PEREGRINATIONS (2)... HLP Trio / Donald Fagen / Steven Wilson / Pierre Boulez

PÉRÉGRINATIONS (2)...

Prom’nons nous...

Ah Juillet... c’était bien Juillet !... du moins les autres Juillets, ceux d’avant...
Il a fait (presque) toujours beau, on avait cru que ce serait un été extra, puis un 14 qu’on a commencé lamentable par une bande de guignols en-télévisés, coutumiers du détour autruchier des problèmes, spécialistes du bavardage stérile permettant d’éviter l’essentiel... s’est vu se transformer en l’horreur, en l’incompréhensible, en l’inadmissible...
Ça m’a rendu encore plus en colère contre ces politicards du verbe, de la malhonnêteté, même envers eux-mêmes...
En passant devant les miroirs de leurs sphères institutionnelles, se regardent-ils, de temps en temps ?...
Ça pue, tout ça...
Ceci dit, on avait commencé fort jusqu’au 14...
Il faudrait d’ailleurs que les professions artistiques faites d’intermittents estampillés chômeurs remercient chaleureusement la FFF pour leur manque à gagner à chaque fois que le cocorico du ballon rond envahit le territoire.
Cette année ce fut le pompon, enfin je sais plus, car à chaque fois c’est le même bordel.
La télé remplace ou s’installe partout, en petit depuis les smartphones, jusqu’aux grands écrans posés à coup de budgets municipaux au milieu de place publiques et en passant par tout bar bien obligé de se conformer à l’égarement ambiant largement relayé par les médias...
« Donnez-leur des jeux » - César... j’ai dû apprendre un truc de ce genre dans mon manuel d’histoire en primaire...
Un certain Deschamps (qui aurait bien mieux fait d’y rester dans son champ) vilipende un concert d’ACDC, pelouse oblige, parle « d’entrer dans l’histoire » - on n’y est pas entrés, du moins malheureusement si, une fois encore, Mr le décalé du monde vrai, celui où une population asservie par votre sport annihilant trime son quotidien face à des nantis de votre acabit...
On y est entrés de nouveau dans cette malheureuse histoire du monde, un autre 14 Juillet qui aura effacé par la mort une certaine idée de liberté (de plus en plus illusoire) d’égalité (n’en parlons pas) et de fraternité (où ça ?...).
Entrer dans l’histoire...
Il est des années où fermer sa gueule devrait être associé à une forme de respect pour la réalité, tant humaine que sociale et bien entendu, désormais terrifiante.

On sera donc montés en voiture pour la continuer cette vie et tenter de donner aux gens, au public aux amateurs de ce truc appelé Live un peu de rêve, de soleil, d’oubli, d’espoir et au passage ça nous aura aidé à tenter faire de même.
J’ai commencé par ne plus en écouter, de musique...
A quoi bon ?...
Puis il a été aisé de sombrer dedans en écoutant des morceaux ou titres chargé de symbolique, de tristesse, d’émotion... Phase 1...
La rage a alors repris, au bout des doigts du piano, d’abord, en l’esprit aussi, en dégoût forcément et ce, à chaque fois qu’un de ces infects encravatés du verbiage est apparu en l’espace télévisé, via les réseaux sociaux, partout dans notre vie... Phase 2.
Mais la vie a besoin de vie et alors, en emmenant mon fils ce jour de respect mutuel où, rassemblés sur la place du village on a pensé très fort, je suis reparti avec lui, triste, fatigué, conscient que désormais il va falloir reconstruire ce que ces clowns ont progressivement mais inéluctablement détruit.
On aura débattu de culture, de société, de religion aussi, d’humanité surtout et je lui aurai fait prendre conscience que l’avenir est plus que jamais en sa génération, qu’elle doit réagir et agir.

