PETITE PAUSE ELEKTRA / MUSICIANS

 PETITE PAUSE ELEKTRA / MUSICIANS

Allez, on continue nos pauses et on sort des bacs des albums sortis sur des labels, là pour le coup je reste jazz (ou du moins juste parfois en périphérie) …
Elektra Musicians c’est un label très eighties. Côté signatures créatives, mais pas que.
On y trouvera du jazz à tendance moderniste, actuel en ces années-là et ce label, lui aussi, deviendra très vite référence pour amateurs en mal de nouveautés, de reissues, d’expérimentations en tout genre …
Elektra, ça ratisse free, jeunes lions, jazz moderne et en même temps on rachète des trucs inédits, on les relifte, on signe des vétérans.
Bref Elektra / Musicians ça devient très vite une mine d’or pour amateurs du genre « jazz » avec tous ses périphériques. Mais c’est aussi plein de surprises pas franchement identifiables, une sorte de caractéristique que le seul terme de fusion ne peut pas forcément contenir, avec des albums ambitieux, conceptuels, instrumentalement et technologiquement très sophistiqués.

Puis, comme par hasard, ça a totalement disparu et on a commencé à se dire m… si j’avais su j’aurais acheté cet album à sa sortie car maintenant il est introuvable… on l’a parfois en K7 et on la garde alors précieusement quitte à la transférer sur le PC (Wavelab, vous connaissez ?).

Puis c’est passé Nonesuch, puis encore y’a Rhino qui réédite, mais sur un catalogue pas tant fourni que ça on a carrément des manques. Beaucoup de manques…
Bon si vous allez vers YouTube qui, parait-il (!...), devient le nouvel espace des fouineurs (je préfère tout de même un streaming de qualité, ou aller chez le dernier disquaire du coin, mais bon quand on n’a pas le choix…) en tous genres et c’est pas faux, vous en trouverez de ces Elektra / Musicians…
Alors.
Des grands tout de même :
Chick Corea et son merveilleux « Again and Again », par exemple.
Steps Ahead qui a posé là ses jalons en deux albums miraculeux, véritablement cultes.
Jimmy Smith est passé par là (un « Off the Top » éblouissant et un live tout autant), Bobby Mc Ferrin y a fait ses débuts et pas des moindres, Bill Evans, le pianiste obligatoire, y apparait avec des « Paris Concert » hautement recommandables et Bill Evans, le saxophoniste, lui aussi sorti de chez Miles (mais tellement plus tard…) a posé là sa fusion conceptuelle émergeante.
En résumé,
Elektra, moins typé et estampillé que les précédents labels, mais resté une référence tant de qualité que de curiosités échappatoires…
Allons jeter une oreille pour savoir de quoi il en retourne et découvrir là encore quelques petites perles sorties du joailler dont la boutique a malheureusement fermé.

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« Lessons in Living – Live at The Montreux jazz Festival july 21 1982 »
« Middle Class White Boy » 1982
MOSE ALLISON.

Le rapport direct avec la voix tant que le jeu pianistique de Ben Sidran est évidence.
On pourrait s’arrêter là.
J’ai acheté ces albums pour finalement ne les écouter que très/trop peu.
Mon penchant vers Sidran a pris le dessus.
Pourtant…

Le live à Montreux est ce genre de truc, par exemple, dans lequel tu vas, caractéristiquement ou pas du tout, rentrer… et c’est selon…
Mose arrive tout excité, il a récupéré au passage une équipe de sessions dont – chose absolument surprenante au regard de tellement de critères - Billy Cobham (bon quand on sait que Cobham habite à côté de Montreux, on se dit que Nobs a dû l’appeler pour faire le taff ce jour-là…).
Cela dit, le taff il le fait et sacrément bien, il booste le truc sans se la faire Cobham, d’ailleurs. Et on est très loin de l’idée habituelle qu’on s’en fait.
A ses côtés, à la basse il y a Jack Bruce. Les deux lascars ont monté un super groupe en 80, intitulé Jack Bruce and Friends. Jack Bruce dans un tel contexte c’est là encore plutôt, disons, intéressant car… il s’éclate le bougre… vraiment hors de l’image qu’on pourrait avoir de lui (si tant est qu’on serait arrivés à le suivre…).
Rameuté là encore et à la sonorité si reconnaissable le grand Eric Gale, sorte de transfuge de BB King au vibrato chantant sur cordes balance tout son savoir-blues, ça fonctionne diablement…
Reste Lou Donaldson, qui envoie dans le même sens, donc cerise et le gâteau est savoureux.

