CES BONS VIEUX VINYLES… (01).

CES BONS VIEUX VINYLES… (01).

Je ne sais si c’est contagieux, mais chez nous le bon vieux vinyle est un truc sacré…
On se les échange, en famille, on partage les artistes aux gouts communs, on découvre ensemble des albums, bref… un lien, quoi.
Et puis on se donne aussi des rendez-vous, ces marchés aux vinyles où ensemble, avec l’un de mes fils, on fouille frénétiquement les bacs emplis de trucs improbables, chacun cherchant sa perle, son album coincé dans une liste du bloc note de l’appli téléphone.
Rare qu’on trouve ce qu’on cherche initialement.
Mais…
On trouve souvent tellement d’autres albums, que ça dévie très vite et le tout est de se conformer à un budget initial car on le sait, le passionné est capable de miser gros…

Draguignan…
Dernièrement.
Pas mal d’exposants, bon nombre de fouineurs et forcément des retrouvailles.
Untel, musicos, qui vient faire lui aussi ses emplettes, une telle qui cherche encore désespérément cet album du Mahavisnu Orchestra depuis la dernière fois où je l’avais croisée et depuis… toujours rien.

Cette fois je m’étais fixé non seulement un budget mais aussi un maxi à dépenser par album et franchement la pioche a été tant bonne que surprenante…
Et le jazz français a été largement représenté dans l’escarcelle…

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01- CATHERINE – ESCOUDE – LOCKWOOD : « Trio » / JMS1983.
Philip Catherine : Gibson175, Ovation Acoustic Guitar, 12 Strings Gibson ES335, Tarang.
Christian Escoudé : Adamas Acoustic Guitar, Gibson Les Paul Custom, Gibson Chet Atkins, Ibanez George Benson.
Didier Lockwood : Acoustic Violin, Barcus Berry Violectra, Bass Violin.

Je me souviens très bien de la sortie de cet album, il était dans le stock des nouveautés en 1983, à la médiathèque et je m’étais empressé de l’emprunter, tout neuf, directement mis sur K7 et resté là…
Il en a fait des trajets voiture entre Grenoble et la Tour du Pin, Vezeronce Curtin, La Batie Montgascon, Chimilin, Veyrins Thuellin, avant que nous ne nous installions dans cette dernière (commune), maintenant regroupée en communauté avec Les Avenières, tout proche, La Tour du Pin restant sous prèf…, je crois…

Cette année-là le secteur Nord Isère avait lancé un concours pour recruter un professeur susceptible de donner des cours de solfège et « d’animer » les interventions musicales dans les écoles – eh oui, on était encore des animateurs… encore heureux j’avais également ce statut de professeur de solfège.
C’est sous cette double étiquette que j’ai été recruté après réussite du concours, à Voiron… face à un jury peu engageant, tatillon, à la sympathie inexistante.
Si je raconte tout ça c’est que à 23 ans, se voir à l’issue de la réussite d’un tel concours obtenir un poste dans une école de musique naissante était une expérience des plus passionnante et que ce fut aussi le point de départ de nombreuses aventures musicales, par la suite.

La médiathèque était celle du comité d’entreprise où travaillait mon beau père et je complétais alors (les choses n’ont guère changé pour les jeunes enseignants en musique…) mon temps de professorat à l’école de musique de Fontaine où j’étais comme on dit aujourd’hui contractuel (remplaçant) par un mi-temps dans l’entreprise.
Il s’en est fallu de peu que, si je ne réussisse ce concours, je penche définitivement vers ce métier de discothécaire…
Mais, peut être fort heureusement, la vie en a fait autrement.

