CARLA BLEY – Saison 6 / Conclusive ?
CARLA BLEY – Saison 6 / Conclusive ?
Conclure…
Sans clôture réelle car on en attend toujours encore plus, un peu, d’avantage…
J’ai passé nombre d’albums et périphériques en revue, parcouru la musique
évolutive de la dame.
J’en aurai forcément oublié, tant sa discographie, donc son œuvre, est
impressionnante de pluralité, de qualité et d’exigence.
De créativité, d’innovation réelle et authentique, empreinte d’un temps
contemporain, assimilée à ce terme de jazz avec lequel elle s’est d’emblée posée
sur les premières marches d’une certaine avant-garde.
Un art de l’écriture, de la cohérence, du détail musical.
Un sens parfait du trait musical parfait, du contour précis et de la ligne
directrice d’évidence avec des partitions tout sauf… évidentes du côté de l’exécutant.
Un sens du développement, de la prise en compte de la personnalité des
solistes.
Un sens esthétique du timbre et de l’arrangement de ceux-ci, personnifiés, identifiés,
par son écriture.
Le souci de la forme et de la formule, du sérieux mais point trop, du texte et
du prétexte toujours là, présents, immédiatement lisibles en suites, en
organisations internes, en répartition de rôles et clichés autoproclamés mais
également en référencements biaisés… ou pas.
…
Carla Bley est une aventure musicale à elle seule.
Une sorte d’univers « en soi », central ou périphérique, peu importe,
mais une fois qu’on a ouvert la porte qui permet de le pénétrer voici que
possiblement très vite, y revenir, reprendre, remettre et repartir en
découvertes devient vite addictif, comme si sa musique prenait rapidement une
place essentielle car chargée de tant d’émotions, d’intimité, d’intense
expression, de don absolu.
Tout cela avec une paradoxale pudeur, teintée souvent d’humour pour ne pas
dire, ou moins dire.
Tout cela présenté avec un art savamment élaboré, où l’idée de hasard n’est pas
« non-contrôle » ou expérimentation de mise.
…
Plus je l’ai écoutée et réécoutée voir plus encore, plus sa musique m’est
apparue devoir appartenir essentiellement à l’idée de grande œuvre musicale et
artistique représentative du XXe et du début du XXIe…
…
Je ferais donc ma conclusion sur trois albums, souvent constitués de suites en
trois parties, parfois à trois temps, et réalisées en trio… et élaborés sur…
trois ans.
Une nouvelle règle de trois…
Le couple Carla Bley, au piano, Steve Swallow à la basse embarque avec lui dans
une aventure « à trois » le saxophoniste Andy Sheppard, compagnon de
route, ami, forcément et très proche de cette famille qui les entoure.
Ces trois albums corroborent ces opinions exprimées plus avant.
Qui peut prétendre aujourd’hui être réellement tributaire d’une telle œuvre, se
déclinant sur des décennies, ayant tracé son propre chemin, à partir d’une
adhésion esthétique ?
Qui est encore capable, sincèrement et réellement d’écrire, tant au niveau
créatif compositionnel qu’au niveau de la science de l’orchestration, du
développement et de l’écriture musicale, en soit, des pièces d’une telle teneur ?
On galvaude le terme d’œuvre, comme on galvaude celui de « star »,
mélangeant la quantité avec la qualité, confondant le foutoir cosmopolite et le
bavardage expérimental pseudo créatif avec la somme de l’ouvrage ciselé,
embarqué dans une(des) direction(s) et reflet indéniable d’identité et de
personnalité au foisonnement créatif.
Carla Bley…
Pas d’essai improbable, ce même dans les balbutiements de jeunesse.
Pas de superficialité au nom de l’expérimentation.
Et cette éternelle réalité de l’empreinte artistique et créative féminine.
A la fin des années 2010 Carla Bley est opérée d’une tumeur au cerveau.
« Life goes on » suite éponyme exprime cette douloureuse période – l’album
sorti en 2020 est le dernier de ce triptyque.
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2013 – Trios
2016 – Andando el Tiempo
2020 – Life Goes On
ECM et non WATTS.
Des reprises intimistes du répertoire, réécrit et réarrangé, dépouillé pour le
concept.
Des suites, souvent des commandes.
Le premier constat qui s’impose ici, à l’écoute de cette trilogie dont
distinguer l’un ou l’autre des albums, ceux-ci désormais « sortis »,
semble l’apparition – enfin – de Carla Bley pianiste.
Réellement pianiste…
Souvent caché en synthèse d’écriture son jeu pianistique n’avait que rarement
jusqu’ici été aussi véritablement évident.
Un jeu subtil, nuancé, sobre sans pour autant être - comme ses détracteurs l’ont
parfois dit – sans « technique ».
Un jeu précis, détaillé (comme son écriture), raffiné même.
Féminin donc.
