MÉTÉO JAZZ - AU FIL DU TEMPS ET DES SAISONS - Chapitre 2

2016 commence par une actualité qui nous remet dans l'axe du temps et de la vie/mort.
Je devrais-pourrais m'étendre sur les horreurs qui nous ont tous secoués, mais le billet polémique n'est pas encore, lui, suffisamment étoffé ici pour s'autoriser - j'y reviendrais peut être...
Ce mois de Janvier pourrait à lui seul être occasionné par des chroniques en blog (et l'est chez nombre de confrères chroniqueurs) tant l'actualité qui nous concerne est chargée de tristes nouvelles...

Michel Delpech, artiste assez vite mis sur l'étagère des télévisuelles variétés des Carpentier, Lemmy, icône rock intègre, intransigeante, engagée et représentative ("les français écoutent trop Johnny..." balança t'il dans une interview), Pierre Boulez, incontournable homme de musique et de culture ayant marqué de sa présence et de sa personnalité la cinquième république, Paul Bley, cet immense pianiste audacieux, free, au langage unique et si inimitable, complexe et ouvert...
Que ces quatre respectables personnalités de la sphère musique et culture qui nous concerne reposent en paix.
Grand respect et merci à eux ce, toutes esthétiques et clivages dépassés, chacun en son domaine était digne du plus grand intérêt et a mené sa carrière avec implication, engagement, vérité et croyance.
L'actualité c'est aussi Mr Lang, décidément bien amoureux qui se lance dans le dico exercice de chez Plon à l'occasion mitterrandiste...
Je le croyais à la retraite, notre normalisateur étatique de la culture, bah non, le voilà qui revient des étoiles plein les yeux - désolé cher politique de surf culturel, créateur de l'axiome destructeur de la véritable vie créative culturelle (la subvention...) et de la fête de l'amateurisme et des bistrots (euh pardon, de la musique...), je préfère largement le même dico mais consacré au rock par un certain De Caunes... il y aime des français, parmi tant d'autres amours déclarés...
Magma, vous savez, ceux qui ont su à prix fort mais avec authenticité défendre et s'engager dans une musique novatrice, sans concession, sans politique, sans soutien , sans subvention - des purs...
A chacun ses amours...

J'aurais temps ou courage, ou inspiration pour parler de nos quatre regrettées personnalités - le temps justement... revenons y.
Chapitre souvenirs météorologiques...

II -


« Live in Tokyo » fut donc mon « premier » Weather Report.
Un pavé, post ou inséré dans le Miles de Bitches Brew, ce gros porteur gourmand positionné justement par Joe et Wayne.
On y trouve « Directions », ce thème retrouvé pour un album davisien de « chutes » de studio, intitulé non par hasard « Directions ».
On l’avait entendu ce thème, désarticulé et jeté en plein live « Black Beauty », animé par un Chick Corea compulsif, tournicoté free par un Steve Grossman en quête d’une nouvelle direction - on le retrouve là, repris par son créateur, ce thème prétexte qui fut composé par Joe Zawinul pour son mentor Miles.



Ce live de 1972 est comme un pont entre deux sphères.
Accroché dans les avancées davisiennes il positionne son autre pilier vers une autre berge, « Orange Lady » en parfait nouveau point de mire.


La traversée faite, le nouveau territoire de jeu des pionniers est encore vierge et ils n’auront qu’à défricher, explorer, déchiffrer et imaginer de nouveaux codes puis pourquoi pas,  s’installer.

« Live in Tokyo » est un album rude, sans concessions, un album essentiel non seulement pour comprendre le chemin qui sera parcouru par Weather Report, mais aussi pour comprendre une époque où le jazz électrifié par les avancées davisiennes s’engageait dans cette voie, de façon créative, esthétique, novatrice et impliquée.
En live ce témoignage est vital, le jazz est encore à cette époque, une musique de scène.
Il l’est autant que les albums de Miles « Pangea » et « Agharta », enregistrés eux aussi en tournée japonaise, par Miles. 

