DEAR QUINCY … (Quincy Jones – 14 mars 1933 Chicago / 03 novembre 2024 Los Angeles) - Chapitre 1

 

DEAR QUINCY … (Quincy Jones – 14 mars 1933 Chicago / 03 novembre 2024 Los Angeles)

Quincy Jones est parti rejoindre tant des artistes pour lesquels il a œuvré afin de leur apporter sa touche personnelle inimitable, qu’il serait impossible de les lister.
On ne sait pas et ne peut vraiment vérifier ce qu’il se passe « là-haut », tel que les croyances veulent l’affirmer, mais si c’est le cas que ces retrouvailles continuant éternellement le passage sur l’espace matériel terrestre, alors cela sera forcément… divin.

J’arrête là les affabulations, il faut bien une forme d’introduction avant d’attaquer le monument Quincy Jones, faire gaffe, ne pas se gourrer, bien le réécouter que ce soient ses albums mais également ses participations en tant qu’arrangeur, orchestrateur (saisissons encore là la nuance, il n’est pas allé étudier chez Nadia Boulanger pour en revenir les mains vides) et bien sûr, ce pan qui a auréolé sa carrière depuis « Thriller », producteur.

Comment faire ?...
La tâche est rude et à elle seule elle pourrait bien remplir quasiment une année d’articles tant en fouillant et fouillant encore, tel un archéologue, un historien, un biographe au détour de tel album, artiste, titre… musique de film… on pourra lire son nom, mais au-delà de lire, reconnaitre quasi immédiatement sa pâte.

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Je commençais à mettre en favoris dans mon streaming Qobuz les albums de Quincy Jones et voilà, chose logique qu’apparaissent leurs playlists dédiées à l’artiste, avec comme ils savent si bien le faire (ce streaming est vraiment le plus complet tant en articles, chroniques, focus et surtout en ce qui me concerne, qualité sonore haute résolution) une présentation simple mais surtout attirante.
J’ai choisi volontairement celle consacrée aux albums estampillés Quincy Jones.  
Elle propose un panel de cinquante titres.
Cinquante titres, c’est le strict minimum possible pour présenter Quincy Jones, The Dude, ou Q, selon les époques.
D’autres playlists sur Qobuz, le producteur, le compositeur pour le film… mais je commence ici avec juste, Quincy.

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Je viens depuis un mois et demi de prendre la direction d’un Big Band et vers fin octobre voilà que j’avais décidé de mettre au répertoire quelques arrangements et compositions de Quincy Jones - l’inscrire en répertoire m’est toujours apparu comme essentiel  – prémonition ?...
Et en même temps j’avais ressorti du stock un arrangement de « Birdland » de Weather Report avec l’idée d’installer à l’intérieur de celui-ci le fourmillement d’idées qu’en fit Quincy Jones…

Et puis j’étais reparti lire « Quincy Jones – memories », histoire d’une remise en jambes mémorielle et passionnément fastidieuse.

J’ai alors décidé de prendre cette playlist au pied de la lettre et de la suivre – cela fera des chapitres.
Cinquante titres en trois ou quatre chapitres ça devrait le faire…
J’ai bien osé un long périple Carla Bley, cette autre arrangeuse, compositrice indissociable de l’histoire du jazz moderne, free, avant-gardiste, alors Quincy Jones a sa place très largement ici.

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Quincy Jones c’est l’image de la réussite américaine mais version afro-américaine, par ce que cette communauté a de plus représentatif : la musique, le blues et le jazz et toutes leurs déclinaisons possibles.

