ENCORE MERCI...

 

KATHIA BUNIATISHVILI « LABYRINTH » - Sony Classical 2020.

Après H.Grimaud, voici venu le nouveau K.Buniatishvili.
Les femmes pianistes sont à l’honneur et tiennent le haut du podium.

Là encore, j’attends toujours avec impatience chaque nouvel opus de la formidable georgienne, une artiste, musicienne, pianiste et femme d’opinion pour laquelle j’ai, depuis que je l’ai découverte avec « Motherland », une admiration assez proche du « fan », sans bornes.

La critique négative sera aisée, le concept de cette nouvelle parution fera se réjouir ceux qui d’emblée aiment à trouver la brèche permettant d’ouvrir le flot d’opinions nauséeuses face à l’artiste aux prises de positions tranchées, aux looks de diva top model, au jeu incisif et puissant… aux choix d’interprétation personnels…
Pourtant ici, comme le laisse entendre ce titre évocateur de l’album, Khatia brouille les pistes… ses pistes.
Pas de compositeur mis en exergue, pas de ligne stylistique, pas de direction tracée ou balisée par esthétique, projet, interprétation au sens usé du terme ou encore réalité pianistique que tous attendent…
Le piano est bien là, mais cette donnée sonore semble superflue.
L’instrument devient le vecteur d’autres pensées, d’autres dimensions hors temps, hors espace cadré, se croisant dans cette perspective tortueuse que seul l’humain a su ériger autour de son existence.
Au gré de ce kaléidoscope vont se croiser, s’entrechoquer, se côtoyer ou s’observer, se respecter comme se distancier Bach, Chopin, Satie, Ligeti, Morricone, Glass, Pärt, Rachmaninov, Gainsbourg, Scarlatti, Liszt, Cage dont elle ose le silence absolu, une audace ? Non, un véritable sens musical.


Mélodies, thèmes fétiches, intemporels semblant inaccessibles, parfois emblématiques…


Elle est actrice, personnage, femme prise dans cet espace créé de toutes pièces par elle-même, ses sentiments, son esprit, ses convictions comme ses contradictions et elle passe de pièces en secteurs, de couloirs en chemins, faisant quelque pause sur sa vie et regardant l’avant, souvent… tout en étant là, pendant.
Encadrés par cette somptueuse mise en sonorité (une prise de son exceptionnelle – Salle P.Boulez Philharmonie de Paris) de cet espace cloisonné de touches noires et blanches, organisées diatoniquement et dont les vibrations sont comme un fil qui nous dirige, nous n’avons plus qu’à nous laisser faire et entrer dans son labyrinthe musical et mental.
Celui d’une femme, d’une artiste qui désormais s’est elle-même dépassée pour un retour à l’essentiel de l’essence artistique – la pensée qu’elle exprime du plus profond de son être.
D’arrangements (dont certains écrits/improvisés- ?- par elle-même) en pièces authentiques ce parcours intime chargé d’une musicalité dépassant ce seul terme charge d’un autre sens le passage de ces pièces dans le labyrinthe de nos esprits respectifs, les reliant et les connectant entre elles par une magie sonore émouvante.
On chemine, on ouvre une porte – le temps s’arrête… on reprend le chemin et… avant la fin qui ne saura être ultime... une étape d’un silence spirituellement apaisant va nous faire réfléchir… certainement sur nous-même.

« Le labyrinthe est notre esprit. Souvenirs de notre enfance dans une perspective d’adulte, le passé, le présent, pas le futur, car la vie est un instant dont le suivant est inconnaissable, et le labyrinthe est la vie.
Le labyrinthe est la douleur, les doutes, la rage, l’illumination, le soulagement, l’amour. Il est l’intellect qui trouve soulagement dans les émotions. Il est harmonie, contradictions, virages imprévus ou prévus de dits ou non-dits… ; les découvertes et disparitions de civilisations, d’époques, de genres, de différences en quête de solutions et de bonheur jusqu’à ce que barrières et divisions perdent leur raison d’être et s’évanouissent avant de réapparaître.
Dans ces méandres qui nous empêchent de trouver la sortie, nous compliquons encore un chemin qui peut être plus simple. Approcher de la fin tout en cherchant une issue, une aspiration infinie à la liberté, une dépendance de l’inconnaissable – telle est notre destinée ; créer à l’intérieur du labyrinthe afin de la supporter – notre accomplissement, même s’il risque de disparaître avec nous-mêmes. Un être humain, un rebelle de la nature, est éternellement vaincu. Peut-être ces éternelles défaites prouveront-elles son éternité.
Le labyrinthe est notre destin et notre création ; notre impasse et notre délivrance ; la polyphonie de la vie, des sens, des rêves réminiscents, du présent négligé, de l’avenir évasif… Le labyrinthe de notre esprit. » Notes du livret – K Buniatishvili.


