BIENTÔT L’AUTOMNE…

 

BIENTÔT L’AUTOMNE…

Les saisons, c’est comme les années…
Elles passent, se ressemblent parfois, ou pas, mais elles restent immuables…
Enfin presque car on constate que le climat, le « changement climatique », autre bataille pour un avenir bien préoccupant les fait bouger remettant en cause leur date butoir inscrite sur calendriers.

L’automne arrive donc et avec elle (préservons lui sa féminité) l’introspection, la mélancolie et toutes ces caractéristiques comportementales émotionnelles induites réellement ? culturellement ? physiquement ?...

J’aime l’automne.
Ses paysages, sa fraîcheur humide, son calme, ses couleurs…
Il y a forcément nombre de musiques qui « collent » à elle, tellement de titres lui ont été dédiée.
Saison propice à la « méditation », à se ressourcer, à réfléchir ou encore à la quiétude…

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VOCES 8 « After Silence » - Voces8 Records 2020.

Ils sont huit donc.
Ils chantent a capella, auréolés d’une réverbération d’église, de cathédrale parfois.
Ils chantent tout et de tout, dans un esprit méditatif général et avec une musicalité, une justesse, une cohésion qui laissent pantois.
Il en faut très peu pour entrer en douceur, mais sans pouvoir ou être capable d’en sortir, dans leur univers tant calme que puissant, tant hypnotique qu’instantanément addictif.
Beau…
Oui c’est bien le seul terme commun qui me vienne à l’esprit, un terme bien usuel que l’on exprime lorsque l’on est touché tant spirituellement que physiquement, intellectuellement ou sensoriellement…
Un terme bien généraliste qui sied à tous quand face à quelque chose de quelle que source ou sorte que cela soit, l’on ne peut que dire : beau…

Loin de ces réminiscences grégoriennes actualisées, loin de cette imagerie moyennageo-gothique que l’on a prisé un temps, Voce 8 a son chemin, sa « vision » esthétique et sonore.
Ici pas de réelle voix lead, ce même quand se détache un aigu ou un axe mélodique principal.
Ici huit ne font qu’un, sont écrits mais surtout interprétés comme tel.
Unis à l’extrême, scindés jusque dans les plus petits détails, habités par ce sens ample de l’espace mélodique, ces huit-là fascinent et méritent d’être explorés d’albums creusant le sillon renaissance/baroque en albums de reprises tant pop que jazz et bien entendu traditionnelles.

« After Silence » est leur dernière production.
Elle est copieuse, dense et intense en richesse vocale et intime.
Elle est irréelle avec pourtant l’instrument le plus réel que nous ayons : notre voix…

Oui, juste après le silence… le retour en paix du son par la voix.

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« VALENTINE » - Bill Frisell | Blue Note records 2020.
Rudy Royston / Drums – Thomas Morgan / Bass.

Bill Frisell c’est un son, une approche, un sens instrumental unique, sans pareil et immédiatement identifiable. Une personnalité qui parle par la guitare, électrique, jouée le plus simplement du monde semble- t-il et pourtant en une note, un accord bref, dès qu’elle apparait on sait que c’est lui.

Je le suis sporadiquement depuis des lustres, un « Rambler » chez ECM, son premier opus solo et son jeu démentiel dans le quartet de Garbarek me l’ont fait adopter directement.
Puis il y a eu cette B.O Buster Keaton, inédit, du grand art.
Un trio avec Elvin histoire de creuser le champ rythmique avec l’un des plus grands détenteurs de cette batterie sous auspices jazz, cette légende vivante, là encore unique.

En peu de temps, deux albums…
« Harmony » a précédé « Valentine ».
J’ai pensé en causer, forcément.
Celui-ci m’a fait m’attarder et rêver.
Bien qu’ Harmony puisse susciter le même état.