C’est le véritable « patron » au sens le plus large et respectable possible.
C’est le gars qui ose ses idées et qui les mène à terme avec un sens génial de l’organisation et de la projection, mais également du contexte actuel et des mouvances dont il a pleine conscience.
L’organisateur qui choisit ses partenaires, son « personnel », ses amis en fonction du projet à mener.
L’orchestrateur arrangeur qui connait absolument toutes les ficelles des écritures selon les styles, genres et autres spécificités et qui en use avec exactitude.
C’est le curieux qui a une culture musicale immense et sait puiser en elle selon les situations.
C’est le féru de technologies dont il va user en outils pour – au fil de leur  évolution – les intégrer dans la musique qu’il produit et les inclure, tant en textures qu’en véritables instruments dans l’arrangement.

C’est donc le producteur, un vrai producteur, entendons là pas seulement un gars qui récolte le fruit démultiplié de l’argent qu’il aura investi dans tel album, tel artiste, mais surtout un gars qui avec ses équipes, les artistes conviés en studio et triés selon des critères que lui seul maitrise (inviter Van Halen pour un solo, fallait y penser…) tire les bonnes ficelles de a jusqu’à z.
Ce, jusqu’au résultat final, avec un contrôle total.
C’est un visionnaire et un exemple.
Un businessman dont l’aura n’aura pas échappé à l’industrie du rap qui suit désormais depuis longtemps le tracé qu’il a ouvert.
Et qui lui doit beaucoup.

Michael Jackson, Ray Charles, Count Basie, Frank Sinatra, James Ingram, Patti Austin, George Benson, Miles Davis … et tant d’autres…

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Cinquante titre, oui mais… exclusivement issus d’albums estampillés Quincy Jones, le producteur, orchestrateur de… etc… on verra plus tard.
Commençons donc par lui et déjà… c’est bien assez « large ».

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01/ « Soul Bossa Nova » - Album Big Band Bossa Nova – Verve/Mercury 1962.

Je pensais éviter l’incontournable saucisson récupéré par les pubs, les génériques tv et autres scies qui banalisent les musiques et… les coups de génie.
Car c’en est un (de saucisson et de coup de génie) et il faut réécouter ce titre avec toute la valeur ajoutée qu’il installe.
Mais le voici en ouverture, comme figure emblématique du succès Quincy et c’est à y bien réfléchir, légitime et logique.

La bossa, c’est tout récent en 1962 et ça va être un véritable engouement via Getz et Gilberto qui vont cooliser ce genre inédit et l’anoblir, entendons par là, en faire un schéma incontournable, obligatoire et soudé au répertoire du jazz, lui apportant un souffle  nouveau tant rythmique qu’harmonique.
Mais pour le moment, Quincy va en faire un tube et, en chopant l’essentiel schématique de cette nouveau-née musicale, il va la métisser, sur un mode finalement blues, avec une énorme orchestration chargée de trombones et autres tubas éléphantesques contrastant habilement et facétieusement avec des flûtes et surtout piccolos acides et joviaux.
La rythmique devient basique à l’extrême, sorte de boite à rythme avant l’heure, coincée sur un pattern quasi unique et uniforme qui, n’en doute pas Quincy, fera danser.
Et puis, comme pour tout moment succulent d’écriture jazz Big Band – en particulier à Count Basie, que Quincy connait bien – un giga tutti de cuivres va inonder la fin du thème en grande fanfare.
Quincy hurle ainsi que la bossa nova sera la musique qui va compter dans le monde, et pas que dans celui du jazz. Il le fait de façon massive, brutale presque, avec un thème qui s’inscrit en l’instant immédiatement dans la mémoire collective et un aspect « petit train » qui circule et vagabonde gaiement à travers les contrées, apportant la bonne nouvelle, messager de cette nouvelle vague paradisiaque et décontractée qui, partant du Brésil, va venir nous envahir.

Belle et incontournable entrée en la matière pour un cheminement parmi les albums de Quincy et petit rappel à l’ordre pour celles et ceux qui, comme moi, avaient fini par bouder tant le titre que l’album absolument enthousiasmant dont il est issu.
Tout cela en moins de trois minutes – un coup de génie vous disais-je...

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02 / « Summer in the City » - Album « You’ve Got it Bad Girl » - A&M 1973.

