BIG BAND- GRAND ORCHESTRE – COLLECTIF … Chapitre 3
BIG BAND- GRAND ORCHESTRE – COLLECTIF … Chapitre 3
Et voilà, après deux chapitres, je continue à ressortir mes vinyles, cd et
autres k7 où la grande formation est là, bien sonore et sonique, chargée de
tant d’approches que c’en est étourdissant.
Allez, on repart chercher un peu de teintes cuivrées pour ce troisième opus.
---
1- TEO MACERO « IMPRESSIONS OF CHARLES MINGUS » - Palo Alto Records
1983.
Qu’un grand producteur, directeur artistique etc. soit également un grand
arrangeur, cela semble une presque évidence.
Quincy Jones, George Martin …
Teo Macero, qui a réellement mis en forme les divers composants improvisés des
séances de Miles Davis dans sa période électrique, a largement contribué par
son recul et sa vision d’une mise en forme de cette nouvelle direction du jazz,
à lui donner un aspect jusqu’alors inusité, en mettant le studio et ses
multiples usages (découpe, spatialisation, overdub, re-recording …) comme
nouvel outil artistique.
Un outil qui va permettre la musique autrement, pour l’artiste comme pour
l’auditeur.
Autrement… qu’une mise en place orchestrale et scénique du sujet.
Il y a ce Teo Macero et il y a celui d’arrangeur, orchestrateur et directeur
musical qui a été, par exemple (et non des moindres) l’un des principaux
inspirateurs d’une jeune Carla Bley (j’en parle dans mon premier article
consacré à la dame).
1983, Miles est en pause.
Nul ne sait si, un jour, il réembouchera sa trompette et pour l’instant sa
« sphère » prospère d’enfants lâchés dans la nature de l’appréciation
de ses avancées vole avec plus ou moins de génie, mais en tout cas avec des
personnalités affirmées, de ses propres ailes.
Des musiciens, des groupes à foison …
Mais qu’en est-il de son brillantissime producteur ?
On a focalisé sur son travail davisien, on n’a vraiment pas eu la curiosité de
se pencher sur cette « avant carrière » et il reste une dernière roue
de carrosse, d’autant que Miles, même s’il a toujours respecté ce partenaire, a
« rompu » avec lui.
Et voilà qu’un album sort, parmi d’autres de ce Teo Macero.
Pourquoi ai-je acheté celui-ci ? Certainement parce que la chronique d’un
de ces magazines de jazz (encore eux) incitait à s’y pencher.
Et me voici alors face à un bon gros pavé jazz, surchargé de stars (Dave
Liebman, Pepper Adams, Bill Evans – le saxophoniste, John Stubblefield, Alex
Foster – le saxophoniste, Tom Brechtlein, Marcus Miller, Buddy Williams, Will
Lee, Mike Nock, Rubens Basini, Jorge Dalto, Larry Coryell, Lew Soloff …) que
j’ai croisé au gré de tant d’albums et de participations ou en solistes que
forcément le menu est alléchant.
Au gré des titres, ils sont réunis pour exécuter de leurs talents respectifs,
en pupitres comme en solistes ces compositions voulant rendre hommage au grand
Charles Mingus.
Attendre de cet album un Charles Mingus périphérique serait un écueil.
On pourrait très et trop vite n’y prêter que peu d’attention parce que Mingus
reste un maitre austère, qui a ses émules certes, mais dont l’univers suppose
pas mal de prérequis culturels à avoir pour y pénétrer en appréciation, si ce
n’est compréhension.
Il y a des artistes et des créateurs comme ça et Mingus en est un.
Ou parce que on pourrait estimer que reprendre un tel flambeau est une mission
que seuls peut être les rares musiciens ayant participé à la mise en action de
cet univers pourraient avoir la capacité de le faire.
Complexe.
Mais Mingus fait partie de l’histoire du jazz, sorte de péninsule ramifiée et
essentielle à son évolution, il a - qu’on l’ait écouté attentivement, croisé,
ou effleuré – marqué de son sceau cette expression artistique qu’est le jazz et
par exemple son « Good Bye Pork Pie Hat » a été repris tant par
McLaughlin que … Jeff Beck.
