SHOSTAKOVITCH, PUCCINI, BACH (JEAN SEBASTIEN), STRAVINSKY, DEBUSSY.

SHOSTAKOVITCH, PUCCINI, BACH (JEAN SEBASTIEN), STRAVINSKY, DEBUSSY.


Le streaming on croule littéralement sous les nouveautés.
Du jazz à gogo, moderne, actuel, enfin véritablement là en tant que tel et comme expression.
De l’indé, du rock, forcément du rap, de l’électro qu’on mode en fourre-tout (ça devient suspect).
Bref, on est servi et on y perdrait très vite son envie et son temps.
Et puis, du classique, tellement de classique.

Un petit tour de ces nouveautés prises au gré des (de mes) envies – de classique.
Il sera orchestral et vocal.
Et monumental.

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SHOSTAKOVITCH « SYMPHONIES, CONCERTOS, LADY MACBETH OF MTENSK DISTRICT » - Boston Symphony Orchestra / direction Andris Nelsons, Yuka Wang, Yo-Yo Ma, Baida Skride - DG 2025.

On va ouvrir le bal avec un tour monumental, la somme d’une œuvre aux multiples facettes, protéiforme et finalement peu connue ni véritablement mise en avant : celle du grand compositeur russe Dmitri Shostakovitch/Chostakovitch ou Дмитрий Дмитриевич Шостакович[.
Dmitri Shostakovitch est un compositeur que je pense essentiel dans l’histoire de la musique mais plus largement du XXe siècle. C’est un homme qui a contraint son art puis l’a libéré, puis l’a contraint à nouveau etc. ce, tout au long de sa vie artistique observée et contrôlée par l’autorité du parti. Une vie jalonnée de dénonciations, de volonté de pouvoir autocrate sur l’art, de contrats politiques allant jusqu’à l’humiliation lorsqu’à NY il dut, par exemple, dénigrer la musique de Stravinsky étant sous le joug de tutelle soviétique.
Quand on a « conscience » de cela, la musique de ce compositeur prend des tournures explicatives diverses. Elle est marquée par les guerres, elle est marquée par le marasme social, mais elle est également héroïque, de commande et de représentativité du pouvoir en place. Dmitri Shostakovitch a, de nombreuses fois sauvé sa peau et celle de sa famille, voire de ses amis, in extremis.
Il n’a pas quitté son pays, sauf pour donner des concerts où il restait représentatif de celui-ci et où il restait sous une surveillance accrue du pouvoir soviétique. Il était inscrit au parti.
Il a jonglé entre son désir de créativité influencée par Mahler, Stravinsky et même le langage sériel (Webern était éloquent envers son œuvre) et la profonde aversion du pouvoir envers toute dissonance, toute avancée expérimentale et toute création qui pourraient choquer les oreilles mal pensantes, inéduquées et basiquement formatées par le pouvoir en place.

Il est énigmatique, tant comme humain de par ses positions diverses telles une girouette politique, tant par sa musique aux détours complexes à appréhender, aux changements de caps radicaux, aux essais multiples et paradoxalement aux aspects les plus commerciaux pour la société de son temps. Il a, par exemple beaucoup composé pour le cinéma.
Mais, chose plus dangereuse il s’est aussi beaucoup inspiré de la musique juive d’Europe Centrale et Russe, autrement dit klezmer, ce qui lui  valut bien des tracas…

Il est entré dans nos quotidiens français par la grande porte : celle de la publicité et sa musique « commerciale » s’est alors révélée au grand jour, chez nous, par ses suites jazz, vision soviétique des bribes du jazz qui pouvaient certainement émerger çà et là en URSS, sous le manteau et rapportée par ces artistes et compositeurs qui partaient, comme lui, en tournée dans le monde.
Quelques valses de cette suite sont devenues populaires et l’un d’entre elles, en particulier, est entré dans le fredonnement de tous les français par un bourrage de crâne publicitaire, au gré d’une publicité d’assurances particulièrement bien ficelée.
Une sorte de petit clip nostalgique montrant en quelques secondes l’évolution depuis l’enfance.
Et cette valse se prêtait admirablement à ce propos.
C’est Riccardo Chailly qui avait lancé l’affaire et l’album s’est alors vendu de façon rare et exceptionnelle, pour un CD « classique », à l’époque.
Et curieusement, quelques petites années avant cet engouement, j’avais composé une valse quasi similaire, ignorant et inculte total de Dmitri Shostakovitch, pour un court métrage.
Un effet rétroactif assez traumatisant s’en est suivi… et l’envie de connaitre compositeur dont on ne parlait pas ou si peu tant il était associé au régime soviétique banni par l’Occident, m’a pris jusqu’au « nez », cette œuvre rare et étrange.

