guitar | Steve Winwood : vocals & organ | Muff
Winwood : bass | Pete York : drums.
Steve Winwood, hormis le fait qu’il soit un très grand guitariste, un vocaliste
hors pair, un des songwriters que je place dans la catégorie des plus grands,
est aussi un organiste particulièrement inspiré.
Il fit ses débuts plus que prometteurs au sein du Spencer Davis Group et
composa entre autres cette chanson.
Sa voix soul, son jeu qui l’était tout autant, tout cela dans une Angleterre en
plein blues et rythm’n’blues revival associé à sa jeunesse adolescente en
firent très vite une idole.
Voici bien un titre absolument typique non seulement d’une époque « so
british » mais également d’un élan créatif sur fond de blues.
Des titres comme celui-ci, dans les années 60, issus de la scène londonienne,
y’en a un paquet et en s’y intéressant un peu plus on retrouve à peu près les
même clichés, qu’ils soient rythmiques et de background, de fonctions lead et
de chœurs assumés généralement par le groupe. Tout cela porté par une énergie
juvénile quasi vierge de toute référence si ce n’est une écoute addictive de la
musique afro américaine.
Mais ce titre, en particulier, se positionne bien au-dessus des productions de
ce type de l’époque. Il suffisait juste que les frangins Winwood soient là…
Purement soul et captivant (le jeu d’orgue de Stevie est incroyable pour un
gamin si jeune et son chant, n’en parlons pas…)
11- ELP : « The Endless Enigma Part 1 » - Album :
« Trilogy » | Manticore 1972.
Keith Emerson : organ and all keys | Greg Lake : bass and vocals |
Carl Palmer : drums.
ELP, la bête noire des destructeurs de prog.
Les premiers en haut de liste pour s’en prendre plein la gueule, comme si le
succès incommensurable du groupe, peu compréhensible pour les adeptes d’un rock
se voulant pur et dur construit sur des bases musicales plus que sommaires,
associé à leur passion pour la reprise de thèmes de la musique classique
avaient fait d’eux les vilains récupérateurs du terme. Manœuvre (que je ne peux
pas blairer, mais ça vous le savez) les résume ainsi : « de la
musique classique avec de gros amplis… ».
Il n’a peut-être pas tort en formulation, mais sur le fond il se gourre, enfin
disons que réduire le rock et ne pas laisser des musiciens de tous horizons
s’en emparer afin non de le faire évoluer mais de le rendre multiple est une
vision radicalement réduite, qui lui sied à merveille.
On ne va pas refaire le truc socio-culturel rock, lutte des classes, jeunesse
qui s’y engouffre, etc.
Mais ELP a franchement subit une presse détestable et paradoxalement, un
engouement incroyable de la part du public, dont je fus et reste, un fidèle.
On associe trois personnalités au sommet, jeunes et chacune virtuose sur son
instrument mais aussi dans son critère musical et on obtient effectivement
l’archétype du « super groupe ».
Keith Emerson, capable de prouesses pianistiques tant que de délires
organiques, puisant dans tout le répertoire digital et culturel classique, de
Bach, à Prokofiev ou même Stravinski est aussi un excellent compositeur post
classique (son concerto…).
Greg Lake, la voix du prog depuis de KC l’a mis en avant sur les textes de
Sinfield et aussi le multi instrumentiste des cordes.
Carl Palmer issu des classes de percussions du conservatoire, induisant une
technique classique imparable, dépasse largement, de ce fait, tous les batteurs
de son temps. Eh oui, ce mec sait aussi lire la musique…
La « grande période » ELP est celle des détracteurs, mais aussi la
plus captivante et avec le recul elle reste un pavé dans une mare prog aux
écarts, avouons-le, souvent précaires et peu réfléchis, présentant une musique
longue, kilométrique, prétexte à des solos qui s’étirent, en rien sur des bases
compositionnelles reposant également sur rien ou… si peu.
