PETITE PAUSE VERVE

 PETITE PAUSE VERVE


« Verve :
Imagination, brio se manifestant dans la parole.
Fougue, entrain dans l’inspiration.
Être en Verve :
Manifester avec éclat son esprit, être particulièrement inspiré, brillant. »
Cf recherche immédiate google.

Avec Blue Note, pas après mais juste à côté, parmi d’autres labels ayant fait légende (Columbia/CBS – Impulse, Savoy, CTI …) on va trouver instantanément Verve, l’autre penchant de ce son sur lequel on a mis le sceau de jazz.
Nombre d’artistes auront navigué de l’un à l’autre, tellement nombreux. Mais certains auront marqué de leur empreinte l’association artiste/label.

Verve, pour moi ce fut au départ cette formidable compilation intitulée « Jazz en Verve » qui en quelques titres, sous la forme de quatre albums (CD) ratissait, avec un son remasterisé d’une grande clarté, un large panel des légendes du label (avec quelques curiosités…).
Comme toujours, de là, j’ai creusé.
Et là j’ai réouvert la boite.

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« WE GET REQUEST » - The Oscar Peterson Trio / 1965.
Ray Brown – Contrebasse | Ed Thigpen – Batterie.

Oscar Peterson est l’un des emblèmes de Verve.
Nombre des ses albums sont enregistrés sous le prestigieux sceau.

Mardi, je déjeune avec une amie de très longue date, une musicienne genre high level.
Un rendez-vous amical, on parle de la vie, de la musique, on ne se refait pas le monde, on l’aborde de la même façon, donc.
Au fil de la conversation voilà qu’on parle d’Oscar Peterson, qu’elle a vu (je ne l’ai jamais vu / entendu en concert) à Vienne. Imposant, veste rose pimpante, carré de tissu propret au coin du piano pour essuyer un front en sueur dès le premier trait digital, dès le premier grognement de plaisir, dès l’entrée en ce terme dont il a la totale maitrise : « swing ».
Chez Oscar même la bossa swingue… oui… la bossa…

Des albums d’Oscar Peterson, j’en ai écouté un paquet, tentant chaque trait véloce qui musicalement tord la poussive idée de virtuosité, un acte que là encore il maitrise à la perfection que cette aisance dont il joue avec musicalité, verve, humour, plaisir et non culpabilité face à celui-ci.
Ecouter un album d’Oscar Peterson (un autre que j’adore c’est « Night Train »), c’est entrer directement en jubilation, en jouissance du moment.
C’est lyrique, chantant à tous les degrés, léger, joyeux, truffé de petits clichés (y compris classiques) et Dieu que ça swingue, si toutefois ce terme peut prendre une définition audible c’est bien là qu’on en aura la perception.
Ici Oscar est dignement accompagné par des experts en la matière.
Ray Brown à la contrebasse fait partie des légendes de l’instrument, inutile d’en dire plus il suffira de laisser son oreille traîner du côté de l’instrument pour comprendre pourquoi.
Il y a là quasiment tous les usages que se doit d’avoir un contrebassiste se voulant jazz, en cet album on est face à l’école. Inventivité de l’accompagnement simple, en walking, en contrechants, justesse précision, ampleur du son, articulation, détaché, énergie, souplesse, un jeu d’archet mirifique (« you look good to me ») … les qualificatifs sont infinis.
A ses côtés Ed Thigpen, sobre mais présent, souple mais marquant, fin mais qui envoie quand c’est nécessaire, au bon endroit, au bon moment. Un drive de cymbale merveilleux, un jeu de balais accrocheur, des incartades soliste jamais hors sujet (« D&E »), juste pointillistes, logiques, chantantes, là encore.
Tout cela est d’une grande finesse, d’une infinie musicalité et si parfois l’on aura désigné cela de légèreté - désignant ainsi l’apparente facilité avec laquelle le trio aborde avec un naturel désarmant ces standards – c’est qu’on aura forcément préféré un jazz plus cérébral, plus intellectuellement prise de tête, ou plus engagé sur un plan social voir politique.
Il faut de tout pour auréoler ce monde qu’est le jazz et c’est chose trop rare dans l’artistique que justement l’expression de la joie, du bonheur, du plaisir simple, de la légèreté de la vie, car rien n’est en fait plus ardu que l’exercice de l’expression du bonheur (il n’y a qu’à les regarder sur la photo de pochette – heureux …).
Ce bonheur il est palpable et transmis ici à chaque seconde de ce « We Get Request », un album d’école musicale du jazz sur lequel nombre se devraient de prendre exemple.
De jeu, de recul instrumental, de savoir-faire, de maîtrise, de culture, de musique, tout simplement.
Ce fameux art du trio, agencé ici magistralement…

Purée, Oscar en veste rose bonbon, tout sourire dehors, ça devait être quelque chose…

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« THE HARD SWING » - Sonny Stitt Quartet | 09-02-1959.
Sonny Stitt (Alto – Tenor Saxophones) – Amos Trice (Piano) – George Morrow (Bass) – Lenny McBrowne (Drums).