A cette époque le vinyle était encore en place royale et je commençais réellement à en avoir un paquet… les années ayant précédé mon service militaire m’avaient permis, avec de formidables salaires d’intermittents (à cette époque ce statut était réellement incroyablement bien situé pour vivre très correctement, mais par contre il induisait la suspicion des banquiers car, l’intermittent était présenté : chômeur… et il était très compliqué d’expliquer à un banquier qu’en fait… on travaillait et obtenir ne serait-ce qu’un crédit c’était… impossible), d’agrémenter ma collection-passion.
Cette place en médiathèque-discothèque me permettait de choper toutes les nouveautés avant qu’elles ne soient dans les rayons d’emprunts.
Aussi j’avais investi dans une super platine K7 Sansui, double K7 qui me permettait de mettre directement sur ces supports incroyablement pratiques, tous les vinyles que je pouvais choper…
J’ai ainsi eu aussi une formidable cassettothèque…

Toute une époque analogique donc, à laquelle un tel album a participé en de nombreuses écoutes. Pour une fois, me disais-je souvent que je n’écoutais pas, par déformation soit des K7 de musique classique permettant déjà d’agrémenter le sujet de mes cours (je me trimbalais mon radio K7 Crown partout, car les cours dans ce secteur rural … c’était très … spartiate), soit de batteurs qui me permettaient au long des trajets de bosser l’instrument et son indépendance…
Là, rentrant tard, phares jaunes allumés auxquels étaient adjoint des antibrouillards ronds et imposants, au volant de la 205 flambante rouge, forcément à essence, ce trio me permettait un retour relativement paisible.
La route était longue, un long ruban de nationale, empli de virages, truffé de montées, descentes dangereuses, souvent enneigé l’hiver, généralement surchargé de brouillard le soir.
Je fermais la salle de cours, montais dans la Peugeot, allumais le contact et vérifiais que tous les feux marchaient bien. Le lecteur Sony était à gauche. Sous lui était fixé également l’ampli.
A cette époque les éléments étaient encore souvent séparés les uns des autres.
Côté passager une grosse boite à chaussures emplie de K7, beaucoup de jazz rock, pas mal de classique et bien sûr tout ce que le rock devenant eighties, FM et post punk-new wave pouvait produire. Sur chaque K7 les titres, les noms des artistes et musiciens ayant participé, écrits à la main et … pour agrémenter le choix d’une photo afin de faire comme une pochette d’album… étrange truc comportemental…

Pour engager cette K7 du trio, rares hésitations.
J’avais besoin de calme, d’un « vidage de tête » et malgré tout, de musique.
Sur la face B, un autre album de Didier Lockwood, histoire de rester dans l’espace violonistique.
Cela me permettait, une fois passé Voiron, d’engager un peu plus de vitesse, la route le permettant.
Ceci dit, les boites de l’époque n’allaient pas au-dessus de la quatrième … mais on n'hésitait pas à rouler à 110 sur la nationale… le moteur gueulait, on montait le son.
Puis le long ruban de la voie dite expresse me rappelait, comme le titre de l’album face B K7, du violoniste, qu’il fallait avoir attaché sa ceinture. Et après une large heure de route (plus si la neige s’était invitée au col de Montferrat, vers le lac de Paladru), j’arrivais enfin à l’appart’ pour me garer après quelques pérégrinations citadines que nous connaissons tous pour trouver, une place.

Je n’ai jamais eu cet album autrement qu’en K7 et voilà que, l’autre jour il apparait là et me tend son providentiel lot de souvenirs rien qu’à voir sa pochette où les gars que j’embaucherait bien maintenant pour refaire les peintures à la maison, se prennent pour des peintres en bâtiment.
Je rentre, je mets l’album, en parfait état et le flot de ces souvenirs revient – immédiatement.
Curieux comme la musique peut parfois se réassocier à la vie, à des moments si précis qu’elle les rappelle indissolublement.
Curieux comme les bruitages oiseleurs de Lockwood, le jeu même pas ou si peu manouche (alors qu’on l’eut imaginé, ou espéré), la complicité et l’originalité des compositions reprennent leur place, familièrement, comme on retrouve un vieil ami après… tant et tant d’années.
Tiens, Didier avait déjà « Zebulon Dance » en tête et il s’amuse à le placer là, en pleine impro…
Tiens la basse qu’on se surprend à constater est un violon basse, certainement un bien curieux instrument, mais Didier aimait ça, jouer avec les possibilités tech, lutherie et autres que pouvait lui offrir l’actualité instrumentale.
Entre Philippe et Christian une complémentarité fabuleuse, chacun sa place, pas de jeu concours à celui qui l’emporterait, non… juste la musique et cette détente, ce même dans les titres les plus rapides, difficiles et précis à exécuter.

