HARRY BOSCH (la série TV-Michael Connelly) & LE JAZZ.

HARRY BOSCH (la série TV-Michael Connelly) & LE JAZZ.


Tu hésites longuement…
Tu sais qu’à chaque fois que le nom de Michael Connelly s’associe à une série, ça va être captivant, tu vas rester happé par ton téléviseur et enchaîner les épisodes comme on enfile des perles, avide d’arriver à la fin de … la saison.
Oui, tu hésites, car 7 saisons, qui se tuilent comme par magie, chaque nouvelle reprenant des références des précédentes, c’est simplement addictif et ça fait oublier que le temps puisse exister un jour, tant elles vous happent.

Harry Bosch est, au départ, un inspecteur du L.A.P.D (entendons Los Angeles Police Department).
D’aventure en déboires il deviendra un « privé ».
C’est un super détective, intègre, qui ne dormira pas tant que l’une de ses nombreuses enquêtes ne sera pas résolue.
Avec lui et cette intégrité, souvent controversée car un type de son genre n’a que peu de réels amis, même si ses qualités sont unanimement reconnues, s’embarque tout un panel de personnes et personnages allant de sa famille (en particulier de sa fille, Maddie qui passera de l’adolescence forcément compliquée à l’âge adulte en l’espace de ces 7 saisons et qui est l’autre personnage principal des intrigues auxquelles elle se retrouve mêlée, de gré ou d’une certaine force due à leur vie), à ses collègues, sa hiérarchie (avec laquelle- on s’en doute - il a des rapports souvent conflictuels), l’administration juridique (avocats, greffiers, juges, procureurs etc.), ses détracteurs, ses ennemis jurés et il va de soi, tout le gratin des gangs, du grand banditisme, des petits malfrats, des dealers, des magouilleurs, des flics corrompus, etc.

Bosch sillonne la ville de L.A, sorte de mégalopole tentaculaire digne de la SF la plus authentique.
Il en connait recoins, ruelles et quartiers. Ça peut être luxueux, basiquement résidentiel ou glauque. On passe de la villa grand standing au squat le plus sordide.
Il sait en chaque ghetto ce qui s’y trame et parallèlement là où l’on sert les meilleures recettes de chaque ethnie.
L.A est cosmopolite, bigarrée, multiraciale et multilingue, multiconfessionnelle aussi.
On le retrouve souvent au bar, ou au restau. Il commande des plats à emporter et est un piètre cuisinier.

Bosch de son prénom Hiéronymus « Harry » a épuisé nombre de ses équipiers et il bosse maintenant avec Jerry Edgar, d’origine haïtienne. Une amitié parfois houleuse les unit et un sens de l’honneur qui va avec.
Ensemble ils sont prêts à tout pour que justice soit faite.
Et ils font tout pour cela soit fait.

Au fil des saisons il va déjouer des magouilles politiques, financières, retrouver des meurtriers et sera sans pitié avec les crimes qui ont touché l’enfance que ce soit meurtre ou même maltraitance. Et, comme il mène plusieurs enquêtes conjointement, il n’est pas rare que cela se superpose – parfois même se croise, alors que tout à priori semble éloigné.
Mais en fin limier qu’il est, méticuleux, minutieux et têtu, il fait des recoupements, des croisements et résout toutes les affaires sans hésiter à impliquer même les plus hauts placés, mettant, cela va sans dire, sa vie et celle de sa famille et en particulier de sa fille, en danger permanent.

Bosch – Harry Bosch, c’est l’archétype du flic de polar à l’américaine, de ceux qu’on adore et que la légende cinématographique des inspecteurs tels Harry ou encore d’une certaine arme fatale nous a imbriqué dans le crâne et on en est devenus addicts…

Et là-dessus, il y a pour ma part, le must !
Car Bosch est un inconditionnel de jazz qu’il écoute – exclusivement sur vinyles (et en voiture sur un radio cassette antique) - en sirotant sa bière ou son whisky, depuis sa terrasse avec vue imprenable sur L.A (ce qui permet, au passage, de magnifiques pauses imagées sur la ville).
Un truc apparemment anodin mais qui renoue avec l’association jazz-polar qui semble indestructible.
Comme inscrite en nos gènes en mode culte et ADN culturels.
Il va d’ailleurs au fil des déboires qu’ils vont rencontrer avec Maddie, transmettre cette passion à celle-ci ce, jusqu’à son petit ami qui lui aussi n’écoutera que du jazz, sur vinyle.
Il nommera même son chien « Coltrane » …
Harry Bosch écoute aussi du groove, de la funk, forcément du blues et même parfois, du rock (tendance « classic » c’est logique car comme il le dit lui-même : « c’est un vieux »).