Le compositeur donc.
Teo Macero va éviter ces rapports trop frontaux, trop directs pour simplement
s’inspirer et prétexter, en atteste ce « Monk’s Funk » qui ouvre la
face B vinylique, poussé par le groove puissant de Marcus Miller et de Buddy
Williams, portant Dave Valentin vers des contrées autres que celles pourtant
efficaces de sa zone de confort GRP. Un thème monkien, une organisation
mingusienne peut être bien, et voici l’affaire.
Le reste de l’album est de ce niveau conceptuel.
Il est à noter que Teo Macero y prend part également en tant qu’instrumentiste
(au saxophone alto), ce qui n’est pas coutumier et positionne une autre de ses
cartes musicales.
Il sera également important de prendre en compte l’usage du synthétiseur comme
élément orchestral (un peu comme chez Gil Evans) réellement considéré tel
(« Open C » rappelant les sphères de Michael Gibbs dans un certain
« Venusian Summer » de Lenny White ou « Chill »).
J’avais certainement chroniqué cet album dans mon précédent blog.
Le voici de nouveau en platine comme étant largement digne d’un intérêt à
porter à ce parcours à travers l’axe collectif et grand orchestre.
Il dépasse largement le cadre de curiosité et agit furieusement sur ce sujet
massif comme « à découvrir » pour élargir la palette de ces écoutes
où l’ambition du gigantisme orchestral repousse certaines limites de critères
(« Chill »).
Cela n’empêchera pas à des titres phares pur vérité Big Band de prendre leurs
places enthousiasmantes de genre (« Glory Be ! Let the Sun Shine
in » - « GoodBye Mr GoodBass » - « Two Bits and a Piece),
formant la trame de cet album absolument jouissif.
Plus qu’un détour à faire…
Impressions
of Charles Mingus - Teo Macero Full Album - YouTube
---
2- VIENNA ART ORCHESTRA « FROM NO TIME TO RAGTIME » - Hat Hut Records 1983.
Le Vienna Art Orchestra est au jazz (européen) ce que l’école de Vienne du
dodécaphonisme est au classique. Une sorte de passerelle culturelle et d’un
patrimoine bien évidemment revendiqué et ce, sur le papier musical.
Mathias Rüegg est un arrangeur orchestrateur et meneur de bande aux concepts
absolument inédits et il connait son jazz, mais aussi ses bases classiques –
qui plus est viennoises et ce n’est pas rien – sur le bout des portées.
Dans cet album absolument décapant et réjouissant (enregistré live comme la
plupart des albums de ce collectif prouvant par-là l’incroyable niveau et
teneur / tenue de l’orchestre pour des sujets d’une extrême difficulté
d’exécution et d’état d’esprit) on va trouver des pièces de grands compositeurs
du jazz tendancieusement free :
Ornette, Braxton, Mingus, Rudd.
Ou d’autres qui seront totalement détournée tels … Scott Joplin ou Bud Powell.
Et des compositions de Hans Koller et Fritz Pauer.
Tout cela agrémenté de « variations » qui s’ensuivent, composées par
Mathias Rüegg.
Le schéma est classique – thème et variations. Ce qu’en fait Rüegg, c’est tout
autre chose, mais il y a là une base et un tracé. Après tout, la symphonie
repose sur une forme qui a mis du temps à se muer en poème symphonique et
pendant ce temps (puis pendant celui qui suivit sous cette nouvelle apparence)
les compositeurs s’en sont emparés pour exprimer tant de musiques différentes
selon leurs personnalités, envies, sensibilités et époques respectives.
Avec le Vienna Art orchestra, c’est directement abrasif, sans le moindre
détour.
On va pénétrer dans leur vision, dans leur esprit, leur philosophie musicale,
ou on va sortir de la pièce.
Et c’est bien sûr ce que j’aime – ce n’est pas de la provocation, c’est
simplement une musique autre, d’une exigence si rare qu’il faut se donner le
temps et les moyens de l’écouter.
Découvrir que la place habituellement réservée à la trompette 1 n’en est pas
une mais qu’elle est tenue par Lauren Newton, toutes vocalises écrites (ou
improvisées) dehors. Et ça, d’emblée ça pose une couleur, une texture et une
direction.