Un album de jazz tellement beau, simple, (en)chantant, enthousiasmant et bienfaisant qu’il fait bon mettre en platine.
Ce, bien sûr au-delà de ces souvenirs qui ne tiennent qu’à moi…

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JEAN PIERRE DEBARBAT : « De Luxe » / JMS1982.
Jean Pierre Debarbat : Tenor et soprano saxophones (Selmer)
Cesarius Alvim : Contrebasse
Tony Bonfils : Fender Basse
André Ceccarelli : Batterie
Michel Graillier : Piano
Pierre Mimran, Claude Thirifays : Tenor saxophone
George Porte : Baryton saxophone
Guy Paul Romby, Jean Pierre Solves : Alto saxophones

Prix Boris Vian de l’académie du Jazz 1983… Pas moins que ça !
Je ne sais plus vraiment pourquoi j’ai quelque part boudé cet album à sa sortie.
Il est fort probable que Vian, associé à une idée académique du jazz y aient contribué.
Je l’avais lui aussi écouté, même qu’il a fait un tour sur une face de K7, emprunté lui aussi en discothèque.

On ne peut pas dire que cet album, pourtant largement mis en tête de gondoles à sa sortie, ait été la préoccupation des rééditions, de même que son leader, tout cela semble avoir été, après une gloire hexagonale éphémère, passé aux oubliettes.
Aujourd’hui Jean Pierre Debarbat s’est lancé dans la pédagogie, le coaching, l’aide aux projets musicaux, arborant ses nombreux titres musicaux honorifiques…

Je mets l’album en platine, je suis prêt.
Un tel engouement à l’époque assorti de « distinctions » fait, forcément se poser des questions et s’attendre à l’exceptionnel, le novateur, l’inédit.
Bon…
Les qualités de ses défauts, dirais-je.
Un jazz à la véritable connotation française, bien ficelé, bien arrangé et même original au niveau conceptuel (compositions, section exclusivement constituée de saxophones).
Dédé et Cesarius, ou Tony envoient du lourd (Ceccarelli est comme toujours, à l’égal de Gadd, absolument incroyable tant de niveau de jeu que d’invention, de drive, de puissance…).
La section saxophones « lit » les arrangements parfois lourdingues à la perfection, tout cela auréolé par Michel Graillier, pianiste lui aussi bien placé dans le palmarès des musiciens de référence de l’époque.
« De luxe » bénéficie d’une remarquable prise de son, très dense et presque pesante par moments.
On va osciller allégrement dans tout ce qui se fait à l’époque, récupéré sous couvert de compositions aux titres qui franchement sont peu incitatifs telle cette longue pièce intitulée « Espoir d’un changement fondamental de l’aide à la création artistique », si, si vous avez bien lu…
Moi aussi quand j’avais l’album en mains et je m’étais dit que…
Alors on va avoir une pincée free, forcément, car à cette époque « faire » du jazz en France impliquait saupoudrer ce brin d’austérité, afin justement de « faire sérieux » - ce qui, tiens donc, le rendait on ne se peut plus… académique.
Cela dit le solo de Cesarius Alvim, à l’archet dans « Piece pour Marcelle » est remarquable et un des rares moments avec celui qui suit, de Michel Graillier à faire enfin décoller et adhérer à l’album. Dommage… c’est le dernier titre.
Puis on va s’amouracher par un léger flirt avec la muse latino, histoire de.
Ce n’est pas pour autant qu’on va se trémousser, ou alors effleurer causette avec elle.
Tout cela est bien trop cérébral pour être réellement un déclenchement physique.
Les forcément amateurs de swing trouveront heureusement un peu de chabada à moudre.