Bon, vous imaginez à quel point par tous ces biais qui se ramifient à un ensemble de choses qui sont dans ma vie, j’ai pu adhérer et adorer cette série.
Je n’attends d’ailleurs qu’une seule chose – même si je pense (ou pas) m’octroyer une petite pause de séries polar – c’est m’engager dans la suite « Bosch Legacy » qui devrait être tout aussi prometteuse que la première mouture.
Une première mouture avec un épisode qui évoque l’arrivée d’un « nouveau virus », de façon fugace, comme une info de fait divers et donc on sait très bien le marasme dans lequel il prolongera l’humanité de notre XXIe siècle.

J’ai fait ma petite enquête musicale et j’ai tenté de retrouver les multiples titres qui s’invitent dans ces épisodes afin d’imager musicalement les pérégrinations de l’inspecteur Harry Bosch.
Et fort est de constater que nombre des titres sont dignes du collectionneur de jazz plus que du « musicophile », même averti, de jazz.
Cela ajoute une touche supplémentaire à ces épisodes, à ces intrigues et ces titres, à chaque fois qu’ils arrivent dans des espaces particulièrement choisis, emplissent de satisfaction le téléspectateur que je suis.
Les voici, en playlist et franchement vous ne serez pas déçu(e)s.

Une playlist triée sur le volet, seulement dix titres (mais quels titres !) car si je les mets tous vous en aurez pour plus de cinq heures d’écoutes tant Connelly (qui est aussi le producteur de la série) a un panel culturel en matière de jazz et assimilé d’un grand éclectisme et d’une grande connaissance.

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01- « PATRICIA », Art Pepper – Album « Today » / Original Jazz Classics 1978.
Art Pepper : Alto Sax | Stanley Cowell : Piano | Cecil McBee : Upright Bass | Roy Haynes : Drums.

Art Pepper et ce titre semblent s’inscrire au centre de la profonde nostalgie et de l’âme de Harry Bosch. Il le transmet d’ailleurs à sa fille puis également à son beau-fils.
C’est peut être bien de là qu’il faut partir pour cibler cette série et le jazz qui y est implicitement associé.

Art Pepper, un de ces grands oubliés du jazz.
Cet altiste au son West Coast phénoménal qui, d’un trait presque bop imprime de sa sonorité douce et suave, mais jamais sirupeuse et toujours d’une immense sensibilité, immédiatement notre épiderme auditif.
Un Sanborn avant l’heure, sans l’aigreur, mais avec l’hypersensibilité à l’identique et une vie de musicien similaire.
Sanborn s’en est sorti – pas Pepper.

Il n’y a qu’à l’observer, chemise rouge de fortune enfilée pour la photo certainement prise devant le mur du studio – son visage, blanc et livide, son regard plongé dans l’autre absolu de la musique en dit immédiatement long.

On en sait plus sur ce titre car Harry Bosch l’explique, tout simplement et cela les rapproche, très certainement, que cette forme d’assimilation de vie.
Un titre composé pour sa fille qu’il ne voyait pas assez, étant toujours en tournée.
Et qui, quand il le jouait, lui faisait systématiquement penser à elle mais également parler, par le vecteur lointain de la musique et de la transmission de ses ondes à travers le temps et l’air, avec elle.

Bosch m’a fait reprendre le fil Art Pepper, survolé, pas vraiment approfondi et à partir de « Patricia » j’ai pris tous les chemins possibles et archivés de cet immense artiste.
Il y a de quoi faire, de quoi s’enthousiasmer et même pleurer tant ce type est touchant dès qu’il prend un thème, dès qu’il improvise sur, autour ou avec celui-ci, ne perdant jamais son blues, ne lâchant jamais sa mélodie initiale même quand, n’en pouvant plus de jeter ses sentiments à travers son alto, il finit par heurter de très près le free.
Mais jamais ce ne sera de pacotille ou d’effet – Art Pepper sort simplement tout ce qu’il a et forcément, parfois (même souvent) cela déborde.
Le phrasé est celui de son temps, celui directement issu du bop.
Art Pepper n’est pas Charlie Parker, mais il est parallèlement identique.

Dans « Patricia », tout cela est résumé.
Un peu comme quand chante Billie Holiday, il n’est pas juste question de jazz.
Celui-ci est le vecteur de leurs émotions et … Art Pepper a de quoi en transmettre.
Il n’a pas fait de cadeaux à sa vie, le seul est peut-être bien, sa musique et … son saxophone.

Et puis ici il est admirablement rejoint par un trio qui soigne ses plaies.
Le formidable Roy Haynes au jeu qui fait partie des emblèmes de la batterie.
Le profond Cecil McBee, dense, rond, chaleureux.
L’inestimable Stanley Cowell, un oublié, lui aussi, des radars médiatiques du jazz et pourtant c’est bien au détour d’un titre tel que « Patricia » que l’on se rendra compte de son indiscutable valeur.