Du beau monde, comme on va vite en prendre l’habitude, pour cet album et cette reprise des Lovin’ Spooful’s.
Entre un Dave Grusin qui va œuvrer en second prod mais aussi au Fender Rhodes (miraculeusement mis en valeur ici), un inspiré Eddie Louiss (idem), qui sort son orgue et une équipe qui deviendra vite le socle des amis invités sur les albums du maestro (Toots Thielemans, Ernie Watts, Phil Woods, Bob James, Chuck Rainey, Grady Tate, etc…), côté grande classe on est servis.
Un titre qui groove avec une sonorité, arborant un mix soft sur tapis de cordes et qui est posé sur une rythmique de félin chasseur.
« Lounge », avant que l’heure ne s’empare de ce traitre mot.
Et d’un coup, en fin de parcours subtil et de molesquine de limousine, survient l’entrée vocale inattendue de Valérie Simpson pour accentuer l’idée d’un Quincy qui tord déjà l’idée de chanson.
Quincy qui exploite le vocal en formule surprise, quasi instrumental en degré d’approche, là où il aurait été plus simple d’accrocher et d’approcher ce tube par une basique reprise en mode « song ».

L’art de prendre un sujet (je vous invite à écouter en parallèle la version originale - il en a juste extrait la matière originelle) et de l’emmener vers d’autres contrées, de lui donner une autre vie et de le remodeler intégralement pour le faire sien.
Ou du moins culturellement se le réapproprier, car ici il passe dans un habillage pleinement soul, un axe que Quincy Jones n’oubliera jamais de même que l’ancrage fondamental du gospel et du blues (on y reviendra forcément).

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03/ « Ai no Corrida » - Album « The Dude » - A&M 1981.

Je ne peux oublier ni ce titre ni la sortie de cet album.
On était en tournée en Corse et « Ai no Corrida » passait en boucle dans la radio du car, des taxis, de nos voitures de loc’, dans les halls des hôtels, au restau…
Alors on dodelinait de la tête, on partait en clapping sur l’after beat (musiciens oblige) et directement tout prenait un air de fête.
Puis rentré en fin d’été, avant de repartir pour octobre, j’ai filé directement à la Fnac et me suis acheté le précieux vinyle.
Il a empli des heures et des heures d’écoutes et de bonheur festif mon studio, jusqu’à insupporter le voisinage, mais réjouir les multiples potes et copines de passage venant trop souvent parasiter ce qui aurait dû être mon espace de repos et de transition entre les longues tournées.

« The Dude » est un album indispensable tant qu’incontournable de la discographie Quincy.
C’est peut être bien là qu’il a véritablement inondé la planète de son immense vision commerciale auréolée d’une stratégie musicale implacable.
Il faut penser au listing et au paquet d’invités, de zicos de studio qui œuvrent ici avec des constats surprenants comme un Michael Jackson « simplement » cantonné choriste…
Le patron, quoi, qui décide et pour lequel on « se plie ».

Pour ce titre, aux drums c’est le solide John Robinson qui assure le coup, bien ancré, bien au fond, basique mais efficace à souhait.
Le Fender Rhodes est assuré par Herbie Hancock en personne et la basse par Louis Johnson, un piler de la basse funk-groove.
Côté mixité et surprise, pour ceux qui aiment à creuser, le solo de guitare est signé Steve Lukather - le cofondateur de Toto qui a été et reste un guitariste de studio très sollicité pour tout genre de musiques.
La section cuivres est menée par Jerry Hey qui fera les plus belles heures des cuivres acides derrière Al Jarreau (il est également un arrangeur hors pair pour les cuivres et ses sections souvent additionnées par la suite de cuivres synthétiques ont marqué la production discographique américaine des années 80).
Le solo de saxophone est, lui, signé Ernie Watts, dont j’ai découvert la généreuse sonorité, le style efficace et inimitable dans cet album et qui est très vite devenu l’un des ténors de ma liste de favoris.

