CES BONS VIEUX VINYLES … (02) - Lee Clayton, BS&T, Steve Hillage

 CES BONS VIEUX VINYLES … (02) 


Versant plus rock, une pioche des plus intéressantes.
On en trouve en streaming bien entendu, mais le petit craquement du diamant qui s’insère dans le sillon reste irremplaçable…
Et puis, une fois que le titre entre en lice, il va très vite s’estomper pour cette chaleur inimitable, cette présence sonore profonde, cette densité vibrante.
Alors, crrrr….
Et c’est parti.

01- LEE CLAYTON : « The Dream Goes on » - Capitol Records 1981.
Lee Clayton : lead vocals and rythm guitar | Philip Donely : guitars | Tim Krekel : lead guitars | Glenn Rieuf : pedal steel | Steve Marshall, Rachel Peer : bass | Clay Care, Tony Newman : drums | Bobby Ogdin : keyboards.

Né Billy Hugh Schotts en 1942, à Russellville, en Alabama et décédé à Maison Blanche dans le Tennessee, Lee Clayton, classé country rock, ce certainement dû à non seulement à sa zone géographique (il habitait Nashville) de prédilection mais aussi à ses chansons composées pour – entre autres – Waylon Jennings, Jerry Jeff Walker a eu, en son temps, un énorme succès.
Et en 1990, il fit partie du super groupe de « country outlaws », the Highwaymen avec Johnny Cash, Waylon Jennings, Kris Kristofferson et Willie Nelson…
Pas mal, n’est-ce-pas ?

Parmi ses quelques albums effectivement très orientés dans ce style country rock et influencés également par Dylan, ce « The Dream Goes on » tranche singulièrement ce même si cet aspect plus rock, plus rugueux et plus dur commençait à se dessiner dans les albums précédents.
Avec celui-ci, son quatrième, enregistré au sortir d’une longue tournée (de 79 à 81), il s’entoure d’un mur de guitares (tant en multiplications d’instruments qu’en personnel) et envoie… du lourd.

« What’s a Mother Gonna Do » enquille l’album. Riff rustaud, bien grassouillet, batterie de plomb et basse sommaire. Petit break, afin de rompre avec le ruban d’autoroute qui dès le départ, s’imprime dans la tête d’ado nourri aux grands espaces américains.
La voix, comme la guitare, fatiguée, usée par la vie, les tournées, les clubs… parle ou chante, un peu.

« Industry », justement, la vie… racontée là, tel qu’un Dylan eusse pu le faire et pourquoi pas, après tout, un Springsteen, en arrêtant là la comparaison car musicalement c’est Dylan dans ses moments les plus rocks qui vient immédiatement, à l’esprit.
L’orgue tisse ses toiles déprimantes, Lee chante entre Dylan et Knopfler, pour celles et ceux qui aimeraient les rapprochements…
Le titre est poignant, vécu, le mur guitares-orgue est pesant, chargeant l’émotion primale et est couronné par un vibrant solo de guitare bottleneck.
Son père, son frère et tant d’autres au « service » de cette « industry » …

On est entrés dans le vif d’un sujet ce, même si Lee demande une chance supplémentaire (« Want you give me more Chance ».
La guitare acoustique a pris le relai et l’orgue, décidément magnifique et majestueux irise le titre de ses nappes soyeuses.
Les guitares ont rangé les overdrives et la pedal steel met la touche country rock à l’honneur… Ah, le son et l’image, quand ils fusionnent…
Invitée, Deborah Allen pose un rapide chœur, histoire d’enfoncer le clou d’espoir féminin du titre.

« Draggin’ them Chain », termine la face A en un massif boogie rock, shuffle à souhait, propulsé par une basse plutôt médium dont on réalise seulement maintenant l’importance qu’elle a pu avoir depuis le premier titre.
Tony Newman la suit à la trace, Lee est fatigué et Tim le titille pour lui faire s’exprimer ce bout de texte qu’il peine à éructer.