Et côté trompette avec Karl Fian, on est largement servis…
Pencher l’intérêt régulier vers ces claviers percussifs que sont xylo, marimbas
et autres vibras, dans une écriture, dans une voie qui n’est en rien issue de
l’école américaine mais bel et bien sortie de celle contemporaine.
Prendre en compte que la batterie peut aussi en grande formation sortir du
cadre et créer des atmosphères quasi mélodique – s’amouracher de chaque solo de
trombone, prêter l’oreille à la clarinette basse…
« From no time to ragtime » est un album argumentaire blindé de
perfection d’écriture, empli de solos qui zigzaguent en toutes directions et
sens.
C’est un objet unique parmi les autres objets uniques de cet ensemble lui aussi
unique, en Europe, mais pas que, je dirais même au monde.
Parmi d’autres – oui, parce que une fois qu’on a trouvé la bonne clé pour
entrer dans l’immense maison surchargée de multiples ornements, de références
déguisées en tout sens, de dédales, d’escaliers tortueux, emplie de fantômes du
passé venus faire la fête sur ce jazz dont ils ne peuvent plus se passer … on
n’a qu’une seul envie, c’est de rester là et d’ouvrir toutes les portes de
chaque album, de découvrir chaque titre planqué en placards et d’être ébahis
par tant d’inventivité et … de liberté sous contrôle.
Un savant mélange.
Une musique savante et savamment agencée, comme nulle autre.
Et, encore une fois cette question… qui ose encore cela aujourd’hui ?...
Vienna
Art Orchestra - From No Time to Rag Time (Full Album) - YouTube
---
3- LAURENT CUGNY BIG BAND LUMIERE « DROMESKO » - Emarcy-Polygram 1983
Je n’ai quasiment pas besoin de mettre le cd en platine pour l’écouter…
Incroyable la trace que m’a laissé la musique de Laurent Cugny et son immense
savoir-faire d’arrangeur.
Peut-être est-ce là le résultat de la rencontre avec cet immense artiste que
j’ai eu la chance de faire lors de stages pour big bands organisés à Chambéry.
Laurent Cugny venait alors de prendre la direction de l’ONJ et avait sorti son
album dédié à la musique de Miles électrique « Yesternow ».
Un stage de quelques jours pour une formation tant à la gestion d’un big band
qu’à l’arrangement.
Avec ces quelques jours j’ai appris et compris tant de choses que j’applique
encore aujourd’hui.
Puis on s’installait à une table de restau rapide et on parlait, de Miles, de
musique, de son concert en première partie à Vienne de George Russell, de la
situation déjà périclitante du jazz et plus généralement des musiciens en
France, de la difficulté de faire survivre un big band, de ses bouquins sur
Miles électrique ainsi que sur Gil Evans et de Gil bien sûr qu’il eut la chance
d’inviter et auquel il a consacré un album et une tournée, avec le maitre
lui-même.
Alors je lui parlais de mon admiration pour son « travail » et il me
racontait comment ou pourquoi tel titre.
Un mentor…
Lors de ces quelques jours, il nous glissa quelques-uns de ses arrangements
magnifiques et nous eûmes le privilège et l’honneur de les jouer et cela me
permit d’en comprendre l’essence là où certains de ces jazzeux consolidés dans
le minima esthétique n’avaient l’aptitude ni surtout l’ouverture de jouer ces
quelques notes avec la vérité souhaitée.
Mais il est vrai que, non seulement, ce « jazz-là », je l’écoutais
depuis l’adolescence mais qu’en plus j’étais privilégié par un poste de
direction, ajoutant à cela une admiration sans bornes pour notre intervenant.
« Dromesko » auquel il faut absolument joindre
« Santander » et « Yesternow » sont des albums
indispensables pour comprendre ce que le jazz-rock, la turbulence seventies
mixte et fusionnelle, la sauce funk et les échappées électriques principalement
américaines ont pu avoir comme influences majeures chez nous, auprès d’une
« jeune » génération nourrie au rock et inclinée vers le jazz.