Mose est arrivé tout excité, on l’imagine sautillant, fracassant son piano, il est heureux !
Alors il balance la sauce, ça shuffle à qui mieux mieux, ça cavale sur les touches sans vergogne quitte à en foutre à côté, ça boogie woogie un peu, ça chante piano bar de fin de soirée, bref, c’est court, efficace, un set montreusien jubilatoire…
Le manager chauffeur de salle annonce l’affaire, ça emboite… et ce sera plié rapidos.
A peine terminé, il demande au public qui a vu passer en l’espace d’une étoile filante ce truc tant improbable que magique issu de l’instantané s’il en redemande encore et hop, on barre un tantinet vers le rock’nroll, le jive ? Enfin bref ce truc implacable qui aura ravi un public estival trempé en deux-deux, complètement et forcément enthousiasmé par ce passage fulgurant, bourré d’énergie et balancé en jam session.
Ils se sont bien marrés, éclatés et nous avec. Le disque ok, n’est pas inoubliable, mais le concert lui, a dû l’être. D’ailleurs y’a qu’à les entendre (le public) à la fin du rappel « Night-Club » pour comprendre qu’ils ont passé un grand moment…
Sûr, Billy, Jack, Lou et Éric en plein bœuf autour d’un Zébulon sur-vitaminé ça a dû être quelque chose.

Là-dessus je file ré-écouter ce « Middle Class White Boy » et son piano électrique d’une si rare sécheresse quasi clavinet/clavecin (un pianet ?) que je n’en ai jamais entendu de tel depuis, ce qui m’a donc marqué au premier tour d’album.
Bon, c’est up, très enlevé, c’est « relevé ».
Il y a là Philip Upchurch, un sacré guitariste, pour ceux qui connaissent…
Et puis, tout de même Joe Farrell n’est pas là en touriste, il balance des solos de sax à réveiller le quartier.
Les autres, c’est des inconnus du bataillon de session mais ils assurent car le lascar, faut le suivre dans ses élucubrations.
Ron Powell aux percussions qui débite un max, John Dentz à la batterie qui avance bougrement son shuffle – blues et Putter Smith qui retient tout ça car même en studio Mose est et reste à fond…
On aime le jazz blues côté petit blanc bec penchant parfois presque vers une country jazzée, un petit côté rock’n’rollesque, justement de classe moyenne ? C’est au creux de cet album qu’il faut aller s’encanailler. Ces mecs en veulent, leur leader ne laisse pas une seule seconde l’idée de ne pas en découdre et c’est de fait, très participatif.
On s’habituera au son vraiment inédit de ce piano, car, après tout seule la musique compte… et là, elle a pris rendez-vous au creux de chaque sillon.
J’ai redécouvert cet album avec un plaisir immense.
Et puis il y a l‘incontournable « Tennessee Waltz »…

L’un comme l’autre ne sont pas indissociables, mais les associer et les enchaîner c’est coup de boost du quotidien garanti sur facture et, heureusement, ceux-là, on les trouve encore… (du moins en streaming). Bref, quel pied !