Dmitri Shostakovitch est donc entré dans ma vie lentement, pas très surement, mais en tout cas, à chaque fois et à chaque œuvre ce fut l’équivalent d’un choc.
Encore faut-il que cette œuvre soit bien interprétée et lisible pour être comprise et provoquer ainsi à l’auditeur ce choc, digne de l’initiatique et en tout cas qui provoque l’entrée dans les sentiments les plus profonds.
Son premier concerto pour violon interprété par la jeune Lisa Batiashvili sous la direction de Pekka Salonen a certainement été mon plus grand choc avec sa musique et même si la version proposée ici est magnifique et particulièrement réaliste (en particulier pour l’orchestre, n’en déplaise à la merveilleuse soliste Baida Skride qui apporte une interprétation elle aussi chargée de sentiments liés à l’actualité), elle n’effacera pas pour moi celle précitée.

Andris Nelsons a fait un travail colossal. De ceux qui marquent certainement une vie à tout jamais et laisseront une trace indélébile dans un parcours artistique et d’interprète.
Les quinze symphonies, plus celles de chambre, les concertos (piano, violon, violoncelle) et nombre d’œuvres symphoniques diverses sont réunies dans cette impressionnante somme de l’œuvre du compositeur.
Cela permettra de constater son évolution esthétique bien sûr, mais cela permettra également d’en apprécier l’immense valeur et de replacer le créateur sur le large échiquier d’une musique « russe » - où en ces temps rien que le mot russe semble être marqué au fer rouge – qui a été, et qui continuera à l’être, soumise aux fluctuations des pouvoirs en place, occasionnant malgré sa forte identité, des ruptures, engouements, réflexions, ou rejets selon tel ou tel compositeur.
Une musique qui a marqué profondément l’histoire et ce depuis des siècles, mais qui, au XXe, en particulier, a dû de la part de ses représentants, prendre position.
Un peu comme Richard Strauss et le régime nazi…
Stravinsky, Prokofiev, Rachmaninov … Dmitri Shostakovitch …

Face à un tel coffret musical, la première question est : « par où commencer ? ».
Effectivement, on peut, piocher et écouter telle ou telle œuvre.
On peut aussi être studieux et scolaire et faire les choses « dans l’ordre » afin d’étudier la progression, comprendre, bio en main, les motivations, contraintes, espaces créatifs, etc. du compositeur.
Quoiqu’il en soit et quel que sera le choix, pour ma part, à chaque œuvre ouverte ici, c’est le même choc, la même sensation profonde de puissance, d’inventivité, d’engagement d’écriture, d’absolu savoir-faire tant de magnificence de l’orchestration que d’adaptabilité des langages musicaux.

En témoigne réellement sa première symphonie qui ouvre l’album et qui, en un instant saisit, interpelle, attise la curiosité et l’envie de l’auditeur.
Une symphonie qu’il a composé à l’âge de 20 ans, en 1926 et qui d’emblée l’a fait reconnaitre sur la scène internationale. Et, effectivement, dès son premier mouvement le jeu des timbres, des rôles solistes bois-cordes, tant que l’organisation des pupitres qui amène à un tutti formidable, festif, burlesque et presque caricatural pour revenir à une sérénité où le jeu est véritablement imagé, tout cela annonce - sans la moindre équivoque - sa particularité, sa totale originalité sous couvert d’une écriture véritablement unique en son genre.
Un allegro en second mouvement qui induit un piano d’effet intensément orchestral.
Un lento en troisième mouvement qui installe un thème de hautbois tant magnifique qu’équivoque, relayé par un violoncelle solo des plus somptueux…
Et un dernier mouvement grave et puissant, soutenu et dense, chargé d’intense émotion et de traits héroïques …
Mais quelle maturité pour composer à vingt ans une telle fresque orchestrale à la dimension inédite et exceptionnelle !...

Dmitri Shostakovitch est l’un des grands génies du XXe siècle et c’est ici démontré.
Gageons que cet éclairage complet sur son œuvre orchestrale et symphonique permette de le prendre en compte et considération sous cet unique angle, ce, même si sa vie politique, sociale et familiale fut des plus tumultueuse.
L’immense représentant sonore et musical d’une époque qui n’est malheureusement, à ce jour, pas révolue…

Il n’est pas exclu que je revienne un jour sur l’intégralité détaillée de cet album …
En attendant découvrez absolument, pièce par pièce, cette plongée pleine de magnificence dans la musique étonnante de ce compositeur.