Les différents big bands de Laurent Cugny sont au cœur (y compris son premier
dit de la Défense où les flutistes remplacent les trompettistes) de ce
mouvement esthétique multiformes et à chaque fois que je les ouvre, ces pavés
musicaux et conceptuels, au-delà de ce souvenir particulier, restent de
formidables incitateurs à sortir des sentiers battus, à ouvrir le cadre formel,
à chercher et prendre en compte la musique dans son espace le plus large
possible.
Je ne remercierais jamais assez Laurent Cugny pour ce qu’il a pu m’apporter en
ces quelques jours…
Laurent
Cugny - Dromesko Full Album - YouTube
Santander
- Laurent Cugny (Full Album) - YouTube
Yesternow
- Laurent Cugny Full Album - YouTube
---
4- CHUCK MANGIONE « TARENTELLA » - A&M 1981
Le 27 Décembre 1980 dans la salle de bal de l’hôtel Rochester à New York, Chuck
Mangione réunit, pour un concert caritatif en faveur des victimes du
tremblement de terre en Italie, ses amis musiciens.
Sept heures de musique, un big band réuni pour l’occasion, tout le gratin
musical vient jammer ou jouer les partitions soigneusement écrites.
Dizzy Gillespie, Chick Corea, Steve Gadd, Lew Soloff, Eric Gale … une liste
bien trop longue pour un album absolument introuvable qui pourtant est plus
qu’inspirant.
Une tarentelle l’ouvre puis c’est parti pour un véritable feu d’artifice, un
festival, un éclat musical où, autour et par les arrangements, chacun va
pouvoir briller, s’éclater, s’amuser et donner le meilleur – rien de moins et
rien de plus. Le savoir-faire et l’amitié fusionnés pour le plaisir du don au
sens multiples, puisqu’il s’agit également d’une cause – les américains sont
très friands de cela.
Plus j’écoute Chuck Mangione, plus j’aime ce qu’il a fait, produit et écrit.
Sa musique sort des sentiers battus, elle a des caractéristiques qu’aucun
jazzman ne peut prétendre avoir, parce qu’elle puise dans des racines
culturelles multiples et qu’il les assume, mieux les revendique.
Cela, mâtiné avec une forte imprégnation jazz, donne un sens différent.
Et puis il s’est spécialisé au bugle, lui accordant une priorité qui a fait
également son succès. Il pose d’ailleurs ici de superbes solos sur cet
instrument à la sonorité de velours.
Comme beaucoup d’autres Chuck Mangione a fait ses armes chez les Jazz
Messengers.
La grande école donc.
Puis le voilà qui s’est embarqué dans l’écriture ambitieuse, qu’elle soit pop
avec certains succès qui lui ont apporté une bonne notoriété mais également
dans des événements (JO été 1976, JO hiver 1980) où sa musique a été mise en
avant, le plaçant, musicalement parlant, en haut du podium de l’universalité.
A l’écoute de cet album on constatera que côté influences il ratisse large.
Espagne, Italie, Jazz, Funk, Marching Band, Bop, Modern Jazz, Latin Jazz, Pop …
Et je me retrouve encore une fois face à cet album absolument magique, bourré
d’une positivité musicale propulsée par les musiciens invités qui rendent le
moment tant festif qu’unique. Comme de formidables retrouvailles autour d’une
invitation à laquelle l’on sait devoir se rendre.
Et il s’avère que cette nuit-là, de musique, a eu la chance d’être enregistrée
pour rester un témoignage musical unique et exceptionnel, de ceux trop rares de
partage autre que la scène de club ou de tournée.
Ici ils sont entre amis et nous le transmettent.
Le big band qui est installé a, face à lui, des titres et des arrangements
absolument somptueux de grandeur quasi symphonique (« Bellavia ») et
il met toute sa puissante fougue à les interpréter avec un brio d’un
professionnalisme à pâlir. Il fait resplendir chaque titre de couleurs
chatoyantes et diverses où les cuivres s’entremêlent aux flutes paradisiaques,
aux rythmes diversement funkys, latins, traditionnels, etc.
Les pupitres sont captés avec une minutie particulière par les ingénieurs du
son, rendant ce live quasi studio.
