FELIX DRAESEKE (Cobourg.1835 / Dresde.1913) – à réhabiliter ?

 

FELIX DRAESEKE (Cobourg.1835 / Dresde.1913) – à réhabiliter ?

Il suffit parfois de partir à la recherche d’un-e artiste, d’un-e compositeur-trice, cela peut prendre des formes multiples que cette quête Indiana Jones… alors elle nous mène là où le hasard et la curiosité (ah… la curiosité…), si l’on est patient, qu’on a envie, qu’on se bouge un peu… ont fait leur indomptable travail.

Cette fois, je suis allé par le biais de la découverte d’une compositrice (ce bienheureux engouement de ces quelques minuscules dernières années qui rappelle que l’histoire a oublié les femmes compositrices, interprètes, cheffe d’orchestre …) à nouveau au cœur du label CPO (rappelez-vous ma chronique sur ma collègue Stéphanie Varnerin) et de fil en aiguilles j’ai remarqué que Felix Draeseke y était largement en catalogue.
Dans mes études musicales on n’a jamais parlé de ce compositeur.
Donc énigme…
Donc intérêt que vous me connaissez…
L’éternelle question face à l’oubli, d’autant que Felix, partons sur son prénom qui vient devant  Mendelssohn pour celles et ceux qui ont un minima de culture classique, ou encore se sont mariés en ayant son nom pour l’entrée en cérémonie religieuse avec sa célèbre Marche Nuptiale.

Felix (Draeseke) semble avoir eu, de son temps, l’heure glorieuse…
Est-ce pour cela que l’histoire l’aura fait sombrer dans l’oubli le quasi plus total ?
Est-ce du fait que son écriture musicale et orchestrale, coincée entre le romantisme et le renouveau moderniste, n’a même pas franchi le cap de la seule reconnaissance de l’histoire ?...
Cela est fort probable, d’autant que le compositeur jouissant d’une forte popularité n’avait pas la langue dans sa poche face à la montée du modernisme dont Strauss (Richard) duquel il critiqua avec fougue le « Salomé », Schoenberg ou encore Stravinsky firent les frais…

Ancré dans une éducation, une écriture, une conception reposant sur un langage assumé et en parfaite maitrise de modes passéistes, bien installé avec cette proposition auditive en continuité de ce patrimoine en son temps, Felix n’a pas spécialement cherché à distordre, à bouger les lignes, à non oser, mais juste faire autrement ou davantage.
Fort de son savoir et de ses connaissance il a simplement continué là où d’autres ont cherché ailleurs et voulu délibérément modifier le sens de cette histoire.
Question de tempérament, de personnalité, de situation sociale et professionnelle, d’envie peut être bien, de non envie certainement, de zone de confort diraient certains car vivre comme lui, connu et reconnu en son temps, impliquait forcément un certain confort social et sans pour autant s’en contenter (l’écoute de sa musique atteste d’une recherche, d’une perfection, d’une maitrise indéniables prouvant qu’il avait largement les outils et le savoir qui auraient pu l’inciter à, au lieu de perfectionner l’écriture, par exemple du contrepoint, s’embarquer dans le dodécaphonisme naissant), Félix n’a pas œuvré dans la direction moderniste de certains de ses confrères, mais a peaufiné l’esthétique de son temps.
Il y a forcément, à bien y réfléchir, d’autres Felix Draeseke, passés à l’oubli, qui, comme tant de ces compositeurs baroque ou pré-classique sont passés à la trappe, du simple fait de leur trop grande appartenance à leur temps.

Felix Draeseke fut un professeur renommé, titulaire au conservatoire de Dresde de 1892 jusqu’à sa mort.
Avant cela il avait de nombreuses fois changé de résidence, Leipzig (où il fit ses études au conservatoire), Berlin, Yverdon, Lausanne… un parcours professionnel certainement compliqué, au gré des contrats, des engagements professoraux…

Il va convenir ici d’essayer simplement, non de réparer – il faut laisser ce soin aux interprètes, musicologues, chroniqueurs en radios comme en revues spécialisées que de le remettre en lumière – mais de parcourir cette œuvre très riche et variée, qu’elle soit majestueusement symphonique, ou intimiste-ment de chambre ou de lieders, sacrée (un catalogue imposant) et tout de même étayée de quelques 15 opéras… ce qui, en soit, n’est pas anodin.
Un univers en soit…
Et qui sait, dans le futur, la remise en programme de ce répertoire lui donnera – pourquoi pas – une place identique à un Vivaldi baroque retrouvé par hasard au début du XXe siècle, lui permettant de devenir l’un de compositeurs majeurs de cette fabuleuse période.
Il suffirait d’un film qui jetterait son dévolu en B.O, d’un grand chef désireux de, d’une formation de musique de chambre renommée… et…

