JACK DEJOHNETTE (09 aout 1949 / Chicago – 26 octobre 2025 / Kingston Etat de NY)

 JACK DEJOHNETTE (09 aout 1949 / Chicago – 26 octobre 2025 / Kingston Etat de NY).


Il n’est plus…
Et à chaque idole qui trépasse, le temps nous rappelle que nous aussi nous avançons avec lui.
Idole…
Chacun les siennes de ces idoles.

L’art en est truffé et ce lien culturel avec ces humains-es renommés-es peut parfois dépasser le raisonnable, le terme de fan entre alors en jeu.
Pas que l’art…
Tout y passe…
Foot et sports, en musique y’a le choix, peinture, écrivaines et écrivains, actrices et acteurs, bon on ne va pas tout lister, chacune et chacun, selon ses centres d’intérêt, a ses idoles.
C’est légion.

Je prends les cinq doigts de ma main, je choisis cinq batteurs, de mes idoles, de ceux qu’en tant que feu batteur moi-même je fus j’ai tiré la plus grande influence tant qu’admiration et voilà que automatiquement Jack DeJohnette se place en seconde position, juste après Tony Williams.
Ou à côté si l’on veut, en fait pas d’importance, pas de classement de faveur, mais juste en mettre cinq qui ont parcouru ma vie de batteur de façon inéluctable, obligatoire et référente.


J’ai écouté Jack DeJohnette la première fois dans l’album de Miles « Live Evil ».
Dire que j’étais en mesure de ne capter qu’un infime pourcentage de son jeu est mince.
Je n’y comprenais rien ou pas grand-chose, mais d’emblée cela m’intriguait à un point de curiosité maladif.
Il n’y avait strictement rien ou si peu, à reproduire, à mimer, à tenter de faire. Il y avait juste quelque chose à comprendre, à appréhender et à tenter de choper.
Un groove chargé d’une multiplicité d’idées foisonnantes, d’une liberté inédite et qui mettait la batterie sur le champ des possibles, ailleurs que dans le cadre exclusivement du beat métrique, schématique, calé et reproduisible.
Des rafales de caisse claire et de toms, des frémissements ou des jets de cymbales, des décalages permanents insufflant à l’ensemble une extrême brutalité, densité, violence. Tout cela joué avec une conviction profonde, une implication totale et un engagement dépassant la musique car fortement induit de société, de révolte, de politique, de volonté, par l’art, de changement et surtout d’incapacité d’appropriation en proposant un jeu impossible à imiter, reproduire, refaire.
Articulé autour de la basse en lignes reptiliennes de Michael Henderson, ou de Dave Holland, le jeu de Jack DeJohnette, chez Miles proposait, avec l’arrivée de l’électricité comme nouvelle direction pour une musique fusionnelle qu’on a vite étiqueté jazz-rock, un sens tout autre que celui que Tony Williams avait – avec une liberté tout aussi admirable – auparavant démontré.
D’ailleurs Tony s’était échappé de chez Miles pour créer son LifeTime et lui aussi explorer ces directions électriques avec John Mc Laughlin, Jack Bruce et Larry Young.
Pont autre que transitoire entre Tony Williams et Al Foster (Billy Cobham ayant fait une apparition fugace dans quelques albums), Jack DeJohnette a propulsé le Miles électrique vers des territoires abrupts, restant dans le jazz et l’emmenant vers une assimilation du rock improvisé des seventies tel que Hendrix et Cream (et d’autres) en usaient.
A ce titre il serait comparable à Mith Mitchell, dans sa catégorie.

Mais mon véritable choc de rencontre avec ce batteur a été le premier album « Gateway », en trio avec John Abercrombie et Dave Holland. A tel point que, la marque de batteries Sonor n’étant pas encore si connue, je commandais chez eux une batterie faite sur mesure afin d’approcher non le jeu, mais le son de ce redoutable instrumentiste et dans la foulée j’achetais une série de cymbales rudes, sans striures, pour un son direct, brutal et omniprésent.
J’ai gardé cet instrument toute ma « carrière » de batteur et l’influence des « réglages », installés dans mes usages, de Jack DeJohnette, sont restés avec cette formidable batterie, seule possibilité d’imaginer approcher un tout petit peu, l’artiste devenu … effectivement … idole.