Dizzy, le père spirituel de Chuck est venu en personne participer à la fête et
avec lui cela va forcément monter d’un cran énergique – mais je vous laisse
découvrir tout cela ci-dessous.
Chuck Mangione -
Tarantella (Full Album, 2 LPs) 1981 FullHD 1080 - YouTube
---
5- MIKE WESTBROOK « THE CORTEGE » - Original Ora 309 – 1982
Œuvre phare du compositeur/orchestrateur Mike Westbrook, « The
Cortege » est un triple vinyle aux multiples facettes.
Il est également représentatif du jazz orchestral européen, un axe du vieux
continent qui va très vite dans ces eighties prendre une grande place
culturelle.
« The Cortege », comme tout ce que projette Mike Westbrook est
ambitieux, étoffé, austère parfois, peu aisé à appréhender et demande plusieurs
écoutes afin d’en espérer une véritable appréciation si ce n’est adhésion.
C’est ainsi et j’estime que c’est louable à partir du moment où nous ne nous
trouvons pas face à un intellectualisme de branlette, ce qui parasite
malheureusement un certain jazz « d’élite » se déclinant
volontairement inabordable, ce afin de sembler vouloir se situer au-dessus du
panier.
Heureusement en nos temps où la supercherie a fini par être vérifiable, ces
artistes suffisants commencent à être en voie d’extinction – la nature fait
bien son œuvre.
Mike Westbrook et sa troupe avec en tête Kate au chant très gouailleur façon
Weill/Brecht aurait très vite pu être étiqueté tel, mais sa musique possède
tant de ressors qualitatifs que les projets aux univers captivants dans
lesquels il embarque l’auditeur échappent à cet éclairage déstructurant.
A partir et sur de nombreux texte de Rimbaud, Garcia Lorca, Hesse, Blake, etc.
l’artiste et son collectif nous embarquent dans une dimension tant moderniste
qu’intemporelle, chargée d’influences jazz mais aussi d’une sorte de mélange de
musiques européennes et de rock façon R.I.O (d’ailleurs Lindsay Cooper de Henry
Cow est là, au basson).
Dès l’envoutant et nerveux « It Starts here » qui sert d’ouverture
sur un riff rock d’où va émerger le sax free certainement de Chris Biscoe
soutenu par un immense crescendo orchestral d’où surgira Brian Godding pour un
solo de guitare Crimsonien, voilà, le ton est donné et il va falloir pénétrer
dans l’album ou en partir à jamais.
Puis ce sera « Démocratie », sur un drone de violoncelle qui va
s’amplifier au fil de la teneur du texte, chanté et mélodisé tel un Kurt Weill
des temps modernes – lui qui était déjà très moderne de son temps… pour
s’élargir vers un lieu ouvert où basson et guitares se croisent et se chargent
d’effets de pédaliers inédits.
Puis ce sera « Berlin » ouvert par un trombone a capella et modulé
avec violoncelle – extraordinaire !
Bref, il sera inutile de décliner ici tous les titres tant leurs états et
éclats respectifs sont captivants pour créer cette immense fresque unique,
originale et complètement déviante, mais sachons qu’une fois installés dans
cette musique, il sera bien difficile d’oser en sortir.
Certainement l’un des albums cultes les plus sous-estimés d’un jazz collectif
européen aux couleurs prog rock, free jazz, modernisme classique et
multiculturel et à mon sens l’un des plus phénoménaux de l’histoire d’un genre
en perpétuel développement.
Entre Henry Cow, les Art Bears, Kurt Weill, Stravinsky, Ornette et Zappa.
The
Cortège - Mike Westbrook (Full Album) - YouTube
---
6- MEL LEWIS AND THE JAZZ ORCHESTRA « PLAYS THE COMPOSITIONS OF HERBIE
HANCOCK - LIVE IN MONTREUX » - MPS 1982
La musique de Herbie Hancock se prête à toutes les possibilités.
J’ai eu l’occasion d’aller à un concert de ce fabuleux big band, mené à la
baguette par ce batteur archétype du genre que fut Mel Lewis. Une véritable
caisse de dynamite faisant exploser ses sections les unes après les autres et
ne laissant aucun répit tant à l’orchestre qu’aux solistes.