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ROGER WATERS « Us +THEM » - 2020.

Décidément Floyd sans être reformé fait son retour.
Nick est remonté à la source, Roger quant à lui s’est arrêté à l’entrée du triangle et a repris le prisme.
Nick a remis au gout du jour l’audace, l’imagination et la force initiale, Roger a réinstallé la perfection, le ciselage, l’orfèvrerie dans nos regains de nostalgie…
L’un comme l’autre ont choisi la chaleur du public.
L’un sera allé à sa proximité relative, l’autre aura choisi l’immensité et la foule.
Est-ce bien ?
Est-ce utile ?
Est-ce… intéressant ?

Hors de ces considérations consistant à juger du bien fondé de remettre sur le tapis les inscrits en mémoire et éternels titres phares des albums floydiens que nous tous connaissons, ce parcours live se feuillette avec une certaine délectation nostalgique.
Comme si l’on écoutait pour la énième fois, mais dans une interprétation un peu nouvelle une œuvre classique, on prend plaisir à retrouver un chemin connu, un espace sécurisant aux infimes surprises.
Il y en a peu de ces surprises… ce jusqu’aux solos de guitare en mode copié collé… mais ils sont tellement ancrés dans nos mémoires que faire autrement, ou mieux semble devenu désormais inutile, impossible, trop déviant…
Nick aura pu le faire avec le Floyd des débuts et c’est bien là qu’il aura su nous accrocher – l’instabilité créatrice de Syd n’a pas pu inscrire à ce point chaque solo. Roger, en (ré)ouvrant la porte de « Dark Side » n’a pas vraiment le choix… il se doit de remettre David est son perfectionnisme soliste en évidence tant ses solos appartiennent au titre. « Another Brick in The Wall » en est bien la preuve concrète.
Alors de « Dark Side », en passant par « Animals » ou encore quelques oubliés de « Wish you were here » on savoure et on se dit que… on aurait certainement aimé que Richard soit encore là pour remettre ça en textures que lui seul savait tisser…
Mais il faut vite oublier ces considérations parasites et se recentrer là sur ce moment chargé d’envie, de plaisir et de partage qui passe comme un album photos que l’on ouvre un jour de rangement un peu désabusé…
On l’a sorti de l’étagère, on l’a dépoussiéré, puis la tentation a été forte de l’ouvrir et là… le flot des souvenirs est sorti… rires, larmes, émotions, blagues, regrets… la vie quoi…
Et Floyd en a fait partie, de cette vie…


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ANJA LECHNER/FRANCOIS COUTURIER « LONTANO » - ECM 2020.

Côté comm’ ECM a mis le paquet sur cet album et ils ont eu raison…

Anja Lechner, François Couturier sont deux artistes qui collaborent depuis quelques années déjà et croisent les univers, les esthétiques pour un langage qui au sortir n’appartient qu’à eux.
Savant mélange d’improvisation (qui oserait encore parler de jazz ?), de musique dite contemporaine, voir classique et de réminiscences traditionnelles – in fino un sorte de syntaxe ECM – cet album profile l’hiver, le chez soi, l’introspection et la réflexion.

Esthétiquement le packaging est comme toujours tant évocateur qu’ouvert sur l’évasion de l’esprit, l’entrée se fait donc en suivant cette mise en appétit visuelle … et spirituelle.
Intimiste et chargé de plénitude, d’intense expression (expressionniste…) comme toujours intemporelle, cette succession de pièces minimales sans être minimalistes organisées à partir d’un « Praeludium » pour se conclure en suspens par un « Postludium » passera par nombre d’images évocatrices (Prélude en berceuse, Vague, Solar, Shadow…) chacune installant sa petite carte postale qui permettra à l’esprit de divaguer, de rester attentif ou de simplement se laisser « inspirer ».

Le propos est profondément artistique et créatif, empreint d’une écoute et d’une sensibilité relationnelle et fusionnelle qui fait oublier l’instrument pour la musique, celui-ci devenant porteur de la pureté de l’expression.
Une expression qui, là où l’on croirait ne pouvoir entrer par idée d’austérité, balaie d’emblée toute appréhension pour rendre évident et direct un langage que bien d’autre chargeraient d’intellectualisme de forme.
Le son ECM au profit d’une telle dimension musicale où l’espace joue avec la prégnante proximité de chaque jeu instrumental est bien évidemment idéal pour donner à un tel projet artistique une valeur hors du commun temporel.