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« Tradition in Transition » - CHICO FREEMAN | 1982

Tout pourrait finalement se résumer au titre de l’album.
On ouvre le volet avec « Jackie-Ing », de Monk, pas forcément la composition la plus jouée du grand défricheur sonore, pianistique, harmonique… du jazz.
Une première curiosité est la présence, au piano, de Jack DeJohnette, rien que ça… ça vaut le détour.
Wallace Roney balance la sauce, bon d’emblée, avec qui plus est une prise de son anti réverbérée ou presque, on se retrouve dans un axe qui, on l’a directement compris, va nous embarquer entre modernisme, tradition et free.
Le titre était donc significatif.
Cecil Mc Bee est à la contrebasse, un conducteur de travaux d’une forte personnalité et d’une empreinte immédiatement accrocheuse.
« Free association » et cette fois, Jack a pris la batterie, s’offre (nous) un solo débridé, de ceux qu’on aurait dû directement mettre en haut de sa carrière en estampille « exemplaire ».
Mais c’est free… alors forcément c’est à reculons que ça aura été abordé.
Pourtant « Mys-Story », discrète balade évolutive qui va se rythmer et s’accentuer, soulevée par les teintes impressionnistes de Clyde Criner au piano, expressément mise en lumière par le sax ténor tout en retenue revient presque dans cette idée de « tradition ».
Un moment de l’album de toute beauté.
« Talking Trash ». Chico a attrapé sa clarinette basse et ose une association sonore des plus réussies avec la trompette Harmon de Wallace. Pas de piano et un axe horizontal en dialogues qui agit tel un contrepoint moderniste, free bien entendu. Jack est un formidable incitateur et il arrive même à faire sortir Cecil du rang de son walking (au demeurant modèle du genre).
« Each on Teach one » est un retour presque monkien ou en réminiscence Jazz Messengers.
Cette fois c’est Billy Hart qui a pris les commandes de la batterie. Un jeu viril, foisonnant, qui motive les solistes et ne s’en laisse pas conter. Clyde oriente les chemins par des appuis harmoniques très ouverts et s’empare à la volée d’un solo des plus grands. Puis ce sera au tour de Billy de prendre place sur l’échiquier avec un solo déstructurant le positionnement rythmique initial tout en usant de nombre d’usages de la « tradition ». Une « pédale » de Cecil et, hop thème !

Nous sommes à la moitié de l’album et sa redécouverte me fait me souvenir que c’est certainement par là que j’ai progressivement jeté un certain dévolu sur le free, pas ce free de bazar juste là pour dire - non ce free ancré dans une tradition, et justement, la prenant en compte en l’amenant vers cette évolution logique du « patrimoine ».

Il est temps d’un interlude. C’est le cas.
« At a Glance » … Chico a pris la flûte, exprime en 1.13mn chrono un thème vaporeux, éthéré, au pont central latinisé. A-B-A, cela suffit et c’est bienfaiteur.

« The Tresspasser ». Cecil Mc Bee entre en lice, percutant, mélodique, hargneux, nerveux, soutenu par le drive de balais de Billy. Le thème est tortueux, les respirations offrent des espaces de tension plus que de relaxes, elles serviront d’argument.
Puis le mode hard bop s’impose et c’est parti avec là encore ces points d’accalmie. Chaque solo est un régal pur jus et il faut encore écouter le formidable jeu de Billy Hart, jongleur d’idées, faiseur d’initiatives, metteur en scène d’imaginations.
« In Spirit ». Wallace a pris la pause. Chico a ressorti la flûte et se pose pour une accalmie mélodique vaste et expressive. Clyde le suit à la trace avant de faire son propre chemin. Un pianiste plus que captivant ce Clyde Criner, là encore si peu (re)connu. Cecil explore tout le manche, brise ses lignes en puissants ornements et Billy est là encore, royal.
« A Prayer » va conclure piano / saxophone cet album absolument incontournable et représentatif d’une jeune génération de ces eighties revenue, après l’invasion électrique, à ses racines tout en voulant apporter une valeur ajoutée au free.
Cette prière n’est pas qu’anecdotique.
Elle conclut admirablement, en quelques notes, cet album que j’estime essentiel.

Deux titres d’environ une minute, juste pour exprimer un thème, ce sans improvisation, c’est là aussi un fait très rare que la réduction musicale à sa plus simple expression.
Décidément il y a dans ce « Tradition in Transition » largement de quoi satisfaire plus que de la curiosité.

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« AMERICAN CLASSIC » - Dexter Gordon | 1982
avec Shirley Scott / orgue, David Eubanks / basse, Eddie Gladden / batterie, Kirk Lightsey / piano. Guest Grover Whashington Jr.