« Valentine »…

Il est en phase saisonnière…
Il est libre, sans l’être.
Il est rythmique tout en insufflant le recueillement ou la méditation.
Il a tous les penchants de la pop, country, jazz, trad et pourtant pas à un seul instant on ne peut l’expliquer par l’un de ces axes ou influences. Allez donc tenter d’expliquer ce qui se passe dans le titre éponyme à l’intro de batterie (et au beat improbable et pourtant évident), au jeu entre swing et torsions folkisantes, à la basse baladeuse… du jazz ? oui bien sûr… mais encore…
Il respire, est chargé de lyrisme mélodique et chante de bout en bout mais on peut se rattacher à un groove persistant et se laisser conter l’histoire par celui-ci.
Il est ouvert, éminemment ouvert, comme l’on ouvre un livre dont on sait qu’il va nous faire franchir des barrières, des étapes, des cloisons qui ne sont que nous-mêmes.
Il respire… chaque phrase respire, chaque entrée est mue par un souffle qui génère une phrase, une idée, une pensée même et le trilogue ou dialogue qu’elle incite.
Il fonctionne à trois, un trio c’est la formule relationnelle ternaire qui permet les interactions les plus diverses possible et voici ce qu’en dit l’intéressé :



Il y a les mathématiques physiques d’un trio », explique Bill Frisell. « Il y a tellement de force dedans, il peut pencher d'un côté, mais il restera toujours en place. La musique, c'est que tout le monde se fait confiance au point où tout le monde est dans un état d'esprit où l'on ne sait pas ce qui va se passer ensuite, et on se sent suffisamment en sécurité pour essayer quoi que ce soit. C’est comme si vous rêviez et que vous vous trouviez au bord d’une falaise, et que vous savez à un certain niveau que c’est un rêve, alors vous pouvez sauter. Avec cette musique, on pourrait faire ça. On pourrait tous les trois tenter des choses et on serait toujours saufs. C'est la confiance qui rend les risques possibles. » - source qobuz.

Chaque album de Frisell est une curiosité, une somme musicale indépendante et unique, une rencontre et une aventure auditive.
Celui-ci ne fait pas exception à tous les autres (pourquoi le ferait-il d’ailleurs ?) - et ce depuis…

« Winter turns to Spring »… ah, ces saisons inspirantes…

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ELYSIAN FIELDS « Transience of Life » / Microcultures 2020.

Avec eux, et ce dès les premières mesures, on sait qu’ils ne quittent jamais l’automne.
Ils doivent sortir de leur loft pour Central Park exclusivement lorsque les feuilles jonchent le sol de cette sensation de multicolore et ce ne sont pas les quelques incartades japonisantes très présentes ici qui iriseront l’ensemble de lumière printanière.

Un nouvel Elysian Fields c’est comme un grand vin, rouge bien évidemment.
C’est chargé de saveurs, de mélanges subtils et fins, de culture et d’exquises évocations.

Jenny est toujours au cœur des attentions.
Elle cultive depuis longtemps cette voix détachée, sensuelle, charnelle, susurrante et d’un érotisme luxueux, classieux installant immédiatement les fantasmes les plus romantiques ou ceux d’une belle époque avec un art dit nouveau. Ici Jenny a peut-être augmenté cette imagerie de l’évocation de geisha – elle a toujours été « une femme artiste ».
Oren Bloedow reste le maitre d’œuvre de l’ouvrage d’art qui de façon indéfinissable, en chansons qui peineront à être directement intitulées telles, s’appréhende en son entier.
Difficile d’imaginer un réel choix parmi cette succession poétique d’atmosphères au tempo souple et médium, au son certes pop penchant parfois vers un rock lourd et dark, mais perpétuant une identité décalée, underground, saisissable en quelques dérapages mélodiques aux formes inhabituelles et sinueuses, en quelques arpèges ou pseudo rythmiques de guitare aux positions donc couleurs atypiques, en ce son de batterie lourd sans l’être, simple et roots sans le revendiquer directement.
Les claviers discrets, minimalistes, sans être anecdotique, viennent parfois renforcer ce sentiment d’une musique « à part », à la force créatrice chargée de cultures passéistes mêlées, d’intemporalité.

Le spleen baudelairien est toujours présent, la musique d’Elysian Fields ça a toujours été cela, ce rapport poétique…
Et ici de plus, E. Alan Poe semble s’être invité à la noce automnale.

Cet album part comme il est entré, ayant suivi un crescendo progressif pour s’étioler, en toute torpeur, comme au sortir d’un rêve somnolé et ayant laissé un souvenir, une délicate sensation, un moment où le temps a évolué différemment, parallèle à la réalité.

