EN TOUS SENS…

 

EN TOUS SENS…

Au gré des humeurs l’envie de découvrir et d’aller trouver juste à côté des habitudes.

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TOM BROWNE « THE TOM BROWNE COLLECTION » | 2007 Silva Screen Records

Pour parcourir les divers méandres musicaux de ce trompettiste énergique, volubile, habile et nourri à tout le jazz, l’idéal est – une fois n’est pas coutume – une bonne petite collection…
Des albums Tom Browne en a sorti un paquet, de décennies en décennies, de modes eighties, disco, funk, reggae, dub, r’n’b, rap, hip hop et autres groove sessions.
Et dans chacun il glisse toujours, comme un hommage, une forme de respect au patrimoine afro américain, sa jazz touch, avec ça et là quelques standards pur jus avec des formations idem – et toujours des invités de renommée (Goldings, R.Carter, D.Reeves…).
Tom Browne c’est un peu un résumé de la culture musicale afro américaine du ghetto de ces 40 dernières décennies (si ce n’est plus).
Le gaillard connait son sujet jazz sur le bout des lèvres et des pistons, il est d’ailleurs comparé à Freddie Hubbard, voire Miles Davis dans le « milieu », donc ça interpelle.
J’ai ré-écouté très attentivement cet artiste multiformes, aux interjections bop aiguisés, aux hallebardes jetées telles un afficionado sorti d’une section de cuivres salsa, aux capacités de velours si le propos love et smooth s’invite, enfin, bref, on s’ennuie pas vraiment.
Alors c’est vrai, sa période eighties, avec le paquet de caisses grosses forcément renforcées et au son énormissime surenchéri de basses synthé gourmandes en spectre sonore, lorgnant vers le funk-disco de facture n’est peut être pas l’entrée idéale pour épouser sa carrière, alors c’est vers cette collection que j’ai préféré vous emmener de prime abord.
On passe par tous les états, le parcours stylistique est plutôt large et l’acoustique va allègrement côtoyer les machines, samples et autres rythm-box.
Ainsi, sous l’égide du leader au jeu fédérateur et charismatique on pourra probablement s’amouracher du « truc » tel cette reprise hip de « Watermelon Man » de Herbie, qui en aura vu d’autres et qui se place très correctement sur l’échelle des reprises qui dévient le sujet, ce jusqu’à la grille et même en écorchant sans vergogne le thème célébrissime.
Faire du neuf avec du très vieux, je suis sûr que même le grand Herbie qui a tant adoré faire joujou les petites machines technologiques aura apprécié cette déviance où le trompettiste se la joue Miles.
Larry Goldings et Ron Carter (dont il faut noter le jeu de temps à autre, en accords, ce, à la contrebasse) le soutiennent pour le thème de Duke « In a Sentimental Mood », où l’artiste cette fois flirte du côté de Cat Anderson mâtiné Wynton Marsalis – mais n’allons pas croire que ce n’est que pastiche ou imitation, avec l’instrument à vent, la personnalité prévaut, même si la référence en hommage est, comme ici, légitimée.
D’autres standards sont revisités ici, comme l’incroyable version du « All Blues » de Miles où le cliché « So What » se glisse imperceptiblement – énorme de groove !
Il y a également ce truc resté improbable à jouer mais pourtant régulièrement joué qu’est « Freedom Jazz Dance », on passe en deux titres du groove hip hop à l’acoustique de combo pure et dure, ce, sans aucune transition, ce sans que cela ne puisse le moins du monde questionner, c’est naturel, c’est donc culturellement assumé et lié par le leader.
Puissant constat.
Et sur ce seul accord c’est un festival de solistes, aux traits caractérisés, à l’énergie poussée par une batterie d’un drive époustouflant.
Vous l’aurez compris, entrer dans les albums de cet artiste ça va être jubilatoire…
Commencez par celui-ci et je suis certain que vous pousserez les autres portes d’entrée.

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NORMAN CONNORS « SATURDAY NIGHT SPECIAL » - Buddah Music 1975.