Ce jazz-là n’ira guère plus loin, il se radicalisera, il se codifiera, il s’émancipera, deviendra virtuose ou démonstratif pour finalement, une fois installé dans l’étiquette jazz rock, devenir plus généralement « fusion ».
Pour l’instant, qui plus est, le studio et ses possibilités ne l’ont pas encore débauché et l’improvisation reste centrale, ce qui s’estompera progressivement comme je l’ai dit précédemment, dans les quêtes futures du groupe.
Shorter y est ici tout aussi inventif et puissant que dans le quintet de Miles et Zawinul est un claviériste coloriste qui met la virtuosité démonstrative au placard.
C’est un esthète et déjà un « amoureux » du son.
Miroslav Vitous y est irradiant, impressionnant, son langage jeune (jusqu’à la contrebasse wah wah) et entre deux mondes (mais aussi deux continents) prend de suite une place capitale, c’est un Jaco avant l’heure et on se rend déjà compte de la place importante (comme chez Miles d’ailleurs) réservée au  bassiste chez ce groupe précurseur.
Eric Gravatt se révèle un captivant batteur.
Il se positionne entre un jazz moderne et un langage binaire puissant, audacieux et penche vers le funk tribal, il est mis en couleurs ethniques (déjà...) par Don Um Romao, percussionniste de la lignée des Airto Moreira, tantôt rythmique mais surtout créateur de caractère, d’ambiance, de « climats »...

Sitôt écouté, sitôt acheté que ce « Live in Tokyo »...
Écouté par le biais de la médiathèque de la ville de Grenoble qui possédait un choix important d’albums tout azimut enclins à la découverte, acheté à prix d’or en Import Japonais, ces fameux imports mythiques de l’époque du vinyle, à prix exorbitants mais permettant d’acquérir des disques tant jazz qu’électric-jazz prisés des amateurs, collectionneurs amoureux de ces déviances originales et modernistes du « jazz ».
Un chef de file de ma discothèque d’ado que ce « Live in Tokyo » de suite mis sur cassette, afin de ne pas l’abîmer par l’usure du diamant sur le sillon...

Dès lors Weather Report et bien avant qu’il ne s’alourdisse  (« Heavy Weather ») sera resté en platine, systématiquement, régulièrement, obligatoirement.

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Je vous offre ici comme avec le précédent article sur Michael Franks, un petit tour d’horizon climatique et chaotique de "souvenirs" au gré d’une sélection arbitraire si ce n’est anarchique, comme la météo peut l’être en ces temps de dérèglements.
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Si le « Mysterious Traveler » s’introduisant en faux accents comme échappés d’un Tangerine Dream lunaire m’a de suite marqué et accroché - de par son gimmick pianistique sur lequel s’accroche la batterie pour tourner sans fin et sans réelle intention d’improvisation de soliste, mais plutôt comme une sorte de solo de rythmique - j’ai immédiatement et parallèlement retenu dans ma quête des pépites météorologiques une certaine « Boogie Woogie Waltz ».

Cette « valse » est installée sur une ligne véloce de contrebasse.
Le piano fender funk et traité à la wah wah de Joe lui donne la réplique et la métrique est déjà ancrée essentiellement sur la pulse (comme pour « Birdland », par la suite), celle-ci menée en trois/quatre battant par Eric Gravatt couplé à Don Um Romao.

« Boogie Woogie Waltz » fait entendre un Wayne Shorter reptilien, naviguant entre thème, inserts riffés et improvisations minimales et apportant là une approche peu courante du rôle de soliste.
Et puis, ce sera là aussi une idée captivante qui surgit, celle de mettre l’élément « à retenir » de la composition en ostinato aux trois quarts du morceau, sous la forme d’un riff « uni » qui reviendra nous hanter en fin de parcours.

Une rythmique immuable, un mouvement perpétuel qui oscille sans grande amplitude autour d’une pulsion implacable, deux thèmes minimalistes dont on ne sait si l’on doit les qualifier de thème, riff ou ritournelle - voire de simple gimmick rythmique, un développement harmonique inexistant ou du moins pas du tout support à développement – cela eut pu être prétexte à ouvrir l’improvisation plus libertaire, comme Miles, sur principes identiques, savait si bien le faire, mais le groupe, lui, préférera creuser ce seul sujet enfonçant la recherche rythmique en place de l’envolée lead.