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PUCCINI « TOSCA » - Orchestra Dell’ Academia Nazionale Di Santa Cecilia / direction Daniel Harding. Eleonora Buratto, Jonathan Tetelman, Ludovic Tezier, (etc.) - DG 2025

D’entrée – et c’est bien curieux que de le constater – on sait en quelques secondes que l’on va pénétrer dans une interprétation vigoureuse et d’une rare expressivité.
C’est exactement cela Puccini, le poids orchestral, son sens du drame, son écriture d’action théâtrale avec juste ce qu’il faut de reste de romantisme, de luxuriance, d’innovation et d’influences diverses pour tendre vers le soutien indéfectible du synopsis et amener des airs inoubliables, soutenus là encore mélodiquement par les pupitres avec de somptueux contre chants.
C’est aussi cela Puccini que de mêler en presque arias les récitatifs les plus chantants et de nous amener en suspens, en extase, en progression vers ces airs à la portée dramatique sans égal qui font fondre en larmes, transpirer de bonheur ou créer des sensations épidermiques inédites.

Je prends cette nouvelle Tosca avec ce bagage et la dépoussière des versions antécédentes dont certaines sont forcément historiques pour m’accrocher à cette vision plus actuelle, plus réaliste sur cette trame amoureuse, cette intrigue en toile de fond politico-historique, ce jeu des pouvoirs et des révoltes, des résistances, des oppressions.
Ce jeu de dupes, de perfidie et de séduction par le pouvoir qui mènera, forcément, au drame ultime, sous tendu par une progression implacable, saisissante.

Et plus qu’un savoir-faire, mais un véritable génie de l’organisation théâtrale et musicale par ce compositeur inégalé que fut et même reste : Puccini.

Un compositeur qui dirais-je, à part son assimilation à une certaine école italienne aux côtés d’autres célèbres Verdi, Rossini, n’a finalement que peu à voir avec une sorte d’estampillage qu’on aimerait lui accoler communément.
Le langage de Puccini est unique.
Comme l’est celui de Verdi et de Rossini d’ailleurs.
Il n’est pas forcément complexe, mais pourtant il sait user de tout ce que sa contemporanéité peut lui apporter et puiser dans un patrimoine musical qu’il possède et connait à merveille dans un seul but : toucher, en son plus profond, l’auditeur, le spectateur et lui laisser l’inoubliable, cette sensation de jouissance musicale et sensorielle rare.

Aux interprètes, maintenant, d’en être les vecteurs, les passeurs, les transmetteurs.
Alors, certes, tant d’airs qui permettent et permirent le vedettariat, acclamés, applaudis encore systématiquement ou hués par un public qui attend le frisson, l’éclat, la performance et qui veut toujours être « touché » d’avantage, encore plus, toujours plus.
Les grandes stars s’y sont frottés et ont toujours inscrit dans leurs récitals l’éclat émotionnel de Puccini, extrayant de ces trames dramatiques les moments d’ultimes expressions sentimentales, parfois courts et certes suffisants en absolu.
Mais ces moments qui sont entrés, de fait dans la mémoire collective, représentatifs de l’opéra italien par excellence, exprimés seuls finissent par perdre leur profonde identité, présentés tels, comme des performances en place de ces moments inscrits dans la trame de l’action de l’opéra dans son intégralité.

La difficulté n’est donc pas la même.
Chanter un air, au demeurant plutôt court, dans un cadre de « concert », de récital, c’est en un fragment de minutes, installer l’émotion immédiate et « l’exercice » est loin d’être simple. D’autant que leur difficulté technique est des plus redoutable.
Chanter le même air, qui généralement conclut une progression mêlant action, récit, théâtre, intrigue, au milieu de tout cet entrelac vocal et orchestral que suppose l’opéra en lui-même et savoir que, c’est bel et bien là le moment attendu, écrit comme tel et connu pour… c’est une autre affaire et cette progression pour arriver à cet ultime moment impose et suppose une interprétation qui amène de façon suprême l’objet musical phare – cet air…

Cette nouvelle interprétation de Tosca parfait cet idiome.
Du début à la fin, elle tient en haleine, elle fait participer totalement à l’action et les points d’ancrage que sont ces airs mythiques s’installent sans perdre à aucun instant de leur pouvoir, dans la trame de l’opéra.
Cela permet, au sortir, de « participer » pleinement à cette intrigue, d’en apprécier les identités caractérisées.
La tumultueuse et exacerbée Tosca, le fourbe Scarpia, l’intriguant et attachant Cavaradossi, au cœur du drame, le discipliné et militaire Spoletta … à chacun de mettre immédiatement sous chaque interprétation les sentiments qui lui semblent appropriés et qui sont exprimés ici avec un réalisme saisissant.
Un orchestre grandiose, des voix sublimes, des chœurs magnifiques (« te deum »).
Que demander de mieux ?