Dexter Gordon a eu un très gros regain de popularité à la suite de la sortie du film de Tavernier « Autour de Minuit » dans lequel il jouait le rôle principal.
Une popularité toute légitime car il est un monument du jazz notre papy toujours souriant (ou presque, car dans le film c’est pas toujours la joie…).

Dexter Gordon c’est LE saxophoniste Hard Bop de chez Blue Note, des albums sous ce label tous aussi excellents qu’indispensables les uns que les autres.
Une sorte de montagne, un autre colosse du ténor.
L’exemple même de l’artiste qui te prend n’importe quel standard et en fait en une prise une version ultime, de légende – ici par exemple le commun mais cependant magnifique « Besame Mucho ».
Exercice incroyable à constater sous nos oreilles que cela…

Il sait s’entourer, impose le respect, a de la bouteille. Dexter c’est un vieux roublard du jazz, une sorte de bon père tranquille au sourire dégageant une sympathie absolue.
Mais ne nous leurrons pas, ce vétéran du jazz reste maître à bord et ici, en essayant peut être, qui sait, ce « nouveau » label, il déploie tout son sens aigu du propos.
Il est ici Dexter, tout simplement, c’est-à-dire qu’il ne va pas tenter de révolutionner le truc, de s’embarquer dans un free de bon aloi pour dire que…
Non, sans rester pour autant dans une zone que l’on aurait pour coutume d’appeler « de confort », le grand Dexter Gordon livre là un « nouveau cru », basé sur un savoir-faire fondamentalement bluesy dont il a un secret depuis des lustres.
Ça ne peut que fonctionner, et bien sûr que ça fonctionne.
Alors on entre tout sourire dans ce club virtuel car qu’il soit en studio ou live, Dexter ne fait certainement pas grande différence, il joue et se donne, un point c’est tout.

Deux axes émergent de cet album.
Le premier axe repose sur l’orgue.
Shirley Scott est ici admirable de qualité de jeu, à l’écoute tant qu’au soutien précis et parcimonieux, elle permet à la légende de surfer sur un tapis d’un moelleux à se pâmer de confort.
Dame Shirley s’octroie, de plus, le rôle de basse au pédalier, ce, en parfaite organiste qu’elle est et cette basse doucereuse permet à Dexter de « sucrer » d’avantage son jeu.
Pour le second axe, la présence de David Eubanks à la basse est associée au jeu pianistique pêchu tant que chantant de Kirk Lightsey.
Le jeu de Eddie Gladden est quant à lui en parfaite osmose avec ces deux directions.
C’est le batteur parfait pour ces contextes.
Lui, c’est… le « guest » ... et chaque solo de Grover Whashington Jr au soprano est un éclat de lumière… de celles qui inondent de leur bienfait l’atmosphère.

« American Classic » est album qui ravira et a ravi obligatoirement tous ceux dont le poil se dresse à la simple idée du mot jazz.
Il se conclut par « Skylark », cette si sensible balade… et l’on reste suspendus à cette subtile mélodie.
Et … en bonus, Dexter est interviewé, comme si l’album avait été enregistré d’un trait en radio puis l’artiste posé là afin d’en causer.
Un bon moment passé en sa compagnie…

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« Living in the crest of a Wave » - BILL EVANS | 1983.

Bill Evans tout frais sorti de chez Miles part en toute logique dans l’aventure solo.
Des projets solo il en fera un bon nombre et participera aussi à des groupes fusion incontournables, légendaires, presque dirais-je, ultimes…
Steps Ahead en post Michael Brecker, Mahavishnu Orchestra avec Hellborg, Cobham et Foreman… entre tant d’autres…

