AUTOUR DE LIGHTHOUSE BAND – Chapitre 2
AUTOUR DE LIGHTHOUSE BAND – Chapitre 2
Chose promise…
Voici la suite (et non la fin) de ces pérégrinations à partir des trois
artistes Michael League, Becca Stevens et Michelle Willis.
Qu’elles soient vocales, instrumentales ou même semblant anecdotiques, à chaque
fois c’est une découverte qui ne stimule qu’une seule envie, en découvrir
d’autres…
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« I’ll Take my chances » – Dayna Stephens Quintet / Criss Cross 2013.
feat : Charles Altura / Guitar – Joe Sanders / Bass – Bill Stewart / Drums
– Gerald Clayton / Piano-Orgue - Dayna Stephens / Tenor and Baritone
Saxophones.
Becca Stevens / Vocals.
Découverte totale de cet artiste né en 1978 – tous renseignements ici et vous
lirez que la carrière de l’artiste est plutôt riche : À propos | Dayna Stephens.
Quand aujourd’hui l’on présente un jazz hors des standards et sentiers battus
avec des compositions originales si ce n’est d’artistes actuels cela doit
dépasser d’emblée un certain degré commun.
Je m’entends…
Ici l’on aura des compositions de l’artiste mais aussi de Meldhau, Aaron Parks
ou Marcus Gilmore et un seul standard, celui-ci, justement, est interprété par
Becca Stevens.
Il s’agit de « Prelude to a Kiss » sorti du répertoire Ellingtonien.
Nous voici face à un jazz post hard bop, de texture dite « moderne »,
exigeant et tel que New York, épicentre du genre sait encore en faire émerger.
Me voici face à cette question : « Comment ai-je pu ignorer
l’existence d’un tel artiste ? ».
Il y a là tout ce qui m’enthousiasme quand je prononce le mot jazz ou que
l’idée même de cette appartenance musicale s’éclaire dans mon esprit.
Le quintet est d’une formidable homogénéité.
On sait d’emblée que l’on est face à des habitués des clubs, de la scène, de la
vie live du jazz… des passeurs.
L’écoute, les dialogues, les solos, la liberté, l’ouverture, la souplesse et
les tensions, l’incitation, le foisonnement rythmique, l’impulsion,
l’implication, l’expression ultime… tout est là.
Claviers et guitare sont en parfaite osmose, c’est là encore à noter car
associer de façon si naturelle et parfaite ces deux instruments, hors du schéma
solo/accompagnement, n’est pas d’emblée, aisé.
Les thèmes aux titres évocateurs sont – chose à noter – remarquablement
illustrés.
« Dirty » porte son nom à merveille avec ce beat de marching band
directement sorti de la Nouvelle Orléans, cet orgue légèrement sali par la
saturation, ce drumming obsessionnel et le solo de Dayna, au baryton….
« JFK International » agit comme la B.O de ce lieu foisonnant, agité,
où, valise à la main l’on court de couloirs en halls, de tableaux d’affichages
en bureaux d’enregistrement…
Deux exemples, deux titres où l’atmosphère tant que le jeu des solistes est
puissant, engagé… bref, ce jazz tel qu’on le souhaite encore.
« I’ll take my chances » est l’une de ces délicieuses ballades où
légèreté du piano, expression du saxophone contrastent avec densité du soutien
rythmique… subtil, intense. Et de superbes solos…
J’en viens à « Prelude to a Kiss » et son chromatisme thématique
d’une exécution on ne se peut plus délicate et difficile, surtout au chant… mis
en mémoire par un certain Hodges, spécialiste du glissando expressif…
Becca Stevens est là dans un registre à l’ambitus et à la difficulté vocale et
technique qui ne laisse aucune place à l’à peu près où aux effets qui
permettraient de camoufler la difficulté…
Cette composition ne permet aucune « triche »… et cette volonté
diaphane d’approche du titre lui confère une aura qui éclaire, par cette seule
et simple participation, d’un rai de lumière, l’album.
Un album dont j’ai eu peine à me lasser tant il représente, au sortir, ce qui
m’a toujours et systématiquement attiré et incité au jazz. Il y avait un sacré
moment que ce simple mot « jazz » n’avait revêtu à mes oreilles autant
de réalité.
