GENE SHAW, CHARLES EARLAND, SONNY FORTUNE, JIMMY McGRIFF

 GENE SHAW, CHARLES EARLAND, SONNY FORTUNE, JIMMY McGRIFF

Avant d’attaquer la nouvelle rubrique (une interview surtout en période estivale ça s’organise…), allez, un petit tour de disquaires, de collectionneurs de raretés bien entendu souvent vinyliques, allez venez avec moi et fouillez comme au bon vieux temps dans le(s) bac(s) à disques.
C’est parti !

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GENE SHAW : « Carnival Sketches – composed and arranged by Richard Evans » - Argo 1964
Gene Shaw - trompette / Richard Evans, composer, arranger - basse / Marshall Thompson, Vernel Fournier – batteries / Kenny Soderblom – Flute, Bass Flute / Roland Faulkner – Guitares / Ed Higgings – piano / Charles Stepnay – Vibraphone / Benny Cooke – Congas, percussions.

L’incroyable influence hispanisante sortie de Miles/Gil Evans en Sketches, mâtinée latin jazz, assouplie bossa voilà un album qui ravit les amateurs d’emblée dès la première suite d’accords et de clichés caractérisés qui en deux titres s’installe en toute souplesse féline.
Hors des usages gueulards en suraigus du genre détourné Gene Shaw arrondit l’affaire, mélodise le contexte, jazzifie le propos. Vibraphone et guitare c’est un tapis moelleux sur progression typique de ces harmonies qu’on retrouvera autant chez Bizet, le paso doble, l’opérette de Francis Lopez, le boléro façon Ravel (« Soulero »), les fanfaronnades délirantes de Chick Corea et bien sûr Miles.
« Cha bossa » résumerait presque le synthétisme de ces orientations musicales en vogue en ces années, un cocktail ensoleillé qui enivre en toute simplicité apparente mais concocté avec de subtils mélanges d’éléments et d’ingrédients pris çà et là dans le panel qu’offre désormais la musique.
C’est avec « Street Dance » que ça va commencer à chauffer sur ces congas qui se débrident et me rappellent tant (vibraphone) M’boom que Kip Hanrahan.
Le leader laisse largement la place aux solistes pour mettre en œuvre une jam session organisée et arrangée, aménagée dans un espace composé et conceptuel où chaque élément tant de personnalité que d’instrumentalité est subtilement mise à sa place.
La production est d’une remarquable netteté pour cette époque et au regard de la conséquence instrumentale l’agencement de l’orchestre est quasi pointilliste, permettant le détail, l’écoute globale tant qu’individuelle et de « circuler » dans cette moiteur chaleureuse chargée d’une imagerie où se faire sa B.O n’est pas exclu.
Un album qui peut tourner sans fin et qui est parfait pour engager les premières chaleurs estivales.
Et cet artiste, Gene Shaw, il est temps d’y jeter une oreille plus qu’attentive…
Et pour ceux qui aiment les albums en forme de concept, projet, direction, « Carnival Sketches » mérite le détour.

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CHARLES EARLAND :  « Black Talk ! » - Prestige 1969
Charles Earland – Orgue / Virgil Jones – trompette / Houston Person – Tenor Saxophone / Melvin Sparks – Guitare / Idris Muhammad – Batterie / Buddy Caldwell – Congas.

Oh là, ces mecs ne plaisantent pas !
La sensation habituelle et tellement bienfaisante de cette entrée en studio qu’on a réservé urgemment pour une seule date (15/12/1969), à la sortie du gig de club de la veille, histoire de graver l’osmose du groupe.
On connait… le matos est là, on balance le matin, vite fait, on a listé les titres et les interventions, les arrangements sont sur le pupitre, l’ingé son s’est affairé avec son staff, chacun a tricoté un peu ses grilles, ses gammes, ses réglages afin de donner sans public l’équivalent du meilleur de soi.
On est parti vite fait au Fast Food du corner afin de se remplir l’estomac et en enfilant son burger on a refait rapidos le point.
Puis on s’est enfilé un petit stimulant liquide ou vaporeux afin de surfer sur ce groove qu’on sait parfaitement engager.
Début d’aprèm’, Rudy Van Gelder a donné le top départ et aujourd’hui il se souvient : « I Remember the sessions well, I remember how the musicians wanted to sound, and I remember their reactions to the playbacks.Today, I fell stongly that I am their messenger ».
Pas une seconde de baisse d’énergie, pas un instant de relâche, une sorte de nécessité absolue émane de cet album, comme si c’était là où jamais, comme si c’était le témoignage ultime, obligatoire, la mission de graver cette osmose dévastatrice.
Impossible de passer à côté d’un brûlot pareil.