La face A est terminée…
Je jette un œil sur la pochette estampillée recto du mauvais goût américain (tel que nous voyons), Lee s’est offert un séjour sur Mars, le désert, il connait… il a tout de même embarqué sa guitare avec lui, a mis son plus beau costard blanc et est sapé comme J.R Ewings les jours de grande pompe au ranch.
Qui sait, le rêve de « succès » s’est réalisé (voir plus bas)…
Verso : les textes sont calibrés avec chaque mot ouvert par une majuscule. Lee tient à insister sur ce qu’il dit, c’est certainement l’intention souhaitée.

Je tourne le précieux disque.

« Where is The Justice ».
Un petit tour européen passant par Hambourg, Cologne, Berlin, la Russie, Stockholm, Oslo, des hôtels, des galères, se plier aux lois de chaque pays, des entrées par les aéroports… les vicissitudes...
On l’a désormais compris, Lee en a marre, il est fatigué, tire sur la société à grand coups de guitares acérées, tel un Neil Young des temps où il plongeait ses doigts dans l’électricité la plus directe, dans l’énergie la plus brute et brutale (je pense à « Zuma » ou le « Live Rust » …).
Ce « country rock » n’a rien de vraiment soigné, ce qui compte ici c’est l’intention, le poing levé et surtout le rock, essentiel, fondamental, immédiat.
Lee ne fait pas dans la dentelle, il fonce, il assemble grossièrement sa musique entre riffs massacrants et rythmique à la masse, voix parlée et déclamée et solistes tapageurs se taillant une place face à ce mur du son.

« Whatcha Gonna Do » aurait pu être le fantôme hantant Kings of Leon, rageux, planté dans le riff sorti droit de ce southern rock.
« Un fou qui connait sa folie est un fou sage, mais un fou qui pense être sage est vraiment un fou » - un devin ? ...

« Oh How Lucky I Am », Lee a convoqué la chorale des gamins de son enfance pour chanter avec lui et tant qu’à faire il a aussi invité toute sa communauté à taper dans les mains pour l’accompagner sur ce titre.
Le piano accompagne honky et la rythmique va se décider à entrer pour marteler le refrain.
Lee glisse une petite rythmique inusuelle quasi reggae…
Le moment de lumière de l’album.

« The Dream goes on » va conclure l’album – cet espoir, ce rêve de chaque artiste, cette montée souhaitée vers le plus haut, vers le succès, la consécration – côté pile … côté face, ce piège, cet enfermement mental qui les happe, les contraint et en même temps les motive.
Superbe solo de guitare pour conclure, bien chaud, bien trempé de ce sud US qu’on aime tant.

Lee Clayton avec ce quatrième album a durcit son propos, sa musique, ses textes.
Il installe un rock plus rude, plus direct et semblant, de fait, moins « travaillé » pour un impact qui vise à l’essentiel.
La comparaison entre l’écoute streaming et vinyle ne fait aucune équivoque possible, le mastering lissé pour l’écoute généraliste actuelle ne peut prendre le pas sur celui de la galette noire qui prend immédiatement au corps et fait adhérer sans réfléchir au propos.
La découverte de cet album par ce son lisse le ferait très vite passer en fonction zapping…
Par contre, une fois le vinyle mis en platine, c’est un mur du son qui vous écrase au rouleau compresseur…

« The Dream Goes On » fait partie de ces albums rock à ne pas ranger trop rapidement dans les rayonnages une fois écouté.
Il peut très vite ressortir et vous hanter à nouveau, comme un spectre musical qui n’en aura jamais fini de se révolter, de s’indigner, de constater et qui vous le rappelle tant qu’il vous rappelle à l’ordre de le faire.

02- BS&T : « Mirror Image » - CBS 1974.
Jerry Fisher, Jerry LaCroix : vocals | Bobby Colomby : drums, percussions | Jerry LaCroix : tenor sax | David Bargeron : trombone, tuba | Larry Willis : keyboards | Robert Mason : synthesizers | Anthony J Klatka, trumpets, flugelhorn | William Tillman, Arnold Lawrence : saxes | Ron Mc Clure : basses | Dom Um Romao, Ralph McDonald, Warren Smith : percussions.