L’écouter sans interruption et pénétrer dans cette intrigue romaine encadrée par l’histoire avec ces luttes de territoires, ces alliances politiques et ces jeux de rôles qui n’ont certainement pas changé sera largement suffisant pour se réjouir et s’émouvoir …

L’émotion est au rendez-vous, à chaque instant dans cette interprétation … et c’est en soit, bien suffisant.

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J.S. BACH « MASS IN B MINOR » - Pygmalion / direction Raphaël Pichon – Harmonia Mundi 2025

L’éducation volontairement et rigoureusement anticléricale de mon père m’a fait passer totalement à côté de Jean Sébastien Bach, de sa musique, comme de son histoire.
J’étais friand de la connaissance de la vie des compositeurs et j’écoutais les disques qui la relataient, lisais ce qu’il était possible dans mes « Tout l’Univers » rouges, etc. afin de connaitre, enfant, ces « grands » de la musique. Puis je « lisais » leurs partitions en les empruntant à la bibliothèque du conservatoire et m’évadais parmi ces lignes superposées, ces notes semblant être posées sur ces portées afin de ne tomber dans l’oubli, ces traits les regroupant pour les assembler dans le temps de façon dit-on rythmique.
Bach en était exclu.
Mon père, suivi de ma mère, rejetait tout ce qui pouvait avoir trait à la religion.
Pourtant féru de culture, il s’interdisait et m’interdisait en interdisant même à mes professeurs de musique, la seule idée de jouer une œuvre d’un compositeur ayant écrit pour l’office.
Cela était particulièrement pénalisant quand, par exemple, nous devions nous produire avec la maitrise ou un autre chœur d’enfants pour chanter avec nos voix angéliques lors de grandes célébrations telles que messes de minuit.
Et ce n’est que sous les menaces d’exclusions de ces  établissements qu’il cédait, refusant d’ailleurs d’assister aux dits concerts.
Le communisme de l’époque sous couvert d’anarchisme dans tout une splendeur.
Il avait ses raisons.
On les suivait et on les respectait, nouveaux moutons issus d’une autre communauté restrictive et bornée et forcément, sujette à de nombreuses contradictions.

Ce fut donc bien tard que Bach entra dans mes études et dans ma vie.
Il était trop tard, bien trop tard pour le choc émotionnel, car le nom, le seul nom de celui-ci s’auréolait de toute cette suspicion éducative inepte et ce frein bloquait bien des entrées sensibles.
Il est d’abord apparu sous la forme de ces fugues à travailler au piano, sans pédale, sans verticalité harmonique, tout un monde nouveau.
Et parallèlement par le passage obligatoire en cours d’analyse et histoire de la musique en classe à horaires aménagés.

Alors cet angle analytique,, savant, intellectuel a pris le dessus jusqu’à ces cours d’harmonie où l’on devait écrire des « chorals ».
J’ai finalement commencé à acheter de nombreux coffrets de ses œuvres, je me suis même inscrit à des cours d’orgue afin d’y voir plus clair et sous les conseils avisés de l’un de mes amis j’ai découvert cette messe en si mineur qui est devenue très rapidement l’un des monuments de Bach que j’ai mis sur piédestal.
J’ai par cette messe, composée pour l’office catholique – Bach étant protestant – et constituée d’une multitude de bribes, de morceaux épars, de récup’ que Bach avait laissé de côté et qu’il a réuni pour créer cette fresque monumentale, fini par adopter définitivement Bach au-delà du seul intérêt savant et intellectuel.
Un aspect qui, ne le nions pas, a été de surcroit entretenu par les musicologues, musiciens, professeurs ce jusqu’à ces journalistes de revues, historiens, etc.
Bref tout ce qu’il faut pour mettre le compositeur comme effectivement un buste massif de l’histoire de la musique, lourd, inaltérable et inattaquable et décourager, face à une œuvre encyclopédique aux volumes à la durée éternelle, nombre de quidams, jugeant cette « grande musique », présentée telle, comme hors de leur portée.
Une musique d’élite, réservée à l’élite.
Bach ? pas pour moi, désolé… trop… compliqué.