Le lendemain (ou peu après...), je remarquais une folie ambiante accrochée à son smartphone, tous âges confondus des personnes couraient en tous sens... comme hypnotisées.
J’ouvre la porte de sa chambre, lui fait la remarque...
« T’es pas au courant ? »
« De quoi ? »
« Ils cherchent des... Pokémons »

‘tain de mois de Juillet 2016... hein !
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HPL TRIO Vol 1 & 2 – 1968 recorded Live at « Caméléon » / Paris


Bien classé, lettre H comme Humair secteur vinylique jazz français, je ressors ce pavé musical, histoire de me remémorer nombre de gimmicks du grand Eddie Louiss, organiste aux doigts et idées de feu, de fée parfois...
La semaine sera placée sous le signe de l’orgue, j’ai ressorti le mien pour quelques occasions trop rares et il faut reprendre le chemin de la culture de l’instrument.
HLP Trio...
Un son, une emprise, une empreinte... tant de souvenirs, tant de plaisir direct, abondant, simple sur des sujets pourtant loin d’être aisés, tant de vie, d’ouverture, de fraternité, de dialogue et de complicité surgissent directement à ma mémoire.
Il est fort possible que ces enregistrements aient participé à mon entrée dans le jazz, d’une certaine façon, par le biais de Jean Luc Ponty dont je cherchais des enregistrements suite à ma découverte de celui-ci avec le Mahavishnu, mais aussi chez Zappa.
Il est certain qu’en découvrant là Daniel Humair, avec lequel adolescent je fis quelques stages impossible à oublier tant l’artiste me démontrât que la batterie n’était pas vraiment ce que je croyais jusqu’alors, je changeais radicalement mon approche et mes directions musicales encore rock.
Il est évident que j’ai immédiatement adulé cet orgue qui sera devenu progressivement mon instrument de prédilection digital.
Il est logique que j’ai tenté de mémoriser toutes les infos tant d’approche du sujet que de contexte de jeu direct et de langage, sous la houlette virtuose de Jean Luc Ponty, sous la subtilité d’Eddie, sous le drive implacable et impitoyable de Mr Humair.
Là des thèmes ingérés que je ressortirais plus tard, bien plus tard, sous les doigts, en me demandant où ils avaient bien pu s’imbiber de la sorte en ma mémoire.
Et puis ce sens du détour, comme ce « Summertime » dé exposé, laissant l’improvisation prendre le pas sur le thème et m‘ayant implicitement chargé l’esprit de ces volutes et méandres cachant la mélodie, l’estompant, la déstabilisant...
Il aura fallu la découverte des versions de Miles et de Ella/Louis pour que ce thème prenne enfin son sens et sa place « authentifiée » en moi, jusqu’alors complètement sous emprise de cette version personnalisée et réincarnée du HLP Trio.
Mais je n’aurais jamais oublié qu’on peut suggérer... susciter et caresser la musique ... par l’idée.

Il y avait aussi ce « You’ve changed », mon morceau fétiche de Billie que je n’aurais pas réécouté, effet lacrymal oblige, ces derniers temps... là encore, imprégnation totale par cette version.
Mais je crois bien que je pourrais citer tous les titres de cet album... comme étant quelque part ce qui m’a permis cette porte d’entrée vers le jazz et m’aura incité à aller plus loin, beaucoup plus loin.
Le langage violonistique, atypique pour une entrée en jazz, par exemple, là où les cuivres sont l’abord coutumier... voilà bien une porte poussée par le hasard ayant permis une autre compréhension, une lecture différente mais tout aussi pratique et pédagogique, ludique et attirante, mélodique et transgressante...
Le walkin’ basse de l’orgue, voilà bien là aussi une approche plus lisible pour moi, car « pianistique », de cet axe complexe du soutien tant rythmique qu’harmonique du jazz.
Là, associé de fait aux voicings et à une approche combinée car issue du même esprit, ce chemin sur lequel on se promène est resté comme limpide, balisé, cartographié... évident.
Le jeu souple, qui avance, qui pousse au c..., tonique, sans concession, inventif et déjà mélodique ou truffé d’idées nouvelles cherchant à s’émanciper de ses pairs de Mr Humair m’aura alors convaincu que c’était là l’autre chemin à suivre et qu’il serait semé de bonheur et d’embuches, mais aussi de labeur, prouvant avec certitude qu’en effet, le jazz n’est pas une musique acquise, mais qu’il faut bel et bien acquérir et que c’est un « engagement » de vie.
Cette idée qu’un solo de batterie peut être, par exemple, autre chose qu’une simple démonstration de « savoir-faire » en plaçant l’instrument sur un autre piédestal, celui de la musique.
Ces mecs, jeunes, en 68 n’avaient pas froid aux yeux, s’attaquer ainsi avec une insolente désinvolture à « Around midnight » (‘round midnight), l’un des thèmes du jazz les plus beaux mais aussi les plus chargés de pièges est bien la preuve de leur incroyable capacité d’appropriation et de transmission du langage jazz.
Aisance, swing, haute voltige, improvisation toujours chantante, feeling...
Idem avec « So What », tout chaud quasiment, « Nostalgia in time Square » de Mingus, tellement rare... ils étaient vraiment en phase avec l’actualité, ou du moins en faisaient totalement partie, pas de recul, le nez dedans, on écoute l’album, on intègre, on joue... et au passage on fait amusette avec « Bag’s Groove », par exemple.
Que de bons moments l’on passe à réécouter ces prises live en club, entre potes engagés.
Une prise de son exceptionnelle, quasi indécente pour cette époque restitue, de plus, à la perfection, leur jeu impliqué et investi.
C’est là aussi la preuve qu’ils savaient pertinemment où ils mettaient leurs imaginations jazzistiques, en 68, forcément révolutionnaires... et déjà parfaitement et finalement complètement en adéquation avec l’expression « musique actuelle ».

