PETITE PAUSE BLUE NOTE

 PETITE PAUSE BLUE NOTE


Ah…
Ca faisait longtemps…
Pas que je n’en avais écouté de ces albums Blue Note, ce label incontournable à la sonorité et prise de son qui instantanément identifie l’idée du mot jazz - non, un amateur, auditeur, inconditionnel de jazz ne sait se passer de plonger régulièrement dans le catalogue du label.
Longtemps que je n’en avais parlé…

Des stars, des cultes et des obscurs, ou du moins pas forcément mis en éclairages.
Mais chez Blue Note, tu sors du club, tu entres en studio, tu joues et on t’enregistre puis … tu retournes à tes affaires musicales (du moins dans la période qu’encore on veut culte celle communément associée à un nom, celui de Rudy Van Gelder).
Car aujourd’hui le label perdure et c’est tant mieux.

Allez je vous sort quelques pépites pas forcément bien éclairées mais qui une fois sorties des étagères vont contribuer largement à nos bonheurs respectifs.

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FRANK FOSTER « Manhattan Fever » - Blue Note 1968.

Frank Foster est principalement connu pour son engagement envers Count Basie, dont il s’est missionné afin de faire perdurer son patrimoine, en dirigeant le Count Basie Orchestra après la mort de la grande figure du jazz.
Ce serait négliger ou oublier sa propre carrière solo.
Ce serait également négliger le saxophoniste qu’il fut (il est décédé en 2011), au sein bien évidemment du Count Basie Big Band pour lequel il a posé quelques solos restés en mémoire…
Sans parler de ses arrangements et donc de sa redoutable compétence en ce domaine.
La carrière solo de l’artiste a, par contre été passée en ligne parallèle, pas négligée ou encore oubliée, juste peu mise en avant, alors que…

Bon, je jette mon dévolu sur cet album.
Le binaire légèrement funky y prend place, les arrangements en mode combo n’évitent pas la pâte Basie, les compositions sont superbes et qu’elles affichent un hard bop puissant, un bop véloce, la balade magnifiée ou le groove funky qui est désormais de mise depuis que Herbie l’a popularisé, elles se placent de suite dans l’imagerie captivante que ce jazz relayé par ce label a su mettre dans notre référent collectif.
Ca joue, comme on dit et c’est excessivement bon !
Le casting est de haute volée, Marvin Stamm, en tête de file, ce trompettiste qu’on retrouve de façon quasi systématique dans les pupitres des grands, cet habitué de l’aigu qui fait cartonner le tutti et qui dès qu’il entre en solo fait dresser le poil – nous offre un festival de ce que le mot jazz provoque de pêche, de pugnacité, d’énergie, d’envie… un pur plaisir.
Garnett Brown au trombone, n’est pas en reste et avec Frank, sortant des arrangements tour à tour classiques ou modernistes d’écriture, ils soloïsent comme des furieux, lorgnant parfois vers ces langages nouveaux tels que le free.
Au piano le malheureusement peu connu Richard Wyands est remarquable et surfe en tous genres. Sa rythmique est rigoureuse, immédiatement accrocheuse, ses solos interpellent sans la moindre attente, il jongle entre écriture et liberté, entre modernisme et ancrage bluesy… un jeu passionnant.
George Cables*, apparait en session également, plus anecdotiquement, sur des titres plus libres.
Il a à ses côtés deux piliers d’une immense efficacité en Mickey Roker (batterie) et principalement Bob Cranshaw (contrebasse), car il y a aussi Buster Williams* les sessions avec Cables.
Le premier est le parfait batteur de combos, il appuie, il lance et relance et quand ça joue solo, mais quel drive ! Le second est en circulation permanente, en walking d’une formidable inventivité et présence, ou instigateur de lignes de basse funky bien avant l’heure.
Il(s) pousse(nt) au cul les solistes, récupèrent les écrits, obligent au dépassement de soi, insufflent tout en soutenant. Une forme de perfection du rôle.
*Sessions ajoutées à la version originale et enregistrées ultérieurement en 69, lorgnant vers la tendance free.

Je n’ai pas envie de mettre en avant tel ou tel titre, cet album défile d’un trait comme un set de club, il fascine et accroche instantanément et transporte l’auditeur en plein cœur de ces endroits mythiques, sorte d’imagerie de musique et de musiciens liée à la seule musique et fermée sur ce seul et bienfaisant univers.
« Manhattan Fever » est le titre qui sied à merveille à ce déluge de jazz que le maestro Frank Foster, au sourire malicieux, de retour chez Blue Note, nous balance en ces pleines sixties mouvantes et radicalement changeantes musicalement, socialement et esthétiquement.
A mettre en haut de la pile !

