CARLA BLEY – Saison 4 « Origines, déviances, influences et parallèles » - Chapitre 3.
CARLA BLEY – Saison 4 « Origines, déviances, influences
et parallèles » - Chapitre 3.
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MIKE WESTBROOK – « The Cortege » / ENJA 1982.
Pas certain que l’on veuille bien faire un rapport direct avec dame Carla,
concernant cet album de Mike Westbrook, pourtant, dès que je l’ai découvert
cette « filiation » parallèle m’est immédiatement venue à l’esprit.
L’écriture certainement…
La philosophie, aussi…
Cette écriture et cette conception semblant droites sorties de l’époque d’escalator,
avec là encore, un opéra jazz. Celui-ci a été initialement imaginé sur le socle
des processions funéraires de la Nouvelle Orléans.
Il faut un argument.
Une idée…
Et de la matière…
Un opéra / théâtre musical burlesque… qui va s’élaborer au gré de poésies mises
en forme mélodique sous un art orchestral typiquement jazz-européen.
Des poèmes de Garcia Lorca, Rimbaud, Hesse, Blake … chantés, déclamés,
interprétés, scénographiés vocalement par Kate Westbrook sorte de mix entre
Dagmar Krause (Henry Cow), Lotte Lenya (épouse de Kurt Weill), Laureen Newton
(Vienna Art Orchestra) …
La musique d’ailleurs, ce « jazz » torturé, à l’orchestration qui va
mêler cuivres, anches, cordes, guitares électriques barrées, rythmique
multifacettes… nous embarque dans des us sortis de Carla/Rota/Weill et un
certain Zappa, il va de soi - mais, école anglaise et plus particulièrement
Canterbury (avec laquelle Carla Bley a flirté au contact de Nick Mason, Robert
Wyatt…) oblige c’est aussi vers ce R.I.O (Rock In Opposition) voir même les King
Crimson première mouture aux accents épiques, free (l’apport de Keith Tippett),
usant de compléments instrumentaux que je pense souvent en écoutant ce
monument.
Car là encore c’en est un.
« The Cortège » est une œuvre ambitieuse, là aussi unique et
atypique, envoutante et captivante.
Une œuvre à l’écriture qui mélange les influences, un peu comme le fait Carla
Bley, osant s’aventurer dans des contrées qui n’hésitent pas à inviter les
voisins de l’extrême.
Des voisins souvent situés dans les limites esthétiques de leurs propres
univers qu’ils viennent ici présenter sur un plateau enivrant et délicieux.
Là aussi une liberté expressive côtoie une écriture savante récupérant tant le
jazz que le dodécaphonisme, l’axe Broadway/Berlin-Cabaret Européen théâtral brisé
par l’inclusion d’un rock qui a pris d’autres chemins…
Chaque titre est une réelle invitation à un voyage changeant aux visions qui, à
chaque angle d’écoute prennent des aspects différents, une sorte de mirage…
Le fleuron des musiciens hors cadre n’est pas ici par hasard, de Lindsay Cooper
(bassoniste de Henry Cow) à Chris Biscoe, de Steve Cook à Brian Goodings, il y
aussi Phil Minton…
« The Cortège » enfin aisé à trouver et à se procurer est un détour
parallèle à faire, juste à côté de Carla, une direction autre, mais avec tant
de similitudes de pensée, d’ouverture, d’intelligence, de savoir-faire aussi.
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ITALIAN INSTABILE ORCHESTRA – « Skies of Europe » / E.C.M 1995
Parler de l’Instabile Orchestra et de son chef Bruno Tommaso c’est me replonger
dans un souvenir gravé en mémoire et ineffaçable car tellement porteur d’idées,
de compréhension, de fascination aussi.
C’était il y a un paquet d’années, 95 justement…
Une session de plusieurs séances de master classes avait été organisés par le
dpt Savoie envers les Big Bands du dpt.
Les musiciens et leurs chefs étaient invités à participer.
Trois week-ends passionnants.
Tomasso, Cugny et Badault.
Je laisse le troisième de côté, provocateur, intello démonstratif et pourtant j’ai
tiré un max de sa session. Il faut user des paradoxes.
Pour le second je n’ai jamais caché mon admiration envers Mr Cugny, mais je ne
veux pas m’égarer.
La première session était avec Bruno Tomasso et sa vision qu’il transmettait
avec une pédagogie détaillée, déroutante et faisant appel à l’intelligence, la
culture tant que l’autonomie m’a, tout de suite, interpellé.
Il m’a directement mis « dans le jus » face à un score d’une rare
écriture, m’expliquant qu’il fallait prendre en considération tant Nino Rota
que Carla Bley mais aussi Vivaldi et Verdi.
Bref, l’idée en tant que chef d’une formation estampillée « ONJ » à l’italienne
que la culture prévaut et qu’un tel ensemble se doit d’avoir une appartenance.
On a d’ailleurs parlé du Vienna Art, référent obligé de cette philosophie de
patrimoine musical et de fait, de Carla, pour laquelle il ne me cachait pas son
admiration, heureux de constater que déjà, je visais une musique dans ses orientations,
avec mon second interactif orchestra.
Il ne m’a pas épargné non plus, car la direction de sa musique impliquait
nombre de changements comportementaux, de réflexes différents pour lesquels il
fallait gérer entre liberté et ne pas la réellement contrôler et écriture
rigoureuse, avec parfois un mélange des deux.
Et une extrême exigence de l’articulation, de la nuance, du détail.