Le pochette présente un gamin souriant, irréel - le premier de la classe …

La musique c’est autre chose.
Bien sûr elle spécifiquement teintée fusion eighties, un son dont on aime à dire qu’il a « mal vieilli ».
Alors on pourrait effectivement être rebuté par l’entrée en matière avec ce groove samba jazz fusion bardé de synthèse Fm en tout genre, un son « acide » qui renforce celui perçant du soprano, instrument souvent usité dans ce « genre ».
Mais il faut passer au-delà et savoir apprécier le côté ambitieux du projet.
Pour mettre tout cela en place Bill Evans a su sacrément s’entourer…
L’équipe Metheny Group des débuts est aux manettes rythmiques avec Egan principalement à la basse (au son Fretless caractéristique).
Le solide Adam Nussbaum ou le subtil Danny Gottlieb se partagent la batterie.
Mitch Foreman met ses claviers à disposition et Bill Evans peut ainsi compléter ces textures sonores avec soprano, ténor, flutes, et les effets à la mode Harmo Nizer.

Et nous voilà avec un album plutôt conceptuel, un axe pas spécialement courant en jazz, ce même en fusion et c’est bien là l’intérêt et ce qu’il faut prendre en considération.

« Living in the crest of a Wave » n’est pas spécialement un album d’une approche aisée.
Il présente une musique qui puise ses sources dans des contrées sortant des repères que l’on voudrait bien avoir si l’on se réfère au jazz, ce même décliné sous toutes les formes d’actualité possibles.
Repères accentués par l’idée que l’on pourrait se faire de l’artiste et de ce qui l’a mis en avant médiatiquement.
Nous voici donc face, tout simplement, à de la musique …
Compositions ambitieuses, particulièrement bien structurées (« The Young and Old »), arrangées synthétiquement en concept orchestral (l’expert en la matière Mitch Foreman est le parfait acolyte pour cela tout comme le fut Lyle Mays pour Pat Metheny), jeu instrumental forcément de haute volée… c’est inventif, créatif, intelligent, actuel (considérons nous en 1983 et devant intégrer cette direction musicale quasi inédite rapport à l’étiquette à laquelle l’on souhaite qu’elle appartienne) et, sous une apparente froideur sonore, absolument expressif (« Past Thoughts » et un Mitch Foreman éblouissant au cœur de l’action musicale qui se conclut en un shuffle stratosphérique pour un solo de basse de la plus haute teneur).
Sauf… que « l’expression » prend un axe plus exclusivement textuel, global sans être spécifiquement ou exclusivement liée au seul jeu instrumental.

Hors des sentiers battus et proposant véritablement « autre chose », avec cet album, Bill Evans – une fois le choc et l’adaptation obligatoire passés – est entré dans ma ligne de mire symbolisant cette approche nouvelle de la musique, encore sous couvert du terme jazz (car reposant malgré tout sur les fondamentaux de son langage), instrumentale.
Conceptuel donc, cet album ne peut s’imaginer « par titres ».
Il se doit d’être abordé dans son ensemble et c’est bien là toute sa force.

Une conclusion digne d’un remake de Weather Report, avec le titre éponyme de l’album, part dans des espaces stellaires en achevant ce voyage franchement inédit, permettant à Bill Evans de rester – au ténor – en mémoire… en balançant un solo débridé, sur nappes obsessionnelles.


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« On the Line » - LEE RITENOUR | 1983

Quand on parle de projet ambitieux…
Le casting d’abord, car quelque part ça compte : Dave et Don Grusin ainsi que Greg Mathieson aux claviers, Anthony Jackson et Nathan East à la basse, Ernie Watts au saxophone, Lenny Castro et Steve Foreman aux percussion et Harvey Mason à la batterie – Lee Ritenour à la guitare.

Lee Ritenour c’est le zicos de studio par excellence, en sessions, puis avec une très grosse carrière solo, il est quelque part un artiste culte pour les guitaristes. Mais ses productions restent impossibles à réellement identifier au niveau style (bien que souvent aujourd’hui, pour les dernières, là encore, elle sont classées en « smooth », le nouveau fourre-tout).

Quand je commençais à enseigner, pile dans ces années 80 naissantes, il n’était pas rare que des élèves me demandent si je connaissais ce guitariste de « rock » extraordinaire…
Personnellement j’ai toujours beaucoup apprécié tant l’artiste que le bonhomme.
L’idée systématique d’un gars heureux de ce que la musique (et son talent) lui a apporté dans la vie.
Pas vraiment prise de tête, avec un niveau tant technique que d’approche qui laisse tout de même rêveur.
Lee est souvent associé à Dave Grusin et chez GRP ils ont enregistré un paquet de très bons albums.
Une association des plus fructueuses.