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SONNY FORTUNE « With Sound Reason » - Atlantic 1979.
Sonny Fortune all saxophones et flûtes / Ray Gomez – Guitares / Mark Egan, Willy Weeks – Basses / Steve Jordan – Batterie / Larry Willis – Claviers / Sammy Figueroa, Manolo Badrena, Raphael Cruz – percussions.

Sonny Fortune ?...
Mais oui, bien sûr, on a lu son nom et écouté ses participations dans la période Miles électrique seventies et pas des moindres, là où ça a pris la tournure définitive (« Get up With hit », « Big Fun », « Agharta et Pangea »), ultime et destructrice.
Sorte d’archétype de cette production funk jazz (cf le Herbie Hancock de « Secrets », les albums de Steve Khan…) cet album devrait figurer parmi les références du genre.
La quasi-totalité des ficelles du genre sont là, merveilleusement agencées que ce soit dans le jeu instrumental, les caractéristiques des sonorités des instruments, jusqu’à la production studio avec les effets dont il était coutume de faire usage en cette fin décennie seventies.
J’ai toujours eu un penchant affectif dès que je plonge dans cet pré-fusion, déjà éloignée du jazz rock, ancrée dans ce groove enraciné dans la culture afro américaine, modélisée par JB, Miles et le funk-disco post rythm’n’blues définitivement inscrit.
Sonny Fortune avec un nom pareil aurait pu/dû avoir une autre reconnaissance qu’une certaine estime qui plus est certainement liée à ses participations au sein de groupes incontournables (Miles, Elvin Jones, Dizzy, Mc Coy Tyner…) et cet album permet de remettre certaines pendules à une heure où la pléthore de productions jazz-funk de ce genre finissait par noyer des pépites comme celle-ci.
Le staff musical n’y est pas pour rien, c’est évidence, mais il y là également les compositions toutes en finesse de Larry Willis, la différentiation d’ambiance mue par les deux bassistes aux fortes identités  et personnalités de jeu.
Steve Jordan se pose en éternel pilier astucieux qu’il a toujours été et avec le temps sa présence ici le vérifie largement.
Notre français d’exportation Ray(mond) Gomez est très demandé à cette époque (chez Stanley Clarke entre autre il se fera renommée) et là encore l’on comprend pourquoi.
Quand à Sonny Fortune toujours inventif, jamais en langage inutile, précis et mélodiste même dans la vélocité, il offre une belle alternative à ceux qui, par exemple, se rappellent un certain B.Maupin, chez Herbie, justement.
Le maître d’ouvrage est Larry Willis et leur complicité est évidence.
Superbe album.

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JIMMY MC GRIFF ORGAN AND BLUES BAND PLAYS « The Worm » - Blue Note 1968
Jimmy Mc Griff – orgue / Danny Turner – Alto Saxophone / Robert Ashton – Barytone Saxophone / Fats Theus – Tenor Saxophone / Blue Mitchell – Trompette / Thornel Schwartz – guitare / Bob Bushnell – Fender Bass / Grady Tate, Mel Lewis – Batterie.

Son chaud, saturé, ça s’enflamme dès le premier sens drivé par le blues.
C’est simple : c’est immédiatement prenant, addictif, enthousiasmant.
Solos déterminé qui ne laissent place à la mansuétude, riffs qui poussent au c…, tempos tenus de vive force, on fonce tout droit vers la ligne d’horizon, on drive ça avec l’énergie d’un big band sur-électrifié, l’obligation urgente du bop, la diction engagée du hard bop, le tracé du blues, l’écriture engageante des cuivres… en une poignée de titres on est entrés dans le club, on s’est laissé happer par cette énergie, on est resté vissé au bar en bougeant tout son corps implacablement embarqué dans ce sillage tourbillonnant, enivrant, obsédant, magnifique.
« Think » d’Aretha suit le brillantissime « Heavy Weight » qui explose en tous sens et il s’inscrit dans la foulée, reconnaissable sans plus identifiable certainement, mais reboosté organiquement de façon totalement jubilatoire.
On sort presque épuisé de cette plongée marathonienne au swing massif, au groove heavy, au blues marqué au fer rouge, épuisé mais neuf, heureux et tellement « bien »…

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Quatre albums à la chaleur pré-estivale obligatoire,
Quatre albums à écouter à pleine puissance, oui, le jazz peut aussi s’écouter ainsi.
Quatre albums impératifs à mettre en haut de la pile qui commence sérieusement à vaciller…
Mais une fois là, on y reviendra souvent…

Allez, bonne soirée à tous.






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