« Lontano » reste là, en suspens, comme ces brouillards de saison qui peinent à s’évaporer laissant deviner les contours de ces paysages que l’on croit familiers et qui deviennent alors différents, modifiant notre regard et nos sens pour les faire entrer dans de nouvelles dimensions, de nouvelles expressions, de nouvelles impressions…


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Encore merci…
Ici, au sortir de ces trois voyages je remarque que « le titre » s’efface au profit du temps et de la durée qui prendra une autre dimension que chacun jugera, appréhendera, estimera à sa façon.
Le titre… cet espace-temps limité qui aujourd’hui n’est plus qu’un éphémère et épisodique instant.
Un instant que certains croient suffisant ou important pour installer leurs gloires médiatiques et commerciale…
Le titre… cet espace-temps qui s’est vu séquestré par le 45 tours et les radios, puis estampillé comme valeur boursière par les classements de charts…

L’art semble reprendre ici reprendre son véritable pouvoir.
Au-delà des titres qui jalonnent ces albums et qui ne deviennent que passages et passerelles pour la pensée, les sentiments et l’expression... l’art réapparait et revient là dans toute son intemporalité.

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Encore merci…
La vie autour de nous ressemble à un vide que les médias remplissent de phrases encombrantes de non-sens et d’incohérence, que les politiques chargent de vacarme au désordre inintelligible.
La mort rode en virus, en terreur, en anarchie incontrôlable et la peur veut s’installer au plus profond de chacun relayée par les intérêts supérieurs qui surfent avec elle pour happer encore plus leurs parts respectives de pouvoirs.
L’art apporte un espace de pause face à cette débandade folle, face à ce vacarme angoissant…
De tels moments artistiques permettent non d’oublier, mais de se reposer et de réfléchir, de se poser et de méditer.
Et de se rappeler que le mot beau n’est pas vain, ni jeté en pâture à tout va… qu’il est simplement le reflet de ce que nous avons écouté et su faire entrer en nous ici.

 



 

Commentaires

  1. Décidément le Pink Floyd sort de son hibernation! J'irai écouter ça!!
    Le Katia B. a l'air bien, elle est un peu passée dans différentes émissions à la télé (si tu as manqué, un "Passage des arts" et dans "Basique"), je suppose qu'elle va y gagner en notoriété ;)

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    Réponses
    1. Hello Chris,
      Oui Floyd sans Floyd ou presque... est de retour...
      l'éternel cercle ou boucle des "modes" ?...
      Je ne bouderais pas ce plaisir car ce groupe fait partie de ceux qui m'ont fait imaginer que la musique pourrait être un métier, donc...

      Pour Khatia, j'ai noté ces émissions et je vais aller voir ça.
      J'ai encore réécouté cet album plusieurs fois, difficile de m'en passer car tant de plénitude.
      En ces temps ça fait un bien immense.

      merci d'être passée.
      Bonjour chez toi.
      Bizs

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  2. Et oui décidément.. y'a belle lurette que je suis conscient que je ne m'en sortirai jamais de ce coin musical. Je vois que pour ce Roger là, il y a un peu l'équipe de Jonathan Wilson. Je ne suis pas encore sorti de la salle du Roundhouse.. et puis j'embraye sur Us + Them.. la dimension sonore est évidemment stade et le choix des titres en fonction. Il place 1 ou 2 à lui.. plus calme.. et puis et puis je cherche et je trouve rien à dire, même sa voix embrumée me va. Ah si peut être, il pourrait se passer de The Wall...oh pis nan .. Et puis ..qu'est ce que j'aime l'album "Animals".
    Bon, juste, Nick a réussi à condenser l'esprit british dandy psyché avec un live d'une tenue sans age. Roger rappelle à l'ordre.
    eh Pax il parait qu'ils vont ressortir "Delicate Sound of Thender" colossalement re re et retruc.. Ils sont tous de la partie.
    Quand y'aura plus de virus dans les sinus, peut être on verra les 3 sur scène avec une équipe de dingue pour faire un big-bang de tout ça.

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    1. Comme une urgence... ces sorties, rééditions, etc...
      Hmmm...
      Allez, merci d'être passé et profitons pleinement, c'est fait pour .
      bizs

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