Dernière période électrique de Miles, avant retraite, deux albums scellent cet arrêt, brutal pour les fans, logique tant que normal, pour l’intéressé.
Pourquoi je parle de Miles ici ?
Allez j’y viens.
Il avait là une équipe incroyable, menée par le socle du bassiste Michael Henderson qui avant l’arrivée, post ce qu’on croyait une retraite définitive, en 81, de Marcus Miller, était la cheville ouvrière de sa musique.
Ah les bassistes, chez Miles…
Il y avait là Gary Bartz, occasionnellement, tellement Miles usait ses saxophonistes.
Il y avait là l’autre cheville ouvrière : le rythmicien guitariste Reggie Lucas, sorte de chef d’orchestre du fatras davisien « d’Agharta » et de « Pangea » et de « On the Corner ».
Ces musiciens ont par la suite, quand Miles s’est isolé dans son appartement newyorkais, forcément fait « carrière », tel le regretté Dominique Gaumont de retour dans l’hexagone trop étriqué pour sa musique, décédé en … 1983 et qui fut l’un des rares à oser taper le duel pseudo hendrixien avec le mage noir après McLaughlin.

Henderson, Bartz et Lucas, on les retrouve ici, au creux de cet album dont le leader, Norman Connors est batteur.
Cette influence davisienne, jazz dit rock, chargée de Fender Rhodes bidouillés en modules (Onaje Allan Gumbs), d’un funk bon aloi reposant sur des lignes de basse centrales, on la retrouve, dans la lignée de ce que fit Herbie avec son sextet, ici.
La section de cuivres est justement empruntée à celle de Herbie tant en écriture qu’en certains personnels.
Un jazz « électrique » disait-on alors.

Ca flirte soupe parfois, ça groove funky souvent tel que l’aura fait Narada Michael Walden autre batteur reconverti à la prod disco et funky en ces années-là.
Ca chante en toutes vibes, normal.

C’est presque dirait on un peu inégal tant encore une fois ça veut ratisser et surfer sur ce qui se faisait en ces temps côté black music et « Akia » serait un excellent résumé de cette mouvance.
Puis…
On appréciera que, pour une fois, un album de batteur ne soit pas inondé de batterie, j’entends par là de solos, breaks démonstratifs et tout et tout mais juste de musique, l’artiste se cantonnant au rôle que le propos lui impose, de fait.
Seule exception et d’une rare qualité de jeu, le titre « Kwasi », introduit par un formidable solo permettant d’amener cette direction latinisante chère là encore à ce jazz fusionnel de ces années et qui a réuni tant le rock que le jazz.
Alors avec Michael Henderson ils font socle, équipe et là-dessus tout peut se balader même dans les contrées les plus aérées (« Skin Diver ») permettant de découvrir s’il en est la chanteuse Jean Carn, sorte de Gayle Moran vocalisante.
Le presque oublié Eddie Henderson est à la trompette et son jeu, si l’on a bien écouté le sextet de Herbie est immédiatement reconnaissable, pour notre plus grand plaisir.

Les amateurs du genre trouveront là de quoi largement satisfaire, en retrouvant ce « son » jazz électrique des seventies, leur curiosité et adhèreront certainement à cet artiste, cet album… en allant forcément en trouver davantage.
Ils auront raison – sa discographie est tant intéressante que passée aux oubliettes, ce qui est finalement bien dommage, mais les stars du genre sont venues sur nombre de ses albums, c’est certainement un signe qui peut permettre d’en connaitre un peu plus.

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EMILIE MAYER « Piano Quartets 1 & 2 » / Mariani Klavier Quartett - CPO 2018.