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« Map to the Treasure – Reimagining Laura Nyro » - Billy Childs /
Sony Music 2014.
feat : Shawn Colvin and Chris Botti / Lisa Fischer / Renée Fleming and Yo
Yo Ma / Rickie Lee Jones / Alison Krauss / Ledisi / Dianne Reeves / Esperanza
Spalding and Wayne Shorter / Becca Stevens / Susan Tedeschi.
Billy Childs : Piano – Wurlitzer, Brian Blade, Vinnie Colaiuta :
Batterie, Scott Colley, Carlito Del Puerto : Basse, Jay Bellerose :
Percussions, Dean Parks : Guitars, Steve Wilson : Alto Saxophone.
+ orchestre à cordes.
Larry Klein- production
Je ne sais pas si il s’agit d’un « rêve » …
Mais nous voici face à la réalité d’un album où sont réunies les chanteuses les
plus formidables de ces dernières décennies, tous styles confondus, chacune
prenant sa juste place ici dans l’échiquier parfaitement orchestré par Billy
Childs.
Il fallait un argument, une ligne directrice, un prétexte, un projet.
Réimaginer la musique de Laura Nyro, dont je l’avoue là encore (et c’est bien
le plaisir de ces découvertes), je n’ai que très peu de souvenirs, un nom pas
franchement associé à une musique, une voix, si ce n’est - et ce sera une véritable surprise que la
version ici – « And When I Die » qui fut countrysé-jazz par Blood
Sweat and Tears.
Mon étape suivante va être bien sûr d’aller découvrir plus avant cette artiste
née en 1947 et décédée en 1997, auteure, compositrice, interprète et pianiste
qui représente l’ouverture musicale à l’américaine. Au regard et lecture rapide
de sa bio. A suivre donc…
Voici donc sa musique en argumentaire/projet, servie par des musiciens hors
pair, chantée par ce qu’il serait presque du domaine du rêve en tant que
réunion de chanteuses sur un même album.
Aborder un tel monument musical en ne se penchant pas sur les arrangements
écrits par Billy Childs serait passer à côté de ce qui est, finalement
l’essentiel.
Les cordes écrites en textures chambriste (effectif oblige – deux violons /
Mark Robertson, Jen Choi Fischer, un alto / Luke Maurer, un violoncelle /
Vanessa FreeBaim-Smith, une harpe / Caro Robbins, une rare flûte / Sara Andon)
installent une atmosphère qui permet à chaque titre d’être accompagné par une
intensité expressive à l’écriture post classique, pas ou peu d’usages jazz,
mais forcément empreinte, culture américaine oblige, de principes liés à la
B.O, la comédie musicale et Broadway dans ce qu’il a de « sérieux »…
le burlesque n’a pas cours ici.
Ces arrangements sont écrits pour chaque voix, pour leurs timbres, leurs interprétations,
leurs caractéristiques, leurs identités. C’est là leur qualité mais aussi leur
force et c’est là que cet album est passionnant, unique et qu’il installe
immédiatement la sensation que là, on est dans du « sérieux »…
Si l’on jette un œil post écoute (comme j’aime à le faire afin de n’avoir
aucune influence ou prédisposition auditive) aux accompagnateurs l’on réalise
que l’écrin cordes sur soutien rythmique posé là par la qualité tant musicale
que technique des protagonistes est amplifié pour que chacune puisse donner
pleine expression vocale et musicale à chaque chanson.
Parfois un invité instrumental vient compléter afin de former un duo forcément
attractif et au résultat pleinement en phase avec les attentes que de telles
associations sont en droit d’espérer.
Yo Yo Ma, Chris Botti, Wayne Shorter… rien que ça…
L’hommage à Laura Nyro est donc une véritable (re)mise en évidence de sa
musique, un livret explicatif, comme dans les projets émanant des albums de
musique classique soutient les choix, argumente les directions. Le lire en
parallèle afin d’en savoir encore plus est bien entendu, suite à la plongée
dans ce cadeau musical, logique.
