TONY BENNETT (NY 03-08-1926 / NY 21-07-2023)

 TONY BENNETT (NY 03-08-1926 / NY 21-07-2023)

Il me fallait écrire plus qu’un entrefilet afin de rendre un hommage digne de ce nom à Mr Tony Bennett…
Plus de 70 albums, 96 années sur la planète et près de 70 années de carrière au service du jazz après avoir été militaire et combattu en Europe pendant la seconde guerre mondiale, participant entre autres faits de guerre à la libération du camp de concentration de Kaufering.
Vous trouverez tout cela et le reste concernant l’artiste dans les habituels liens web.

Tony Bennett, je l’ai ignoré totalement jusqu’à ce concert lors du festival de jazz à Vienne le 04 Juillet 2000 où il était à l’affiche avec Diana Krall.
Diana était en tournée estivale et se faisait ainsi l’ensemble des festivals de jazz européens.
On connait le topo, avion, taxi, hôtel, room, repas sur le pouce, balances éventuelles, loge ou hôtel, concert et hop on recommence… avec quelques variantes.
Là, pour le coup avec l’avion en retard, Diana est montée directement sur la scène, avec son trio, pas de fard, crevée par le trajet, la voici posée là, sans balance préalable, en première partie de Tony.
Ou seconde ?...
Me souviens plus…
Ce dont je me souviens par contre c’est que le fringuant senior n’a pas raté une note de la prestation de la dame, très attentif qu’il était en coulisses.
Ce dont je me souviens c’est que ce soir-là, j’ai non seulement inscrit Mme Krall dans ma liste d’artistes à suivre et qu’ensuite il en a été de même pour Tony Bennett, que nous avons découvert ensemble avec mon épouse venue avec moi ce 04 Juillet 2000.

En parfait gentlemen charmeur, costard et attitude d’une rare élégance, Tony Bennett a distillé un show qui comme je l’ai déjà dit semblait directement sorti d’un club de Broadway.
Tout sourire, quelques brins d’humour, déclamant tout en le chantant son Great American Songbook et accompagné d’un trio piano, contrebasse, batterie des plus classieux, le chanteur qualifié aisément de crooner m’a littéralement happé et attrapé.
J’ai gardé en mémoire nombre de souvenirs des concerts du festival de jazz à Vienne, car entre 90 et 2000 j’avais pour habitude de prendre un abonnement 5 soirées et de m’y rendre avec mon ami trompettiste Joël et parfois, selon la programmation avec mon épouse Martine.
Dans cette mémoire il y a eu des moments restés gravés car marquants, d’autres où à peine les noms me sont restés tant ces prestations étaient noyées dans une masse et peu dignes d’intérêt et il y eu, comme ce soir-là, quelques infimes heures de pure magie, impossibles à déconnecter, restées gravées semble-t-il à jamais.


Alors, j’ai commencé ma lente quête disparate et même irrégulière consistant à découvrir l’imposante discographie de Mr Bennett et celle-ci n’est, au sortir, pas encore réellement terminée…

Deux albums ont posé le point de départ de cette chasse aux trésors :
« Here’s to the Ladies » où il rend un hommage poignant aux grandes chanteuses du jazz.
« MTV Unplugged » où j’ai retrouvé le show et son « esprit » que j’avais tant admiré à Vienne et qui, en cd ne m’a pas forcément autant conquis.
Le premier album s’ouvre par « People » sur un tempo swing d’une rare lenteur, bien au fond du temps, chargé de cuivres écrits en mode big band absolument décapants et tout en une retenue magistrale.
Avec cette entrée en la matière j’ai donc définitivement adopté le style jazzistique Bennett, systématiquement original – j’en parlerais après, impérieusement newyorkais, tracé dans le swing le plus implacable et nourri à cet idiome qualifié de « romance ».