La verve, Sonny Stitt en a…
D’entrée de jeu, sous couvert de ce hard bop encore ancré dans les us de Bird, le tempo ultra up de « I Got Rythm » n’installe aucune équivoque.
Puis il déballe tout son sens soliste avec « What’s New », se promenant en tout débits de phrases, circulant dans les méandres de ces gammes avec un engagement passionné, une énergie directe et un phrasé laissant rêveur.
« Subito » n’arrête pas le puissant soliste poussé par ses comparses auxquels il aura peine à laisser place.
« If I Had You » cherche son tempo l’instant d’une introduction de contrebasse mais le leader fait entrer tout cela dans le droit chemin du bop en quelques fioritures de thème, laissant, sous ce déluge stylistique, l’émotion prendre du terrain.

La trace de Bird est bel et bien là… magnifiée, réengagée, testamentaire.

« I’ll remember April » est engagé immédiatement, le thème évoqué est déjà « soloïfié ».
Break d’usage et c’est reparti.
Festival de solo sur une rythmique qui circule et incite, qui ponctue et insiste, Sonny circule tel un homme pressé sur son sax et laisse enfin la place à Amos qui prend ses marques, en digne franc bopper. Lenny a bien failli prendre place pour un 4-4, aura tenté le coup, posé quelques idées d’arrêt sur sa caisse, mais non, rien à faire… plus tard, qui sait ?
« Blues for Lester », tout reste dans le titre… et le blues, ça Sonny, il sait en tirer les ficelles, faire gémir, gueuler à sa façon par inflexions, rauquements, accentuations toniques et tonifiantes. Son solo ici est époustouflant. Amos se repositionne pour ce genre de solo blues piano bien dedans qui servira de passerelle à Sonny, décidément plus qu’en verve.
On est dans le pur live en studio… ils ont dû enregistrer ça (cet album) au sortir du club, en deux deux…
« After you’ve gone », allez, pas le temps de respirer les gars, ça tourne… et ça swingue…
Uppercut direct, en pleine tronche, comme sur la pochette.
Et je me laisse embarquer par ces phrases qui serpentent à toute allure, liées par un phrasé qui se joue de tous les tours et s’en amuse.
« Street of Dreams », au ténor. Juste le temps de changer d’instrument et de reprendre le chemin du mode bluesy en rauquant un peu et en se faufilant entre les pavés massifs que George s’insiste à enfoncer sur sa contrebasse. Vite torché… une petite coda en rubatos et hop
« The Way you Look Tonight » à peine introduit, le temps de se préparer au thème – comme au club… on enchaine, pas de pause, c’est l’urgence, il ne faut pas les lâcher et Sonny ne nous a toujours pas lâché, d’ailleurs… Moi je reste accroché à son jeu, son bec, sa puissance de jeu, son inventivité et sa virtuosité.

Oui ce « Hard Swing » ne lâche pas l’affaire d’une semelle.

« Presto » - est… comme son nom l’indique, avec la petite phrase thématique blues qui sert de prétexte parkérien à reprendre l’alto. George explore tout le manche, Amos ponctue comme un zébulon et va y’aller, lancé par ses tressautements initiaux. Quant à Lenny, il n’a toujours rien lâché et c’est bien grâce à lui que ce 09-02-59 en entrant au studio après forcément une soirée terminée tard au club que tout cela fut motivé et motivant, incessant et oui, urgent.
« Tune Up » va conclure et c’est le dernier moment intense, à fond la caisse, pendant lequel pas un instant n’a échappé à ce dépassement se soi énergique, combatif, engagé, déterminé, volontaire et puisant dans l’extrême des ressources instrumentales, techniques et humaines du musicien.