« New York Tendaberry », ouvre le projet et fait découvrir Renée
Fleming dans un registre qui ne lui est pas familier et dont elle sort
magnifiée.
Les contre chants de Yo Yo Ma insistent sur la tension expressive.
De crépusculaire, le titre sur tapis de cordes va s’illuminer progressivement
afin de laisser le violoncelliste star s’échapper, prendre place et illuminer
de toute sa verve l’ouvrage.
La performance vocale, la cadenza de violoncelle, dramatique, tendue…
L’espace, la respiration musicale.
Le jeu limpide de Childs, son formidable solo, les demi teintes de Blade, la
souplesse féline de Colley.
Une lettre d’amour à la ville.
Un titre qui oblige directement, immédiatement à pousser au loin dans cet
album.
Un titre en multiples pièces, à la forme en évolution développante.
Maitrise de l’arrangement pour la mise en valeur optimale des interprètes – d’emblée,
du grand art.
« The Confession » permet directement désormais, avec ces quelques arpèges
de guitare, puis avec l’entrée de cette voix limpide, de reconnaitre
directement Becca Stevens. Le titre aux arrangements insistants s’embarque dans
un axe rythmique hypnotique soutenu par un piano insistant autour duquel tout
va s’articuler. Les quelques climats de courtes pauses ne suffiront pas à apaiser
une atmosphère tendue, nerveuse, qui se conclut par un solo de Wurlitzer sali en
saturation. Becca s’est battue avec cette densité et en ressort épuisée, mais
magnifiée.
« Map to the Treasure ». Lisa Fischer… Une atmosphère sombre,
nocturne… Une voix limpide mais fracturée qui s’émancipe vers des aigus accrochés
au plus profond de la chanteuse.
Le pont central est un grand moment d’orchestration et nous rappelle que les compositions
de Laura Nyro avaient cette singularité multiplicité interne, d’une forme non
établie, mais suivant l’axe textuel. La conclusion est un déchirement que la
harpe et les discrets arpèges de guitare tentent d’affaiblir et que seul le
piano pourra calmer avant d’enchainer sur…
« Upstairs by the Chinese Lamb ». Parfait tuilage d’entrée sax avec
le grand Wayne Shorter. La lumière semble s’installer. Esperanza comme à l’accoutumée
rend le chemin vocalement sinueux est joue avec l’axe soliste de Shorter pour
lui ouvrir le champ d’action vers un superbe solo.
On respire, on se laisse porter. On est bien.
« Been on a Train » est certainement le titre vers lequel je serais d’emblée
aller rien que pour écouter Rickie Lee Jones dans un tel contexte. Mais
attendre et savoir comprendre qu’elle est placée là, stratégiquement apporte
une dimension supplémentaire à sa présence.
L’arrangement cordes est simplement majestueux, la rythmique est féline, dense,
lourde, oppressante… ce qui permet à Rickie Lee Jones un jeu expressif d’une
forte intensité. Elle est habitée par la chanson (ce pont en cordes pulsées
ostinato !) et habite la chanson par sa force expressive.
serais-je capable d’enchaîner après cela ? Après ce solo de sax totalement
impliqué qui s’imprime en nous comme une trace indélébile ? Après cette
conclusion vocale engagée ? Pas sûr…
Je fais une pause…
« Stoned Soul Picnic ». Un groove en mode rythm’n’blues sert de
support à cette version chantée par Ledisi. Cette chanteuse de R’n’B, fortement
soul, également l’actrice qui a incarné Mahalia Jackson est ici dans le
contexte qui lui est familier, étiqueté et estampillé. C’est un réel moment de
jouvance et… il va permettre à Billy Childs de sortir de ce contexte préétabli
pour un solo collé au jazz des plus enthousiasmants.
« Gibsom Street » est certainement l’autre titre que j’ai attendu
dans ce parcours, car Susan Tedeschi dans un tel contexte ne peut qu’attiser la
curiosié… Et d’évidence, sa voix bluesy placée au centre d’un arrangement de
cordes argumentaire et d’un sax batailleur va installer ce titre vers des
sommets d’interprétation équivalents à ce qu’a fait Rickie il y juste une pause
avant… Le solo lorgnant vers le free de piano, celui gueulard de sax sur ces cordes
oppressantes et cette fin hitchcockienne où Susan ne peut que tenter de sortir
du spectre de cette chanson par un renfort vocal saturé d’épuisement… Oui ce
moment est inoubliable…
« Save the Country » met en scène Shawn Colvin et Chris Botti.