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DONALD FAGEN « Morph The Cat » - 2006.



La côte, ce truc dit « Calif’ »...
Parfait...

Je pousse le son, j’ouvre les fenêtres de la bagnole (ma clim’ est en panne, normal, c’est l’été, elle remarchera surement cet hiver quand mon chauffage lui, tombera en panne...), je chausse les lunettes de soleil et fais bronzer mon bras gauche accoudé à la portière.
On avance comme des escargots et moi qui croyait être à l’heure pour le contrat à la plage entre Sainte Maxime et Saint Tropez, c’est mal barré.
C’est idéal Donald Fagen en de tels moments, le complément de voyage qui groove, chantonne, charge l’habitacle de bonnes vibes.
On hoche du chef, on sifflote en se laissant doubler par les scooters de plus en plus tarés qui jouent avec le feu de leurs vies.
On est bien, là finalement dans le colimaçon limaçon qui serpente sur le littoral...
La piste cyclable sur la droite est surchargée... fanas de tour de France en mal de compétition personnelle, joggeurs trempés d’inutiles évacuations de rosé, midinettes groupées en partance vers la plage, familles agglutinées ou en file indienne chargées de crocodiles, de dauphins, de canots, de canoés, de parasols...
Attention ! On freine !
Là, au passage piéton, pas si sûr que ce soit un excès de civisme qui pousse ainsi à laisser passer la merveilleuse jeune fille en bikini traversant nonchalamment la chaussée et faisant se tourner nombre de regards... la décapotable qui me croise laisse échapper quelques sifflets aguicheurs, elle sourit, ondule un peu plus... il n’y a pas qu’à Ipanema que les filles grandes et bronzées font chavirer les bossas.

J’aime bien Donald Fagen, je l’écoute régulièrement, avec un plaisir non camouflé.
C’est pop, jazzy, ça groove du tonnerre et mon Dieu, que c’est bien foutu !