Ici tout le monde s’est mis aux claps, des claps naturels quelque peu avant que ceux-ci n’intègrent les pads de boites à rythmes dans la plupart des productions funk, disco etc. rappelant que le clapping est une fondamentale de l’énergie du … gospel.
Jim Gilstrap semble être le lead vocalist mais il est entouré d’une telle bardée de choristes qui sont tous des lead chanteurs de haute volée qu’il faut plutôt considérer (là encore un truc à la Quincy) le chant comme étant ,ici du moins, essentiellement collectif.

Cette chanson écrite initialement par Chaz Jenkel en 1980 va, avec ce lifting massif, connaitre une gloire incommensurable et par elle Quincy Jones va réellement se positionner comme un acteur essentiel du business et de la production musicale afro-américaine, si ce n’est son acteur essentiel.

Comme on le constatera aussi au gré des titres de l’arrangeur, Quincy Jones aime à brusquer la ligne, l’autoroute sur laquelle semble s’embarquer le lourd véhicule qu’il conduit. Ici, il va briser le tracé par quelques breaks inattendus, complètement singuliers, renforcés par des cuivres et une batterie associée afin de mieux relancer la vibrante machine.

Ce titre reste indispensable pour toute playlist de fête, glissez ça dans l’escarcelle du DJ pour un mariage, vous verrez…

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04/ « The Birth of a Band » - Album « The Birth of A Band » - Mercury 1959.

Impossible de lister les artiste, instrumentistes ayant participé à ces sessions de pure jouvence Big Band.
Certains venus de chez Count, d’autres venus de chez Duke sont réunis ici, sans parler de ces stars du jazz bien connues des clubs et autres sessions de labels prestigieux.
Tout le gratin du jazz, convié comme l’on inviterait pour une giga fête tous ses amis, vient se mettre en rang et s’installer derrière les pupitres pour pousser le cuivré à l’extrême et charger le swing le plus débridé.
Plus de trente participants parmi lesquels Zoot Sims, Al Cohn, Clark Terry, Benny Golson, Phil Woods, Harry Edison, Ernie Royal, Kenny Burrell, Sam Woodyard, Osie Johnson…
Là encore en moins de trois minutes, sur un tempo de feu, l’immensité de l’arrangeur Quincy Jones est un rendez-vous à ne pas manquer.
C’est flamboyant, c’est rutilant, l’écriture est pugnace, compacte, nerveuse et le jeu musical véloce et technique est jubilatoire.
Quincy écrit et arrange dans le pur style des Big Bands de cette époque bénie mais déclinante.
Des albums de grands orchestres de ce genre il en sortait encore en cette fin de décennie 1950, mais le contexte économique les avaient mis à mal.
Cette sonorité, ce gigantisme classieux associé à l’idée, à l’image sonore du jazz continuait pourtant à perdurer avec des irréductibles, des mentors, des pionniers encore farouchement déterminés à garder ce « style » vivace et vivant.

Le jeune Quincy Jones, qui a déjà un bout de carrière conséquent, qui vient de rencontrer Sinatra avec qui il va travailler, qui a tourné avec Lionel Hampton – n’oublions pas qu’il était trompettiste à l’origine – qui a étudié avec Nadia Boulanger et Olivier Messiaen et qui, au passage est devenu directeur artistique chez… Barclay, sans parler de ses participations télévisées auprès d’Elvis en personne, etc… met son immense savoir-faire ici.
Il n’a que 26 ans quand il sort cet album avec un band qu’il va considérer comme l’un des meilleurs – on ne lui donnera pas tort.
Mais il vont se dissoudre et lui va déjà viser d’autres aventures et bientôt les sixties entrant dans la scène, il va lui aussi, céder à la muse de cette pop, de ce rock qui inondent les ondes et le marché de la musique.
Il va faire muter le jazz et le milieu, très sectaire, le montrera du doigt…

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05/ « Papa’s Got a brand New Bag » - Album « Quincy’s Got a Brand New Bag » - Mercury 1965.