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STANLEY TURRENTINE « La Place » - 1989.

Aaaaah ce son de ténor, bluesy à souhait, gueulard, rauque – Stanley Turrentine.
Nous voici en 1989, une étiquette soul-jazz vient se coller sur cette petite merveille de groove, portée par les lignes de basse du grand Abe Laboriel (Al Jarreau et chez nous Michel Jonasz… pour n’en citer que deux).
Un gros son funky, quelques échappée reggae juste pour dire… et dès « Terrible T » le ton est donné.
Le casting studio des afficionados de certaines productions dites calif’ est au rendez-vous, jusqu’à Paulhino Da Costa.
Blue Note s’est mué, a pris la tendance, suivi le sens de ce vent sans pour autant oublier son éthique, juste s’adapter, suivre, être… là.
Freddie Hubbard ou Michael Stewart (« Cruisin’ ») sont aux trompettes, le premier envoie, comme à l’accoutumée, du lourd.
L’équipe des gratteux c’est un festival… Phil Upchurch, David t Walker et Paul Jackson Jr au gré des pistes.
Cela aurait pu sombrer dans l’univers désormais communément appelé smooth, mais il est encore trop tôt pour que cet estampillage soit véritablement identifié.
Un obligato chanté « « Night Breeze » entre un Crusaders et un Grover Whashington/Al Jarreau de luxe fait tressauter le corps, hocher du chef, s’aligner sur une rythmique joviale et sautillante de peps, de feeling, de plaisir. Une certaine soupe ? Oui, peut être mais c’est bon aussi la soupe, parfois.
« Take 4 » tout slap dehors, toutes synthèses flûtées mettrait presque Level 42 au tapis, extra.
Stan semble heureux dans ce nouveau costard, blanc, chaussé de pompes bicolores, accoutrement idéal pour se mouvoir tout sourire sur un dancefloor où il mène le jeu, libre, peinard, chantant son blues sous d’autres cieux, dialoguant avec ses potes de section, répondant à leurs avances.
« Touching » sur ce fond de ¾ à inflexions gospel, bien ancré dans le temps, bien appuyé sur tapis de cordes (superbes arrangements ainsi que solo de piano de Booker White) lui permet la piqure de rappel – les racines sont profondes et impossible à couper. Son solo qui suit celui de piano s’amuse de ces cordes langoureuses et chantantes contrastant avec cette rythmique plombée.
« La Place Street »… gros swing en réminiscence post hard bop bluesy rappelant qu’il fut l’un des partenaires du grand Jimmy Smith. Terrain connu, l’orgue on l’aura repéré, est de synthèse. Qu’importe ça trace direct à l’essentiel et Stan fait rugir le sax, comme j’aime.
Le blues quoi… et ça, il est tombé dedans avec son sax… il y a tellement longtemps.
« Sparkle » enfoncera le dernier clou de cette mutation funky. Basse et batterie sont fusionnées à l’impact près, ça cocotte grave du côté des grattes et sur ces placements enfoncés Stan est reptilien, il circule avec souplesse parmi ces syncopes up, sur lesquelles tous ont pris rendez-vous.
Ça sent le DX7, ça racole, pas de fioritures, uppercut direct. Et là encore, ce solo de Stan !
Ce Blue Note là vaut aussi le détour, par plaisir honteusement simple, par curiosité bien placée, parce qu’il faut savoir se faire plaisir et ne pas toujours chercher à se la compliquer, la vie…
« Cruisin ‘ » portait bien son nom et Stan a pris des vacances, tout simplement.

 

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BLUE MITCHELL « The Thing to Do » - 1964.
Junior Cook / Tenor Saxophone – Chick Corea / Piano – Gene Taylor / Bass – Aloysius (Al) Foster / Batterie.

Bon, revenons à ce son de la grande époque, la batterie est à droite de la scène club, c’est coutume.
Le piano plutôt face à elle, presque sur la gauche tandis que la contrebasse sied quasi au centre.
Un axiome Blue Note tellement fréquent, j’ai joué à la batterie et aussi au piano dans nombre de jazz clubs reproduisant cette configuration que c’en est devenu logique, naturel, presque un truc lié au patrimoine.
Il n’y a qu’en rock que par la suite j’ai pris l’habitude de placer l’instrument au centre, mais j’avoue que cela m’étais difficile et que parfois j’ai repris cette disposition évidente.
Encore aujourd’hui j’aime à placer mes claviers côté dit « jardin ».