Tony Bennett est un artiste qui a su quelque part rénover, réactualiser, redonner un autre sens au jazz des « standards ».
Il surprend de façon quasi systématique dès l’entrée en matière de n’importe quel titre dont à la seule lecture sur pochette on a communément la capacité de siffloter, fredonner, chanter, susurrer…
Prenons le « Fly me to the Moon » magistralement annoncé avec un brin d’humour dans le « MTV Unplugged », chanté dans sa limite extrême d’ambitus aigu afin de donner plus d’impact au texte et accompagné comme une balade, juste au piano… et agrémenté, chose de plus en plus rare, de l’introduction en récitatif.
Autre exemple « Sentimental Journey » généralement joué en mesure à quatre temps se retrouve ici détourné en valse swing avec encore une fois un récitatif sur un délicat tapis de cordes.
Selon les contextes, le projet, les accompagnateurs et la « formule » musicale, il ose la retouche, la relecture tout en gardant précisément la mélodie initiale, le dessin du texte.
Le plus parfait exemple de cette approche se trouve dans son association presque apparemment improbable avec le pianiste Bill Evans où, en duo, l’un installe son habituel art vocal et sa diction magistrale du texte tandis que l’autre est complètement lui-même, plaçant ses avancées harmoniques, son impressionnisme et son toucher tant habile que délicat en point d’équilibre et d’égalité avec le chanteur.
« But Beautiful » … pourrait à lui seul résumer ce formidable partenariat qui sublime leurs arts respectifs.
S’il est un album du rayon jazz que je place en haut de liste tant par son esprit que par sa surprenante modernité, ce sont bien ces sessions entre eux deux.
Tony Bennett c’est en quelque sorte une bibliothèque du jazz américain, un peu comme Sinatra l’autre « voix » populaire du jazz. Ils se respectaient tant que s’admiraient semble-t-il.
Il est emblématique de ce répertoire dont il possède tous les recoins, dont il maitrise l’art subtil et dont il connait parfaitement l’origine et le contextuel, cela lui permet alors de le dévier sans pour autant le déformer car il reste accroché au texte dont il accentue la diction et à la mélodie pour laquelle il ne se permet que peu d’écarts, peu ou pas de vibes, laissant juste sa voix naturellement exprimer l’essence même du sujet.
Sa voix a pris avec son corps les rides du temps et des temps, mais cette modification n’a en aucun cas altéré cette formidable énergie contenue pour l’expression la plus directe, la plus poignante, la plus réelle.
Le temps n’a pas eu de prise sur son style, son sourire, sa bonhommie et son bonheur de transmettre et chanter ce patrimoine américain qu’il défendait juste en le chantant, en étant finalement son véritable emblème.
Chez Tony Bennett, pas de fariboles, de scats de remplissage, de fins de phrases vocalisées en tout sens, bref, on va à l’essentiel : l’émotion.
Très souvent d’ailleurs la place insert soliste est infime, il préfère chanter le standard en son entier, réduisant le timing du titre à son minima, le swing n’ayant guère temps de s’étaler en bavardage, la charge émotionnelle étant ainsi positionnée en avant plan.

En bon papy jovial, farceur et plaisantin, bienveillant et patriarche familial universel, Tony Bennett a beaucoup chanté Noël. Ces albums délectables encadrés du symphonisme de Broadway (« Snowfall »), des plus brillants et charismatiques big bands (avec Count Basie), soutenus par les rythmiques les plus subtiles et/ou dynamiques sont parmi mes préférés car là encore avec un répertoire tellement usité il nous fait du cousu main, apportant une touche éminemment personnelle à cette coutume à laquelle peu de chanteurs ont échappé.

Chez Tony Bennett il y a aussi cette coutume discographique du partage, qu’il a inscrite en lettres de noblesse sous le terme de « Duet », dédiant des albums complets à ce concept allant aussi jusqu’à associer sa voix et son talent charismatique avec certaines (généralement des femmes) complices.
Je commence par son association là encore plus qu’improbable avec Lady Gaga pour deux albums de la plus haute tenue associés à une série de shows dans la pure tradition du cabaret.
L’une, comme un poisson dans l’eau d’un élément qu’est ce jazz, s’amuse avec un professionnalisme et un niveau qui pourra laisser sur le carreau nombre de chanteuses estampillées « jazz » (« Lush Life »).
L’autre charme et joue de ce partenariat inédit entre la star de la variété internationale aux sonorités electroïdes et son chant tant que sa présence charismatique.
Du très grand art que ces deux albums ceux-ci étant également touchants car Tony atteint de la maladie d’Alzheimer et la diva, elle aussi de santé fragile (Fibromyalgie) s’y offrent tels le grand père et sa petite fille, une sortie récréative de celles que l’un comme l’autre ne peuvent oublier.
D’ailleurs Lady Gaga a écrit un message sur les réseaux sociaux des plus touchants exprimant leur relation et son chagrin.