On l’a compris désormais, Quincy Jones c’est une totale réappropriation, un total relooking, une totale immersion et toujours ce fond de blues, de jazz et de culture afro-américaine qu’il ne cesse d’auréoler de son immense respect et pour laquelle il va, en puissant représentant international, tout donner.
James Brown qui embarque avec lui toute une nouvelle génération, poing levé, revendiquant le black power ne peut échapper à Quincy. Il va donc avec cet album reprendre et orchestrer, avec des figures de pointe, forcément, les fleurons emblématiques en titres en artistes eux aussi symboliques (J.B, Marvin) de cette mouvance qui déchaine, fait grand bruit et interpelle, comme fait réagir, le peuple noir américain.


Quincy est toujours, on le verra, au faîte de l’actualité, qu’elle soit sociale, musicale et bien entendu politique.

Là encore et on en prendra l’habitude, du très beau monde au gré des plages et il y a même Ray Charles qui va venir titiller l’orgue ou le piano (aux côtés de Michael Rubini) sur nombre d’entre elles et en particulier celle-ci qui clôt un album décapant, mordant, enthousiasmant et obligatoirement dansant.
Ray Barretto a été sollicité pour fracasser ses congas et le fidèle Grady Tate assure les drums (un batteur qu’on aura trop souvent cantonné au seul jeu d’accompagnateur de pur jazz et qui surprend ici avec un groove incomparable).
La section cuivre est pesante, franchement accentuée et marquée, ce n’est pas pour me déplaire et ça va booster ce titre avec ses deux noires en appuis sur les deux premier temps (le second temps en after beat bien marqué par le sax baryton) qui enfoncent le jeu en attendant en fin de parcours d’une grille complètement blues ce break de rythm-guitar mémorable  - dont Prince a repris l’essence d’idée pour son « Kiss ».

Le rythm’n’blues dans son jus le plus pur, ce qui deviendra bien plus tard le fond de commerce d’un certain Macéo Parker, bien assis sur ce protocole musical ce depuis son premier album avec les… J.B’s.
Mais James n’est pas encore en taule ou mort et il n’y a pas de flambeau à reprendre, juste faire entrer dans l’escarcelle de Quincy ce mouvement social et musical.

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06/ « The Blues in The Night » - Album « The Birth of A Band » - Mercury 1959.

Autre extrait de ce remarquable album qu’est « The Birth of A Band » voici cet ultime standard du blues jazz, embarqué à la façon Ray Charles (écoutez les jeu de balais à la batterie – Jimmy Crawford).
De rauquements et hurlements de sax ténor (Sam Taylor) en trémolos de cuivres, « The Blues in The Night » s’engage ici sur un tempo quasi débridé, nerveux, énergique à souhait, là où on a toujours eu l’habitude de l’interpréter et l’arranger comme une balade lente et mélancolique.
Ici, le Chicago Blues s’est directement invité dans la partie et il s’est emparé du prétexte pour faire surgir des cuivres nombre de gueulements roots, de vibratos, de glissandos et autres trucs et astuces rendant l’affaire plus dense et authentique.
Alors on prend ce train qui part à vive allure pour tout faire oublier, et partir à l’aventure.

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07/ « Take Five » - Album « Quincy Jones Plays Hip Hits » - Mercury 1963.

Dave Brubeck a osé déstructurer rythmiquement le jazz en le faisant sortir de l’ornière de la mesure à quatre temps.
Son plus grand succès, son hit c’est ce « Take Five », 1.2.3-1.2.
Il restait à s’en emparer, mettre en avant des solistes à la forte identité, placer la guitare au centre du point d’accroche rythmique et le tour de passe-passe avec la section aux trompettes élégamment enveloppées de l’atour de la Harmon pour éclairer différemment, mais à peine « autrement » ce titre solaire, était joué.
Le magicien Quincy Jones.
Il en fait presque oublier… l’original … pourtant … tellement original.

