CARLA BLEY – Saison 5 – Opulence ou intimisme – à l’aube du XXIe – Chapitre 1.

 CARLA BLEY – Saison 5 – Opulence ou intimisme – à l’aube du XXIe – Chapitre 1.


 « DREAMS SO REAL » / Gary Burton – ECM 1976


Reprendre le chemin de l’opulente discographie de Carla Bley sans parler, en préambule, de cet album parallèle, mais en vibrant (sans jeu de mots) hommage à la dame m’est apparu comme impossible.
C’est un peu comme si, en fait, ce « Dreams So real » était un album de Carla Bley. Il est constitué exclusivement de ses compositions mais leur interprétation y  est souvent simple et dénuée d’effets instrumentaux – la musique de la dame est là dans sa plus simple expression.
Les protagonistes, sous la houlette de Gary Burton, ce grand découvreur de talents, jouent là un jeu chambriste qui met en valeur tant la délicatesse du vibraphone que les thèmes choisis.
Et pas n’importe lesquels, un tout jeune Pat Metheny à la guitare acoustique 12 cordes, un remarquable Mick Goodrick en contrapuntiste à la guitare électrique, Steve Swallow est le pilier incontournable du projet, sorte d’assurance musicale des compositions de Carla et aux drums c’est Bob Moses qui officie (il sera d’ailleurs le partenaire de Metheny dans son premier album – culte - ECM « Bright Size Life », aux côtés de Jaco Pastorius), le maitre de la finesse…
Pas de solo bavards ou inutiles, pas d’échappée virtuose, ici tout est cadré par la musique de Carla Bley et se doit d’y être inscrit.
C’est sorti en 76.
Ça n’a pas pris une ride et c’est là l’un des albums de Carla Bley – ou de Gary Burton… ou tout simplement d’un jazz que l’on dit moderne, flirtant souvent avec le free, qu’il faut écouter au moins une fois dans sa vie.
Tout simplement « inspirant » tant qu’inspiré.

 

CARLA BLEY/STEVE SWALLOW : « DUETS » - Watt 1988


Plus que de l’amitié bien entendu, un partage amoureux de la musique et de la vie commune – une évidence dès les premières notes monkiennes de « Baby Baby », un tantinet désincarné, un soupçon décalé, syncopant sur le fil, genre, « on y va ? on leur montre vraiment ? ».
Les détracteurs de la Carla pianiste en auront là pour leurs médisances, les admirateurs de son jeu toujours posé au service de l’orchestre peuvent enfin se régaler à la comprendre, l’entendre dans ce contexte où, on le savait… elle côtoie aisément les plus grands.
Steve Swallow est créatif au possible et ils jouent tous deux en bon couple qui se connait à la perfection, tantôt chat et souris, tantôt séductrice/teur, ils causent, échangent, s’installent, vivent devant nous, s’activent, se posent.
La vie, quoi… mais en « leur » musique.
Ici, quelques compositions inédites et d’autres reliftées pour la forme et la formule que l’on retrouve là avec un bonheur non contenu (« utviklingssang » toujours aussi chargé d’émotion, « Walkingbatteriewoman », « Reactionnary Tango » presque baroque…).
Je repense à Monk, à Paul aussi… mais ça s’efface car cette Carla, mais quelle pianiste !...