Commençons donc par remettre les pendules de l’histoire à l’heure pour Felix Dreaseke, qui fut soutenu par rien de moins que Liszt et Wagner, influencé fortement par Brahms et dont l’œuvre (comme sa première symphonie que j’écoute en ce moment) recèle, pour les amateurs de romantisme, de symphonique, mais aussi de musique dite classique tout court, de bien magnifiques pages.

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« SYMPHONY N°1 & 4 – Gundrun Ouverture » / NDR RadioPhilharmonie. Jorg.Peter Weigle | CPO 2000.

Commençons par sa première symphonie en sol Majeur, commencée en 1868 et achevée en 1873, qui n’est, en fait, pas sa première. En effet, Felix avait composé une symphonie en Ut mineur, précédemment, mais la jugeant sévèrement, il l’avait détruite.
Ayant fait un voyage de six mois début 1869 qui l’a mené en France, Espagne, Afrique du Nord et Italie, le compositeur s’est beaucoup inspiré dans cette symphonie de ces dépaysements.
Cette symphonie est une étape capitale de sa carrière de compositeur dit-on communément, car elle est représentative de son appartenance à la nouvelle école allemande cherchant un renouveau de la forme classique – rien de véritablement moderniste, donc ici, mais une volonté d’ancrer ce classicisme d’écriture allemand en « école ».
Felix était, il faut le souligner, un brillant pédagogue – il conviendrait peut être de chercher et comprendre là aussi son penchant à créer sans réel désordre, en usant des pratiques d’école.
Au cœur de cet ouvrage où l’écriture des pupitres en timbres, bois délicats et brahmsiens, cors wagnériens, cordes classiques, cuivres lumineux se trouve un superbe et relativement long adagio, pièce maitresse de la symphonie qui fait montre d’une réelle science de l’écriture.
Le jeu de timbres y est magnifique agissant tel des pièces d’échiquier se déplaçant sous de nombreux angles, au gré d’un développement à facettes multiples réellement poétique.
Une merveilleuse entrée dans la musique de Felix Draeseke que cette symphonie au final également somptueux de caractère entre brillance, nuances et silences, qui sait, charnière, avec ce somptueux adagio ici très honnêtement interprété même si la prise de son manque de relief et de brillance – j’ose imaginer ce qu’une telle œuvre sous la baguette de chefs tels Nezet-Seguin, Rattle ou encore Jarvi pourrait véritable « donner ».
Je retiens donc le jeu remarquable des timbres – une caractéristique, peut être bien.

Et je me lance dans sa quatrième symphonie dite comique (Symphonia Comica »), composée vers l’âge de 77 ans, alors que le compositeur était atteint d’une quasi-totale surdité.
Sa dernière.
Felix s’était de surcroit mis à dos l’ensemble de la profession montante au sortir d’un ouvrage qu’il avait intitulé « la confusion de la musique » (1906), dans lequel il exprimait sa perplexité, son pessimisme et une certaine mise en garde envers les jeunes compositeurs naissants de ce début de XXe siècle. Il était donc bien isolé…
« Il suffit de garder la tête haute et de rire par-delà le prix des larmes » aurait-il indiqué au chef Bruno Kittel, qui avait créé l’œuvre.
Si l’on écoute cette symphonie en se détachant du contexte historique, personnel, conceptuel de son auteur, nous sommes là face à une incroyable maitrise d’écriture orchestrale, grandiose même.
On raconte que Felix se serait amusé ici à une forme d’autodérision musicale, cherchant par ce biais à s’éloigner du répertoire spirituel et cherchant également se débarrasser de l’image romantique accolée…
Il use donc ici d’un ensemble de poncifs dont il a une parfaite maitrise afin de tourner le tout en une sorte de sarcasme.
Pour ma part, si le sarcasme du compositeur face à sa carrière et face à la jeune génération peut s’exprimer ainsi avec tant de perfection du langage, je trouve l’acte tant osé que génial, cette symphonie étant remarquable en jeu d’écriture, ce en tout points.
Là encore le jeu des timbres et des contrastes m’a immédiatement interpellé, là les techniques d’écriture attestent d’une phénoménale oreille interne et mentale, qui, à la table fait de fait, fi de la surdité – affres que je n’ose imaginer pour un compositeur, musicien…
L’œuvre aura été créée un an après son décès et elle aura été oubliée jusqu’en… 1996.