Tony a beaucoup invité Diana Krall et finalement son dernier album, dédié aux frères Gershwin, sera intégralement en duo avec elle. Elle n’y joue d’ailleurs pas de piano, elle « duettise » uniquement au chant avec le grand homme et le résultat, là encore est remarquablement déviant et parfois inattendu au détour de certains standards réinstallés de façon inaccoutumée (« I Got Rythm » avec un arrangement du trio de Bill Charlap qui brise les codes).
En toute quiétude voici deux géants du jazz rassemblés, deux écoles, deux époques, mais pour la même cause – et pour eux le meilleurs des trios de la grosse pomme, lui aussi engagé dans cette direction patrimoniale. C’était couru d’avance, cela ne pouvait qu’être excellent car ici, les egos sont mis de côté, il y a juste… la musique.
« Duets I ou II » me font fondre de plaisir.
Les résumer c’est impossible.
Il y a là tout le « gratin » des stars internationales sorties de leurs espaces calibrés, de leurs zones de confort invitées là à prendre un verre de jazz, en toute amitié, en famille, en toute cordialité avec un respect et un packaging adapté à chacune et chacun.
Lady Gaga, KD Lang (avec laquelle il a également enregistré un album en duo « A Wonderful World », là encore un pur moment de douceur), Amy Winehouse, Norah Jones, Andrea Bocelli, Maria Carey, Barbra Streisand, George Michael, Billy Joel, Elton John, Sting, Bono, Stevie et tant d’autres… se trouvent là pour une sorte de best of de la sphère musicale familière de Tony.
C’est luxueux, c’est classieux, c’est une sorte de cadeau qui fait miroiter les papilles auditives.
Et presque pleurer, parfois (« How do you keep the music playing ») et en tout cas foutre la chair de poule et frissonner.
Si vous voulez craquer littéralement de plaisir non coupable, je vous conseille par-dessus tout son album « Sings The Blues, playin with my friends », là encore de duets avec une version poussant les limites de ce plaisir irrésistible du célèbre « Everyday (I Have The Blues) » où Steve pousse le solo d’harmonica à son paroxysme.

On ne peut résumer la carrière immense de Tony Bennett à ces seuls magnifiques objets sonores qui deviendront très vite cultes.
Une carrière jalonnée de brillants albums, moins médiatiquement (nouveau XXIe oblige) plébiscités, mais tout autant scintillants est à son actif, car plus de soixante-dix albums de carrière tout de même…

Alors en vrac, mais avec choix, je commence par « I Wanna Be Around » sorti en 1963 avec son titre phare en cette récupération de la chanson de Sacha Distel, « La Belle Vie » redorée en « The Good Life » sous un écrin symphonisant. Un album tout en souplesse, délicatement arrangé, empreint du romantisme le plus réel qui avance en tout swing retenu. Du grand art.