Le second se fera au détour de pièces de son répertoire ici nettoyées de leur orchestration
et remises sur l’échelle d’une écoute de sobriété, d’essentiel, de minimal
(sans aller vers minimalisme – quoique parfois…). Je note au hasard « Wildlife »
où le dessin mélodique des parties mirifiques de l’original se retrouve dans sa
plus simple et plus authentique expression.
En troisième lieu, si l’art du trio est prôné par certains en tête de gondole de
leurs albums tous aussi semblables et soporifiques les uns que les autres en n’apportant
pas grand-chose à cette idée de langage à trois, ici sous une forme chambriste
(donc sans batterie mais avec le saxophone), une communion sur et sous une
écriture lui étant dédiée est immédiate entre les protagonistes.
La seule musique parle et il n’est nullement besoin de verbiage inutile.
Prises de paroles, écriture et places sont équitables.
Pas de lead, même lors de solos, qui ne sont jamais « de forme »,
mais toujours cette expression de l’individu au profit du collectif et du texte
musical.
La parfaite musique de chambre donc, jusque dans sa « définition »
sonore.
En quatrième constat c’est comme si l’on se retrouvait face
à la musique de Carla Bley « dénudée », réduite à sa plus simple et
plus efficace expression. Et si je mets en avant le terme expression c’est
parce qu’ici elle est dans chaque recoin, entre et sur chaque note et la
facétie, l’humour, même s’ils semblent vouloir de temps à autre ressurgir comme
un fait coutumier sont contraints à s’aligner sur cette ligne expressive
directrice.
Je peux ainsi en décliner des constats…
Inutile.
Mais par contre, l’écoute et la possession de ces trois monuments musicaux m’apparait
comme incontournable non seulement pour les suiveurs de la grande artiste…
Mais surtout pour tout amateur de plaisir passant par la musique, épicurien de
la beauté sonore, admirateur de l’espace intemporel que procure l’art.
…
Carla Bley et ses comparses, sa famille, ses amis, son « entourage »
m’ont, au fil de ces chroniques, fait me recaptiver pour une musique
essentielle, authentique, unique et incontournable.
Celle d’une femme qui marque et marquera de son empreinte quelques décennies et
un terme associé – celui de jazz.
La beauté féminine n’a pas son pareil et elle peut avoir bien des formes.
Carla Bley l’a faite musique.
"Life Goes On" Quelle belle conclusion en forme d'ouverture. Toujours peu présent, dans les cartons. J'espère avoir davantage de temps dans les mois à venir (les années!) je m'installe un bureau, un espace consacré à la musique. Et je me suis mis une alerte CARLA BLEY de peur d'oublier les envies que tu as initiées. J'ai quelques albums de la dame, beaucoup d'écoutez de sa version de 8 1/2... mais peu en fait.
RépondreSupprimerEn attendant "Life..." tourne dans le petit appartement "rouge" de Pascale? Je n'ai que le Web ... et vos chroniques (et SPOTIFY & co) et c'est beaucoup.
Ce dernier chapitre est très touchant. Ton enthousiasme (Je peux voir une ligne proche juste avant la vénération) est communicatif. Je vais revenir à quelques pages de Jazz trop abandonné ces temps ci. Alors pourquoi pas repartir de prendre son bon pied.
Merci
Tu t'installes dans le sud ?
SupprimerParce que tu sais qu'en cas... se voir plus régulièrement.
Une sorte de vénération - j'y ai réfléchi et je me dis que peut être voir surement...
Ces chroniques épisodiques sur et autour de sa musique m'ont rendu encore plus accro de son art, de sa personnalité, de son savoir être et faire.
J'ai toujours écouté Carla Bley et ce depuis des lustres mais là, je l'ai réabordée avec un angle plus en forme zoom pour les recettes, les détails, les usages et grand angle pour l'atmosphère, l'art de la forme, cette capacité du développement, de la suite, de l'écriture...
Il me fallait conclure et ces albums en trio sonnent comme une somme synthétique et intimiste d'une œuvre. S'il n'y avait qu'eux me dis-je parfois, après tout on saurait peut être largement s'en contenter tant leur pertinence musicale et artistique est dans chaque contour.
Comme toujours merci de ton passage ici.
La blogosphère apparait comme calme - la vie et ce qu'elle engendre a repris bien des droits.
Question d'époque certainement.
Bien à toi (vous) et bon emménagement.
Amitiés
Dans un sud, oui, mais côté Dordogne, BERGERAC. Mais nous restons fidèle à Menton. Quand la retraite va s'imposer nous aurons davantage de souplesse de mouvements.
SupprimerUne fois installé dans notre maison j'aurai ma salle de musique .. et j'ouvrirai avec quelques sujets. Blog endormi? C'est vrai. Mais écrire - comme toi avec Carla finalement - c'est mon cadre d'écoute, mon moyen de m'attarder sur quelques oeuvres au lieu de passer mon temps à papillonner.