CARLA BLEY – Saison 5 – Opulence ou intimisme – à l’aube du XXIe – Chapitre 1.
CARLA BLEY – Saison 5 – Opulence ou intimisme – à l’aube du XXIe – Chapitre 1.
Reprendre le chemin de l’opulente discographie de Carla Bley sans parler, en préambule,
de cet album parallèle, mais en vibrant (sans jeu de mots) hommage à la dame m’est
apparu comme impossible.
C’est un peu comme si, en fait, ce « Dreams So real » était un album
de Carla Bley. Il est constitué exclusivement de ses compositions mais leur
interprétation y est souvent simple et dénuée d’effets instrumentaux – la musique de
la dame est là dans sa plus simple expression.
Les protagonistes, sous la houlette de Gary Burton, ce grand découvreur de
talents, jouent là un jeu chambriste qui met en valeur tant la délicatesse du
vibraphone que les thèmes choisis.
Et pas n’importe lesquels, un tout jeune Pat Metheny à la guitare acoustique 12
cordes, un remarquable Mick Goodrick en contrapuntiste à la guitare électrique,
Steve Swallow est le pilier incontournable du projet, sorte d’assurance
musicale des compositions de Carla et aux drums c’est Bob Moses qui officie (il
sera d’ailleurs le partenaire de Metheny dans son premier album – culte - ECM « Bright
Size Life », aux côtés de Jaco Pastorius), le maitre de la finesse…
Pas de solo bavards ou inutiles, pas d’échappée virtuose, ici tout est cadré
par la musique de Carla Bley et se doit d’y être inscrit.
C’est sorti en 76.
Ça n’a pas pris une ride et c’est là l’un des albums de
Carla Bley – ou de Gary Burton… ou tout simplement d’un jazz que l’on dit
moderne, flirtant souvent avec le free, qu’il faut écouter au moins une fois dans
sa vie.
Tout simplement « inspirant » tant qu’inspiré.
CARLA BLEY/STEVE SWALLOW : « DUETS » - Watt 1988
Plus que de l’amitié bien entendu, un partage amoureux de la musique et de la
vie commune – une évidence dès les premières notes monkiennes de « Baby
Baby », un tantinet désincarné, un soupçon décalé, syncopant sur le fil, genre,
« on y va ? on leur montre vraiment ? ».
Les détracteurs de la Carla pianiste en auront là pour leurs médisances, les
admirateurs de son jeu toujours posé au service de l’orchestre peuvent
enfin se régaler à la comprendre, l’entendre dans ce contexte où, on le savait…
elle côtoie aisément les plus grands.
Steve Swallow est créatif au possible et ils jouent tous deux en bon couple qui
se connait à la perfection, tantôt chat et souris, tantôt séductrice/teur, ils
causent, échangent, s’installent, vivent devant nous, s’activent, se posent.
La vie, quoi… mais en « leur » musique.
Ici, quelques compositions inédites et d’autres reliftées pour la forme et la
formule que l’on retrouve là avec un bonheur non contenu (« utviklingssang »
toujours aussi chargé d’émotion, « Walkingbatteriewoman », « Reactionnary
Tango » presque baroque…).
Je repense à Monk, à Paul aussi… mais ça s’efface car cette Carla, mais quelle
pianiste !...
Un album où je fonds dès les premières notes…
Ce thème de « Fleur Carnivore » me fait frissonner à chaque fois, c’est
ainsi.
C’est grandiloquent, c’est la charge héroïque de l’émotion exacerbée, avec la
pointe d’exagération poussée par cet humour qui n’est jamais bien loin – en faire
plus, mais jamais trop… rester dans le truc et le faire elle tout en le faisant
sien mais quel challenge pour chaque soliste !
Car ici l’équilibre band/soliste est simplement miraculeux.