« Berlin » (1987) accompagné par son trio de l’époque (Ralph Sharon piano, Joe LaBarbera drums et Paul Langosh basse) nous promènera tout en finesse à travers les compositions de Irving Berlin, dont Tony Bennett reste l’un des plus grands interprètes, avec au fil des plages quelques invités prestigieux tels Diz (« The song is ended » & « Russian Lullaby » au solos de Harmon immédiatement identifiable, la pâte bop de Dizzy Gillespie dans toute sa splendeur artistique et personnelle), Dexter (« All of my Life »), ou encore G.Benson (« Cheek to Cheek » au tempo hyper enlevé et endiablé et sur lequel il use de son éternel jeu guitare/scat) … de quoi ravir.
Tony décontract’ sifflote, joue de ses accompagnateurs en exprimant ces petites perles, en surfant sur ce swing inimitable mais omniprésent (Now it can be Told »). Ralph Sharon est le maitre du jeu, il drive, dirige, insuffle et pose là de courts mais particulièrement brillants solos et les deux comparses LaBarbera (qui accompagna également John Scofield tant que Bill Evans…) ou Paul Langosh sont de parfaits piliers pour faire valoir cette plongée dans l’univers de I.Berlin.
A capella dans « When I Lost you », Tony embarque le thème d’un trait en faisant une conclusion d’un seul trait pianistique – là encore, surprenant ou encore transforme « Let’s Face the music and Dance » en une balade pianistique mélodico-romantique enlevée par son texte.
Un album qui passe à une vitesse époustouflante, court, ramassé sur lui-même et allant directement à l’essentiel. L’articulation de Tony est un véritable modèle et le cadre musical s’y affirme de lui-même, là encore sans force, sans insister, juste par la qualité des arrangements et le respect entre protagonistes… et pourtant ces invités prestigieux eussent pu tirer le propos vers eux.
Hautement recommandable que ce « Berlin » (« Shakin’ The Blues Away » et un LaBarbera aux balais, magistral !) qui va se conclure par le doucereux « White Christmas » avec pour l’occasion le retour moelleux de l’inimitable Dexter Gordon, tout en ayant, au passage fait découvrir des titres du compositeur mis en hommage peu joués et peu connus.

Avec « I left my heart in San Francisco » (1962), Tony est en recherche d’une plus grande popularité, il s’éloigne du cadre du jazz et va combiner le Broadway Song avec une approche, pour l’époque, plus actuelle. Il va mettre plus avant sa voix, la lyriser un tantinet d’avantage et lui donner un grain qui va l’identifier plus précisément, à tel point que de crooner on lui accordera l’idée de bariton. Son partenaire Ralph Sharon est aux arrangements, le matériau musical est globalement choisi dans la balade pop telle qu’on pouvait la concevoir en ces débuts de sixties (« Marry Young ») et qui donnera chez nous les Sacha et autres Aznavour, enrubannés de cordes et vocalises en chœurs disneyens (« I’m always chasing Rainbows »), soutenus par une rythmique totalement effacée au profit de ce symphonisme qui fera le son varièt’ de ces sixties.
Pour autant, même si cette mode de présentation « grand public » semble correspondre au terme de kitch, cet album possède un charme (égal à celui de Tony) absolument certain.
Et puis comme toujours, il s’empare, par exemple d’un « Love for Sale » pour le latiniser, le bopiser, le brusquer en toute tranquillité d’apparence, son sourire passant par-dessus tout alors que derrière lui, entre congas débridés et solo de flûte omniprésent, y’a du copieux.
« Takin a Chance With Love » qui suit balance le big band comme au bon vieux temps.
Et finalement on est face à un album qui présente le Tony Bennett multifacettes, star désormais internationale d’une certaine variété du même registre qui va influencer et inonder les ondes, récupérant même un certain beat rock assoupli (« Candy Kisses »), Elvis, nouveau crooner et ses influences étant forcément passé par là.
Et puis, ces orchestres volumineux, ces arrangeurs, orchestrateurs en pagaille, cette régie qu’il fallait maitriser pour sortir un album (des albums) de cette trempe, au moins ça faisait du travail à de nombreux degrés artistiques, ça embauchait du musicien, ça mettait le professionnalisme en évidence, ça accordait une forme de noblesse d’art à la musique, même populaire et les studios regorgeaient de carnets d’adresse, d’orchestres en tout genres, capables de tout jouer, de la BO au concert classique, de l’arrangement de chansons comme ici au cadre jazz swinguant tel ce « Rules of the Road » mêlant en un titre une quantité et qualité de personnel et de compétences formidables.
Et oui, en ces temps bénis, apprendre la musique pouvait aussi signifier en vivre…
Mais comme toujours « The Best is Yet to Come »…