Tous les ingrédients d’une recette qui explose en saveurs auditives :
- Tempos mid, comme on dit, genre no stress, nonchalants, cool attitude, beats soul, rythm’n’blues détournés et jetés sur l’after beat pour le côté up et rebondi...
- Ouaouates funky aux claviers, aux guitares, histoire de mettre du moelleux sur la banquette de molesquine...
- Des tapis de cuivres pour l’enrobage, en riffs, en sourdines, en sforzandos, en contre chants, ça c’est absolument nécessaire pour donner du goût.
- Des claviers partout : du vintage Rhodes, de l’orgue cramoisi, un peu de synthèse, un chouia de piano en voicings jazzés, des rebonds de clavinet, des vibraphones en partance...
- Des chœurs à l’érotisme susurrant, qui caressent la voix lead, si caractéristique, en frissonnant, en murmurant, en soutenant, en répétant, en insistant, en s’associant...
- Un drumming combiné à une basse de félin, du faux basique, du vrai évident, du sans chichis sans pour autant tomber dans le cliché, souple, ample, qui respire...
- Des grattes qui cocottent comme une basse-cour en effervescence, qui soloïsent jazz, funk, rock aussi avec une pointe de saturation comprimée.
- Des solos qui envoient du lourd, en prise lead, en interventions, en ponctuations, écrits, improvisés, jetés dans le spectre, jamais persos, toujours in, jamais out du son...
- Des arrangements au profit de compositions dont l’évidence n’est qu’apparence, mais dont la complexité est évidente, le genre (« Britenitegown », obsessionnel, hypnotique... qui ne sait s’arrêter) qui remet Zappa au degré du coutumier, qui n’oublie jamais le jazz, qui sait être tant moderne et aventureux que chargé de références, le genre qui te fait analyser, reprendre le papier, le crayon et surtout la gomme.
Mais Donald ne gomme plus depuis longtemps, il est expert en la matière, lui - le sens du détail de la touche miraculeuse...

Alors je vais m’arrêter et remettre encore et encore « Security Joan », au groove fabuleux, au plan rythmique de piano qui pose en noires profondes un troisième et quatrième temps comme des appuis fédérateurs, une fois, deux fois, trois peut être mais suffisamment peu pour qu’on les attende avec envie, délectation.
Le drumming y est tellement magique qu’on pourrait s’en servir de modèle d’école, cette façon d’accrocher tout sur l’after beat, de faire rebondir le second et quatrième temps avec un léger suspens afin de d’avoir cette sensation de trampoline musical et d’amener ce solo de gratte comme sorti du fond du club enfumé.
Donald joue les petits malins et nous laisse deviner tout au long du titre qu’il va sortir un truc dont il a un secret de fin limier... ce sera ce vrai-faux, faux-vrai solo d’orgue, pétant comme un riff de cuivres d’un Basie orchestra tonitruant de jouvence, sinuant comme un Jimmy Smith inépuisable de blues, explosant dans l’oreille comme un orgasme après une longue préparation ses sens... 
Sacré Donald, là t’es encore et toujours le plus fort et tu me rappelle qu’en une certaine promenade jumpée rockée sous la pluie tu nous avais aussi scotchés au poteau... de l’orgue vieillot...

Donald, j’aime quand tu sors ton mélodica, Mary a fermé la porte du jardin, un beat pesant tout en restant up et aéré (un mystère...) dévoile des contre chants organiques comme des trombones/cors. Une modulation essaie en vain par trappes de chœurs de faire échapper à cette sourde atmosphère elle ne sera finalement que prétexte à mélodiquer, le beat est immuable, la ligne de basse profite de l’espace et quelques pointes de claviers rythmique viennent se positionner entre grattes, solos entrecroisés, jam session contrôlée.

« The Great Pagoda of Funn »... « Aja » ?... Ah la la... ne me cherches pas Donald tu vas remuer des tranches de souvenirs – solo de Miles harmon, grille au-delà du terme tordu, arrangements de cuivres en dragon serpentant parmi la foule des notes complexes... et tout ça dans la plus absolue coolitude.
« Dis, Donald, tu m’explique comment tu fais pour créer des trucs pareils ? ». Moment de musique et d’intelligence que cette pagode (d’ailleurs allons voir sur le net où qu’elle est... cette pagode, et là... surprise, comme tout ce qui fait Fagen... la surprise...).

Bon, c’est là, dans 50 m...
Je mets le cligno, m’assure qu’un scoot va pas se glisser là au hasard, fais gaffe à la foule qui a envahi la piste cyclable...
Tiens il a repris le riff de Morph en mineur, le coquin...
Ça y est...
J’ouvre le portail, vais garer la bagnole, allez un peu à la bourre, mais je vais au bout du titre...
Pff, quel pied !
J’en ai des idées plein la tête, j’ai l’orgue qui me démange, le fender qui me titille, le clavinet qui m’excite, le piano qui me drague, le chœur qui softilise  – m’a remotivé Donald...

