CHICK COREA
CHICK COREA – 12 Juin 1941/Chelsea | 09 Fevrier 2021 Tampa
Bay.
Voilà, la liste s’allonge…
Il n’est plus et bien sûr, sa musique reste et, en cette période où le terme d’essentiel
semble galvaudé, ce que je sais, c’est que pour ma part… sa musique l’a été.
Chick Corea c’est une découverte d’adolescence, en cette
période de la vie où nombre de goûts se font, où la curiosité si elle est
émergeante est un vecteur à la découverte, l’aventure, l’audace même.
Il avait suffit d’un article, intitulé « les mains de Miles » pour
entrer dans une danse digitale mettant en exergue Herbie, Joe, Keith et Chick.
Quatre noms à retenir…
Quatre noms à découvrir pour le gamin que j’étais.
Quatre univers à explorer.
J’ai su alors que je l’avais maintes fois entendu, mais sans vraiment y prêter plus d’attentions que cela, en sideman son jeu serré, incisif et véloce était indentifiable… certes, mais il me fallait pour ma part, justement… l’identifier.
Ce fut fait avec « No Mystery » l’un des albums les plus directs et
radicaux de Return to Forever, ce groupe à l’étiquette jazz rock, pour le coup,
en seconde mouture avec l’arrivée de Al Di Meola qui, racontait-on, avait fait
le forcing, K7 de démo à l’appui, auprès du grand Chick pour entrer et détrôner
Connors.
Entrer dans l’univers électrique estampillé tel que, de Mr Corea, dans les
années 70, par cet album ce fut un peu comme entrer chez Miles par « On
the Corner » et « Live Evil », pour ma part.
Un sorte de lave en fusion avec des giclées de saturations acides, de
triturages par modules interposés de claviers détournées de leurs destinations initiales
pour se créer d’autres fonctionnalités…
Une agression sonore acidulée et nerveuse, virtuose et hallucinante, pétillante
et joviale, une désinvolture de haute volée.
En écrivant je n’ai pas besoin de réécouter l’album, tant sa cicatrice et sa
signature auditive sont directement liées à mon souvenir. Je l’ai écouté des
heures et si à l’époque mon obsession n’était guère encore pianistique ou claviériste
(puisque batteur je devins vite obsédé par l’énergie tant que la fluidité et le
« groove » de Lenny White), j’y avais retenu une leçon de composition
et d’organisation qui savait habilement mêler un intellectualisme d’écriture
avec une énergie immédiate et à l’impact juvénile.
Alors j’ai creusé, suivi et bien évidemment inscrit le nom
de Chick Corea au panthéon de mes points d’ancrages d’influences inévitables
avec, il se doit, les ramifications émanant de ses aventures musicales,
stylistiques…
La sphère Corea est vaste, captivante et d’une ouverture rare et vaste et les
seuls axes de piano ou clavier ne suffisent pas à la cerner… Il faut parler de
pédagogie, de recherche, de composition, d’orchestration, de langage…
Chick Corea se tire la bourre avec Keith de façon
délicieuse, free et totalement indescriptible chez Miles dans une période dite « électrique »
où une rivalité amicale assortie d’un espace vierge à défricher leur est offert,
souvent en captation live.
On lâche deux gamins virtuoses dans une nature luxuriante et on leur donne des
nouveaux joujoux avec la consigne : go !
Et puis Chick chez Miles est là, seul dans cet album que je vénère parmi la
foisonnante discographie de cette époque du Dark Magus : « Black Beauty ».
Il a changé son adversaire de joute musicale et s’attaque directement à Miles lui-même,
Steve Grossman peinant admirablement à trouver sa place et se sortir de ces volutes,
ces trappes en jets véloces, ces interjections permanentes qu’il jette à la
trompette du boss, celui-ci monté sur le ring et ayant là affaire à un jeune
adversaire avec lequel dès l’entrée en « Directions » il sait qu’il
va avoir à en découdre…
Passionnant et instructif.
A partir de là, Chick Corea s’est posé en symbole à mon
esprit.
Liberté, niveau technique la permettant sans la moindre contrainte et une
énergie vorace chargée d’une imagination illimitée.
Je poursuis en vrac et me souviens…
« Romantic Warrior » avec son chevalier en armure, cette fable
médiévale en mode concept album que l’on classerait aisément dans le prog –
jazz - rock…
Al, Lenny et Stanley sont au taquet de leur niveau instrumental et sont devenus
en une poignée de mois, des références, des leaders sur leurs instruments
respectif et Chick a déjà dépassé cette dimension. Son environnement est aussi impressionnant
que celui de Rick Wakeman, celui-ci flirte avec le jazz rock, d’ailleurs…
« Romantic Warrior » est emblématique et incontournable même si Chick
y reste de l’école des pianistes, ce qu’il restera même en claviériste alors
que Joe avec sa météo a déjà franchi le pas vers la fonctionnalité
claviéristique, de par son jeu orchestral détaché de l’axe véritablement
pianistique.