L’ouvrage est en mi mineur et pourtant le compositeur n’usera qu’occasionnellement de cette tonalité… il use ici principalement de sa tonalité relative Majeure, sol.
A noter le second mouvement, « guerre des mouches » où une nuée de mouches vient perturber la sieste de grand père, ses petit fils partant tapettes en mains les chasser – ce mouvement imageant ses conflits avec la critique musicale qui n’avait eu de cesse de le vilipender sa vie durant, du fait certainement de ses positions tranchées et sans appel envers l’ensemble de la jeune profession.

L’album se clôt par une ouverture d’un merveilleux romantisme, celle de son opéra « Gundrun ».
Et elle provoque immédiatement l’envie et l’idée de chercher à découvrir celui-ci, les wagnériens comprendront pourquoi.
Mais il semblerait, qu’à part l’ouverture, l’ouvrage ait été oublié…

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l’image…
Quelques recherches sur le compositeur afin de lui mettre un visage, un trait de caractère, un … « physique ».
Un jeune homme fort élégant, à la chevelure ondulée, au visage chargé d’une lourde barbe et de moustaches foisonnantes, soigneusement entretenues afin d’une évidence romantique. Une posture affirmant une totale assurance.
Un grand-père au regard persistant et soutenu, parfois chaussé de petites lunettes, dont l’allure élégante semble rester trait de société. Un homme déterminé.

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« CHAMBER WORKS » / H.Joulain, P.Moraguès, L.Chatzman, M.Chilemme, D.Pia, O. Triendl | TYXart 2017.

Après la plongée symphonique, le catalogue d’œuvres de l’artiste est prospère en musique de chambre.
C’est là, généralement, dans l’intimité de cette écriture, dans le savant dosage de la sonorité soliste pour l’agrément collectif, que se décèlent bien des axes.
Le déploiement d’imagination, la maitrise timbrale, la mise à nu sentimentale par la mélodie, l’agencement harmonique…

Œuvres la plupart du temps de « salon », les pièces de musique de chambre n’ont une destinée de concert que minime ou relative, elles relèvent souvent du divertissement ou de l’agrément…
Felix était un compositeur renommé et « à la mode », c’est certainement là qu’un autre trait de son talent, si ce n’est de son génie, va se révéler.

Le quintet avec piano en Si bémol Majeur, op.48 s’ouvre magistralement et d’emblée impose l’attention. Il fut composé en 1888.
De structure classique il met en équilibre cor, violon, alto, violoncelle et piano, ce dernier étant au cœur de l’articulation de l’ensemble et agissant comme tel.
Le cor s’en détache, prépondérant, ce, pas forcément en prise mélodique, mais en éclairage sonore, s’émancipant des cordes, unies, pour prendre place centrale et contrebalancer le piano.
On note un violoncelle qui tente quelques percées afin d’un rééquilibre de rôles.

Le langage romantique tonal est prédominant avec tous les codes d’usage s’y référant.
Chaque mouvement est d’un timing conséquent, ce qui atteste d’un matériau initial fourni permettant un développement d’écritures multiples.
Je guette toujours les seconds mouvements, phases, généralement, d’épanchements expressifs qui par le tempo permettent aux sentiments de sortir de l’œuvre.
Cet « Andante Grave » force quelque part le trait avec un axe mélodique qui circule en contrechants, usant de la technique très en vogue à l’époque et devenue très savante, du contrepoint.
Le piano met un ordre harmonique dans tout cela et sert de « nuancier » à l’ensemble pour une partition toute en contrastes allant d’un forte bien marqué à des pianissimos délicats.
Le cor puise dans les aigus quelques ressources sensibles.
Le « Presto Leggiero » en troisième position porte bien son nom et embarque avec vélocité là encore très nuancée l’auditeur sous des traits volubiles, en jeu de rôles instrumentaux.
Le « Finale. Allegro con Brio » conclut avec introduction à l’identique de l’ouverture de l’œuvre.
Il apparait comme réellement difficile d’exécution, chargé d’une écriture que l’on qualifierait aisément aujourd’hui de pompeuse, n’hésitant pas à charger le trait musical, à renforcer les tuttis, le piano insistant largement par son rôle, sur ce fait.