Le leader est un brillant soliste, bien gueulard, bien cuivré, bien rentre dedans et bien bavard aussi. Après relecture en long large et travers de lines de pochette on en déduit que de compositeur il est également l’arrangeur – un excellent arrangeur d’ailleurs, car la section de saxophones, comme sortie directement des rangs d’un Big Band, sonne remarquablement et a même cette réelle originalité conceptuelle d’être effectivement une photographie archétype de ce modèle de section, tout en ayant été écrite différemment pour le contexte particulier de cette autonomie rapport à l’effectif dont elle aurait été extraite.
Cela lui confère une texture que plus haut j’ai effectivement qualifié de lourdingue, comme si un ensemble de saxophones à l’écriture autonome s’était surligné d’une section rythmique.
En gros, t’arrives à la brasserie du port et t’as décidé de te faire « péter le bide ».
Bon, faut bien se faire plaisir, de temps en temps… et bien arroser le tout et être entre potes, aussi.

Là c’est certain, en tout cas côté section de saxophones, ils sont entre potes et de sortie.
Côté section rythmique, cela reste à véritablement vérifier…
Dédé et Cesarius n’en sont pas à leur premier tandem, Michel essaie tant que possible d’installer son piano dans ce contexte envahissant et y parvient parfois au forceps et Tony…

Alors retrouver, réécouter, reprendre le fil de cet album, cela a été, certes comme rouvrir une page, mais une page d’un jazz qui à l’époque ne me faisait nullement vibrer si ce n’est par rapports purement intellectuels et réfléchis, cérébraux… ces rapports, à l’époque, je n’avais strictement pas de « niveau » et d’aptitudes pour les appréhender et les apprécier. Aujourd’hui, fort de ces ressentis, avec le recul il m’arrive parfois de comprendre enfin, ou d’être enfin en mesure de considérer cette façon de présenter tant que d’aborder la musique.
Est-ce pour autant que j’y trouve mon compte ? ...
Cet album, dont la qualité reste cependant évidente, de même que la conception et le sujet mis en évidence, n’arrive pourtant pas à me faire, même aujourd’hui, franchir ce cap de réticence instantanée qu’il engendre tant musicalement que globalement…

C’est ainsi, mais cela n’ôte en rien le fait qu’il faille l’écouter et surtout s’en faire sa propre idée.
Et que Mr Debarbat ne soit rassuré – et il le sait malheureusement – le changement fondamental qu’il souhaitait n’est toujours pas venu… Et les quelques élus ayant domicile à l’ONJ n’ont pas franchement fait se modifier l’affaire, étatisée, pyramidalisée comme Lang aimait à le faire.
Sans parler d’une entrée du jazz aux conservatoires dont il aura fallu quelques décennies pour le faire sortir, justement, de l’académisme immédiat dans lequel il s’est d’emblée engouffré.
C’est cela les prix, c’est cela les académies…
Mais est-ce pour cela que la musique ?

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ORCHESTRE NATIONAL DE JAZZ – direction François Jeanneau – « 86 ».MFA/Label Bleu 1986.
François Jeanneau — saxophones soprano et ténor, direction musicale / Éric Barret, Jean-Louis Chautemps, Richard Foy, Pierre-Olivier Govin, Bruno Rousselet — saxophones, clarinette, flûte, basson / François Chassagnite, Michel Delakian, Christian Martinez, Éric Mula — trompette, bugle / Jean-Louis Damant, Denis Leloup, Yves Robert — trombone / Didier Havet — tuba / Andy Emler — piano électrique, synthétiseurs / Denis Badault — piano acoustique, synthétiseurs / Marc Ducret — guitare électrique / Michel Benita — contrebasse, basse électrique / Aaron Scott — batterie / François Verly — vibraphone, marimba, percussions
Guest : John Scofield

L’annonce avait été largement médiatisée, on l’attendait avec une réelle impatience.
Quoi donc ? Mais oui, les amis… Un … Orchestre … National … de … Jazz …
Excusez du peu…
Mais bon, ça en a fait pousser des cocoricos au point même de se faire se lever à l’aurore les jazzmen pourtant noctambules de nature.