Et puis il a eu ces interprétations de l’avant baroque et même sous couvert de celui-ci.
Cette façon solennelle, massive, lourde d’une volonté d’enfoncer le clou de ces fresques oratoire bibliques pour leur donner le poids nécessaire à « marquer les esprits ».
Cette pétaradante Toccata et Fugue pour l’orgue qui est peut-être bien l’une des rares œuvres populaires de l’instrument alors que.
Sans parler de ce prélude devenu Ave Maria sur lequel Gounod a installé une divine mélodie que l’on se fade à chaque mariage, baptême et enterrement.
Tout cela a contribué à ranger Bach pour deux catégories.
D’un côté les fanatiques, les inconditionnels, ceux pour qui il n’y a et n’y aura qu’un seul génie de l’histoire de la musique : lui.
Et j’en connais un paquet…
De l’autre les superficiels, ceux qui l’écoutent parfois en préférant plus généralement ses œuvres orchestrales tels ses concertos brandebourgeois, ses merveilleuses suites orchestrales ou encore son clavier bien tempéré, ses variations Goldberg et celles sus-citées.
Alors ses passions et autres messes – tout comme l’opéra – leur semblent bien inabordables et indigestes.

Raphael Pichon et son ensemble Pygmalion viennent à point nommé pour replacer de tels monuments musicaux et historiques – car c’en sont – dans, espérons-le, le giron qui permettrait de leur redonner un axe abordable, populaire, « pour tous ».
Car effectivement, la musique de Bach se voulait universelle, humaniste et « pour tous ».
Ces œuvres bibliques monumentales étaient tant belles afin de marquer les esprits que pédagogique afin d’imprégner ceux-ci d’un message issu de la religion.
Avec cette nouvelle version de la messe en si mineur, une exception dans la carrière créatrice de Bach, à tous le degrés, nous pouvons découvrir la partition de façon claire, évidente (là où bien souvent le poids donné à l’interprétation la noyait ainsi que son contrepoint pour la rendre inextricable) et du coup, sensible.
Les solistes restent « dans la musique », sans affabuler, rajouter, surenchérir.
Les chœurs sont absolument remarquables de lumière.
L’orchestre est rigoureux, méticuleux et pointu, ce qui permet aux voix, dans leur ensemble, une expression réelle, dénuée de sensiblerie inutile ou de fait.
Raphael Pichon n’en est pas à son galop d’essai et c’est peut-être bien par lui que Bach passera de monument architectural reconnu mais semblant inaccessible à, enfin, une réelle popularité dépassant la connaissance.

Et cette messe en si mineur reste et demeure pour moi l’une des plus phénoménales du « catalogue » de l’incontournable compositeur.

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STRAVINSKY « LE ROSSIGNOL » - Les Siècles, Ensemble Aedes / direction François Xavier Roth. Sabine Devieilhe.

Avant de terminer cette commande, Stravinsky a mis plusieurs années – environ cinq – ce qui, dans l’écriture d’un tel compositeur s’avère décisif tant son style, sa créativité ont très vite évolué.
Cet opéra composé pour le Théâtre Libre de Moscou (quand j’écris ça je ne peux m’empêcher, surtout aujourd’hui, de déglutir avec de nombreuses réflexions quant au sens d’un tel mot : libre…) et reposant sur le conte d’Andersen « Le Rossignol et l’Empereur de Chine » n’est pas spécialement l’une des œuvres les plus connues de Stravinsky.
Elle possède pourtant un réel charme qui présente la musique du compositeur hors des grandes pièces symphoniques dédiées au ballets que nous connaissons tous.
Elle sera pourtant pas la suite « récupérée « par Diaghilev comme pièce de ballet, imposant aux chanteurs de s’exprimer … dans la fosse.

Dans cette histoire séduisante pour l’enfant, intrigante pour l’adulte et comme toujours installant une « morale », un jeu entre un empereur, une fascination pour la beauté, un leurre, le pouvoir, la liberté, etc. se dénoue.
Encore une fois l’orientalisme, mais cette fois bien plus lointain que chez Debussy ou Ravel (Chine-Japon) fait son chemin d’influences musicales mais aussi de philosophie.
Et Igor Stravinsky en use pour déployer une riche palette imaginative, absolument géniale, tant dans la composition que dans le traitement vocal et orchestral.

Le rossignol est, de source populaire commune, réputé comme l’oiseau chanteur par excellence. Et quand on parle là d’excellence on parle aussi de son chant, apparaissant régulièrement dans les écrits comme divin, magique, addictif, ensorceleur, rendant fou et capable de tout pour le garder, l’entendre à nouveau et rester éternellement sous son charme.