Je commence à avoir quelques pistes.
Felix est là terriblement ancré dans son temps.
Romantique de « presque après » les romantiques il s’inscrit pleinement dans ce mouvement, ce langage, cette attitude et cette écriture qu’il maitrise, c’est évidence, qu’il défend, c’est éthique, face à une montée musicale et créative qui va bouleverser en quelques années les usages dont il fait montre avec talent, savoir-faire, technique et compétence.
Il est forcément apprécié en son temps, comme tant d’autres compositeurs baroques, représentatifs en leurs temps respectifs et dont on redécouvre les traces de leurs notes aujourd’hui le furent.
L’histoire, quant à elle, a préféré regarder autrement et parmi là encore il est certain, nombre de compositeurs et compositrices (là c’est encore plus difficile d’en trouver les partitions, celles-ci étant souvent données en toute confidentialité) de ce XIXe estampillé romantique, Felix homme ni moderne, ni passéiste, mais juste compositeur « de son temps » n’a pas franchi le cap de celle-ci, malgré tout son talent.
Un talent apprécié, à sa très juste valeur ce même par ses contemporains les plus célèbres, certains l’ayant même soutenu et aidé, ce qui n’est pas peu remarquer.

Passons maintenant à la « Romance pour cor et piano, Op.32 » puis à « l’adagio pour cor et piano en la mineur, Op 31 ».
Cela semble maintenant acquis, Felix aime la sonorité du cor, il aime profondément cet instrument pour lequel il a écrit des pages lui permettant d’offrir sa large palette à l’auditoire.
Il apparait certain que les cornistes jouent Felix Draeseke.
Mais qui va au concert écouter des pièces pour cor, de nos jours ?...
Mais qui s’inscrit encore en classe de cor afin d’étudier ce merveilleux instrument, de nos jours ?...
Les classes de cor sont vides, l’instrument est en berne, les symphoniques peinent à recruter…
Le désastre des choix directionnels de l’éducation musicale démagogique et clientéliste.
Je suis hors du sujet ?
Une autre piste pourtant, et peut être… se dessine là encore…
En tout cas ces deux œuvres, exigeantes, parfaitement agencées entre les deux instruments aux rôles équitables offrent une belle alternative dans le répertoire chambriste romantique.

On conclura par la « sonate pour clarinette en Si bémol Majeur, Op38 ».
Composée en 1887, elle semble avoir depuis quelques années été remise en lumière par les clarinettistes, comme une œuvre importante du répertoire pour l’instrument au même degré que celles de Brahms, Saint Saëns ou Reger.
De forme là aussi classique elle se décline en quatre mouvements relativement longs, et permet à l’instrument de déployer sa large palette au gré d’une écriture où clarinette et piano s’entremêlent en parfaite osmose, s’unissent, se détachent pour revenir ensemble tel un couple rompu à la vie commune.
Après un « Allegro con brio ma non troppo vivace » je reste encore attentif au second mouvement, là encore intitulé « Andante grave ». La mélodie y est sournoise, la clarinette s’y fait doucereuse et presque dramatique dialoguant abondamment avec le piano dont l’écriture, au passage est d’une grande subtilité (et difficulté).
Le troisième mouvement, « Scherzo, Allegro molto vivace » comme pour le quintet, d’ailleurs, remporte mon attention. Joyeux, pétillant même, et en jeu de contrastes rythmiques, il apparait comme un trait de lumière, de cette lumière qui entre progressivement dans la pièce, au petit matin afin d’égayer la journée et la rendre radieuse.
La sonate s’achève « Allegro con brio », comme il se doit et l’humeur du Scherzo est restée. Le piano soutient ostinato une mélodie qui accroche.
De rythmiques soutenues en rubatos d’effet romantique la trame se tisse avec magnificence sous de nombreux traits véloces, permettant à l’instrument (aux instruments) de briller sous leurs aspects les plus complets.
Je comprends véritablement pourquoi cette œuvre a la faveur des clarinettistes solistes. Ils trouvent là un matériau expressif tant qu’instrumental d’exceptionnelle facture.