Eux, biberonnés au classique, connaissaient la musique, le sens de la forme, du
développement, de la composition et avaient aussi un gros bagage culturel
n’hésitant pas comme ici à chercher dans des racines celtes, puis dans le solo
blues (celui d’orgue qui justement est en quelques mesures, incroyable) comme
dans le romantisme de Rachmaninov…
Est-ce rock ? pour autant ?
Je persiste à l’affirmer et il suffira d’écouter le chant de Lake pour
comprendre que malgré tous ces rapports subsidiaires qui firent débat, lui
chante rock, sans questionnements possibles.
Oui ELP c’était des virtuoses (le thème initial en atteste).
Et alors, quand c’est au service de la musique ? ... en quoi cela
pourrait-il être critiquable…
Et Keith Emerson a véritablement fait évoluer le rôle du claviériste et de
l’organiste dans ce même rock, ça c’est une certitude.
12- LUCKY PETERSON : « The Mooche » - Album : « The Music is
Magic – Organ Soul Sessions » | Universal 2009.
Lucky Peterson : organ | Rodney Jones : guitar | Houston
Person : tenor sax | Cindy Blackman : drums.
Quand Lucky a sorti ces trois albums dédiés à l’orgue j’ai cru faire une
attaque tant ça brillait d’étincelles de bonheur suprême.
Et j’avoue avoir eu beaucoup de mal à décrocher de l’affaire tant ce florilège
de reprises de tout poil, de toutes influences et sources, passé à la
moulinette du B3 était vraiment « bon ».
J’ai choisi ce très vieux titre de Duke Ellington, récupéré comme sorti d’un
bon vieux 78 tours et passé à la sauce trio orgue, guitare, batterie (cette
Cindy Blackman, mais qu’elle incroyable batteuse !) sur lequel vient se
poser le sax ténor.
Une formation dans la tradition, on dirait maintenant vintage ou classique et
un Lucky au sommet d’une forme qu’il a permanente, sorte de fontaine de
jouvence du blues.
Et il m’a été très difficile d’avoir la capacité de prendre un seul titre de
ces trois albums, croyez bien…
13- EDDY LOUIS : « Blind Man » - Album : « Sentimental
Feeling » | Dreyfus 1999.
Eddy Louis : organ, piano | Julio Rakotonanahary : bass | Paco
Sery : drums.
L’un des plus grands représentants de l’instrument, en France, c’est Eddy Louis
(bon y’a eu Charlie Oleg, immense musicien qui faisait tourner un manège…).
Entre ses diverses sessions studio pour de nombreux-ses artistes dits-es de
variété, ses participations légendaires aux côtés de grands musiciens de jazz
et ses albums solo, Eddy Louis reste une figure marquante du jazz en France.
Il a fait venir Paco, l’a découvert et leur rencontre fut admirable (Paco, que
j’ai eu l’honneur de rencontrer m’a raconté tout ça…) et décisive, pour l’un
comme l’autre, un truc absolument fusionnel et respectueux que l’on entend
clairement ici.
Un petit thème minimaliste, bien français, reposant sur un motif mélodico
rythmique simple qui va permettre de s’envoler et d’inscrire en tête, une fois
le pont, construit également sur le même principe, ce motif musical entêtant.
L’orgue s’inscrit alors dans l’esprit et sa sonorité s’installe,
définitivement.
14- DEEP PURPLE : « Lazy » - Album : « Machine Head » | Purple
EMI 1972.
Ian Gillan : vocals |Richie Blackmore : guitar | Jon Lord :
organ | Roger Glover : bass | Ian Paice : drums.
S’il est un son d’orgue qui s’est inscrit de façon indélébile dans mon esprit,
ce dès 1972 à la sortie de cet album, c’est bien celui de Jon Lord.
Impossible de s’en défaire, impossible de ne pas penser un jour en jouer…
Cet album a été un tournant marquant de mon appréciation musicale, il s’est
imposé dans ma vie comme le point de départ de mon envie définitive de devenir
musicien.
Cette incitation a pris les deux directions instrumentales desquelles je n’ai
jamais su me défaire.