Pour un passionné de big band, « voir » le Mel Lewis big band en
action a été une expérience enrichissante.
Bien sûr les arrangements restent relativement « classiques », ce
même s’ils sont signés Bob Mintzer.
Bien sûr l’aspect West Coast qui sait se débrider à tendance phrasé bop est de
mise.
Bien sûr la réelle originalité moderniste n’est pas spécialement globalement de
mise et on semble être plus en terrain connu qu’en découverte.
etc.
Mais il serait dommage de se priver d’un tel orchestre juste parce que,
finalement, il est quelque part représentatif des critères les plus
« communs » de l’archétype big band.
En public, cet orchestre est totalement jubilatoire et c’est une évidence dès
le premier titre « One Finger Snap », balancé à la face du public du
festival de Montreux avec un brio que les applaudissements fournis approuvent
d’emblée.
Et puis, si l’on prête l’oreille sur les seuls arrangements, malgré leur
conception commune en apparence de gestion des pupitres et solistes, la musique
de Herbie Hancock même dans ce cadre ouvre un champ de possibilités timbrales,
modales et conceptuelles qui, en soit, reste une originalité.
Et ses représentants en mode grosse artillerie qui envoient du lourd la
pluralise avec un réel bonheur.
Joe Lovano – Jim McNeely – Steve Coleman – Dick Oatts, presque pas encore des
célébrités… sont de la partie.
Il faut prendre son pied quand ça se présente et avec un tel album on n’est pas
déçu.
Et lors de ce concert c’est l’évidence côté scène comme côté public.
Mel
Lewis & the Jazz Orchestra Play the Compositions of Herbie Hancock Live in
Montreux – Mel Lewis, The Jazz Orchestra Full Album - YouTube
---
7- MAYNARD FERGUSON « M.F.HORN 3 » - Legacy Recordings 1973.
Ah !... Maynard Ferguson …
Le trompettiste gueulard, cuivré 100%, assourdissant, à la tête d’un big band
en général posé sur le même axiome.
Soliste beau gosse, Maynard a apporté à la trompette clinquante de belles
lettres de noblesse.
Je ne suis pas un réel fan, pour autant je l’ai pas mal écouté, il faisait et
reste figure de référence.
Donc, peu d’albums en ma possession mais aujourd’hui le recul me permet d’en
apprécier la pugnacité, l’énergie incroyable qui s’en dégage et surtout la
qualité des arrangements.
Avec un répertoire qui va mélanger jazz, pop, groove et tout le panel
contemporain de l’époque des sorties d’album, mis en reliefs par de brillants
arrangeurs qui forcément destinent leurs écrits à la surbrillance de leur
patron soliste.
Jaco avait repéré l’incitateur et puissant drummer Peter Erskine chez Maynard
et il l’a débauché pour Weather Report, ce big band synthétique futuriste – ça
a été une belle affaire et surtout un tandem mythique qui n’a échappé à
personne.
Il y a beaucoup d’albums de Maynard Ferguson et faire un choix dans sa
bibliothèque discographique c’est ardu… et inégal, d’autant qu’en chaque album
se cache quelques petites perles qui méritent à elles seules quelques détours.
Maynard c’est un peu la F1 du big band version trompette. Il entre en piste et
direct il monte dans les tours et n’a qu’un seul objectif : gagner et
franchir haut la main la ligne d’arrivée des aigus, puis tant que possible, des
suraigus. Il gagne quasiment à chaque fois d’ailleurs.
Et il fera peut-être bien se décrocher les petits tweeters de vos vieilles
enceintes si vous n’y prenez garde, car Maynard, ça claque direct et sans
filtre.
Je me mets à la place de l’ingé son face à ce déferlement de saturation
naturelle de cuivres, regardant les gains monter systématiquement dans le rouge
et tenter d’en garder l’essence sans pour autant se retrouver avec des pistes
ingérables.
« Awright, awright » ouvre le bal et direct je vois l’autoroute en panavision
avec ses multiples échangeurs américains. L’inspecteur Harry serait-il l’invité
de la partie ?