Mais…
Ai-je retenu, véritablement au sortir des œuvres, une mélodie marquante ?
Pas réellement, non.
Une écriture remarquable, une empreinte personnelle bien réelle, une totale maitrise du jeu chambriste instrumental, une palette de nuances aux contrastes saisissants, un brio indéniable, un soin particulier, une connaissance complète des sujets traités…
La liste qualitative est chargée.
Mais, la pérennité d’une mélodie, d’une simple mélodie… ne m’est nullement apparue.
Une autre piste, qui sait, quant à l’oubli dans lequel est passé le compositeur.

Ici, pas de « truite » schubertienne, pas de motif beethovenien, pas de leitmotiv wagnérien, pas d’épanchement pianistique lisztien, pas de romantisme exacerbé à la Chopin, pas de profondeur brahmsienne… juste… de la musique…
Mais la mémoire ne retient pas la musique, elle retient la mélodie, elle retient la sensation, le sentiment exprimé, le « caractère », l’audace, la déviance, la personnalité…
Pas la musique.  
Malheureusement et Felix en aurait-il fait… les frais ?

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« LIEDER » / Ingeborg Danz, Roman Trekel, Cord Garben | CPO 2007.

L’axe mélodique, tiens, justement…
Felix a composé de nombreux lieder au cours de sa vie, une vie détaillée avec précision ici : Felix Draeseke : Une chronique de sa vie. Première partie : Les premières années (1835-1862) – puis vous tournerez les pages…, si le cœur vous dit de suivre sa chronologie précise.
Felix aime composer pour le chant, solistes mais également chœurs pour lesquels il a écrit de merveilleuses pages (on en parle plus loin).

Qu’est-ce qu’un lied (lieder étant le pluriel) ?
Le lied appartient à la musique de forme courte, c’est en fait un poème germanique chanté, d’origine populaire - contrairement à la mélodie qui elle se revendique « savante » - et accompagné par un instrument harmonique (généralement le piano) ou un ensemble.
On le sait, les grands compositeurs du « genre » sont avant tout Schubert ou Schumann, Brahms et Wolf…
Wagner, tout comme Mahler ou Strauss en ont également à leur actif, orchestraux généralement. De grandes pages renommées et largement jouées et interprétées.

Et Felix Draeseke, dans tout cela ?
Immédiatement, l’on baigne dans le lied romantique qui nous est quelque part « familier ».
Le ton général, les usages d’accompagnement pianisitique, les grandes envolées lyriques qui donnent au texte sa substance…
Amour, drame, nature, nuit et rêves, voyage…
Toutes une palette de poèmes vient s’épancher là, en cette musique d’une forte expression, d’une grandeur certaine, ample, généreuse, excessive parfois et rarement en demi teintes, ce qui n’exclut pas une large palette de nuances.
Une expression claire, affirmée, honnête dirais-je, éloquente aussi…

Cet album remarquablement interprété par la mezzo-soprano Ingeborg Danz, le baryton Roman Trekel et le pianiste Cord Garben permet véritablement d’avoir un aperçu, si ce n’est une idée, précis(se) de l’art du lied façon Felix Draeseke.
De recueils en pièces isolées nous allons donc parcourir cet univers trempé de poétique au gré de ces pièces courtes, comme le veut l’usage (et c’est bien là la réelle difficulté de l’interprète dans le lied, c’est d’exprimer en un court instant toute la magie du poème et toute la teneur musicale qu’il doit « exacerber ») même si quelques exceptions qui, tel ce remarquable « Helge’s Treue » au développement riche en méandres expressifs, permettent d’avoisiner les quatorze minutes.

On aurait pu craindre, comme c’est souvent le cas dans ce type d’album où l’on fourre tout ce qu’on a trouvé comme lieder, que la lassitude puisse s’installer au regard par exemple du caractère d’écriture du compositeur.
Il n’en est finalement rien.
Les jeux de nuances, les voix denses et généreuses, le piano d’une écriture limpide et souvent « orchestrale » permettent de voyager sans heurts dans l’univers aux multiples facettes de ces lieder made in Felix Draeseke.

On peut désormais comprendre le succès, en son temps, qu’eut Felix présentant à l’auditoire de telles pièces, là encore ancrées dans leur temps, à l’intention romantique quelque part, ultime, quelque part exclusive, quelque part magnifiée.
Le poème prend alors toute sa valeur, au-delà de la seule déclamation, bien au-delà d’une simple « lecture ».
Il semble comme avoir été conçu pour et avec la musique et cette force donne à ces pièces un caractère absolument unique et essentiel.