Pourtant, si l’on prête attentivement l’oreille, à l’intérieur de tout cela de formidables solos sont propulsés par un Zawinul particulièrement véloce, tonique et inventif, Miroslav Vitous ne manque pas non plus d’imagination débordante et Wayne Shorter se plait à circuler parmi tout cela, mais en fait, à la sortie, rien ne reste...  à part ce drumming immobile et ces deux phrases minimales.

La leçon de Miles aura été parfaitement retenue (« Bitches Brew » - « In a Silent Way ») et nous assistons ici à sa réappropriation – également à sa continuité...

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Je vais sauter les étapes chronologiques et filer droit vers un album transitoire, marquant la fin d’une ère... l’ère Jaco.
Cet album est « Mr Gone ».

Je suis particulièrement attaché à celui-ci car au milieu des années 90 je dirigeais un ensemble appelé Interactif Orchestra (j’en dirige un nouveau du même nom d’ailleurs).
Cet ensemble reposait sur l’idée de faire jouer toutes générations confondues et tous niveaux confondus, des musiciens issus de milieux différents, de cultures différentes, de contextes différents.
On y trouvait des élèves de l’école de musique, des musiciens de l’harmonie municipale de Corbelin (38) et des amateurs avertis ou encore des professionnels (professeurs ou amis) venus participer à un projet différent, original de par son concept – une expérience.
C’étaient les années ONJ de Claude Barthélemy et mon ami trompettiste Joël me souffla l’idée d’organiser les pupitres en modules, au regard du nombre de participants (plus de 25 musiciens) et de l’instrumentarium hétéroclite.
Ainsi une section vents, une section « acoustique », une section jazz et une section électrique s’installèrent et naviguaient parmi ces modules les solistes, autonomes ou intégrés dans l’un d’eux.
Ces modules étaient mus par une écriture effectivement interactive que j’avais organisée de façon à ce que les parties puissent s’assembler de façon aléatoire, sur signaux, sur chiffres romains – cela se combinait au gré du développement des titres.

Pour installer cela il m’avait fallu réfléchir à un répertoire permettant de mettre en place cette conception tout en s'adaptant au contexte multiple des musiciens.
John Abercrombie et ses « Remember Hymn » et « Still » furent  choisis, de même que Gil Evans et son merveilleux « Zee Zee » ouvert par excellence et c’est en piochant dans mes vinyles que la lumière me fit choisir « Mr Gone » le titre éponyme, reposant sur une basse synthétique immuable, propulsé par un Tony Williams enflammé et mettant en avant des riffs de cuivres électriques Ellingtoniens.
A l’époque mes amis Georges Latanski et Daniel Goy (respectivement Batterie et Basse) s’étaient portés volontaires pour l’expérience.
Il se trouvait aussi, glissé dans cet album kaléidoscopique le titre "idéal" pour un bassiste venu amicalement mettre son talent au service de l’expérience : « River People », servi de plus par un Steve Gadd qui commençait à devenir la coqueluche des batteurs.
Ces deux titres furent donnés à de nombreux concerts et restent des souvenirs autant que – l’écoute revenue sur eux avec un recul des années – ils s’avèrent de sacrées compositions.

Weather Report- River People - YouTube

« River people » et sa basse omniprésente du fait de son pattern en double croches hyper compliqué à faire tourner, groover et également à tenir en tempo, présente - sous-jacent à cette masse sonique de Pastorius - bien des trappes et carpettes funky /disco des plus réjouissantes.
Gadd en open charley en est le dépositaire et il fait groover le titre de façon spectaculaire lui donnant une dimension qui permet de ne pas focaliser outre mesure sur cette basse à l’écriture technique complexe et volubile.