Chick Corea dans ces années discographiques de surproduction créative en a balancé des albums avec des pochettes de mise en scène hasardeuse, costumé, kitch ou sobre… un choix aussi vaste que la musique qu’il va progressivement placer en kaléidoscope stylistique, jonglant avec ceux-ci comme seul un virtuose de l’instrument et de l’écrit de sa trempe peut le faire.
« Friends » et sa bardée de schtroumpfs est l’un des albums qui aura
retenu mon attention…
et mis sur le chemin d’une rythmique qui m’aura fait rêver et sera vite devenue une ligne de mire à tenter suivre : Gadd/Gomez.
« Friends » est aussi un florilège de compositions absolument
magiques portées par les saxs mais aussi la délicatesse de la flûte de Joe
Farrell – nous sommes en 1978 et je lorgne de plus en plus vers le jazz. Cet
album m’aura aidé à franchir ce cap. Il m’arrive encore régulièrement de l’écouter.
Dans ces années-là Herbie et Chick étaient partis sur la route pour quelques
joutes pianistiques à deux pianos… on admirait, on écarquillait les yeux et l’on
savourait l’aisance des deux compères.
J’ai suivi, j’ai admiré comme ces ébats guitaristiques entre Al, Paco et John…
mais ils se sont évaporés dans le temps…
C’est très vite son association avec Gary Burton en duo qui a fait la
différence et m’a présenté l’autre versant de l’artiste.
« Duet », chez ECM en 1978 fut et reste une sorte de doux choc musical…
J’y découvrais alors les bribes de ces pièces minimalistes (dont deux présentes
sur « Friends ») que sont le « Children’s Songs », devenues
concept pédagogique à placer auprès de Bartok et Debussy, ce qui n’est pas
rien.
Mais en 78, la « dimension » pédagogique n’était pas encore vraiment
dans mes préoccupations, pourtant ces pièces j’avais commencé à me les repiquer
(trouver leurs partitions était là difficile) et je les jouais, déjà, au piano…
L’association Corea/Burton est l’un des fleurons ECM.
Et la dimension qu’ils ont donné à leur musique et leurs compositions par une
fusion entre percussions mélodiques m’est inoubliable.
Chick déguisé en toréador en « Spanish Heart »
aura installé la spanish improvisation et influence de façon populaire dans le
jazz.
Je n’en ai jamais été fan et pourtant avec le recul j’ai appris à apprécier ces
espagnolades rutilantes et désinvoltes, flamboyantes et frimeuse, aguichantes
et chargées d’un esprit à la Carmen.
Je les ai jouées, ces espagonlades, et m’y suis cassé les baguettes ou les doigts, selon et l’emblématique
« Spain », depuis sa version primale et inoubliable du premier Return to Forever reste encore un challenge pour ma part… curieux quand j’y
pense…
Chick Corea c’est aussi – et cela a été pointé du doigt –
une indéfectible association avec la scientologie de L.Ron Hubbard. Gamin, en
lisant les remerciements envers ce nom, je me suis souvent demandé de qui il
pouvait bien s’agir…
Il est entré dans cette dimension spirituelle progressivement dès 1968 jusqu’à
la prôner de façon engagée et récurrente.
Les critiques dont il aura été la cible à cette occasion m’ont souvent choqué,
car la liberté se doit de revêtir bien des aspects et celui d’une croyance en
une philosophie, même présentée en sectarisme et son adhésion de la part d’un
tel penseur musical me laisse songeur.
« Delphi » sorti en 79 et présentant des pièces enregistrée au piano
solo m’aura progressivement fait réfléchir sur ce fait.
L’implication spirituelle qui émane de cet album enregistré à l’école privée de
scientologie Delphi, de Sheridan (siège des écoles de scientologie) positionne clairement
la source d’inspiration créative du compositeur à travers des pièces déclinées
en plusieurs volumes, absolument innovantes tant pianistiquement que sur le
plan de l’idée d’évolution du langage du jazz.
Ce que j’ai toujours admiré chez Chick Corea c’est sa faculté à investir une
direction tant qu’à innover, à creuser le patrimoine du jazz tant qu’à s’emparer
d’un axe novateur et le transcender.
Son trio avec Miroslav Vitous et Roy Haynes en est un remarquable exemple.
Une liberté en impros et une facette revisitée de Monk (que Corea ne cesse de
citer dans sa carrière, avec Bud Powell) nous sautent là, en pleine audition avec un « high
level » sur le sujet inégalé.
Faire du nouveau… et pourtant…
Un autre album absolument merveilleux est son « Quartet » ou il va
écrire un jazz « de chambre » dans lequel ni moins que Michael Brecker,
Steve Gadd et Eddie Gomez viennent apporter un savoir faire phénoménal. Cet
album est certainement l’un de ceux de Chick Corea compositeur que j’ai le plus
écouté.
Gadd ne tarit pas d’éloges envers Chick Corea précisant que non seulement il
joue de nombreux instruments, capable ainsi d’indiquer avec facilité ce qu’il
souhaite entendre mais qu’également il les écrit de façon précise et parfaite.
Une écriture permettant une direction d’exécution sans équivoque et prouvant la
haute pensée du compositeur.