Les passages orchestraux en tuttis ou en accompagnements sont d’une éternelle
précision, d’une remarquable vérité, leur sens est immédiat, leur tenue solide,
d’une grande intensité, nuancée, colorée instrumentalement et expressive, ce
même quand l’accroche purement jazz se glisse çà ou là, flirtant jusqu’avec le
Dixie (« Fleur Carnivore »), saupoudrant de bossa (« Song of the
Eternal Waiting of Canute »), ou encore virevoltant sur une valse jazz
décalée (« Ups and Downs »), sans oublier le choral gospelisant
(intro de « Healing Power ») qui va tourner rythm’n’blues ...
Quant aux solistes… Pushing, Valente, Sheppard, Soloff, Karen Mantler (délicieux
harmonica « the girl who cried champagne »), chacune de leurs
interventions est un pur moment de jouissance tant ils s’impliquent et donnent
à cette musique tout son-leur exceptionnel caractère.
Des enregistrements live d’une tournée 1988, certainement l’un des meilleurs grands
orchestres de jazz de ces eighties, l’un des plus créatifs, inventifs, imaginatifs
et subversifs.
Carla remet les compteurs du jazz à zéro, elle peut parcourir le monde en
conquérante avec un tel ensemble, elle est juste au sommet et elle a embarqué
avec elle la plus soudée, engagée et compétente des équipes.
Sommet de l’album ? « The Girl who Cried Champagne », cette
suite en trois parties reposant sur un riff « en prétexte » obstiné, qui
ne « bronche pas », immuable et pourtant subissant le schéma des
habituelles « variations » à la Carla (cela ferait un véritable sujet
d’école… elle y jette même un bout fugace de « Real Life Hits ») … et
(rem)porté (Part 1) par un Soloff incroyable qui déchire et emporte tout le
monde sur son passage.
Mais pas que… car ici les solistes… bon, d’ailleurs c’est Valente qui va nous
achever…
Cet album, là encore… que dire ? Si ce n’est qu’il est - essentiellement
essentiel…
PS : On trouve ce concert sur YouTube. C’est un vrai bonheur que de les
voir s’éclater sur scène…
« THE VERY BIG CARLA BLEY BAND » - Watt 1991
Forcément, le titre, ça sonne gâteau avec le max de crème…
Carla a renforcé son équipe et renforcé les pupitres, elle revient à ses
premières amours, repense à Escalator, Dinner Music et balance tout son « jazz
savoir-faire », Monk et Mingus sont en première ligne d’un tir groupé sur « United
States » qui dès le départ pose le sujet.
Encore une suite en multi-trappes référentielles de ces prétextes thématiques dont
Carla Bley sait tirer les ficelles pour les emmener vers des contrées d’écriture
qu’elle possède à la perfection et qu’elle sait faire exécuter avec cette même
perfection.
C’est puissant, c’est dense, c’est intense, « very big » donc jusqu’à
l’exactitude de l’intitulé initial -
une sorte de symphonisme jazz, onirique, enthousiasmant, grandiloquent, un « Magic
Circus » où le jazz se parade et se pare de mil feux rutilants et cuivrés.
On pourrait croire et dire que la recette s’épuise, on pourrait imaginer
décrocher, on voudrait se convaincre que, pourquoi pas…
Mais Carla Bley ressort ici un grand jeu que l’on retrouve avec délectation.
Elle réunit là toute sa musique, celle de ses « débuts », que
certains regrettaient de ne retrouver dans ses dernières productions et celle
de la rigueur d’écriture recadrée dans ses plus récents albums.
Free, jazz en toutes modernités, déviances stylistiques (jusqu'à latinisantes, un axiome avec lequel elle flirte ces derniers temps) et autres reflets en
hommages sonores imagés émaillent cet album brillant, scintillant, lumineux et
illuminé du génie de la dame.
---
Il faudra bien un second chapitre de cette saison V – Carla Bley ne cesse d’être
prolifique et nous ne sommes pas encore arrivés en XXI siècle… « The Very
Big » ouvre le dernière décennie d’un XXe et elle va encore largement
surprendre et rester aux sommets créatifs avec pas moins de six albums…
Commentaires
Enregistrer un commentaire