« The Hard Swing » - un concert à domicile, tel qu’on en fait plus, tel que l’on ose plus.
Un album tel que l’on en fait plus et là aussi tel que l’on ose plus.
Un autre temps.
D’autres valeurs.
D’autres urgences artistiques.
Une sorte de « happening » post bop.

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« REFLECTIONS » - Stan Getz | 1964.

Pour les puristes, Stan a « abandonné » le jazz.
Il est (a toujours été ?), smooth avant l’heure.
Stan a porté la bossa à un statut inimaginable, fait de ses comparses brésiliens des stars, détourné Astrud… tellement d’actes d’évolution musicale qui le mettent en avant, le rendent populaire et qui heurteront les éternels crétins puristes, aux œillères pas forcément musicales, ceux qui ne se reconnaissent (car c’est leur vecteur « d’appartenance ») qu’en un « certain » jazz.
Les mêmes d’ailleurs qui, musiciens s’autoproclament de ce seul critère, n’en restent qu’à une poignée de standards, une pincée de référence, une ornière de jeu stylistique.

Stan Getz, figure emblématique du label, s’est ici volontairement auréolé d’un environnement orchestral. Il a confié le tout à Lalo Schifrin ou Claus Ogerman et la production à Creed Taylor.
La section rythmique Joe Hunt, Mel Lewis (drums) George Duvivier (Contrebasse), Hank Jones (piano), Gary Burton, George Devens (Vibes), Kenny Burrell, Allen Hanlon (Guitars), est tant discrète que flexible, se pliant au gré des arrangements.
Un quatuor vocal à la mode Double Six qui préfigure un futur Manhattan Transfer ou encore un L.A Voices (cf Supersax and L.A Voices – fortement recommandable) se positionne ici de façon inhabituelle (et forcément il faudra s’y habituer pour prendre cet axe comme « orchestral »).
Elle est là, tel un orchestre d’accompagnement, en partenaire duettiste, en soutien, en orchestre vocal. Inédit, intriguant, captivant aussi.
Alors…
C’est effectivement surprenant, pas spécialement accrocheur de premier abord, déstabilisant que cela et l’oreille tentera de zapper cet axiome afin de se concentrer uniquement sur Stan, égal à lui-même donc, directement merveilleux…
Mais justement, c’est bien là que l’effort se doit d’être fait, car cette volonté d’installer ce somptueux écrin orchestral , qu’il soit vocal ou instrumental change la donne, tant du soliste et mélodiste Stan Getz que du choix des titres proposés ici, ce, allant jusqu’à reprendre Dylan.

Qu’on se rassure, ça swingue toujours autant (« Nitetime Street »), ça lorgne maintenant, pour toujours, bossa (« Charade ») et ça fout toujours le frisson balade et ce dès le départ avec « Moonlight in Vermont ».
Et c’est toujours aussi « cool ».

La pause clope de Stan est luxueuse, luxuriante, scintillante, bourrée d’idées, d’aventures pas franchement hasardeuses, le paquet n’est plus en carton, sorti directement du bureau de tabac, mais Stan a maintenant les moyens d’une jolie et somptueuse boite dans laquelle il a glissé la précieuse tige désormais filtrée, moins âpre, plus douce.
Il tire de longues bouffées et fait le point, une coupure, pas une récréation… c’est loin d’en être une.

« Blowin in the Wind » conclut cette exploration et ces réflexions sur un jazz que Stan n’a que trop joué, probablement.
Il est temps pour lui, après avoir bien bronzé sur les plages brésiliennes et profité de ses syncopes chaloupées, d’aller voir un peu du côté de cette pop qui a commencé à envahir les ondes et à laquelle en parfait mélodiste qu’il est, il n’a pu être insensible.
Il n’est pas obligatoire d’être agressif, révolutionnaire ou intellectuel psycho-déprimé pour être visionnaire…

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« BASIE’S BEATLE BAG » - Count Basie and His Orchestra | 1966.