Emilie Mayer 1812-1883.
Désormais c’est acté, je fais mon marché de curiosités sur Insta, parfois Facebook, mais ce dernier devient maintenant un « truc de vieux »…
Voilà… je parcours en faisant glisser sur l’écran les nombreux (ses) personnes que je suis, des artistes, des collectionneurs de disques, des disquaires, des profs, des mélomanes…
Il y a des pianistes à la pelle…
Bon je reprends.
Me voici face à une « ‘tite jeune », prof de musique de collège et musicienne (il va de soi), depuis son salon elle te raconte en 1 mn et qq chrono trois anecdotes de la vie, du parcours d’un(e) compositeur (trice) et me voilà intrigué, intéressé. La fille a dans la trentaine et elle respire la passion.
Je fouille dans ses « publications » et me voici embarqué vers cette compositrice berlinoise estimée (notez le véritable sens valable tant que « limitatif » du terme) en son temps, Emilie Mayer, qui m’est absolument inconnue.
Aujourd’hui et ici, je me contente de l’évoquer et de présenter ses quatuors avec piano, la musique de chambre permet souvent d’entrer en souplesse dans l’univers des compositeur (trices) classiques.
Une forte influence pré romantique se dégage ici de ces pièces délicates, toutes en dentelle précieuses, romancées et poétiques à souhait.
On entre dans ces salons richement décorés, on s’assoit et le concert peut dérouler ses entrelacs de notes et de méandres dirigés par ce « sentiment » tonal agréablement marqué qui nous emmène de par sa simple progression par des chemins, certes balisés en degrés harmoniques, mais au travers desquels il fait bon flâner, s’arrêter, admirer, observer, imaginer et surtout être « bien ».
Il aura fallu des siècles pour que les compositrices, mises à l’écart de leur temps (où elles avaient un succès parfois d’estime et confidentiel) puis oubliées par ce même temps soient enfin remises à l’honneur.
Emilie Mayer s’est également attaqué au « genre » symphonique et a même connu un certain succès, en son temps avec ce répertoire, puis… on l’a rangé, avec ses partitions sur le placard du temps.
Mais voilà qu’heureusement les curieux interprètes du classique avides de changement de répertoire, de découvertes … ont ouvert ces partitions et y ont trouvé cette musique merveilleuse.
J’aurais bien évidemment l’occasion de parler plus abondamment de mon ressenti face à son œuvre vraiment très plurielle et conséquente.
En attendant, venez à sa rencontre par ce délicieux album tout en finesse, tout en féminité musicale, tout en poésie juste un peu romantique, et encore presque classique.

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SCHOENBERG « The Music of Arnold Schoenberg, Vol III » / Philharmonia Orchestra – Robert Craft – Koch International Classics 1999.

Même petit chemin – le net est finalement un jeu d’enquêteur si l’on veut chercher et en savoir… plus.
Je vous explique comment j’ai fait pour en arriver là, chez Schoenberg et me trouver face à un travail d’intégrale monumental, équivalent à celui par exemple que j’ai cité il y a quelque temps pour le projet Haydn.
Il est autre compositeur que là aussi je ne connaissait strictement pas, Felix Draeseke… qui est apparu dans mon streaming car j’ai cherché après Emilie Mayer, d’autres albums de ses interprètes.
De là, le nom de ce compositeur apparait,
Puis, un blog (https://www.physinfo.org/index.html) qui, entre autre, nous change un peu de notre minuscule sphère dont, dernier exemple de ce qui me hérisse et m’atterre, les récents débats fustigateurs autour de Déodato.
De ceux qui me font définitivement, de fait, prendre de plus en plus prendre des distances que j’estime vitales face à la c… de la redondance superficielle, de la gratuité d’avis péremptoire, etc. etc.

Je reprends, mais il fallait que ça sorte, l’insupportable m’apparait là comme à un certain paroxysme.

Donc, je creuse les articles et découvre qu’en face d’un Boulez, référence, que l’on croit, de la continuité, mais aussi de l’interprétation de cette époque et de ces compositeurs dits de l’école de Vienne il y a eu, un chef tout aussi « compétent » tant qu’impliqué pour interpréter ce répertoire : Robert Craft.
Robert Craft qui a connu et travaillé avec Schoenberg et qui a consacré sa vie à son œuvre afin, quelque part, de la populariser, si ce n’est de la « désintellectualiser », Boulez, justement en ayant fait un argumentaire d’inaccessibilité, d’élitisme intellectuel, une sorte de Graal que seuls quelques « initiés » d’une rare « supériorité intellectuelle » seraient aptes au-delà de la mélomanie, à non apprécier, mais juste comprendre.
Apprécier étant face à la musique de « ce niveau » un sentiment sensoriel inacceptable, car seule la démarche intellectuelle ayant « du sens ».

Le dilemme boulezien, de ceux qui m’ont toujours véritablement pris à défaut.
D’un côté, le chef, immense, à la lecture et à la direction innovantes, à côté, le compositeur qui met un point d’honneur à l’inaccessibilité de son œuvre et… en toile de fond le grand manipulateur de l’idéologie socio-cul, installant l’élite en piédestal d’inaccessibilité et qui du haut de son « savoir » a su tirer la plus incroyable épingle d’un jeu de dupes.