Pete Jackson (hyper inspiré) au Fender Rhodes a sorti le module wahwah, Randy
Jones emplit de son drumming éclatant le panel sonore, Dave Markee a la ligne
de basse groovy et inventive et Ray Cooper viendra plus tard en renfort
percussif. Bon, on y est, le sujet est posé et ça ne va pas blaguer.
Les couleurs de cuivres alternent sourdines, open sound et aigus pétaradants
Jouissif d’emblée et ce jeu de dissonances est vraiment passionnant à
constater.
« Round Midnight » va subir un traitement magnifique et Maynard va le
chanter au bugle sur un environnement doucereux. Il va livrer une aisance
instrumentale déconcertante et tout cela sera bien aguicheur pour entrer dans
ce thème monkien incontournable du répertoire, révisé ici au surligneur
étincelant. On aimera, ou pas, mais en tout cas, rien d’anecdotique ici.
« Nice’n Juicy » conclut la face A. Quelques stop chorus pour engager
le combat bop saxes qui se pense swing mais va très vite déraper funk sous
thème rutilant de trombones. Le groove encore une fois est là, le jeu est bop
et décidément Pete Jackson va tirer l’épingle piano électrique de ce jeu
catalyseur d’énergie. Les tuttis sont flamboyants, techniques et envoyés comme
il se doit. Randy Jones appuie tout ce qu’il est possible de faire au sein de
son jeu.
Bruce Johnson lance un formidable solo de baryton, vivace et boosté à
l’adrénaline, il va permettre un nouveau tutti surchargé de batterie presque
soliste qui va à nouveau ouvrir le champ soliste, au superbone (trombone à
pistons que Maynard joue également ici), cette fois. Un festival ces
tuttis ! Mais où était donc passé Maynard ? Eh bien, il se réservait
pour la coda où il se sont offert entre trompettistes une joute amicale de
suraigus des plus féroces.
Bon…
Face B.
« Pocahontas » place l’échiquier sur une ligne de basse latin-jazz.
Ça commence dur et technique et le pupitre de trompettes hurle en faisant
glisser ses notes jusqu’au paroxysme de tessiture. L’arrangement et le
« son » général est captivant, les pupitres parfaitement positionnés
qui laissent la part à ces trompettistes magnifiés. Décidément Bruce Johnson,
au baryton a la part belle et il prend acte de cette opportunité offerte de se
positionner abondamment en soliste. Un titre d’une rare complexité de
composition et d’écriture orchestrale.
Maynard n’a pas oublié d’être leader et il va contre toute attente sortir sa
sourdine pour faire émerger un solo éclatant de feeling avant d’ouvrir tout ça
pour terminer en beauté.
« Love theme from the Valachi Pepers ». Pete Jackson a lâché son
Fender Rhodes pour se tourner vers le « grand queue » qui trône dans
le studio et s’offre une introduction romantique. Puis Maynard va entrer en
chant au bugle, puis en brillance avec sa trompette, toutes expressions dehors.
L’arrangement est un écrin de velours, somptueux et exprimé avec une belle
musicalité. Il faut toujours une balade dans un album. En voici une.
Arrangements de trombone délicieux, au passage.
« Mother Fingers ». On n’a pas eu le temps de souffler que c’est
reparti, l’arrêt au stand a été de très courte durée et les voici repartis en
piste pour cette nouvelle course effrénée genre B.O de policier d’action
seventies qu’on aime tant. Les cuivres solistes se sont électrifiés ajoutant de
la hargne à tout cela.
« S.O.M.F » conclut en mode hindouiste l’album. Même en cliché, c’est
toujours intéressant de voir comment ces musiciens inventifs sont aptes à
récupérer toutes cultures, toutes possibilités qui permettraient d’étayer leurs
inspirations. On reprend funky avec toujours cette magnifique section rythmique
qui n’a pas lâché la prise du début à la fin de l’album, une section à la
BS&T avec tous les usages du genre.
Le voyage est déjà terminé. C’est passé si vite !
A peine entré sur la piste Maynard n’a quasiment pas fait d’arrêts au stand et
il n’a cessé de foncer droit devant afin de terminer en tête et brandir
fièrement sa coupe bien méritée.