S’il est quelques lieder à considérer avec grande attention au sein de cette période où le romantisme était vecteur artistique, il faut nécessairement que ceux-ci prennent la place qui leur est due.

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« CHRISTUS » / Udo.R Follert

L’œuvre religieuse de Félix Draeseke est conséquente.
Pour autant, on constate que à part quelques extraits à piocher sur YouTube elle est inexistante en enregistrements, rare, très et trop rare.
Cependant ces extraits permettent d’avoir une idée de la teneur du travail du compositeur dans ce domaine.
« Christus » serait, dit-on, sa tétralogie.
Une œuvre conséquente et majeure dans sa vie, à laquelle il a consacré une grande part de celle-ci.
J’écoute et là, la découverte de ce pan créatif est un véritable choc musical.
Mais pourquoi tant de désintérêt est la première question qui me vient à l’esprit à l’écoute d’un tel monument musical ?
Imaginons une synthèse entre Bach et ses Passions et Wagner pour la grandiloquence orchestrale d’écriture.
Des chœurs d’une grande magnificence, une écriture orchestrale (avec orgue) des plus poignantes, un lyrisme, dans les parts solistes, renversant de charge émotionnelle.
Grandiose, remarquable, intense…
Là encore, le jour où un chef de renommée va ressortir des décombres une telle œuvre afin de lui rendre son lustre, mais quel bonheur ce sera.
En attendant, il faut se contenter de cette interprétation semblant être la seule et franchement d’une grande ampleur et « honnêteté », si ce n’est courage car s’attaquer ainsi à un tel monument musical représente un travail colossal.
Alors, oui, l’œuvre religieuse de Felix Draeseke est capitale.
Pour une « image » de compositeur qu’il a d’ailleurs voulu casser, quelque part, afin de n’être catalogué dans ce seul registre, ce en s’autopastichant par exemple dans sa « symphonie comica ».

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Pour conclure et rester dans ce registre grave et spirituel, il conviendra d’écouter son « Requiem », dont on ne trouve là encore qu’une unique interprétation, fortement ampoulée par des solistes très caractéristiques, forçant abondamment les traits…
Mais, là encore l’écriture des chœurs et la teneur orchestrale donnent une réelle majesté à l’œuvre, ce qui permet de dépasser le seul critère d’interprétation.
Des contrepoints qui s’enchevêtrent en multiples voix, un soutien orchestral d’une grande densité, on ne sort pas réellement indemne de l’écoute de ces œuvres spirituelles, et, presque honteux, on se demande encore pourquoi l’histoire a rayé d’un trait jusqu’à un oubli quasi fatal, un tel compositeur.
Mais le temps est une boucle et la roue de celle-ci tourne indéfectiblement, alors, qui sait ?...
Un bon siècle plus tard, Felix Draeseke retrouvera peut être la reconnaissance, le succès, et le respect qui lui sont simplement dus.

En attendant, il convient de partir à sa découverte aux côtés de ceux qui l’interprète et tentent de faire revivre les pages de sa somptueuse musique.













 

Commentaires

  1. Je me suis essayé à l’Oratorio, mon premier écouté en entier. J’ai hésité en pensant tenter plutôt une symphonie, mais ton enthousiasme contagieux l’emporte.
    Comme pour Wagner à une époque, j’ai dû surmonter un étrange malaise. Une capacité à nous extraire du sol, un sentiment vertigineux qui donne parfois envie de revenir sur terre, à l’époque des grands moments de « Tristan & Isolde » j’enchaînais avec du Boby Lapointe. Hi hi, c’était un peu provocateur.
    Plus sérieusement il y a matière à s’y plonger. Mais le goût est enfin venu. Je reste à l’écoute sans tenter de m’échapper.
    Après tout c’est vrai que c’est ce qui se rapproche le plus de certains opéras
    Avec cette initiation je pense me tourner vers des œuvres confirmées.
    Merci pour cette tentation.

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    1. Merci de ce retour.
      C'est toujours captivant que d'entrer dans un univers musical presque connu car style époque, etc. mais nouveau car compositeur inédit (ou presque).
      Alors oui, par où commencer....
      l'oratorio a presque été mon premier choix, car ce type d'ouvrage que ce décèle souvent la ferveur...
      Et effectivement !
      donc à suivre.

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