« On the Line » est un album là aussi plutôt conceptuel.
Intéressant à nombre d’égards.
Je me souviens très bien quand je l’ai découvert.
J’ai commencé par le bouder – je crois que j’imaginais « autre chose » - puis je l’ai mis sur K7, pour la voiture.
A l’époque zapper ou embobiner en vitesse rapide ça ne servait pas à grand-chose…
Si t’avais un autoreverse (système qui t’évitait de retourner la K7 pour la lecture de la face B) c’était un luxe indéniable.
Lee et « On the Line » étaient donc sur la face B et comme je me fadais des km de route pour aller de Grenoble à l’école de musique interco du fin fond de l’Isère (on a fini par y habiter et fort heureusement car de là j’ai vraiment pu décoller professionnellement et artistiquement), il y avait bien un moment où « On the Line » entrait dans l’habitacle.
De là, à force, j’ai fini non seulement par l’apprécier mais finalement par le considérer comme l’un des albums les plus intéressants de sa carrière.
Pourquoi ?
Avant tout par ses compositions (sans parler des arrangements lumineux) …
Ici pas de démonstration guitaristique « à la mode » telles qu’en ces années post jazz-rock on se croyait encore obligé, guitariste, d’en présenter. Faut dire qu’après le Al di … et John Mc, fallait bien faire sa place. Je ne dis pas que Lee était tombé dans le panneau, mais il s’en fallait parfois de peu.
Ici il y a certainement l’une de ses plus belles compositions : « Dolphin Dreams », placée stratégiquement dans l’album et remarquablement exprimée par Ernie Watts, cet immense saxophoniste à la voix incroyablement repérable, ce, dès qu’il embouche.
« Pedestrian » tout comme « California Roll » et l’intro de « Heavenly Bodies » m’ont convaincu que j’avais fait le bon choix à cette époque en achetant ma batterie Simmons, analogique, la SDS7, une merveille que l’on apprécie fort bien ici. Ça a pu aider à aimer cet album ?... Hmm, pas si sûr…
mais j’y ai piqué un max non de plans mais de réglages… tiens donc, une nouvelle donne en ces années 80 que l’influence du… son.

Finalement, je crois bien que c’est cette douceur tonale, pop, chantante, mélodique, nettoyée de toute esbrouffe, qui m’a au fil des écoutes séduit, puis permis de dépasser l’envie de justement un peu plus de technicité.
« Heavenly Bodies », est un parfait exemple de ce "sentiment".
La mélodie est aérienne, ça module élégamment, les claviers sont majestueux, Lee est dans le son et la basse ainsi que la batterie d’ailleurs suivent avec littérature écrite le chemin dessiné sur la portée.
Puis Lee prend le solo et là… respect, leçon de choses, cours de classe, de sobriété, de maîtrise du sujet…
Peut être bien que pour le coup j’ai là, rembobiné la K7 de nombreuses fois.

Temps de m’arrêter sur la pochette aux lignes architecturales métriques, organisées, calibrée…
Tout numérique…
Oui, ici c’est le cas et c’est certainement ce qui aura fait mettre aux placards de telles productions représentatives du son de cette époque où les synthés commençaient à être du « tout en un », où la batterie passait de la peau au plastique rigidifié, où les basses désiraient avoir plus de cordes…
La prise de son est oh combien ancrée dans cette décennie eighties.

Pourtant impossible de déconsidérer cet album qui reste à mon sens l’un des plus captivants de cette période jazz fusion, car véritablement axé sur la musique ce, au-delà des axiomes habituels de technicité instrumentale. Qui plus est, le mode d’écriture est bien plus pop qu’estampillé jazz, mélodiquement mais surtout harmoniquement et justement cela éclaircit le propos, le rend plus souple, plus « aéré » et pur.
Par la suite, Lee va creuser d’avantage ce sillon musical vers des contrées plus rock, du moins cet état rock en vogue dans ces années où la new wave prend le dessus. Il va ainsi déboussoler ses suiveurs du passé. Il va s’en faire de nouveaux, mais ce sera éphémère et il faudra attendre un peu pour que, GRP en ligne directrice, il reprenne le flambeau d’une carrière au demeurant captivante.