Des albums de Jack DeJohnette, sous son nom, ou en sideman (avec obligatoirement tous ceux enregistrés en trio avec Keith Jarrett, un trio où deux de mes idoles absolues étaient réunies), j’en ai un paquet… en vinyles, cd, k7 … il est présent dans tellement de mes supports audio que là, maintenant en y réfléchissant, il m’apparait impossible de les lister tous. C’est dire ! ...

Sous son nom, il a avec ses « Directions » ou encore ses « Special Edition » proposé tellement là aussi, de possibilités et pas qu’au niveau de la batterie, mais bien du concept musical que ce serait déjà suffisant.
Eh oui, l’autre intérêt de Jack Dejohnette est qu’on ne l’écoute pas uniquement, comme d’autres de ses pairs batteurs, pour son jeu instrumental unique, mais aussi parce par ce jeu et au-delà de celui-ci, il suggère tout simplement la musique, dépassant le cadre de la focalisation instrumentale, ce même pour les batteurs eux-mêmes.
Normal, mais inhabituel, je l’ai dit, Jack DeJohnette si inventif soit-il, ne propose pas de recettes, de plans, de trucs et astuces transposables par le travail, par le mimétisme… il propose une « philosophie » de l’instrument et une approche dépassant celui-ci qui ne reste qu’un outil.
Dans une interview de lui que j’avais lu il y a bien longtemps il avait dit au journaliste que s’il s’imaginait qu’ils allaient parler de batterie il se fourvoyait…
La batterie ne l’intéressait pas en tant que telle – il préférait parler exclusivement de musique…
N'oublions pas que Jack DeJohnette fut également un excellent pianiste, discret sur le sujet, mais de très haute volée, avec une conception identique de l’approche de l’instrument.

Jack DeJohnette n’est plus et avec lui une idée de la liberté réelle tant instrumentale que rythmique, que d’approche mais aussi de philosophie musicale et artistique s’en va.
Certes, des tendances musicales cherchent cette liberté et parfois même y parviennent.
Mais il fut l’un des pionniers, l’un des précurseurs de ces directions reposant sur les racines africaines, jazz et afro-américaines (funk, groove, rythm’n’blues, etc…) mais qu’il a développé vers un autre absolu, ouvrant des voix possibles tant qu’inédites, des imaginaires qui se sont formalisés, réalisés et actés sous ses baguettes et avec cet outil fait de peaux, de bois et de métaux.
Tiens, curieux, dans ma prochaine série d’albums en chronique ECM il y a un Jack DeJohnette, presque une logique, une évidence, un passage obligé mais pas par obligation, non… parce qu’incontournable.
Chez ECM il fut l’un des plus grand batteurs « maison » avec cet autre que j’adule, feu Jon Christensen et maintenant il y a Manu Katché, qui lui aussi me vient immédiatement dans cette liste des cinq doigts…

J’aurais bien aimé vous présenter ici nombre d’albums où son nom illustre le propos musical et que j’ai particulièrement aimé, mais j’aurais tellement peur d’en oublier, que je préfère vous laisser simplement fouiller dans son imposante discographie.
Au hasard et à l’envie…
Jack DeJohnette n’a jamais rien fait d’anecdotique.
Vous vous en rendrez très vite compte.

On pourrait réduire à l’expression « le jazz vient de perdre l’un de ses plus grands artistes », son départ vers l’infinie dimension.
C’est la musique, tout simplement qui vient de perdre l’un de ses plus grands représentants contemporains.
Et avec ce départ, c’est une philosophie vivante de notre art qui passe la main.
Souhaitons que son passage ici-bas puisse désormais susciter la continuité de sa dimension créative, afin que cette liberté dont il était passeur, perdure.

Thanks Maestro.



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