J’ai admiré cette course et j’en repasse souvent les détails en me disant que
peut être bien, un beau jour, ce serait cool d’arriver à jouer de tels
arrangements.
Il faut toujours de beaux objectifs…
---
8- STEVE WEISBERG « I CAN’T STAND ANOTHER NIGHT ALONE (IN BED WITH
YOU) » - XtraWatt 1986.
1986, je suis en peine période Carla Bley, son influence est et reste, sur moi,
énorme.
Et sort ce pavé, sorte de ramification de la musique de la grande dame, avec
une grande partie de son orchestre et quelques artistes venus d’une certaine
nouvelle génération newyorkaise qui écume les clubs et les albums déviants le
jazz (Anton Fier, Wolfgang Puschnig, Karen Mantler – la petite amie de
Weinsberg, Eric Goldberg à l’accordéon, etc.).
Le casting pour mettre en avant la musique de ce « jeune homme » est
digne des plus grands orchestres de rêve avec en tête les amis de Carla (Lew
Soloff, Gary Valente, Victor Lewis, Steve Swallow, John Clark, Hiram Bullock, etc).
Et dès le premier titre on est troublés, comme si l’on était en face d’un « nouveau »
Carla Bley.
Un de plus basé sur ces arrangements d’une rare originalité et puisant
allègrement chez Weill, Rota et cette écriture de cabaret si américaine, sorte
de Circus dans lequel tout se mixe, se superpose, se mélange.
Puis on sortira progressivement au fil de l’album de cette sensation et cet
aspect familier va progressivement s’estomper pour laisser place à un album d’une
rare maturité, d’une rare originalité.
Un album dont on sait qu’il va falloir très vite le classer dans les favoris
mais également dans ceux cultes et représentatifs d’une évolution
caractéristique dans la mise en grand orchestre de ce jazz qui cette fois c’est
certain, n’a pas fini d’évoluer, de muter et de s’affranchir de ses axiomes
pour s’élargir à tout et vers un infini, tout en restant le point central de l’orientation
esthétique (« Table for one »).
Sorti chez XtraWATT, le label parallèle des productions de Carla cet album
bénéficie qui plus est d’une production sonore d’une exceptionnelle présence
qui permet d’apprécier, tant les arrangements d’une incroyable organisation (tel
le minimal et court « Walking Home Alone » qui clôt la face A puis va
réouvrir « autrement » la face B en plaçant quelques cordes
chambristes dans le spectre global) avec des pupitres aux couleurs lumineuses
et chaleureuses, que les solistes qui sont, rappelons-le, quelque part le plus
haut niveau de cette décennie.
Un sentiment de B.O sans images va finir par s’installer en nous, au gré des
plages, au gré des ambiances, de ces orgues théâtraux fantomatiques, de ces
solistes aux mils possibles, de ces pupitres en action compacte, de ces
compositions aux développements multiples et chargés d’inattendu.
« Trapped in True Love », avec un Lew Soloff absolument déchirant d’expressivité
– le genre de solo que tout trompettiste doit absolument écouter une fois dans
sa vie) ainsi qu’un Hiram Bullock totalement hendrixien suivi d’un solo de cor
de John Clark, est un titre à mettre dans toute playlist tant sa conception en
composition et en orchestration se doit d’être partagée abondamment.
L’album est court mais tellement intense qu’on en sort écarquillé, fasciné,
sous emprise et incapable de passer à autre chose, si ce n’est, même, incapable
de le remettre tant il a été fulgurant, instantané, immédiat… et transmetteur
de sensations ultimes.
Je terminerais donc ce troisième parcours d’albums de musique collective par celui-ci
qui n’est pas un des moindres et même certainement l’un des plus indispensables,
cultes, uniques et exclusifs.
Il s’enfuit sur ce petit gimmick quasi rock’n’rollesque joué par Weinsberg au
piano, où tout se mélange comme pour une recette nouvelle, qu’on réaliserait
avec les ingrédients dont on dispose afin « de voir », le résultat.
Pari gagné et chacun va y trouver de quoi s’extraire et de nous régaler.
Mais quel album !
---
Bon week end à toutes et tous et profitez bien de ces beaux jours printaniers.
Commentaires
Enregistrer un commentaire