Avec un tel argumentaire, au cœur, qui plus est de l’action de ce conte mirifique, on peut imaginer que Stravinsky va composer des pages vocales dignes de la réputation de l’oiseau enchanteur. Et c’est bel et bien le cas…
On est sous le charme absolu du chant de cet oiseau aux performances vocales qui touchent directement l’épiderme, l’âme et qui mettent tous les sens en éveil.
La partition dédiée à ce rossignol est absolument sublime, d’une extrême difficulté vocale, il va de soi, mais ce « brio » n’est pas écrit là pour sa seule dimension de performance, non, Stravinsky a su lui donner une immédiateté sensorielle unique.

J’ai, parmi mes obsolètes mais précieux DVD, un magnifique Rossignol, poétique, délicieusement imagé, par Nathalie Dessay, reconvertie aujourd’hui dans un répertoire plus populaire. Hautement recommandable.
Et voilà la version par l’incroyable et bien réel rossignol qu’est Sabine Devieilhe à la voix si aérienne et délicate, intense et d’une autre puissance, chargée de cette émotion instantanée avec en plus la vision orchestrale de François Xavier Roth et des Siècles dont décidément, ces temps, je ne me lasse pas.
Autrement dit, la parfaite association qui va transcender véritablement l’œuvre et l’emporter vers le subliminal, Sabine Devieilhe en inimitable rossignol, tant sa performance touche au plus profond l’auditeur et va le subjuguer et avec elle l’exaltation coloriste qu’installe FXR et son ensemble.

Absolument indispensable.

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DEBUSSY « NOCTURNES, IMAGES, PRELUDE A L’APRES MIDI D’UN FAUNE, MARCHE ECOSSAISE » - Orchestre National de la Radiodiffusion Française / direction Désiré Emile Inghelbrecht.

Tu penses Ravel et tu te dis que tout de même il ne faut pas oublier Debussy.
Pourquoi ? vas donc savoir…
Ça semble inscrit là, quelque part, dans mon monde éducatif classique où les deux étaient souvent associés, presque pas parallèles ou considérés « différents ».
Non, inclus dans un même moule, un même mouvement, une même approche principalement modale.
Et alors Fauré ? ...
Poulenc ?...
Bon on en reparlera une autre fois.

Il est vrai que la « couleur », bien souvent - et en particulier orchestrale – est coupable de cette comparaison / assimilation / association d’idées sous couvert « d’impressionnisme ».
Il y a aussi cette fascination pour l’Orient (cet exotisme à la mode illustré par ces gammes imagées ou issues de ces fantasmes légendaires) et surtout cet incroyable ensorcellement ibérique pour lequel tous deux sont « sous emprise » (il suffit d’écouter le début de ces nocturnes, puis ensuite de se laisser prendre par la main pour le voyage des images, dépassant l’impression pour un véritable réalisme musical). Et pour parfaire le tableau, puisque c’en est un, il ne faut pas oublier l’autre enchantement générateur de bien des muses inspiratrices : l’antiquité, ses mythes, ses déesses et dieux, ses personnages, monstres ou héros – tout cela réutilisé sur fond légendaire pour parfaire un décor plus que somptueux dans lequel l’esprit peut se promener et découvrir sans cesse l’inspiration.
Debussy/Ravel… tellement de « points » communs, dans l’idée, dans la réalisation de celle-ci…

Pourtant … il faut bien un pourtant …
A chacun sa dimension, sa réalité créative.
Normal, on en oublierait presque qu’il s’agit avant tout d’êtres humains, géniaux, certes, mais qui dit humain dit personnalité, personne, individu. Alors si les sources d’inspiration peuvent sembler similaires, là encore, elles sont également représentatives d’une époque et des modes, courants et autres fantaisies. Et la société de cette époque (comme pour d’autres) s’amourachait, se passionnait, ou simplement trouvait là l’évasion face aux guerres dévastatrices.

Ravel a souvent été considéré comme l’un des plus grands orchestrateurs de son temps.
Il savait utiliser l’orchestre comme le parfait outil pour exprimer ce qu’il composait, souvent, de prime abord, au piano.
Peut-être que l’orchestre était le vecteur ultime de son esprit imaginatif.

Quant à Debussy, on peut penser qu’il « compose » avec et pour l’orchestre.
Et parait-il (de dires de musiciens de pupitres) avec peu de réel souci de la faisabilité instrumentale de ce qu’il écrivait.
Il pensait, entendait, ceci ou cela pour tel instrument … et il l’écrivait, point barre.
A l’instrumentiste de se dépêtrer de la chose et d’organiser son, jeu, ses doigtés, sa technique et toute la panoplie référente à son instrument pour que cela « sonne » tel que le compositeur le désirait.