Weather Report- Mr Gone - YouTube

« Mr Gone » est, quant à  lui, l’un de ces morceaux écrits par Zawinul qui pourrait s’assimiler à une redite ou une lignée de « Birdland ».
Ce que j’y affectionne (hormis cette introduction synthétique spatio-temporelle) est cette basse synthétique  obstinée, au cheminement harmonique et digital tordu, compliqué mais qui à l’écoute s’avère évidence... les cuivres synthétiques doublés par Shorter (thème) puis riff synthétiques seuls sont une libération écrite qui tente de s’échapper d’elle et c’est là que Tony Williams a été débauché pour jouer un rôle décisif en s’amusant avec et autour d’elle.
L’intérêt que j’avais trouvé à ce titre était cette possibilité d’ouverture vers l’improvisation, le cadre fixé et joué par l’ensemble, avec des interventions de sections interactives, le soliste pouvait avoir une immense marge de manœuvre – Joël et Roland surent en tirer le meilleur et par la suite cela permit à des élèves de se frotter à l’impro pour en faire, comme certains par la suite, un langage professionnel (Steph).

L’album quant à lui est un voyage  bien souvent synthétique, il permet de formidables montées en puissance de Jaco Pastorius qui signe là quelques titres qui seront inscrits plus tard dans son répertoire et qui laissent pantois à l’écoute par leur maturité d’écriture et la virtuosité qu’il faut maîtriser pour les exécuter (« Punk Jazz » et « River People »). 

Il met au service de « the Elders » un accompagnement percussif inouï, donnant à ce titre de Wayne Shorter  une dimension jubilatoire inédite.

Wayne Shorter qui signe le magnifique « Pinocchio », travail d’orfèvre (Erskine aux drums) présentant un jazz futuriste sur une « tendance » qui n’avait pas échappé à Herbie Hancock, se posant lui aussi en même temps, avec Tony Williams et Jaco Pastorius les « Good Questions » sous un rayon de soleil vocodé (bien avant que Joe s’empare du magique objet de synthèse vocale – album Hancockien « Sunlight » précurseur du vocoder).

Mais cette fois c’est bien Joe Zawinul qui reprend les rênes du bureau météo, il compose ici la plupart des titres et parmi un axe (un besoin) bien perceptible de volonté d’un retour au jazz ternaire, il inonde le spectre de nouvelles trouvailles synthétiques, de latinismes sautillants contrôlés, de masses soniques enivrantes.
L’album est comme le collage de sa pochette, multiple, varié, décousu ou encore individualiste.
Jaco est sur le départ et signe là un dernier témoignage tant aux drums qu’à la basse, Peter a quasiment lâché l’affaire et cède à tiers/quart temps la place à la brillance de T.Williams ou à la carrure inventive de S.Gadd (il va même se contenter de jouer juste la charleston sur « Young and Fine ») - deux extrêmes qu’il savait synthétiser dans son jeu et qui faisaient merveille dans le groupe. Badrena est repassé chanter et percuter le « « the pursuit of the woman with the featured hat »  ce titre tendu d’ouverture.
Le chant se vocalise également ici plus qu’à l’accoutumée et Maurice White vient même sur le titre final « And Then » s’échapper un instant « soulfull » de EWF...



Malgré tout cela et peut être finalement à cause de tout cela, « Mr Gone » (avec son « Young and Fine » inoubliable et délicieux) est l’un des albums que je préfère écouter de nos pionniers.
Urgence, transition, instabilité sont perceptibles et imposent au groupe de se transcender, certainement, d’innover ou de creuser vers de nouvelles directions, à nouveau.
C’est du moins ainsi que je le perçois...

Je vais clore ce chapitre souvenirs avec ce groupe qui, vous l'aurez compris, aura jalonné depuis très longtemps ma petite vie musicale et professionnelle, par ce titre "Db Waltz", un hommage viennois de Joe Zawinul, sorti sur l'album "Domino Theory" en 1984.

1984, je suis engagé comme professeur de formation musicale, ce nouveau terme chargé de nouvelles directions pédagogiques qu'on venait de donner au rebutant solfège.
En intitulant formation musicale, avec une volonté d'élargissement du propos pédagogique vers des sphères plus culturelles on imagine sous de belles intentions, une évolution d'une "matière" toujours pointée du doigt comme la bête noire de la formation du jeune musicien.
Je ne m'étends pas sur le débat - aujourd'hui le solfège n'a guère changé et la formation musicale aura toujours été le fait d'individus conscients et non d'un axe se voulant institutionnalisé.
Question de personnes donc...