Ce disque est passionnant à nombre d’égards.
En premier lieu la présence des juvéniles futurs partenaires de Miles apporte un regain d’intérêt à son écoute. Aloysius Foster n’est pas encore Al, tout comme chez Blue Note Anthony Williams à ses débuts n’est pas encore Tony.
Le batteur clé de la période dite électrique de Miles, à la charley quasi systématiquement ouverte afin d’énergie et lissage, aux cymbales énormes et posées quasi verticales et au tom médium bien trop incliné est ici positionné dans un jeu « classique ». Mais, d’emblée on remarque des petites astuces de ghost, de ras, d’accentuations qui sont hors du seul cadre de l’accompagnement swing ou aux réminiscences dites « afro » (renommées aussi jungle, en lien avec le jeu ellingtonien et les titres gardant cette caractéristique Cotton Club).
L’autre artiste qui suscite l’intérêt est bien évidemment le jeune Chick Corea, son jeu pianistique lui aussi sort du cadre « classique » tout en en respectant les usages. Ici, déjà, pas de virtuosité en traits grandiloquents ou en bop mood (ce bien qu’il en fasse usage – « Chick’s Tune »), mais un jeu serré, rétracté sur l’efficace qui tel Bill Evans, installe richesse harmonique suggestive, ponctuations rythmiques pointillistes sortant immédiatement du spectre en petites phrases de contrechants, en petits riffs légers, sautillants, sollicitant l’acteur soliste en poussant son imagination et sa pugnacité. Ses solos, de suite, affichent une singularité, ce même quand il reste dans les traces du blues, petits mots distincts formant une grande phrase, traits rapides et ramassés, caractère lumineux… Il n’est nul besoin d’être devin pour savoir que ce jeune homme ira loin…
Gene Taylor solidifie ce beau monde autour de sa sonorité ample et généreuse et les solistes, le leader Blue Mitchell comme son compagnon de pupitre Junior Cook bénéficient ainsi, avec une section rythmique de cette qualité, d’un tapis du plus grand confort pour explorer, exprimer, formuler leurs solos. Le premier explore le monde modal tandis que le second semble installé dans le schéma parkérien.
Cet album est considéré comme l’un des premiers actes de Hard Bop du label et il mérite plus qu’un détour car il est véritablement représentatif de cette jeune école qui va poser sur l’histoire du jazz un jeu et des modes directs, tant enracinés dans la tradition que récupérant les avancées parkeriennes, posé sur une rythmique solide et installée dans le temps, reprenant l’idée de swing avec un axe plus marqué, plus décisif, plus articulé et expressif. Cerise sur ce gâteau est bien entendu la présence de ces futures stars davisiennes, ici en session et déjà tributaires de leurs singularités de jeu si identitaire.
Une identité qui peut là aussi être immédiatement détectable quant à ce « son » promu par le label et les maitres d’ouvrage que sont Alfred Lion et Rudy Van Gelder.


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La pause Blue Note est terminée pour aujourd’hui…
Je crois bien qu’on en fera d’autres, mais il va aussi me falloir reprendre le chemin des artistes qui ont accompagné en Lighthouse Band, le regretté David Crosby.
Croz que je n’oublie pas ici.






Commentaires

  1. J'adooore. Quoi? Le ludique de l'approche. Pour l'instant je reste BLUE et les yeux fermés je ne ferai pas croire que je reconnaîtrai mais j'aime l'idée. Une belle façon de reprendre un peu de bop Be ou Post ou hard... Bien content de retrouver cet univers. Que du nouveau pour moi. J'ai davantage accroché à cette joie de jouer retrouvée chez Blue Mitchell. Grandiooose de vie. Bon et Verve alors? Je me prépare. Il faut dire que ces disques inaugurent ma nouvelle installation musicale et que j'ai bien eu raison de choisir BLUE

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    1. AH ...
      De retour !
      Souvent, pour tester justement une installation sonore, je me tourne sur ces labels à la prise de son particulièrement identitaire...
      Alors Blue Note, ECM, CTI et bien sûr les labels classiques (DG, Decca, l'oiseau Lyre...).
      Ca te donne une excellente idée.
      Je viens de me procurer une enceinte streaming Cabasse Swell, un petit bijou de technologie restitutive... Son test n'a pas échappé aux labels en question.

      Chez Blue Note, comme chez tant d'autres, il y a les dessus du panier (souvent posé en compils - ou maintenant en playlist streaming spécifiques d'ailleurs), avec les "rôles titres" et puis... ceux qui y ont enregistré, ont laissé des traces mais passées aux oubliettes des étagères ou classées chez les collectionneurs, amateurs, fans, curieux, etc...
      Tu sais dans quelle catégorie je joue...
      Et comme j'aime à fouiller...
      Bonnes écoutes et ravi de ce retour.
      Amitiés

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