On ne part donc pas, possiblement, de la même direction créative.
L’impressionnisme et le système modal, gammes par ton, etc sans parler de polyrythmie, font le reste de cette association d’idées pas contre nature, là aussi époque oblige, mais disons … parallèle.

Voici donc une énième version de ces Nocturnes, de ces Images, de ce Prélude à l’Après Midi d’un Faune (œuvre déclarée par Boulez comme étant la première porte s’ouvrant sur la musique contemporaine – il fallait bien que ça démarre quelque part, me dis-je, sans pour autant tenter de contrecarrer l’autocrate de la musique sérieuse en France, un peu le Lully du XXe siècle, mais là sous Mitterrand-Lang) et une pièce bien moins connue et jouée, une certaine marche écossaise.

Boulez, justement.
Un peu comme fit Karajan avec le romantisme, ce chef français, aux qualités de dépoussiérage indéniables qu’il ne faut réfuter, a imprimé une certaine vision de l’orchestre ravélien ou debussyste.
Une sorte de message auditif tellement nouveau et différent qu’il est devenu à lui seul la seule, la presque ultime référence et en tout cas, s’en défaire semble épique.
Il est donc particulièrement difficile d’ouvrir les pages de ces œuvres au demeurant symboliques du répertoire, dit symphonique, du grand compositeur, en se débarrassant de l’impression en caractères gras que nous a laissé Boulez.
C’est peut-être là encore un véritable challenge…
Si François Xavier Roth réussit quelque part avec une lecture plus analytique et une lutherie d’époque permettant de faire sonner l’objet orchestral debussyste comme « en son temps » - ce qui finalement aurait dû être fait, de la façon la plus logique sans la réappropriation en vision personnelle de Boulez - il est certainement des chemins autres à prendre, tout en restant en analyse de la partition, souvent chargée d’évocations indicatives.

Le présent enregistrement, très précis et presque « brut », au niveau de la prise de son orchestrale - là où l’on avait une habitude plus globale de présentation avec de réelles impressions - ouvre une porte d’entrée vers une vision où chaque instrument soliste prend une place plus vivante, réaliste et sensible.
Et les pupitres se positionnent alors de façon plus ample et majestueuse sans effets outrés, pour simplement prendre leur juste place dans la partition. Celle qui a été, simplement et justement, écrite.
C’est avec le prélude à l’après midi d’un faune que l’on se rendra réellement compte de cette direction d’interprétation – l’œuvre étant tellement connue de tous, bien qu’elle n’ait pas encore été vraiment récupérée par la pub (ça viendra, laissons pour le moment le clair de lune faire cet office de fond sonore se voulant nostalgique, beau, ou encore révélateur … de produit).
De là, on se réécoute les sublimes nocturnes aux couleurs orientales et antiques, on plonge dans les images à caractère hispanique et l’on comprend mieux le chemin qu’a emprunté Désiré Emile Inghelbrecht pour « rendre » Debussy, pas vraiment autrement, mais tel qu’il se devrait, probablement.

Et finalement, ce nouvel enregistrement de ces « tubes » orchestraux du célèbre compositeur prend vraiment sa place – avec un orchestre national de la radiodiffusion française absolument impérieux – dans une progression du réalisme sonore de l’œuvre de Debussy et nombre détails de ces pièces magiques se révèlent sous un autre jour, peut être bien plus grand. En tout cas tous les éléments de l’écriture musicale sont beaucoup plus « présents », comme si d’un coup l’on se retrouvait directement au cœur de la partition, donc de l’orchestre et ça devient instantanément prodigieux.

Redécouvrir Debussy ? je ne croyais pas vraiment cela possible …
Mais le plaisir est malin comme un faune et il sait exactement prendre par surprise et charmer, envouter …

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Avec ces albums, vous en avez pour un moment…
Renouons de temps à autre, avec le classique, aujourd’hui dépoussiéré, révélé, remis en lumière.
à très vite.

Commentaires

  1. Oh la la..je suis un cancre, comme je l'ai déjà dit, je n'ai pas chopé les gènes maternels qui n'est que ça. Alors, je replonge, je vais te lire en écoutant le Rossignol. Et en fait, je suis un peu perdu dans les arcanes classiques, les choix du morceau ou de tous les actes ?? et quel orchestre..mon Spoty en propose un paquet :)) Sinon, j'aime bien l Rapsodie espagnole de Ravel.. je connaissais, ou plutôt les souvenirs d'écoute de ma chambre gamin sont revenus. Bon..je plonge . Merci Pax. Charlu

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    1. Bonne plongée alors.
      c'est vrai que le post est copieux, mais il suffira de tenter au hasard, tu seras pas déçu.