Côté compositeur il y a aussi le « Septet » chez ECM – un objet
artistique unique et savoureux.
Chick Corea a été « signé » par de nombreux labels.
Chez Elektra Musician alors en vogue dans les années 80, je me souviens d’un
album qui lui aussi aura fait de longues heures de stationnement actif dans ma
platine CD.
Il s’agit de « Again and Again » où une nouvelle idée d’une direction
vers ce qui deviendra la fusion, remplaçant le carcan trop schématique du jazz
rock, se dessine. Un album frais, délicat et à l’électricité claviériste
renouée, tel qu’on l’attendait après l’ère troisième de Return enrubannée de
vocalises et d’artifices superflus, c’est du moins ainsi que je l’avais vécue…
même si aujourd’hui bien évidemment la copie a été largement révisée.
C’est alors que Chick nous a tous bluffés et qu’il est
reparti vers les contrées synthétiques avec un niveau qui l’a placé directement
au sommet et glorifié, ainsi que tous ses jeunes loups virtuoses qu’il a
dégotté et rendus célèbres tant que directement référents.
John Patitucci à la basse, Dave Weckl à la batterie et au départ Scott
Henderson à la guitare, tous bardés à la fois d’une technicité à faire pâlir et
d’un attirail technologique et synthétique dernier cri si ce n’est précurseur.
Chick midifie son vieux Rhodes, range ses moogs et autres ARP dans les boites
et sort le numérique à tout va… le son est plus agressif, plus dur, plus crispé
et sec… Dave mélange électronique et acoustique autour d’un set digne d’un
batteur de hard rock et John va développer la tessiture de la basse en ajoutant
des cordes tant graves qu’aigues permettant de creuser le sillon grave mais
aussi l’envolée lyrique mélodique et soliste.
La guitare va avec Scott puis Frank Gambale reprendre le postulat virtuose et
débridé de Al mais là aussi le son et les effets sont high tech et une sorte de
froideur va devenir couleur et ce son finalement très eighties sera
traumatisant…
Puis Eric Marienthal viendra acidifier et compléter le tableau, tel un nouveau Sanborn.
L’Elektric Band, j’en ai acheté toutes les sorties j’ai
suivi son évolution, je l’ai vu en concert avec à chaque fois une claque
inoubliable…
Il y aura eu la pause Acoustic Band et là aussi au gré de standards dont ceux
de Chick désormais, leur relifting aura été marquant et influant.
Là Chick Corea m’est apparu proche tant que totalement inaccessible par le
degré de niveau qu’il a jeté à la face du monde.
Là Chick Corea est passé d’idole à
légende et la page de cet Elektric Band m’aura été bien difficile à tourner.
Puis…
ECM a sorti « Children’s Songs » et je sais que dès les premières
notes des larmes d’émotion m’ont envahi, réellement…
Et je sais que choisir encore aujourd’hui de mettre cet album en écoute chez
moi suppose recueillement, attention particulière et émotion.
J’en ai orchestré de ces « Children’s Songs », analysé chaque recoin,
chaque trait et fait un usage pédagogique incontournable.
Ils représentent LE compositeur Chick Corea à mon sens, en tout cas celui que
je ne veux pas oublier et pour lequel mon admiration est sans faille et cristallisée
sur son nom depuis tant d’années.
Dans l’histoire de l’album à embarquer sur une île déserte (avec un panneau
solaire afin de se brancher…), celui là figure dans les 10 premiers, j’en suis
encore certain.
Puis…
Pianiste j’ai décortiqué tant qu’adulé ses « Piano Solos » deux
volumes où dans l’un il joue ses compositions et dans l’autres des « standards »
avec bien entendu sa pâte d’usages chromatiques et de gammes diminuées,
permettant cette hyper vélocité et cette couleur si dense et identitaire.
Là encore…
Alors je me suis repenché vers « Circle » ce groupe avant gardiste
expérimental et free et ai rapproché, cherché à comprendre et à reprendre le
fil…
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Chick Corea n’est plus.
Il laisse derrière lui une pléthore d’artistes qui ont œuvré avec lui, certains
associant leurs noms référents à ses projets, d’autres inconnus, passant d’un
anonymat confidentiel à une reconnaissance universelle par leur passage en son
école.
Il laisse de nombreux suiveurs, du mélomane admirateur au musicien chargé d’influences
de son langage – ou des deux.
Parler de lui est évidence quant on est musicien.
Il a parcouru ma vie et restera l’un des artistes exemplaires qui m’ont aidé à
choisir des directions, de comportements, des exigences, car même inaccessible
ou inégalable il transcendait l’excellence…
Et ce dans tout ce que la musique peut générer.
Excellence instrumentale, excellence de compositeur, excellence d’improvisateur,
excellence d’orchestrateur, de directeur artistique, de défricheur sonore, de
créateur, de producteur, etc, etc…
Je le remercie humblement d’avoir été là, avec sa musique, à
me montrer des directions à imaginer suivre.
Qu’il repose en paix et en ces temps d’humanité en doutes, il part à la fin d’une
ère.
Il a contribué à la dimension culturelle universelle.
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