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08/ « Back On The Block » - Album « Back on The Block » - Qwest Records 1989

Le lourd de Quincy Jones.
Un album qui a fait débat, un album qui ratisse rap, invités jazz prestigieux (Dizzy, Miles, Ella, Benson, Take 6, Zawinul, Sarah Vaughn, Chaka Khan …), pop sucrée avec pastiche vocal de Michael Jackson, Barry White himself, bref, la réunion est giga-Vip sur cet album.
Après une intro qui interpelle voici ce premier titre, d’ouverture, qui brise les codes, les idées et invite le gratin des rappeurs  de l’époque.
Gros son, soliste vocal infantile (Tevin Campbell), chœurs et pure tradition gospel, tout cela sur des breaks de boite énormissimes, un beat plus qu’appuyé.
Quincy va entrer dans les années 90, il sait le rap essentiel, nouvelle donne du black power revendicatif et vindicatif, populaire, gangrénant inéluctablement et sans retour possible les ghettos afro-américains, Harlem en tête.
Il veut lui faire profiter de sa popularité, de son aura, de son assise médiatique, pour le mettre en évidence, le rendre incontournable et inattaquable - le sortir du ghetto, l’affranchir au grand jour.
Il va habilement mêler en synthèse toute la culture afro-américaine, en conviant à une giga jam bardée d’électronique digitale et numérique, qu’il organise en maitre absolu, tout ce que le jazz, la soul, le r’n’b, le rap, le funk… a d’emblèmes, de personnalités marquées et encore créatives.

Le carnet d’adresse de Quincy est une archive de bibliothèque à lui seul et participer à l’un de ses albums est – chacun le sait – un coup de projecteur imparable dans une carrière.
Et puis on va chez Quincy, aussi, par engagement, par volonté, par amitié et aussi parce qu’on sait qu’être dans un projet Quincy c’est mettre sa pierre dans l’édifice culturel de la musique afro-américaine.
Et de la musique tout court.
Un coup de maitre.

09/ « Ironside (Theme from Ironside) » - Album « Smackwater Jack » - A&M 1971.

Avec ce thème de la série TV « Ironside », nous voici littéralement plongés dans cet univers du thriller à l’américaine.
L’inspecteur mène l’enquête et Quincy crée ce thème et surtout cette orchestration et cette « organisation formelle » chargée des clichés du genre et fréquente dans les seventies (Inspecteur Harry/Schifrin …).

Le jazz va se mélanger au groove issu d’un certain funk-jazz caractéristique de cette entrée en jazz rock des années 70.
Le Fender Rhodes est en place royale pour feutrer le son, les guitares rythmiques funky font « avancer » l’affaire, la basse se transporte en ligne mais va s’échapper vers le walking désiré pour second le solo (trompette) purement jazz, l’entrée avec ce bon vieux synthé au son « pulse », le big band aux sonorités décapantes joue sur les timbres, les flutes de tout registres créent « l’atmosphère »…

La musique de B.O offre des possibilités de pluralité musicale, de forme, d’orchestration, d’imagination… tout cela afin de créer une identité qui, associée à un générique va s’inscrire dans la mémoire du public le plus large possible, d’auditeurs.
Par le générique TV nombre d’artistes sont et seront révélés, c’est un médiateur commercial absolument incontournable (« Shaft » - Isaac Hayes).

Avec un titre comme celui-ci, proposant un kaléidoscope musical, stylistique et d’ambiances différemment ciblées, Quincy agit selon la tradition lointaine du leitmotiv qui consiste à inscrire dans l’auditoire thèmes, passages, ambiances représentatives de personnages, scènes, situations, messages sonores, etc.
Alors quand on écoute ce générique, on peut, sans même avoir vu les épisodes, imaginer aisément à quelles situations sera affecté chaque moment de ce chemin qui – comme pour une ouverture d’opéra – présente musicalement l’organigramme scénique de cette série TV.