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  2. Hou la la. Tellement d’occasions de revenir à ces textes. Me voici enfin quasi prêt à plonger dans les Armide. Alors forcément… pas le temps de vérifier si la version de TOSCA détrône la version de Sabata, et pas que pour La Callas. J’ai sous le coude des versions à tenter : celle de Karajan qui reste un grand souvenir, mes premiers Puccini, en fait mes premiers opéras Butterfly & Bohème avec Pavarotti. Je me disais et TOSCA ? Et voici que tu proposes en toute conscience une autre grande version ? M. Shosta ou Chosta ? Je me suis longtemps arrêté à son opéra « Lady .. » de grands moments. Il y a quelques années au philarmonique à la Villette (à la Kapital) j’ai été écouter la symphonie 5. Et dès les premières notes LA SUPERBE de Biolay. Moins du plagiat qu’un repère sur lequel il a bâti son titre. Du coup j’ai pu entrer sans trop de difficultés dans la 5 & 7. Pour la 5 j’ai suivi France Musique « Manfred Honeck » ils ont les mots et du coup je les crois sur paroles & musiques « Voici un concert tel une lame de fond. Manfred Honeck s’appuie sur la présence immédiatement tangible de ses musiciens pour bâtir une histoire universelle, entre ombre et lumière, faite d’épisodes qui s’architecturent et se nouent dans une logique imparable : c’est terrifiant et bouleversant. Après le sourire crispé de l’Allegretto et un Largo intenable dans son angoisse et son désespoir lancinant, l’étau se resserre dans la déflagration finale, résolument tragique. »
    https://www.radiofrance.fr/francemusique/podcasts/la-tribune-des-critiques-de-disques/la-symphonie-n05-de-chostakovitch-dans-les-oreilles-de-la-tribune-1777382
    Bon ARMIDE(s)

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    1. Shosta - Chosta est tellement terrible, c'est bien le mot... terrible...
      C'est une musique rare et déterminante qui a influencé plus qu'on ne le croit.
      l'avantage des versions de nelsons c'est qu'il s'est attaqué non à une ou quelques oeuvres mais qu'il propose toute l'oeuvre, autrement dit c'est pour moi cette vision globale qui l'emporte avec son côté chronoligique, évolutif de langage, etc.
      J'ai écouté le podcast, comme toujours même si c'est très intéressant je trouve cela très réducteur car bcp trop ciblé ou encore bcp trop basé sur des référents, de ceux qui, justement font que l'interprétation musicale a peu de chance d'évoluer. Autrement dit faire avec le matériau musical, en connaitre les références d'interprétation, mais reprendre le chemin de la partition pour la mettre en avant et puis, comme Nelsons, prendre en considération un tout dans une oeuvre globale tellement dense et complexe, plutôt que d'en extraire un moment et faire de ce moment la réflexion...
      bref c'est toujours très complexe, entre l'interprétation, la partition, l'histoire, les références auditives.
      finalement, je me fie au ressenti et bien sûr au fait que ça puisse coler au sens voulu par le compositeur, à son époque, à sa vie, bref ... tous ces parametres tellement importants et pas annexes, qui font la musique.
      Quant à Tosca, j'en ai écouté des versions... !!!
      mais curieusement celle ci m'a emporté ailleurs, alors je l'ai encore réé couté et encore et presque encore et à chaque fois cette sensation d'un autrement bienfaiteur en place des usages, pas forcément à jeter d'ailleurs des interprétations de référence.

      bon, Armide, alors...
      et bon week end

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    2. Ha ha Armide Lully puis Gluck. J’ai l’avant-scène Gluck. Mais j’ai aussi le gros bouquin de Piotr Kaminski qui propose son écoute comparative, davantage un guide pour découvrir l’évolution de la musique et sa mise en garde que j’ai déjà vécu avec Atys : apprécier l’époque Lully demande davantage d’écoute et d’abandon de ce que l’on connait, le peu que j’ai déjà écouté de Gluck me pose moins de problème, j’entends parfois des ensembles à la Rossini. À suivre…

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    3. Lully c'est effectivement une "autre façon" musicale.
      Gluck, même si je suis loin d'être un admirateur, se rapproche plus de nos habitudes.
      pour Lully il faut vraiment, comme avec Molière, dépasser la seule idée musicale et penser au traitement du sujet qui est englobé en tragédie lyrique, un peu comme quand on va au cinéma et qu'on se prend un tout en un.
      Et cette musique a été tellement peu jouée qu'il va falloir du temps avant qu'elle entre réellement à nouveau dans nos usages.

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