« Salut, on s’installe où ce soir ? »
« Ok, ouais, j’veux bien, faisait chaud en voiture... ouais, un demi... ah, super ! »
« T’écoutais quoi à fond dans la voiture quand t’arrivais »
« Donald Fagen »
« Donald qui ? écris moi ça sur mon portable, trop bon »

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STEVEN WILSON « 4 ½ » - 2016.
« Drive Home »...



Ici je remercie ces petits échanges et découvertes via Chris (petite boite à musique) et Charlu (ses chroniques) pour m’avoir fait découvrir Steve Wilson.
« Steve Wilson, tu connais ? » je demandais ça à Jean Marc cette semaine, imaginant fort bien que oui, mais on tente le coup au cas, car faire découvrir un tel artiste à des amis est forcément plaisir du partage.
« Ah oui, bien sûr, tu parles que je connais, il a remixé Crimson, était dans Porcupine Tree et ses albums solos sont très bons... »
Pour Porcupine Tree, je l’ai su en même temps que je le découvrais pourtant j’avais déjà bien écouté et adoré depuis quelques années « In Absentia » recommandé par un de mes collègues, justement (Sa phrase : « Si t’aimes Crimson, Dream Theater, il te faut découvrir Porcupine Tree, ça te plaira »). Ses albums solos... hmm, j’étais justement en pleine immersion et addiction, dont cet EP « 4 ½ », sur lequel j’ai jeté un certain dévolu.
Quant à sa contribution à remixer Crimson, ça m’a de suite fait lui accorder un crédit supplémentaire et confirmer que rien n’est hasard, juste connexion.

Ça a commencé là, vers juin avec « Drive Home » et les chroniques des amis sus cités.
De suite, l’oreille a accroché avec de plus un clip vraiment émouvant, un son d’une immensité à pâlir (ce même dans le goulot minimal de YouTube) et pour clore, un solo de gratte stratosphérique...
J’étais en pleine recherche de nouveautés à préparer pour mettre au menu des titres à faire bosser en ateliers d’élèves – objectif, trouver un song ample, qui se développe et peut mettre chaque instrument face à une situation « d’écrit » tout en ouvrant une possibilité d’improvisation hors du cliché pentatonique.
On sait le rock dit prog (allez lâchez-vous !) enclin à la chose, je venais d’épuiser mes Dream Theater, j’avais osé Mars Volta, je me disais retourner vers les classiques avec Genesis, Crimson et autres Yes, ELP, Gentle Giant peut être parfois plus adaptés instrumentalement (Dream Theater c’est la haute voltige tout de même...), je m’étais rabattu sur les premiers Toto, mid prog Fm et même Journey m’a fait du gringue...
Dire que quand on choisit un titre pour un groupe d’élèves ne relève pas  du seul affect est peu, c’est carrément des heures d’écoute avant de resserrer le choix, mais c’est une autre affaire... j’enchaine.
Peut-être qu’un jour j’expliquerais ce travail pédagogique et quelles ficelles on tire pour ces choix et surtout ne pas tomber dans faire jouer... ce qu’on aime, tout en ne négligeant pas aimer ce qu’on leur fait jouer.

Ce « Drive home » est donc tombé à pic mais comme je n’aime pas me dire que ça puisse s’arrêter à ce seul déclic j’ai donc usé de tous les périphériques pour voir si, parmi la foisonnante carrière de Steven Wilson je pourrais trouver équivalent, plus adapté, bref...
J’ai donc dévoré Porcupine Tree aidé par des connaisseurs du groupe qui m’ont aiguillé (au passage ce clin d’œil à Francis) puis je me suis plongé dans la carrière solo de S. Wilson et me suis surpris à passer mes trajets de voiture à ne plus écouter que lui et ce, sans la moindre usure.