Quincy et la B.O.
Une histoire de plus.
Décidemment…

10/  « Sermonette » - Album « This is how I Feel About Jazz » - UMG-Verve Reissue 1957.

Un bon vieux thème blues de Cannonball Adderley.
Comme on le sait depuis que cette chronique a commencé, on aura là la crème des musiciens de cette époque.
Pas loupé…
Jugeons plutôt.
Milt Jackson vient délicatement poser son vibraphone sur cet écrin, en quasi fin de parcours, comme s’il était la cerise de ce délicieux gâteau.
Cannonball lui-même va ensuite tout déchirer en traits véloces, histoire de mettre un peu de sauce bop dans ce medium swing (et quel swing) !) traité façon Basie.
Hank Jones est au piano, sobre, efficace et bluesy.
Il faut noter que la contrebasse est tenue de mains de maitre par… Charles Mingus en personne, en duettiste avec Charlie Persip, un batteur qu’il est bon de souligner ici, car il était fréquent de le trouver en sessions dans ces années bénies et sa carrière est passée à discrétion.
 Art Farmer tient le haut du crachoir, en harmon soyeuse et souple.

Et encore une fois l’écrin Quincy sublime la version originale
Il touche à la musique et la transforme en pierre précieuse.

11/ « Velas » - Album « The Dude » - - A&M 1981.

On terminera cette première visite chez Quincy Jones, le compositeur, l’arrangeur et l’orchestrateur, en albums sous son nom, par ce titre sifflé (qu’il double à la guitare) et joué à l’harmonica par Toots Thielemans.
Entre pop sucrée et beat latinisé (composition de Ivan Lins), c’est une pureté en hommage certifié amical à l’ami Toots, sur tapis de piano électrique Rhodes signé Greg Phillinganes et auréolé de cordes arrangées spécialement pour l’occasion par Johnny Mandel.
Le contraste entre la mélodie doucereuse, laid back et le rythme obsessionnel basse / batterie au demeurant très souple permet à cette première d’emplir le champ musical et d’être réellement au cœur de l’expression.
Tout cela parait tellement « easy », mais il n’en est strictement rien… j’ai le songbook de «The Dude » et ce titre est truffé de petites astuces tant harmoniques que de placements absolument géniales.

On part là en sifflotant, décontract’, apaisé et « posés ».

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Onze titres et déjà l’aura Quincy Jones apparait comme une évidence.

Quand, il y a longtemps, en commentaire de ma chronique (sur mon premier blog) sur l’album « Back on the Block » j’avais pu lire que Quincy Jones était un toquard récupérateur, il m’avait fallu prendre une immense respiration afin de rester zen face à une telle appréciation, insultante et illégitime devant à la valeur immense de cet artiste pour sa communauté et par son engagement.
Quincy Jones a effectivement été - du fait de son succès et du fait que sa vision musicale touchait directement le plus grand nombre, cela s’assimilant à l’idée de « commercial » - pointé du doigt, critiqué vertement et vilipendé.
J’écoute aujourd’hui ces quelques onze titres et en balayant ce côté qui se voudrait obscur face à ce pur génie de la mise en musique et de la musique tout court, je reste stupéfait de l’extraordinaire teneur, quelle que soit l’année de parution, de son propos musical et orchestral.
Et de la capacité à coller à l’actualité, voir même à la créer en la précédent, ou en la percevant, pour lui donner une aura et une noblesse populaire en la destinant au plus large public possible.

Quincy Jones fut omniprésent, certes.
Mais il fut un précurseur, un leader, un « référent » et quelque part un réel mentor.

Il n’est plus mais sa musique et tout ce qu’il a produit, orchestré et arrangé, resteront comme modèles quel que soit l’axe dans lequel chacun voudra se trouver ou se retrouver.

THX.



 

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