Un choral ouvre l’affaire, un piano d’écriture classique rejoint par ces cordes
de chambre somptueuses permet de faire entrer la chanteuse. Le jeu est rubato,
classique, posé. L’écriture des cordes vaut ici à elle seule un large détour
tant avec un effectif réduit l’on prouve cette capacité de densité sans décupler
les moyens. Botti lance un sol de club merveilleusement expressif, Colaiuta
sublime le tout par un jeu de balais subtil et caressant. Il ne reste plus à ce
choral que reprendre le fil et conclure cette arche de forme vers les cieux où
elle nous a emmené depuis l’ouverture de ce titre.
Botti reprend le flambeau.
Directement poignant.
« To a Child »… et d’emblée j’ai envie de repiquer cette intro
pianistique éthérée, de prendre cette flûte aérienne en compte, de comprendre
cette harpe accolée aux touches pianistiques. Dianne Reeves met sa voix chaude,
intense au profit de ce titre tracé sur quelques points d’appui, enveloppé des
guitares de Parks, poursuivi par le jeu de Colaiuta, magnifié par ces envolées
de cordes en contrepoints sublimes. Reeves est ici simple, directe, dégagée de
tout gimmick jazz. Rare et forcément efficace.
« And When I Die » conclut l’album. Chantée par Alison Krauss, que l’on
connait pour ses duos avec Robert Plant, cette chanson détournée par les
BS&T sous un mode country-jazz que je n’ai que trop joué dans cette version
lourdingue et dénuée de réel intérêt revêt ici toute sa formidable dimension.
Dean Parks illumine le titre d’un solo de bottleneck roots à souhait, la
rythmique veut d’emballer. Alison Krauss surfe sur cette souplesse d’écriture
et de jeu et permet de conclure ce fantastique album épuisant de charge
expressive, difficile à oublier, impossible à considérer avec détachement tant
chaque titre est d’une force d’implication expressive en soi.
Le final en tourbillon obsessionnel laisse à peine les cordes, éléments
objectivement centraux de tout l’album, en état suspensif laissant la rythmique
elle aussi en état d’arrêt identique.
Depuis j’ai commencé à écouter très attentivement Laura Nyro, me penchant aussi
sur sa vie et ses engagements tant artistiques que politiques et sociaux. Une
artiste féminine iconique dont l’impact et la dimension sont ici clairement
exprimés par ces chanteuses issues d’horizons différents, Laura Nyro composant
elle aussi dans des états stylistiques complètement inidentifiables, laissant
juste la musique se mettre au service de ses idées et pensées musicales et de
lyricist.
C’est ce qui fit sa force mais aussi son relatif insuccès.
Cet album sous la houlette de Billy Childs permet d’aller la découvrir, la
redécouvrir certainement pour certains.
Il donne en tout cas à sa musique l’éclairage d’une nouvelle dimension restant
respectueuse, de son génie créatif.
Un cas plutôt unique pour une reconnaissance restant encore trop minimale et de
« filiation ».
Cet album en tout cas est un acte artistique très et trop rare pour être juste
un parmi tant d’autres…
Il est à mon sens totalement essentiel.
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Je voulais en ajouter un troisième sur ce chapitre, mais au regard de l’intensité
et de la force expressive de ces deux-là, il m’apparait impossible de le faire.
Il y a ici une telle charge artistique, musicale et émotionnelle qu’en rester
là pour cet opus me semble largement suffisant tant le matériau inscrit dans
ces deux espaces ne peut laisser indifférent.
Cet entre deux (Noël et Saint Sylvestre) va me permettre de découvrir encore et
encore d’autres étapes musicales à faire autour des ces trois artistes.
Et qui sait, vous permettre de prendre ces deux pépites à leur juste valeur.
à très vite…
et probablement à l’année prochaine.
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