Ça m’a alors rappelé quand, gamin, j’achetais un album en brisant ma tirelire et que je l’écoutais inlassablement des mois jusqu’à l’achat du suivant.
Ces vinyles étaient « Dark Side », « Meedle », « In Rock », « Physical Graffiti », « Houses of the Holy », « Animals », « Machine Head », « Fragile », « Foxtrot » et bien sûr « 1st Century »... la liste est longue et les économies n’ont jamais servi à autre choses si ce n’est remplacer le saphir de l’électrophone... et acheter un casque stéréo afin d’avoir un meilleur isolement social...

J’ai curieusement retrouvé ce plaisir de l’album sur-écouté, du titre qu’on se remet à l’infini, de la progression connue quasi conceptuelle des plages, de connaitre chaque partie, chaque recoin après la sublime découverte qui, pour le coup aura été importante, mémorable...
Cela ne m’était pas arrivé depuis fort longtemps que de passer du temps à écouter toujours « la même chose » et franchement, que c’est bon ! (quand c’est bon...).
J’ai donc depuis un large mois (avec petites pauses ECM et quelques détours en mode aire de repos) écouté S. Wilson sans lassitude mais toujours avec le même intérêt aiguisé.

Si « Drive Home » reste le titre finalement retenu, car en corrélation avec mes objectifs, et que j’ai largement adoré le EP dont il est issu, si l’intégrale de Porcupine Tree est passée pour ne pouvoir en retenir qu’une faisabilité limitée car le concept album a cette faculté de se prendre (s’il est bien fait) comme un tout, une entité et en extraire un titre parait inadéquat – j’ai donc jeté mon dévolu sur ce « 4 ½ », plus que récent, puisque tout frais de 2016.

Voici un album qui m’a vraiment redonné espoir dans la direction créative que je mets régulièrement à mal, non par passéisme ou nostalgie, mais par malheureusement, réalisme...
Le format « radio » est désormais un limiteur, le rock tourne en rond ou du moins peine sur lui-même même si des Radiohead ou autres RHCP ont positionné leur identité de façon caractéristique.
S.Wilson ne propose rien de révolutionnaire  (qui aujourd’hui prétendrait s’autoproclamer de la sorte ?), il a son creuset culturel de références est elles sont là, sans pour autant envahir l’esprit de l’auditeur qui chercherait à situer son chemin sur celles-ci.
« 4 ½ » pourrait s’écouter comme une énorme synthèse où se mêlent références et pas n’importe lesquelles (un sax floydien - « Don’t Hate me », une hargne riffée crimsonienne - « Vermillioncore », de l’orientalisme satrianesque - « Don’t Hate me » mâtiné zep, le décollage violonistique entre Cross/Crimson et Jobson/UK – « year of the plague », le pop song léger et aéré beatlesien – « my book of regrets »/ « happiness III », les méandres acoustiques de guitares génésisiennes - « year of the plague »,  et tant d’autres effets de tull, wurtlizers de clochard, rêves théâtraux...), mais s’en tenir à cela et en rester là m’apparait comme finalement la mauvaise porte à pousser.
Ces références même si « elles évoquent » sont tellement induites dans le propos qu’elles en deviennent pièces d’un immense puzzle musical et que jouer à qui de quoi fera perdre toute substance réelle du propos de cet immense artiste.

On a ici la touche de virtuosité (My book of regrets ») dont le prog ne sait se défaire et qui met le musicien face à une transe admirative associée d’une moue épatée...
On a ici des titres qui durent mais qui n’ennuient pas (My book of regrets »), permettant non des solos, mais des développements et ceux qui me lisent de temps à autre savent à quel point je mets cette différence sur un podium de valeurs.
On a un son qui transpire, qui inonde la pièce, qui gicle de toute part et qui n’agresse jamais mais qui transperce, fait vibrer corps et âme et ça c’est vraiment bon (« Don’t Hate me » - titre initialement créé par Porcupine Tree)...
Et puis on a toujours du lyrisme, de la mélodie, de l’émotion, des harmonies choisies et tirant sur des extensions qui intriguent, captivent, alertent, motivent l’écoute par leur intrigue (« Vermillioncore »)...
Tel accord de m7e se verra affublé d’une 7e majeure et augmenté d’une 9e... tellement rare (« Sunday rain sets in »).
Tel accord diminué sera exploité à contre sens là où l’inclinaison ascendante est de mise on inverse et on descend (« Drive home »)...
Ces petites choses, ces mesures asymétriques décomposées, ces polyrythmies emboitées, ces riffs complexes et pourtant si métalleux, cette voix qui est si simple, si proche de nous, si « easy », ces synthés tant vintages que dernier cri, ce violon qui installe un leitmotiv mirifique (« year of the plague »), ces pop songs si logiquement beatlesiens/génésisiens (« happiness III »)...