Le BS&T légendaire n’est plus, ils se sont tous barrés…
De cette formation qui est dans toutes les têtes des fanatiques de ce rock, pop très teinté de jazz, hyper cuivré et bluesy, mais très pluraliste, il ne reste que… le batteur, Bobby Colomby.
Il va recruter vite fait parmi ses connaissances, entre autre Jerry LaCroix, qu’il va débaucher chez Edgar Winter – il lui confiera une sorte de direction artistique dont ce nouveau groupe a grand besoin.
Cet album déroutant pour les amateurs de l’ancien BS&T va forcément faire grincer des oreilles et recevoir de leur part une critique peu enthousiaste, mais le temps et les décennies passent et se plonger sans aucun apriori dans cet opus transitoire est bien plus captivant que, finalement, s’imaginer un BS&T de plus, sur les formules qui firent leur renommée.
La voix typée, rauque et rock de David Clayton Thomas  n’est plus en face et ne prend plus la place quasi primordiale, ce même si l’adéquation cuivres était et reste la marque de fabrique.
De fait, ces chanteurs, non chanteurs mais mettant leur voix au service, permettent aux arrangements de passer sur un autre plan et d’être pris en compte par l’ensemble des artistes présents sur l’album.
Ils sont ainsi plus variés, plus divers et de ce travail véritablement collectif entre compositeurs du groupe (Bargeron, Lacroix, Klatka, Willis, Wadenius…) mais qui n’arrangent pas forcément leurs propres compositions, les laissant au savoir-faire de leurs comparses diffère des habitudes d'antan.

Intéressant aussi de constater une face A plus pop, tendancieusement Chicago ce qui change du caractère blues-rock-jazz habituel et une face B où va se développer la suite « Mirror Image », plutôt inclassable qui tranche carrément et ouvre un champ d’action proche des arrangements modernistes et binaires d’un Maynard Ferguson (sans les cuivres gueulards) ou des avancées de Buddy Rich (sans le démonstratif drumming, malgré les formidables capacités de jeu de Colomby).
A noter un moment irréel avec un solo d’archet à la contrebasse ce qui peut paraitre absolument incongru, donc original, au regard du contexte musical.

Il fut un temps où j’ai joué, tant batteur (au début) puis pianiste (ensuite, car comme toujours trouver des pianistes était et est resté mission impossible) dans un ensemble similaire qui reprenait justement du BS&T, en particulier leurs titres emblématiques de la première période, puis issus d’albums plus « récents ». Curieusement cet album, alors qu’on écoutait toutes les productions du groupe n’avait pas été retenu comme potentiel, aucun titre n’avait retenu l’attention.
J’en profite ici pour rendre un hommage à l’arrangeur principal de cet orchestre, décédé en mai dernier des suites d’une maladie incurable. Une nouvelle qui m’a replongé dans tous ces souvenirs musicaux que le seul mot BS&T induit. Il y était intimement et férocement lié.
Qu'il repose enfin en paix... et je sais qu'il en avait réellement besoin.

« Mirror Image » est loin d’être négligeable, bien au contraire.
C’est un album absolument captivant, qui recèle nombre de titres qu’on se prend à écouter et réécouter avec jubilation. Et quand je parle de titres, le plaisir du vinyle est au-delà de cette réduction, alors je raisonne par faces…
Et je sais que le face B est une puissante découverte !
 

03- STEVE HILLAGE : « And not Or » - Virgin 1982.
Steve Hillage : guitars, synthesizers, vocals, drum programming
Miquette Giraudy : vocals, programming, synthesizers.

Lentement mais avec une certitude absolue, Steve et Miquette se sont laissés happer par les synthétiseurs, la programmation, l’électronique, faisant même pour celles et ceux qui auraient penché l’oreille dans leurs explorations, figures de pionniers.
Abandonnant progressivement des sections basse-batterie qui se calaient sur divers arpeggios et toiles synthétiques, ils ont commencé à créer des espaces totalement dédiés à leur intimité tant de couple que musicale.
Miquette a toujours œuvré aux côtés de Steve comme tisseuse d’atmosphères et d’ambiances créant ainsi des textures uniques et sans réelles similitudes avec les tenants allemands de l’époque (Tangerine Dream, Kraftwerk ou Klaus Schulze) ou même les britanniques issus du prog et se barrant vers l’ambient (Eno, Fripp en particulier), sans oublier de citer notre Jean Michel Jarre national.
Ponty, du côté outre atlantique a essayé dans des directions qu’on pourrait penser similaires, mais rattrapées par le langage du jazz.