Après le silence, peut être … ou certainement …

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RICHARD MICO (1590-1661) – « Pavans and Fancies » / Concerto di Viole – Ars Produktion 2020.

« Tous les matins du monde » a mis un éclairage tant bénéfique que salvateur sur l’instrument viole de gambe, le sortant de l’ombre, l’auréolant d’un mysticisme respectueux et respectable, le hissant sur les hautes sphères de l’élite musicale de l’époque où le temps ne s’étirait pas tel qu’on le considère aujourd’hui, où composer était une science et où la musique une éducation des plus nobles.
Qu’elle soit soliste ou encore de basse continue, surmontée de chiffres qui font encore les heures de planchage d’exercices des étudiants en harmonie, la viole de gambe se décline aussi en consort, à savoir un ensemble instrumental d’instruments généralement de la même famille mais aux tessitures différentes. Un consort peut aussi accueillir des familles d’instruments différents (Broken Consort).
Ce terme est employé en Angleterre de la fin du XVIe siècle au début du XVIIIe.

Une nature morte, plus exactement une « peinture coite », telle que l’on nommait ces représentations, ces images, à cette époque est le juste motif qui sert de pochette à l’album.
Des peintures qui se taisent jusque dans leur sens…
Une peinture morte me rappelle à mon souvenir (pour citer un certain Serge en chanson de Prévert, qui justement nous parle d’automne…) cette immobilité qui fait chercher le détail, fixer le trait, prendre la perspective, trouver la lumière et observer en cherchant, le sens ou son absence.

Richard Mico s’est consacré à la composition pour Consort de Violes – la famille Petre, noble, qui l’avait pris sous son aile prisait la musique en ensembles, possédait ces instruments, aussi en parfait éducateur musical et compositeur raffiné, il a écrit pour elles et eux, une quarantaine de ces pièces.
Puis à Londres il tiendra le poste d’organise de la reine Marie Henriette de France.
On pense que son inclinaison à composer pour ce type de formation instrumentale lui a permis également d’être en marge sécurisante (de protestant il se convertira au catholicisme) rapport aux menaces de persécution alors communes. Pas de texte en latin, pas de musique sacrée, juste un axe essentiellement musical, voilà qui lui a permis de « rester discret » tout en étant soutenu par ses premiers employeurs, la famille Petre, grand admirateurs, entre autre de W.Byrd.
Tout cela est fort bien détaillé dans le livret de l’album.

Est-ce sa sonorité ?
Sont-ce les compositions qui lui sont dédiées ?
Est-ce la sensation de mélancolie tant que de différentiation de la valeur du temps ?
Est-ce ce passéisme chargé de noble éducation et de style ?
Est-ce la beauté systématique qui enveloppe toute composition pour la viole chargée d’un chant mélancolique tant que majestueux et paisible, ce même dans les pièces « virtuoses » de certains compositeurs ?

La viole de gambe me fait apparaitre l’automne et le charge de toute cette imagerie picturale de ces natures désormais mortes, de ces paysages organisés où la chasse parfois s’invite.
Richard Miro, de pavanes (un style organisé en sa forme) en fantaisies plus libres permettant d’explorer toute la palette sonore des couleurs instrumentales de cet instrument aux déclinaisons de tessitures multiples et pas encore réellement « normalisé », est ici intemporel … ou figé dans le temps.

Je l’ai juste pris, ce temps… pour vagabonder au gré de ces tableaux musicaux dont le sens musical s’impose dans leur lente et savante progression, de détails en détours, de traits en émergences mélodiques…

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Oui, nous sommes bien -tôt… à l’automne.








Commentaires

  1. Complètement d'accord avec tes mots sur Jennifer Charles, ce duo est dans mes saisons.. ma came, même au printemps.. puis elle est allez vers Murat sur "Bang bang" et surtout la voix du superbe album "A bird on a poire". Avec lui aussi: Dan the Automator "Music to Make Love to Your Old Lady By". Un chant qui guérit, comme Hope Sandoval d'ailleurs.
    Merci pour l'info.. je ne savais même pas qu'il y avait un nouveau Elysian Fields

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    1. en fait, je suis régulièrement leur actu...
      et le nouveau, bah bah bah... superbe !

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