« Cloud 7 » a été enregistré en 1955, Tony Bennett a trente ans et le format LP va leur permettre à lui et à son producteur Mitch Miller d’envisager la commercialisation musicale sous d’autres angles, avec l’idée « d’album », ça change tout, en effet.
Accompagné d’un simple combo cuivré mené à la couleur guitaristique, Tony a déjà une approche bien trempée et personnelle et récupère comme avec « My Baby Just Care » tout ce qui fait acte et sera date dans le registre du répertoire environnant de son époque – il agit déjà véritablement en chanteur « populaire ».
On trouve là un socle de titres qui seront la base de la tracklist de sa vie.
Très proche des premiers enregistrements de son alter ego Frank Sinatra (il faut également écouter l'hommage qu'il lui a rendu dans le somptueux "Perfectly Frank"), tant par la voix mais également par le background, sobre, léger, laissant émaner d’un fond lissé afin de permettre à la voix une plus ample expression quelques solistes « pur jus », comme sortis directement du club avoisinant le studio. LA voix de Tony est limpide, travaillée avec soin et l’articulation souvent accentuée qui sera par la suite sa marque d’expression n’a pas encore cours, là l’idée de beauté vocale prévaut… et c’est particulièrement accrocheur.
« Old Devil Moon » se transforme le temps d’un riff en « Tequila » et on verra cet axiome latinisant s’inscrire assez régulièrement dans ses futurs albums.

« The Movie Song Album » est sorti en 1966.
Tony s’empare des chansons qui ont été accolées à la production cinématographique hollywoodienne, l’emballage est soyeux, ample et symphonique et l’idée de la balade romantique prend là toute sa popularité.
Tony s’épanche, s’émeut (et nous émeut), lyrise avec ampleur, attriste, prend le temps d’une intention de chaque détour mélodique, de chaque mot, de chaque phrase et du sens exprimé par ces titres emblématiques d’une image.
Le swing est parfois là (« The Trolley Song », endiablé, jovial plein d’humour et chargé de clichés très très hollywoodiens), mais traité grand écran, panavision il va de soit… et en balade à la lenteur hors temps (« Days of Wine And Roses »), hors absolue métrique, juste là en moyen d’expression et en langage.
La bossa entre en lice (« Samba de Orfeo » - « Gentle Rain ») , complétant ce puzzle stylistique, parfois étirée... à l’extrême (« The Shadow of Your Smile »)
L’orchestration est somptueuse et ils ont mis « les moyens » (« Never too Late »).
Là, l’idée de « variété internationale » prend réellement un véritable sens mais le terme ne peut avoir sa connotation péjorative tant le « niveau » est au-dessus de ces resucées qui généralement s’engouffrent dans ce terme forcément commercial.
Nougaro a peut être écouté cette version de « Girl Talk » et Diana Krall n’a pu ignorer « Gentle Rain » dont elle s’est faite la continuité.
Et puis il y a « Emily », cette douce perle rare, ce précieux standard, cette tendre mélopée… avec le cristallin glock… (et là on réalise que le Fender Rhodes prendra par la suite le relai de ces sonorités perlées)
Une promenade romantique à l’américaine, avec le fantasme de l’image… et certainement l’idée véritablement affirmée de « crooner » (« Smile »).
Fauteuils rouge, pop-corn, le rideau s’ouvre, je m’installe.

« Steppin’ Out », 1994, entouré de ses habituels comparses, en trio (Sharon, Langosh, La BarBera), enthousiaste comme toujours, Tony Bennett rend hommage à Fred Astaire. Ces hommages ciblés il va en devenir coutumier et ils lui serviront ainsi à mettre l’éclairage sur les représentants de ce patrimoine newyorkais et plus largement américain.
Ambiance tour à tour feutrée, intimiste, joviale et forcément dansante – le trio est absolument remarquable d’écoute et Tony, entouré de ce simple environnement tonifiant emporte le tout à coup de clichés claquettes, walkings sur tempos endiablés, traits pianistiques sautillants.
Ralph Sharon signe tous les arrangements - comme avec « They can’t take that away from me » habituellement joué en swing médium et ici traité en pure balade afin de lui donner textuellement plus de valeur – il va redorer le contexte, lui donner une touche parallèle, déviante, en restant respectueuse du sujet initial.
C’est effectivement du grand art et une grande maitrise que d’avoir la capacité de cela.
Aussi on se laisse faire par un album d’une confortable aisance qui, au détour de chaque titre apporte son petit lot de surprises, chanté par un Tony absolument décontract’, cool, relax et meneur d’énergie.
Et… au passage on va très vite devenir admiratif du jeu et de la qualité-inventivité musicale d’arrangeur de Ralph Sharon (« nice work if you can get it »).