Tout cela est servi par des musiciens de haute volée, normal, c’est une musique qui a de l’exigence et de l’écriture, du concept.
Elle se doit donc d’être interprétée par une équipe ayant « du niveau », rompue à cette « culture ».
On y retrouve Adam Holzman, aux claviers, qui fut entre autre, musicien de Miles Davis, Bob Belden, Steps Ahead – au détour de « Sunday rain sets in » on aura le bonheur de retrouver Chad Wakerman, ce batteur pour lequel Zappa composa une immense pièce symphonique (LSO dirigé par K.Nagano) puis Nick Beggs, spécialiste du Stick et complice de nombreux artistes prog comme Steve Hackett ou encore Guthrie Govan dont certains se souviennent pour son passage dans le super groupe Asia...

Voilà donc que ce « 4 ½ » (avec ses copains tel « Hand. Cannot . Erase ») n’ont guère bougé de l’habitacle.
A faible comme à fort volume (et là quelle claque) il fonctionne et fait dire que cet EP est un tout à user, abuser.
Une nouvelle sphère musicale a pris place chez moi – je suis rassuré, ça existe encore...

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PIERRE BOULEZ « Entretiens avec Michel Archimbaud – Folio/Gallimard – inédits essais.


Je vais terminer ces secondes pérégrinations par un livre à lire cet été, en vacances ou autre, peu importe.
Là encore c’est mon ami Jean Marc qui me l’a mis entre les mains avant le repos estival – il savait bien que ça m’intéresserait.
Pire, cela m’a captivé.
Dans ce remarquable ouvrage, le grand visionnaire s’exprime, s’explique, se livre et confirme.
Il aborde sa vie, sa carrière, parle de la composition, de la direction, de rapports entre les arts tels danse/musique, peinture/musique, poésie/musique et positionne le degré philosophique de réflexion au-delà du simple idiome musical créatif.
La pensée au service de la création musicale, l’intelligence au service de l’innovation et de la vision futuriste, l’habileté au service du progrès...
Des réflexions, des idées, des histoires, des anecdotes, des citations, de la culture à un point incommensurable, de la modestie réelle mais aussi du réalisme, de la confiance, du recul et de la vision – tout cela au cours de dialogues forcément amicaux où le grand homme fait une sorte de point, de bilan, de résumé.
A lire absolument...

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Dernières divagations.
Un concert de Mr Zygel, entièrement improvisé autour de thèmes ou prétextes issus de la musique (on aura eu Mozart, Beethoven, Bach ou Chopin détournés...) – un véritable concept à découvrir qui ravit, qui intéresse et intrigue et quelque part, épate, forcément...

Dans un toute autre registre la super claque du concert des Tambours du Bronx, festival du Chien Rouge au Cannet des Maures – concert gratuit précisons-le, remarquablement organisé et mettant en évidence une équipe impliquée dans l’action culturelle.
Ces tambours m’ont fait partir chez Giger, Bilal, Mad Max, Waterworld...
Un vaisseau futuriste mène le jeu de ces affamés du rythme, de ces fracasseurs de métaux.
A son bord, un sorcier de la synthèse sonique qui mène la danse de cette folie métallique, de ces hurlements gutturaux – c’est la transe, c’est le bonheur, c’est oppressant et addictif.
Une expérience...

Pour conclure, un orchestre de chambre de Toulon qui interprète Bach et ses fils.
Un violoncelliste habité par le sujet, un duo d’altistes remettant à l’honneur l’instrument à travers une pièce dédiée... une très belle soirée malgré les difficultés évidentes de justesse dues à l’humidité, au vent et à ces températures changeantes qui font que ce sud français est aussi un lieu particulièrement prisé. Et forcément la découverte de cette lignée Bach tellement prolixe.