 
« FLEUR CARNIVORE » - Watt 1989


Un album où je fonds dès les premières notes…
Ce thème de « Fleur Carnivore » me fait frissonner à chaque fois, c’est ainsi.
C’est grandiloquent, c’est la charge héroïque de l’émotion exacerbée, avec la pointe d’exagération poussée par cet humour qui n’est jamais bien loin – en faire plus, mais jamais trop… rester dans le truc et le faire elle tout en le faisant sien mais quel challenge pour chaque soliste !
Car ici l’équilibre band/soliste est simplement miraculeux.
Les passages orchestraux en tuttis ou en accompagnements sont d’une éternelle précision, d’une remarquable vérité, leur sens est immédiat, leur tenue solide, d’une grande intensité, nuancée, colorée instrumentalement et expressive, ce même quand l’accroche purement jazz se glisse çà ou là, flirtant jusqu’avec le Dixie (« Fleur Carnivore »), saupoudrant de bossa (« Song of the Eternal Waiting of Canute »), ou encore virevoltant sur une valse jazz décalée (« Ups and Downs »), sans oublier le choral gospelisant (intro de « Healing Power ») qui va tourner rythm’n’blues ...
Quant aux solistes… Pushing, Valente, Sheppard, Soloff, Karen Mantler (délicieux harmonica « the girl who cried champagne »), chacune de leurs interventions est un pur moment de jouissance tant ils s’impliquent et donnent à cette musique tout son-leur exceptionnel caractère.
Des enregistrements live d’une tournée 1988, certainement l’un des meilleurs grands orchestres de jazz de ces eighties, l’un des plus créatifs, inventifs, imaginatifs et subversifs.  
Carla remet les compteurs du jazz à zéro, elle peut parcourir le monde en conquérante avec un tel ensemble, elle est juste au sommet et elle a embarqué avec elle la plus soudée, engagée et compétente des équipes.
Sommet de l’album ? « The Girl who Cried Champagne », cette suite en trois parties reposant sur un riff « en prétexte » obstiné, qui ne « bronche pas », immuable et pourtant subissant le schéma des habituelles « variations » à la Carla (cela ferait un véritable sujet d’école… elle y jette même un bout fugace de « Real Life Hits ») … et (rem)porté (Part 1) par un Soloff incroyable qui déchire et emporte tout le monde sur son passage.
Mais pas que… car ici les solistes… bon, d’ailleurs c’est Valente qui va nous achever…

Cet album, là encore… que dire ? Si ce n’est qu’il est - essentiellement essentiel…

PS : On trouve ce concert sur YouTube. C’est un vrai bonheur que de les voir s’éclater sur scène…

 

« THE VERY BIG CARLA BLEY BAND » - Watt 1991

Forcément, le titre, ça sonne gâteau avec le max de crème…
Carla a renforcé son équipe et renforcé les pupitres, elle revient à ses premières amours, repense à Escalator, Dinner Music et balance tout son « jazz savoir-faire », Monk et Mingus sont en première ligne d’un tir groupé sur « United States » qui dès le départ pose le sujet.
Encore une suite en multi-trappes référentielles de ces prétextes thématiques dont Carla Bley sait tirer les ficelles pour les emmener vers des contrées d’écriture qu’elle possède à la perfection et qu’elle sait faire exécuter avec cette même perfection.
C’est puissant, c’est dense, c’est intense, « very big » donc jusqu’à l’exactitude de l’intitulé initial -
une sorte de symphonisme jazz, onirique, enthousiasmant, grandiloquent, un « Magic Circus » où le jazz se parade et se pare de mil feux rutilants et cuivrés.
On pourrait croire et dire que la recette s’épuise, on pourrait imaginer décrocher, on voudrait se convaincre que, pourquoi pas…
Mais Carla Bley ressort ici un grand jeu que l’on retrouve avec délectation. Elle réunit là toute sa musique, celle de ses « débuts », que certains regrettaient de ne retrouver dans ses dernières productions et celle de la rigueur d’écriture recadrée dans ses plus récents albums.
Free, jazz en toutes modernités, déviances stylistiques (jusqu'à latinisantes, un axiome avec lequel elle flirte ces derniers temps) et autres reflets en hommages sonores imagés émaillent cet album brillant, scintillant, lumineux et illuminé du génie de la dame.


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Il faudra bien un second chapitre de cette saison V – Carla Bley ne cesse d’être prolifique et nous ne sommes pas encore arrivés en XXI siècle… « The Very Big » ouvre le dernière décennie d’un XXe et elle va encore largement surprendre et rester aux sommets créatifs avec pas moins de six albums…

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