Me voici face à un de ces albums qui envoute l’âme dès la mise en sillon.
Une force hypnotique incomparable, une richesse électronique qui n’exclut en rien l’émotion robotique la plus visionnaire (ce qui est en majeure partie dû au jeu toujours inventif de Steve Hillage). Gong est loin, même si parfois, Gong a récupéré plus tard pour son compte ces axiomes de synthèses sonores.
Steve et Miquette se rapprochent quelque part, guitares obligent en références, de Ash Ra Temple et créent ici une dimension inhabituelle, totalement originale et surtout novatrice.
Certes, aujourd’hui on en a tellement de cette électro à tout va, que distinguer la saveur réelle de ces deux faces semble inutile ou illusion.
Pourtant, devant ces titres on ne peut qu’admirer la force réelle des compositions, des enchaînements harmoniques et des authentiques arrangements pensés comme tels pour un usage de l’électronique à leur profit et non pour une électronique qui règne maitresse et dont l’humain se sert, servilement.
Cette inversion de rôles n’est pas encore d’actualité, cette addiction au logiciel pour son usage, sa facilité et son « aide » créatrice n’a pas encore, en 1982, contaminé les musiciens en manque d’inspirations.

Alors on se met ce « And not Or » et on se surprend à transgresser l’univers quotidien dans lequel notre vie nous enferme et on s’en va, portés mentalement par ce qui s’ouvre à nous, évident, magnifiquement dévoilé et conceptualisé par ce couple qui a continué ses explorations avec System 7, suite logique de ce qu’ici l’on ne pressent pas mais entend comme réalité musicale et sonore.
Passée de l’image (en tant qu’assistante du cinéaste Jackie Raynal) à l’image sonore Miquette a trouvé en l’explorateur de guitare Steve le complice idéal pour créer des visions sonores et soniques.
Passé du rock puis ayant bifurqué vers une sorte de fusion jazz-rock so british qualifiée de prog, étiquette englobant ces-ses envolées instrumentales, Steve a trouvé en Miquette « autre chose » qu’une simple pianiste ou claviériste, mais une chercheuse, une laborantine du son.

Leur association évolutive, passant par cet album presque essentiel si l’on veut comprendre une certaine évolution de la musique électronique anglaise, les place encore aux sommets d’une technologie progressive, créative et logistique.
Absolument utile tant qu’envahissant et surtout… addictif.

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Trois albums qui par le son du vinyle entrent dans un absolu de chaleur sonore, qu’ils soient rock jazz-fusion-rock ou électronique, l’analogique leur rend leurs vérités, leur sens.
On écoute, on n’a pas envie de zapper, on prend le temps et on apprécie, véritablement.
Ces albums sont conçus par faces, conceptuels tels qu’en ces années on savait à la fois penser à extraire un 45t pour un « tube » ou encore et surtout aligner avec pensée des titres sur chaque côté. A, ou B…
Sans avoir l’idée ni l’envie de « sauter » d’un sillon à l’autre pour raisonner par titre, on se laisse alors envahir par deux fois environ 20 mn de musique, qu’il faut éviter d’interrompre, moment privilégié de la voie où ces minutes semblent s’arrêter dans l’espace-temps pour prendre leur autonomie, leur dimension propre.
C’est peut être bien aussi cela… la magie du vinyle.
Et si c’est cela qui fait son engouement actuel, je n’en suis que satisfait et crois encore à ce revival musical qui aura aussi des répercussions sur la création musicale, devenue formatée, réductrice et minimale. Si l’espace-temps revient alors, qui sait, l’espace musical reprendra, lui aussi sa place et l’auditeur prendra lui aussi son temps, pour écouter véritablement… la musique.


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