Tony Bennett a également sorti quelques albums live, moments captés en tournée, lors de galas, d’événements particuliers…
Là encore le show « à l’américaine » est une composante essentielle.
Toujours formidablement accompagné, mis en valeur que ce soit par une petite formation ou un grand ensemble, il enthousiasme le public, enfilant les standards comme des perles rares, vedette absolue de ces concerts, il les chante dans leur plus simple direction, peu de solos, le récit, le thème et voilà !
« At Carnegie Hall – June,9, 1962 » en est un parfait exemple. Le public est dynamisé, venu là ovationner sa star, entourée d’un orchestre à multiples fonctions pour lequel chaque détail d’écriture a été parfaitement soigné, au violon solo prêt, au vibraphone cristallin limpidement placé, aux égrenages d’accords de guitare délicatement exécutés… et le quartier latino de « West Side Story » est venu prendre place…
« Bennett & Brubeck – the White House Sessions – August 1962 ».
Autre moment live de cette année 1962 ce live où les deux monstres et stars du jazz se rencontrent pour des soirées à la Maison Blanche, invités par Kennedy.
Brubeck introduit le show avec son groupe et il rejoindra Tony Bennett en fin de seconde partie, tendu, prenant rapidement la place de Ralph Sharon. Là encore on remarquera la différence d’approche. Le concert de Brubeck fait part belle aux solistes sans pour autant déborder (pas de « Take Five » avec solo de batterie) et restant – contexte oblige – dans un jazz « de salon » et Tony présente un show chargé de ces american songs qui auront forcément séduit un public de haute société et placé le crooner, que désormais Sinatra placera en haut de son estime, dans des sphères de contrats « jet set » inestimables.
« Live at The Sahara – Las Vegas 1964 », introduit en fanfare par un orchestre de format big band (« Louis Basil and his orchestra ») qu’on sait directement conséquent et renforcé, sous les applaudissements fournis d’un public acquis nous emporte à Las Vegas, lieu mythique où tant de stars du showbiz se sont produites. Excellent témoignage de ce que le jazz et son répertoire de standards a pu devenir en se popularisant, ce concert fort bien capté pour l’époque transporte de bonheur simple et festif.
Le show est parfaitement rodé, Aznavour saura faire de même chez nous, usant de ces schémas d’enchainements, de ces encarts d’adressage au public rapidement déclamés sur fond de piano, le truc au cordeau quoi.
Tony, live, Tony dès qu’il chante – quoiqu’il chante du plus profond du blues, du plus mélodique de Broadway, du plus populaire de son Amérique - et empoigne le micro, c’est la personnification du bonheur (« Rags to the Riches » expédié tout en humour…).
D’ailleurs il n’y a qu’à voir son sourire sur la pochette…

Je pourrais ainsi continuer à vous parler avec passion des 70 albums de Tony Bennett, finalement grand jazzman devant l’éternel.
Un éternel qui lui a tendu les bras pour l’accueillir ce 21 juillet 2023 et qu’il est parti rejoindre nous laissant tout de même largement de quoi, en une carrière digne du plus grand des rêves américains, satisfaire notre appétit d’une certaine musique, le jazz, qui aura été sa direction avec la mise en avant de son patrimoine musical le plus ancré.
Avec Tony Bennett, le jazz a eu l’un de ses plus brillants interprètes et défenseurs.
Il l’aura popularisé avec amour, classe, brio, rendant le swing magique, mettant la romance à l’état de véritable art de vivre et d’être, racontant chaque chanson comme la toute première fois en faisant briller nos yeux et oreilles car l’enrubannant à chaque fois d’un nouvel enrobage, d’un nouveau décor musical.
Tony Bennett c’est et fut désormais une somme musicale, une œuvre indissociable d’une certaine Amérique et des rêves qu’en un temps pas si lointain elle nous a apporté.
Il a bien vécu et même si la maladie l’a diminué à la fin de sa vie, l’infini respect qu’il imposait lui a amené ce qu’il y a de meilleur dans la vie, des amis fidèles et présents et une formidable famille.

Merci à lui.
Il nous reste ici tellement de ce meilleur qu’il savait donner.




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