J'ai eu la chance d'avoir bien avant que ce terme n'imagine exister une professeure (Mme Anne Marie Durand) au Conservatoire de Grenoble pour laquelle la culture musicale comptait tout autant que le "solfège"...
Elle m'aura fait découvrir Messiaen, Stravinski, le jazz... du moins, par ses cours elle m'aura appris à les comprendre, les entendre et finalement donné les clés pour les transmettre à mon tour.
En 1984 je suis nommé professeur de cette nouvelle pédagogie à l'école de musique de Fontaine.
Je vais encore en auditeur aux cours de Mme Durand, j'ai besoin de progresser d'avantage mais aussi de mécanismes pédagogiques pour ma fonction et qui mieux qu'elle peut me les démontrer ?...
Elle va m'aider et son savoir sera un socle qui m'est encore référent aujourd'hui et que je ne cesse de mettre en ligne de direction, comme un enracinement de valeurs réelles.

Jazz Hot vient depuis quelques numéros d'ouvrir une page de relevés faits par des professionnels ou des amateurs très avertis (le solo de "God Bless the Child" de Jack DeJohnette repiqué par un jeune batteur fera chronique).
Je suis attentivement ces écrits musicaux et quand, en plus, ils sont agrémentés de commentaires, analyses (je me souviens l'analyse du "Good Bye Pork Pie Hat" qui m'a initié à l'ouverture compositionnelle à partir du schéma du blues, extraordinaire...), cela nourrit mon travail.
Parmi ces relevés va prendre place le solo de Joe Zawinul récemment gravé dans cette valse en ré bémol...
Ré bémol - pour un pianiste, c'est d'emblée (pire si l'on pense Do dièse) la totale de touches noires mais avec une facilité cependant sur les demi tons de la gamme majeure, à savoir la butée de la touche blanche vers la noire supérieure pour les deux mi dièse/ fa dièse et si dièse / do dièse - fa /solb et do / réb en Db).
Ma hantise de cette tonalité est passée depuis longtemps, mais je reste toujours inquiet quand je me dois de l'aborder (pire si c'est fa dièse...) - Ok, je parle chinois là...

Zawinul explique dans une interview (de mémoire) qu'il a pensé cette valse "comme une valse de Vienne"... je vous laisse le loisir de trouver le rapport, je ne suis toujours pas sûr à ce jour de l'avoir réellement trouvé ou du moins d'en avoir la certitude.
Joe Zawinul est un compositeur et un musicien complexe, ses pensées sont des méandres à décrypter et je n'aurais pas l'audace d'aller plus loin pour trouver la thèse de ce rapport viennois, mais il est là, quelque part.
Toujours est-il que le solo de synthé qu'il nous balance ici est ahurissant de "langage personnel", complètement hors sentiers battus, unique et inimitable car dépositaire Zawinul et issu d'un mode de pensée véritablement détaché de rapport, de précédent, complètement novateur, il déroute, surprend et pourtant est d'une implacable "logique" - une logique d'esprit de son exécutant qu'on aura au fil du temps fini par trouver presque familière, on finit à la longue certainement par s'habituer à la "bizarrerie"...

Weather Report en 1984 a trouvé une nouvelle vitesse de croisière et sa nouvelle section rythmique est d'une formidable efficacité.

Il y a là deux jeunes recrues qui apportent au propos un langage chargé de nouvelles techniques (et technologies) qui permet au groupe d'explorer encore plus avant, d'inventer encore, d'oser et de progresser.

Omar Hakim est un batteur préfigurant la nouvelle génération des Weckl et autres Portnoy.
Il dispose d'un arsenal de langage ancestral maîtrisé qu'il met au profit d’innovations tant techniques (cette façon de mêler les styles pour créer des rythmiques hybrides) que technologiques (insertion de la batterie électronique, des octapads, etc...) - cet axiome va permettre de nouvelles aires de jeu pour Joe qui préfigure déjà son futur syndicat qui sera ensuite poussé par notre Paco Serry national, sorti d'un Sixun très très influencé à ses débuts par... Weather Report.