J’aurais vraiment l’occasion de me pencher avec la plus grande estime et le plus grand des sérieux possibles sur l’ONJ qui ne dort pas, qui malgré les vicissitudes politico-culturelles qui ne sont peut-être qu’une blagounette face à la situation actuelle, a réussi non seulement à afficher un parcours artistique véritablement identitaire, mais à simplement… survivre.
La réussite de ce premier opus, forcément très critiqué, forcément pointé des doigts des deux mains, forcément scruté à la loupe et forcément admiré ou jalousé et surtout excessivement médiatisé (quand un ministère de la culture est derrière quelque initiative politique, y’a des moyens) y est pour quelque chose, dans cette reconnaissance et cette pérennité.

Avec le recul et ce, rapport à tant d’autres des suiveurs aux chefs changeants, aux projets personnellement divers et variés, appréciables ou austères, intellos et barrés ou inventifs, ce premier opus ouvrait très honnêtement et qualitativement la lignée.
Une sorte de véritable étalon, truffé de compétences et de savoirs sortis du meilleur de ce qui se faisait en France à cette époque.

En 1986, les Big Bands sur l’hexagone, ça pullulait…
Les possibilités offertes à ces grandes formations de jazz étaient réelles, on avait des ouvertures pour jouer, c’était reconnu et pas un jazz club n’oubliait de programmer sa soirée Big Band. Mais, culture oblige des musiciens de jazz, le répertoire était principalement constitué d’arrangements achetés dans les maisons d’éditions américaines ou récupérés sous le manteau, pour un répertoire outre atlantique.
Pourtant le jazz français se portait à merveille, créatif, multiple et divers et avec plus largement le jazz européen, la scène offerte à ces musiques créatives était plus encline à l’audace, à l’innovation et au respect des artistes nationaux.
L’ONJ a voulu dès son départ offrir avec des moyens, une possibilité, sur projet, à un-e directeur-trice musical de porter son projet et de le mettre en valeur, tel quel.
Une bien belle initiative, avouons-le.

S’il y a eu ou s’il y a un mais rapport à tout cela, j’en parlerais dans une autre chronique, plus spectrale… car des ONJ… y’en a un paquet et y’a de quoi presque … s’y perdre…


François Jeanneau (qui fit partie du groupe rock Triangle, chose qu’on aurait tendance à oublier mais qui n’est en aucun cas une honte, d’autant que l’engagement politique du groupe, tant que sa musique étaient vraiment novateurs – ça ferait même du bien aujourd’hui, mais ceci dit, on ferait un copié collé des paroles que ça serait malheureusement d’actualité), a été choisi pour diriger ce premier opus.
Cela eut été génial qu’il puisse comme cela se fit par la suite, dépasser le cadre d’une année « d’exercice », mais la règle devait être établie ainsi aussi ce disque (double vinyle) devenu difficile à trouver (la France n’est pas forte en réédition de son patrimoine musical) est tant unique que formidable.

Il possède l’envie, les prémices d’audace qui deviendront les schémas ONJ par la suite, l’énergie qu’offre les possibles et la pression qui se devait d’être.
François Jeanneau a composé l’essentiel du matériau musical mais il le partage avec Denis Badault (qui dirigera plus tard un ONJ), C. Chevalier et Andy Emler qui déjà avec un titre barré « Superfrigo », va interpeller les auditeurs.
Des arrangements de compositions de Michael Gibbs, de Gil Evans et de Coltrane terminent le package.
Pour une première, le menu était d’emblée plutôt savoureux…

Et en live, croyez-moi, ça dépotait…
On allait les écouter en parfaite connaissance de l’album, on guettait les solistes, on se délectait des arrangements, franchement merveilleux et on savait qu’on venait de passer un moment unique et exceptionnel. Et ça l’était !

Sorte de carte postale musicale d’une époque où le jazz en France se portait plutôt bien, ce premier ONJ fut donc tant le lanceur d’un futur prometteur que d’un réel renouveau et regain du jazz hexagonal. Ce qui permit à de nouvelles têtes, de jeunes artistes tant d’espérer y entrer un jour, que d’en sortir pour, avec cette reconnaissance, faire carrière et surtout proposer un jazz identitaire, national et restant avant-gardiste.
Le pari Lang fut donc réussi et cela lui réussit également.
Les discussions politiques sont rares dans le milieu musical et là, son nom, associé à l’ONJ et à ce truc à l’initiative démago qu’est la « fête de la musique », était dans tous les débats, sur toutes les lèvres et le milieu du jazz (tant que son public) devinrent certainement une part de l’électorat socialiste.