Déjà août...
Profitez, écoutez...
Bronzez...
Lisez...
Bref, sortez, vivez !...







 


Commentaires

  1. Et là je partage tout ce que tu dis sur Steven Wilson, c'est exactement pareil pour moi, c'est bien la 1ère fois depuis des années que je fais une découverte aussi importante, je peux l'écouter en boucle sans me lasser, ce qui se fait de plus en plus rare, d'ailleurs j'ai beaucoup de mal à revenir à des choses plus légères, je tourne entre "Drive home ", "4 1/2" et "signify " de Porcupine Tree que j'ai trouvé en réédition de 2001....j'avoue avoir telecharge presque toute son oeuvre dans la foulée mais c'est en attendant de pouvoir me l' offrir un jour...bref ça me fait plaisir de voir que ce n'est pas moi qui me lasse de la musique mais peut être elle qui ne m'apporte plus la même chose et que je dois aller voir ailleurs, c'est ce que je trouve dans le prog en ce moment. ...;)

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    1. En résumé c'est effectivement ce qui est trop rare et qui finalement existe encore...
      Personnellement ça faisait très longtemps qu'un tel truc ne m'était arrivé.
      Ça c'est en soit une bien bonne nouvelle pour un bout de temps et je dévore Porcupine Tree, mais quel groupe !...
      C'est chez toi que cette découverte a commencé, puis via Charlu...
      Alors, pour moi qui suis toujours en quête d'intérêt tant pour moi (faut aussi penser à soi) que pour mes élèves (et là ils vont avoir de la matière à bosser) voilà bien un artiste qui entre en lice dans le quotidien.
      merci d'être passée.
      à bientôt.

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  2. Décidemment.. les esprits.. je suis justement tombé la semaine dernière sur les albums de Bass Communion.. l'autre groupe de Wilson. Toujours les mêmes baffes avec un gros volume. Les années 90 qui se meurent et l'indémodable style prog qui pourra traverser toutes les décennies.
    J'imagine qu'il doit être difficile de sortir d'un groupe ou deux et de garder le cap avec son propre nom, Porcupine Tree, Bass Communion, ça claque et surtout le boulot est fait comme une signature. Mais plus les albums défilent, plus Wilson me parle.. et plus on observe sa place au sein des deux entités.
    Je découvre donc Bass C.. au même moment où une armée de zombie défilent la tète baissées dans les parcs à la recherche de gnomes jaune virtuels. J'ai vraiment flippé en les voyant l'échine cassée sur leur objet, un fil relié dans la poche, une batterie parait-il (que les gonades doivent morfler !! ;D), au point de me demander si la musique ne m'avait pas transposée dans un autre monde. J'ai appris que le lendemain l'histoire du pokémon. Il parait qu'il ne faut pas s'en inquiéter, et que ça a au moins l'avantage de faire sortir les addicts !!!

    Merci Pax pour ton sentiment sur Wilson..je reviens pour parler des autres.

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    1. Comme tu dis, ça fait sortir les gens...
      Identité, groupe. ..
      Je pense à Fripp avec et sans Crimson, en producteur, en side chez Bowie... La personnalité !
      Le génie du touche à tout qui ne supporte pas l'enfermement, le format groupe...
      STING,PETER GABRIEL... des chanteurs multicarte instrumentales. ..
      ÉNO, inclassable. ..
      La touche personnelle, l'entité. ...

      À plus, merci de ton passage.

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    2. Juste après mon comm ici, j'ai vu sur la toile la sortie d'une réédition 2016 d'"Aqualung" de Jethro Tull mixé et pensé par Steven Wilson .. de l'esprit prog à plein nez. Et le cas Ian Anderson.. une carrière solo qui a bien du mal à se débarrasser du nom Jethro Tull. Tant qu'il gardera sa flûte..il sera Ian Anderson of Jethro Tull.

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    3. hmm, j'avais vu ça également, le Tull, une musique de vieux m'a sorti un jour un collègue...
      pourtant...

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