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« The Introduction » - Steve Morse | 1984.
Steve Morse joue tout ce qui est harmonique (guitares et claviers), Terry Lavitz (Players) est au piano, Rod Morgenstein à la batterie, Jerry Peek à la basse.

Il aurait pu devenir le nouveau Steve Vai, le nouveau Joe Satriani ou supplanter Van Halen avec un tel album.
Feu d’artifice !
Puis finalement il est devenu le second (ou le "nouveau") Tommy Bolin chez Purple. Bolin qui lui aussi jouait tous genres (y compris chez Cobham, cf "Stratus").
Le rock hyper tech toutes guitares dehors, sur post Jeff Beck encore plus, plus, plus…
« Cruise Missile » c’est directement le « Space Boogie » de Jeff, les solos c’est du très haut niveau instrumental et les lascars s’en donnent comme des gamins, à cœur joie.
On appréciera… ou pas…
« General Lee » en mode pickin’ so country et duo avec Albert Lee, c’est direct irrésistible et fiche la bonne humeur.
« The Introduction » introduit là un petit gars plein de promesses, solide, généreux en déluges de notes, bien trempé dans le rock, ce heavy rock instrumental qui commence sérieusement à s’installer dans le paysage (Satriani était au début affiché jazz-rock).
Ce n’est pas toujours captivant (« V.H.F ») et ses arpèges baroques pour dire…
En revanche quand ça décolle, c’est lourdement bon (« On the pipe »).
C’est parfois chargé d’illusions anciennes (Tiens que fait donc Richie maintenant ?) – « The Whistle », ça lorgne vers le country jazz (« Mountain Waltz ») et on se laisse prendre à l’affaire, ça barre grave vers le prog symphonique sous couvert de gros blues en mode jam session (« Huron River Blues »).

Steve Morse a eu là, en entrant dans le prestigieux et récent label l’occasion de se mettre en page une sacrée carte de visite doublée d’un CV court mais suffisant pour un ‘tit jeune encore peu expérimenté.
Avec un tel jet de compétences il était sûr de trouver du boulot et on reste vachement admiratif de son dernier solo, tout comme de celui de basse d’ailleurs.
Ils finissent comme des allumés ébahis sur une scène de Woodstock, un peu à l’arrache, au regard, au feeling…

Et nous, on se retire là avec Steve Morse, preuve conclusive de ce qu’Elektra Musicians pouvait signer de multiplicité. Peut être est-ce là ce qui a fait que le label a trop peu existé ?
Car effectivement si l’on se réfère seulement à ce que j’ai présenté ici, on est un peu dérouté quant aux choix de direction artistique du label, là où beaucoup d’autres ont, soit des directions réellement affichées, soit des catégories distinctes…
Ici on a le sentiment que l’artiste signé est simplement un « coup de cœur » quel que soit son domaine de prédilection.
Ici cela aura permis à certains d’essayer, de sortir de leurs habitudes, d’engager de nouvelles esthétiques.
Le label a aussi sorti de fantastiques live, tels que celui de Mose Allison.

En tout cas, sous cette diversité semblant foutraque, il est bien rare qu’un album du label ne soit inintéressant, tout au plus sera-t-il anecdotique, bien souvent il sera légendaire ou culte…

Mais écoutez en sus :
- « The Voice » / « Bobby Mc Ferrin » - Bobby Mc Ferrin
- « Steps Ahead » / « Modern Times » - Steps Ahead
- « Again and Again » / « Echoes of an Era » / « The Griffith Park Collection » - Chick Corea
- « Desire » - Tom Scott
- « Off the Top » / « Keep on Comin’ » - Jimmy Smith
- « Etudes » - Ron Carter.

Et tant d’autres…

 






 


 

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