Onze titres…
Onze petites merveilles écrites avec soin, méticuleusement arrangées, choisies de façon à mettre en évidence tant l’écriture que les possibilités ouvertes aux solistes, lesquels se lancent dans le jeu avec une fougue rare.
Un tel album faisait figure d’historique aussi le jeu est soutenu par cette idée, cette dynamique et c’est ce qui rend l’objet absolument exceptionnel tant qu’incontournable et indispensable.

Au hasard, « Fantaisie de bop » démontre en une entrée incroyable d’écriture en multiples trappes toute la palette que possède François Jeanneau. Puis François Chassagnite va tout démonter avec un solo ponctué d’interjections sorties du réalisme d’image habituel de l’écriture de Big Band de jazz tout en étant d’une écriture compacte, compressée… un petit pont où Ducret et Verly s’associent et Jeanneau soutenu par Badault passe en tête. Ecriture précise, riche sans lourdeur malgré une très forte intensité. Difficile, complexe, subtil, organisé, nouveau.

Presque pas au hasard, « Kalimba » et ce solo d’entrée, de basson.
Le jeu spécifique de ce petit instrument africain se retrouve transposé en écriture orchestrale, jonché de ruptures inattendues, de trouvailles permettant à chaque soliste de s’exprimer dans une zone dédiée… Là encore une écriture demandant un réel travail conceptuel et une attention très professionnelle de la part des musiciens, une entrée en compréhension et une adhésion afin d’une appartenance pour l’exactitude du jeu.
Le travail préliminaire de répétitions a dû être sacrément explicatif, dépassant la seule notion musicale mais allant creuser vers des dimensions de langages, de cultures, d’ouverture autres que le seul – mais pourtant logiquement omniprésent – terme de jazz. Admirable…
Tiens, justement … « Superfrigo », slap en vogue, funkoïde tel qu’une bande de Brecker échappés du bocal pouvaient en être dépositaire. Une récup’ à la française, excitante, groovy avant que l’heure ne s’empare du terme…
La rythmique Benita, Scott, Ducret… pfff…
Quelle marque, au fait, Andy, que ce frigo ? Car en 86, si ma mémoire est bonne ceux dits américains n’étaient pas vraiment courants… En tout cas avec un tel titre il a fait décongeler le congelo. A noter le solo fumant de Richard Foy et celui de François Verly aux percussions puis ce truc obstiné de Ducret et enfin ces couacs en coda… top…

Face conclusive avec un titre de Trane, pas des plus connus et traité avec le bon sens des choses, un phrasé de fou aux saxes, … pour une partie vraiment hallucinée puis solo décapant de Michel Delakian au bugle et on conclut avec une filiation américaine en hommage à Gil Evans, invité, Scofield – immense - vient porter la touche finale sur cette valse.
Inattaquable.

Le premier ONJ…
Historique, valeur plus que sure et vraiment dépassant le « digne d’intérêt » de base pour collectionneurs avertis.
Un acte qui fut prometteur, suivi, qui a bousculé certains possibles dans le jazz de l’hexagone et a rendu bien des choses possibles par la suite.
S’il n’en fallait qu’un…

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Pas mal ces emplettes jazz frenchy.
J’ai toujours été un addict du jazz français et curieusement, en y repensant, la formation jazz avec laquelle je jouais dans ces années là s’appelait Frenchic Jazz – au-delà des simples souvenirs, je crois bien qu’on voulait être dans cette mouvance identitaire avec des reprises certes, mais volontairement choisies ailleurs que dans les usages, mais aussi des compositions.
Et… on tournait, les clubs nous acceptaient, sur K7 de démo.
Et je crois bien que l’un des réels effets bénéfiques de l’ONJ, entre d’autres de ces artistes, a été de permettre au jazz hexagonal, ce même sous tutelle de l’état, sa reconnaissance sans que cela hésite, débatte ou soit gaussé.

La suite là aussi, bientôt.












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