D’un côté le batteur Ian Paice que je n’ai eu de cesse de reproduire, imiter,
assimiler.
De l’autre Jon Lord que je n’ai eu de cesse de jouer et désirer intégrer.
Pour le premier j’ai eu largement de quoi lui rendre hommage, en de nombreux
groupes.
Pour le second, la magie de cet orgue qui débute le titre, de façon
crépusculaire pour ensuite dévier vers un jeu jazz très proche de Jimmy Smith (dont
Lord était un fan absolu), a été le point de départ de ma fascination pour cet
instrument et ses multiples possibilités.
« Lazy », j’en ai par la suite fait un arrangement pour groupe de
rythm’n’blues avec 5 cuivres et tout le toutim, le titre aux données
blues-shuffle-jazz se prête à tant et tant de possibilités d’ouverture.
Le solo de Lord lorgne même vers le phrasé bop, chose que bien entendu je
n’étais absolument par en capacité culturelle, à l’époque de, ne serait-ce que,
« percevoir ».
Mais mon obstination à le reproduire, à la lettre (je l’avais même transcrit
comme on faisait une « dictée musicale » à cette époque – un
excellent exercice dont j’ai retrouvé le « cahier » récemment en
fouillant dans des cartons), a certainement forcé mon mental à assimiler le jeu
digital issu de ce mouvement, ce par… le hard rock.
Le jeu hyper dense et détaillé de Blackmore, le tandem Paice -Glover qui pousse
le tout, la voix sur-perchée de Gillan… et ce fond indestructible de blues…
« Machine Head » je ne peux dire de façon objective s’il est l’un des
plus grands albums de l’histoire du rock, je l’ai écouté, usé, réécouté, réusé.
Il reste l’un de mes fondamentaux qui ont fait que… je m’autorise à le penser
et à le croire.
De plus il est associé à des souvenirs d’enfance aux côtés d’une famille qui
m’a fait plonger dans le rock et aimer définitivement cette musique.
Donc l’objectivité n’est pas de mise, mais quand je mets « Lazy » et
tous les autres titres, c’est imparable, la part d’enfance ressurgit, comme si
la mémoire était restée collée à chaque note de la musique de cet album
magique.
14- PROCOL HARUM : « I Keep Forgettin’ » - Album : « Procol’s
Ninth» | Chrysalis 1975.
Gary Brooker : vocals, piano & music | Mick Grabham : guitars | Chris
Copping : organ | Alan Cartwright : bass | B.J Wilson : drums.
Section cuivre non indiquée.
1975, la fille, bien plus âgée que moi, des meilleurs amis de mes parents -
chez qui j’ai passé de nombreux week ends et qui m’a fait découvrir tant et
tant d’albums vient d’acheter ce dernier Procol Harum.
La face B s’ouvre avec ce titre qui sera bien plus tard célébré pour une
reprise absolument différente de celle présentée ici par Michael McDonald et
là, c’est instantané, j’accroche à ce beat funky, rythm’n’blues, bref, à cette
mouture musicale. Et là encore, ce sera l’une de mes premières fascinations
réelles pour les cuivres en section, écrits, arrangés.
Un titre de Leiber & Stoller, également producteurs de l’album.
L’orgue y apporte le tissu sonore essentiel qui tisse la trame de l’action
musicale, pendant que Gary martèle son piano, en croches régulières, un truc
que fera ensuite en permanence Supertramp avec le Wurtlizer. L’orgue complète
les cuivres et intervient entre le piano et eux, son rôle est ici ce qui donne
une vie plus fun au titre. Un côté évidemment churchy, des sonorités
logiquement boostées à la Leslie et une liberté d’intervention improvisée sans
solo qui m’a également fait réfléchir sur l’intégration de l’instrument dans
ces orchestres bluesy trempés dans le roots.
C’est avec ce titre dont le beat de Michael McDonald a également servi pour
sample dans un célèbre tube rap, qu’on va terminer cette playlist format K7.
La suite pour bientôt en attendant l’orgue ça s’écoute … FORT.
Bon week-end à toutes et tous.
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