Je découvre donc le travail effectivement bien plus lisible, bien plus « réaliste », véritablement vibrant à l’écoute et faisant appel aux sens, de façon immédiate et physique, de ce chef, qui finalement avait réellement saisi l’essence de cette œuvre au-delà de la seule entrée cérébrale avec laquelle on a coutume de l’aborder pour finalement la rejeter.
La musique de ce génie précurseur qu’était Schoenberg se revêt alors d’un autre sens et qui plus est, du fait que Robert Craft a consacré sa vie à la présenter dans son intégralité, la voici enfin présentée dans avec une certaine « ligne » qui permet non seulement de la comprendre plus aisément, de l’écouter sans préambule en tant que telle et surtout, de l’apprécier.

Peut être qu’enfin, par ces directions - voulant briser les cadres d’enfermement bien arrangeants pour certains afin de se placer en supériorité - la musique et le langage dodécaphonique et sériel, unique et révolutionnaire en pensée, afin de déstructurer les usages communs tonaux et modaux et de créer de nouveaux espaces créatifs, vont permettre à cette école viennoise de s’installer presque communément sur l’échiquier de notre histoire culturelle.
Il serait temps.

 





Commentaires

  1. J’ai jeté mon oreille sur Tom Browne. Impressionnant d’éclectisme, c’est l’effet compilation qui veut ça bien entendu mais c’était un véritable plaisir, j’ai fondu sur sa version – très sage – du Donny Hathaway « Someday We'll All Be Free ». le « All blues » si tu n’avais pas précisé l’origine, je n’avais pas assez le Miles à l’oreille pour deviner. Enfin le grand écart des deux derniers titres… Le résultat est bousculant et enthousiasmant. Et je suis bien d’accord avec une de tes conclusions « Commencez par celui-ci et je suis certain que vous pousserez les autres portes d’entrée » C’est ce que j’ai fait avec la surprise de « Another Shade Of Browne » 1996 mais comme si il voulait se détacher des modes du moment, comme un retour à un Jazz davantage … « classique » époque Bop.

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    1. Je pourrais te répondre en bloc, car tu as presque tout ratissé
      Commençons par TBrowne.
      Du coup, j'ai écouté toute sa production, avant effectivement de mettre cette "collection".
      C'est encore rare que je trouve un tel artiste, surtout en jazz, que je ne connaissais que très et trop superficiellement.
      L'avantage de ces collectionneurs, disquaires, etc... qui te mettent leur trouvailles, leurs coups de cœur en flash sur Insta c'est que je vais ensuite chercher sur le streaming, sachant que nombre des albums et artistes qu'ils mettent en valeur ne sont pas partout ce, même sur youtube... alors commence cette fameuse quête qu'on connait presque bien, histoire de juste découvrir.
      Et là, j'ai réellement découvert complètement cet artiste exceptionnel.

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  2. Juste un tit commentaire, curieux de connaitre celle qui t'a fait connaitre... "Me voici face à une « ‘tite jeune », prof de musique de collège et musicienne (il va de soi), depuis son salon elle te raconte en 1 mn et qq chrono trois anecdotes de la vie, du parcours d’un(e) compositeur (trice) et me voilà intrigué, intéressé. La fille a dans la trentaine et elle respire la passion."

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  3. Et "Norman Connors" mon erreur est d'avoir enchaîner après Tom Browne. Du coup mon coeur a davantage balancé chez Tom. Partie remise, car ça funk quand même pas mal. Bon, et puis la pochète!! Osée et bien dans l'esprit de ce que seront les années 80 je trouve, clinquantes, fourrures et limousine mais en perdant le côté "souteneur" Ça se voulait plus classe. Pendant que je t'écris j'écoute une fois encore "Saturday Night Special" quand même chouette, saut direct vers "Skin Diver" histoire de faire évoluer mon avis.

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    1. Là aussi j'ai écouté nombre d'albums de ce formidable artiste et batteur.
      Là aussi un panel captivant et vraiment parallèle, car on en parlait strictement pas, de lui, alors que franchement ça tient le pavé haut et fort.

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