L'alter ego Victor Bailey est un de ces piliers tels que l'a été Michael Henderson chez Miles - son CV aujourd'hui est impressionnant et prouve qu'il est un bassiste réputé, solide et complet, pluraliste.
Là où Miroslav brillait de feux électrifiés, là où Jaco créait l'histoire, Victor Bailey aura su chez Weather Report, repositionner la basse sur des fonctions de fondation, de soutien, de socle, laissant la part soliste lead à Joe et Wayne... tout en y prenant une autre part (ses lignes sont toujours immédiatement identifiables et sortent du spectre, il soutient parfois les thèmes en unissons et on lui octroie des solos de rythmique fondus avec la batterie).

A leurs côtés Jose Rossy percute et et là c'est aussi une tendance déjà perceptible depuis un temps pour ce rôle affecté aux percussionnistes météorologiques, il complète rythmiquement le jeu foisonnant d'Hakim, tout en maintenant l'axe coloriste resté présent dans cette fonctionnalité instrumentale ancrée traditionnellement dans le son du groupe.

Cette valse aura donc eu toute notre attention en cours, nous y aurons décrypté le solo, repiqué les doudiouap daap, tenté de transcrire le complexe groove de drums à trois temps, capté l'octaveur de Bailey et en plein travail mon directeur de l'époque entrant en cours et surpris de voir qu'en formation musicale on abordait aussi ce répertoire aux côtés de Mozart, Beethoven ou Schubert, me refila rapidement la direction d'un ensemble d'élèves pas encore interactif, mais reposant sur ce précepte.
Weather Report semble donc déterminant dans ma vie de ce point de vue...

Weather Report - D Flat Waltz - YouTube

"Domino Theory" est un album complet, abouti, mur et solide.

Il pose des questions quant à une direction musicale à prendre et ce, dès la chanson (fait inhabituel chez le groupe que de chanter autre que des onomatopées)...
Quelle nouvelle mélodie ?
Que faire aujourd'hui pour être créatif, trouver "autre chose" qui n'ait été fait ?
Ces éternelles questions du créateur face à la densité créatrice, au passé, à l'histoire... sont chantées par Carl Anderson.
Weather Report - Can It be done - YouTube

C'est un album dense rythmiquement et qui pousse en ce sens, avec peu de répit.
Le titre éponyme est une tournerie hallucinatoire et hypnotisante bien représentative et qui me fascine.
Son axe rythmique et le rôle, le travail de la basse y sont peu qualifiables tant novateurs et il faudra attendre que Zawinul parte en solo ("Dialects" ou "Syndicate") pour que l'on puisse apprivoiser ce foisonnement rythmique ou tenter de s'y familiariser.
Weather Report - Domino Theory - YouTube

On y funkise à souhait avec un Shorter dominant au ténor et un passage brillant obligé à la mode slap.
Weather Report - Predator - YouTube
c'est juste énorme...

L'exploration spatiale y trouve une dimension inquiétante et chargée d'émotion (Wayne magistral).
Blue Sound - Note 3 - Weather Report
Les vocoders - l'intensité extrême - la pression - l'espace.
j'adore ce titre... ce cri de Shorter, libérateur, jouissif...

Et l'agacement en tourneries obsessionnelles répétitives va prendre là caractère entêtant et addictif, besoin compulsif - une fois en l'esprit s'en défaire est impossible
Là encore le vocoder est pouvoir, le langage futuriste est installé, le mix tribal jungle et robotique devient son, devient création, devient nouvel axiome.
The Peasant - Weather Report
et des tribus de peuplades extraterrestres vont pouvoir s'inviter à la fête interplanétaire guidées par ce groupe qui déjà savait prendre, dès ses débuts, de la hauteur sur notre espace terrestre.
Swamp Cabbage - Weather Report

nous partirons pour un voyage définitif et terminal lors d'un troisième chapitre...
en attendant je me suis juste permis de feuilleter l'album de mes souvenirs d'un temps où les saisons étaient encore à peu près distinctes.















Commentaires

  1. Alors, pour commencer l'écoute, tu conseillerais quoi? "Mr Gone"?

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    Réponses
    1. Là tu me poses une énigme...
      Mr Gone est peut être bien un bon point de départ après tout...
      Il est varié, testamentaire Pastorius et préfigure les échappées de Zawinul, alors go, tente le coup et bonne météo !
      à +, là je fais une pause actu et je reviendrais à Weather Report...
      merci d'être passée

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