J’ai beaucoup écouté et été inspiré par ce jazz européen dans lequel je me suis
souvent retrouvé car représentatif culturellement.
De nos ONJ c’est celui de Barthélémy qui m’a le plus influencé en la matière –
même si je dois à Mr Cugny l’essentiel de ma sphère d’influences.
Mais s’il est bien une artiste, compositrice et arrangeuse qui est revenue sur
le tapis, et ce, régulièrement, en schéma exemplaire, c’est bien dame Carla.
« Skies of Europe » est un témoignage tant captivant que déroutant de
cette écriture qui ose bien plus radicalement le free et qui va installer en
paradoxe une rigueur sous une folie libertaire semblant incontrôlable,
anarchique, désincarnée (« merù lo snob » en blues débridé côtoyant le
Gil Evans le plus excessif).
C’est un album qui mérite de l’espace et du temps pour l’apprécier, mais ceci,
une fois fait…
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PAUL BLEY – « Open, To Love » - E.C.M 1973
Un album de pièces composées par Carla, Annette (Peacock), ou Paul lui-même.
Définir le jeu pianistique de Paul Bley est une tâche complexe et ardue.
Paul Bley n’est pas virtuose, au sens commun d’un terme que même en free jazz
l’on peut estampiller d’exemples. Il aborde le piano de manière unique, entre
un impressionnisme jazz et un expressionisme contemporain à la formule libre.
Je dirais que c’est un coloriste.
Je le vois explorateur et le piano est son « outil » lui permettant
ces/ses explorations.
Il part d’un argument – et en cela les compositions de Carla sont taillées pour
offrir l’argument – et il le parcourt, le décline de façon libre, ce sans pour
autant être - à mon sens - purement relié exclusivement au free-jazz, mouvement
auquel il est, de fait assimilé.
Et auquel il a participé activement pour s’en émanciper, tout en y restant fondamentalement
et sentimentalement attaché.
L’écoute d’un album de Paul Bley n’est pas directement aisée, il crée des
univers parfois abrupts, souvent désincarnés et à l’aspect informel.
Pourtant le blues et le gospel viennent souvent (« Harlem » qui va
progressivement dégénérer et se déjanter en appropriation, est un merveilleux
exemple), au milieu de ce fatras créatif disperser quelques références et il
chante, oui, il chante, ou plutôt murmure, fredonne, derrière son piano,
laissant comprendre qu’il a sa direction, son espace intime dont il suit le
tracé au long de ces improvisations indescriptibles musicalement, ou du moins
impossible à cadrer en langage de « clichés » (« Nothing ever
was, anyway » qui conclut l’album par cette octave presque crépusculaire,
sombre).
Il en use, de temps à autre de ces appartenances au jazz, mais il est
impossible d’en extraire un sens commun – Paul Bley est une énigme…
Une énigme qui, au-delà de la perplexité qu’elle engendre, place la pièce
pianistique en miniature imaginative, en voyage mental intimiste.
Un art abstrait du son, qui se défie de l’harmonie usuelle et dispose la
palette mélodique en premier plan, tel un contrepoint contemporain qui serait
parsemé de touches de couleurs dodécaphoniques et blues, country et
debussystes, libres et quelque part sentimentalement romantiques… oui mais une
liberté expressive qui repose sur l’argumentaire tant composé que relationnel
avec Carla – ou Annette.
Un « tout ».
Cet « Open, To Love », finalement, serait presque la meilleure porte
d’entrée pour découvrir l’univers si captivant et particulier de Paul Bley, ses
« racines », cet expressionisme jazz libertaire et engagé
intellectuellement… et pour comprendre la compositrice Carla Bley, singulière
créatrice d’espaces écrits et formulés pour… la liberté et l’abstraction
musicale.
S’il en est un… je pars avec cet « Open, to love » et mon île pourra
s’emplir de visions pour apparaitre à chaque nouvelle écoute sous un angle
différent, remplissant le désert de mirages changeants.
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MORTELLE RANDONNEE – B.O Claude Miller / 1983
1983, le film « Mortelle Randonnée » va directement accrocher les
fans d’Isabelle Adjiani, dont je suis… et… je vais découvrir que la B.O a été
composée par Carla Bley.
La version de « La Paloma » absolument irrésistible sera certainement
celle que je retiendrais systématiquement comme une exemple incroyable de faire
avec un truc improbable un trait de génie. Déclinées en variations, chose qu’adore
faire Carla, cette Paloma va tour à tour prendre sous son ineffable rythmique
tango des traits divers et captivants.
D’humour, de burlesque, de tragique, de mystérieux… de jazz… de désuétude…
La B.O taillée sur la mesure du Carla Bley Band, un costard en forme de
thriller à la française où sa musique va faire miracle, renforçant tant que se
détachant de l’image pour lui donner une atmosphère, une couleur et un cadre
particuliers, inhabituels.
Passionnant, délirant, déviant et tellement enrichissant.
On parle peu de cet album et de ce partenariat avec Miller – il n’est d’ailleurs
pas simple à trouver.
Mais il est un complément impératif pour comprendre certainement l’amour du
tango, que la dame ne cesse de démontrer depuis des lustres, mais également que
si sa musique sans image, provoque l’image, l’histoire, la scénographie, ici,
comme support de l’image elle dévie celle-ci, la réajuste et lui crée un autre
sens.
Et le groupe, mais qu’ils sont excellents… !!!
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Allez, j’y vais.
Tiens je vais peut-être jouer la Paloma ce soir…
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