La transition pop était aisée…
Populaire ! Qui d’autre que les Beatles peuvent prétendre l’être en 1966 ?
Ils inondent de leur popularité la planète entière, leurs mélodies sont sur toutes les lèvres, se sifflotent de toute part. Une forme d’unanimité…
Penser que les artistes du monde du jazz puissent être insensibles à ce raz de marée musical serait vraiment stupide.
Count Basie, l’archétype emblème de ce swing façonné en jovialité sous la forme Big Band (quatre trompettes, quatre trombones dont un trombone basse, 5 saxophones à savoir deux altos, deux ténors et un baryton et une section rythmique reposant sur l’immuable Freddie Green à la guitare, pilier central de la pompe) s’y met.
Il va binariser en latinisant jungle, ou swinguer, bien évidemment le sujet.
Ca cuivre ferme, tuttis, riffs, glissandos, toute la panoplie Basie est là.
Il laisse le soin à Chico O’Farrill d’argumenter en arrangements le matériau initial des Beatles.
C’est pêchu, c’est rentre dedans, c’est puissant et immédiatement accrocheur.
Sonny Payne à la batterie offre un festival de relances, de ce jeu que les batteurs affectionnent qui sait inciter l’ensemble, éclairer l’écriture, torturer le soliste…
Tout est traité ici « à la Basie » et l’on réalise que peu importe finalement l’origine d’un titre, sa popularité le fait alors devenir « standard » et le jazz s’en empare.
Il n’y a qu’à se pencher sur « Hard Days Night » semblant ici tout droit sorti d’un Basie de légende, rien de plus, rien de moins, ce jusqu’à ce solo de trompette Harmon glissé en fond de cale avec sa conclusion en « stop ou encore » typiquement Basie.
Basie nous gratifie de ses usages pianistiques venus du stride, du boogie, du blues. Il a même sorti l’orgue pour l’occas’.
Le pupitre de saxophones se délecte des thèmes, les cuivres offrent un festival de tuttis, comme on aime.
Freddie est immuable, comme à l’accoutumée…
Bill Henderson prêtre sa voix à « Yesterday » annoncé en tonitruants rapport cuivré…
Quelques flûtes d’adoucissement swing, une couleur Basie qu’on aime…
L’album défile, passe et l’on ne cherche même plus à reconnaitre tel ou tel titre, juste se plonger dans cette jouvence de swing, brillante de mil feux cuivrés.

Un Basie que j’estime indispensable, obligatoire et qui transcende un matériau pour se l’approprier avec ses usages, sa couleur, sa verve !
On en parle rarement de ce « Basie’s Beatle Bag », pourtant le détour est largement de mise.

Ici, tout swing dehors s’achève cette petite pause Verve.
Le label, ce même parmi les albums de ses stars emblématiques, est un catalogue de pépites, de curiosités, de légendes et maintenant également de nouveautés car il a, comme certains de ses concurrents su évoluer et s’adapter à l’évolution du jazz et à ses artistes, n’hésitant pas à mettre en avant-scène les jeunes générations et leurs argumentaires stylistiques.
Creuser le sillon du jazz chez Verve, c’est s’assurer des pauses jazz bienfaisantes, c’est avoir la certitude d’un moment de plaisir…
J’y ai droit à chaque fois et ces quatre albums n’ont pas fait exception.










Commentaires

  1. Là c'était plus facile, Le Oscar que j'avais et dont j'aimais la nonchalance mais mais je me suis vite jeté sur le Count Basie. Tu m'étonnes d ela complicité avec Jerry Lewis. Count Basie et les Beatles presque plus cool que ma version de Count et Sinatra. Et l'idée de la pochette: hé! les momes vous écoutez quoi... hein? P'tain Count et les Beatles j'en ai presque oublié de lire ton papier. Mais je vais m'y mettre maintenant

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    1. Oui, chez Verve ça semble plus simple, mais j'ai encore ressorti des trucs pas possibles et sur des décennies perpétuant la "grande "époque" des emblématiques Ella (vedette incontestable du label).
      Le Basie avec les gamins, c'est vraiment un objet plein de cet humour classieux et jovial, jubilatoire "à la Basie" - il n'a pourtant pas une excellente presse, et est plutôt titré comme un album hors sentiers, qui fonctionne, mais... sans plus...
      Curieux encore ces œillères des "critiques spécialisées" alors qu'on est face là à un monument de swing, d'appropriation à l'époque d'une actualité musicale.
      Duke reprenait et arrangeait Tchaïkovski, Basie fonçait chez les Beatles...
      Basie ne fut pas le seul et il y a fort à parier que c'est de là que les titres des Beatles sont entrés en force dans le répertoire des standards de jazz de nombreux artistes, car entre mouvements swings à récupérer ou encore ces balades aux mélodies d'une forte intensité expressive, y'a de quoi faire...
      Mais là, je trouve que Basie pousse le bouchon encore plus loin car il mute les Beatles en du "pur Basie" et ça... c'est très très fort.
      à +

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