Harry Bosch est entré chez lui. La nuit est tombée et Los Angeles brille de ses feux lumineux, le ruban des rues, des autoroutes et des boulevards semble un infini serpent.
Il a la nostalgie, la tristesse, le vague à l’âme en tout son être.
Il a encore vu l’insoutenable et il doit enquêter.
Alors…
Il se sert un Whisky, Jameson est sa marque préférée et met le vinyle en platine en observant pour la énième fois la pochette.
Il se cale dans le canap’, ferme les yeux et tente d’oublier.
Il sait qu’ainsi il se fait tant bien que mal avec un titre aussi chargé d’émotion palpable.
Ce besoin d’accentuer … la douleur.

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02- « NEIL’S BLUES », Frank Morgan – Album « Gene Norman presents Frank Morgan » / GNP 1955.
Frank Morgan : Alto Saxophone | Wardell Gray : Tenor Saxophone | Howard Roberts : Guitar | Conte Cantoli : Trumpet | Carl Perkins : Piano | Leroy Vinnegar : Bass | Lawrence Marable : Drums.

La magnificence du hard bop par excellence.
Le blues largement exprimé et exploité d’emblée en avant thème par Carl Perkins, puis Frank Morgan prend la main.
Encore un altiste post Bird qui s’est perdu dans les bacs à disquaires – l’arbre Bird a caché la forêt de ses émules dont pourtant Frank Morgan est cité comme l’un de ses plus grands représentants.

Le tempo est médium, quasi shuffle.
Leroy offre un tracé en walking bass qui est le poumon de l’affaire. Avec Lawrence ils sont imperturbables et son jeu avec la petite section de cuivres arrangée en toute simplicité rejoint directement celui des batteurs de Big Band. Tenir, offrir et accentuer quand l’écriture l’impose.
Au milieu de cette petite débauche cuivrée en forme de jam session dont on ne retient que peu le prétexte thématique vient s’installer un tranquille solo de guitare de Howard Roberts, tranchant en coolitude avec le jeu trempé des solistes saxophone et trompette.
Frank Morgan, fils du guitariste Stanley Morgan est né « dans le jazz » en 1933 et il est mort avec lui en 2007.
Il a longtemps été considéré comme un digne repreneur du flambeau parkérien.
Il a fait partie des orchestres, très jeune, de Billie Holiday ou encore de Joséphine Baker (!) et de Lionel Hampton.
Il a, avec son ami Art Pepper, pour toxicomanie, trafic de substances, etc. fait de la taule à San Quentin et là, ils ont formé un quintet.
Et pour conclure afin d’éclairer un peu plus la vie de cet artiste entre clubs, prison, désintox’, etc. il est utile de savoir qu’il a refusé, à sa sortie de prison en 1986, le rôle de Charlie Parker pour le film Bird de Clint Eastwood afin de partir en tournées, s’installer au Nouveau Mexique et continuer avec son ami George Cables à se produire et enregistrer régulièrement.

Bosch écoute très souvent Frank Morgan, il l’accompagne le soir bien entendu, mais aussi au réveil histoire de partir en swing et ses enregistrements servent aussi à accompagner ses nombreux moments où il arpente la cité des anges en voiture, en planque, à pied…
Frank Morgan est l’un des artistes préférés de Harry Bosch.

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03- SONNY ROLLINS, « Silk’n’Satin » - Album « Moving Out » / Prestige 1956 (enregistré en 1954).
Sonny Rollins :  Tenor Saxophone | Kenny Dorham : Trumpet | Elmo Hope : Piano | Percy Heath : Bass | Art Blakey : Drums.

Décidément l’inspecteur Harry Bosch aime le saxophone et il est un connaisseur…

Pour accompagner ses recherches, ordinateur portable posé sur la table basse du salon, dossier épais ouvert à sa droite, chaussé de ses lunettes de lecture, il va d’abord parmi sa discothèque que l’on sait idéale (si l’on parle jazz et blues) aller directement choisir, ce sans presque la moindre hésitation, le disque qui conviendra à accompagner son travail.
Il n’a pas oublié, en passant, de se servir une bonne bière et pendant que son esprit échafaude toutes les théories, il s’en délecte, du bout du goulot, comme si ce nectar humectant ses lèvres était un élément indispensable à ses réflexions.
Il sera malheureusement souvent interrompu par la sonnerie basique de son portable … sa fille à laquelle il s’empresse de répondre instantanément, son équipier qui, selon l’humeur de la journée et l’urgence de la situation en cours, pourra, ou pas, attendre, son indic’ et là il lui faudra abandonner la torpeur musicale dans laquelle il a finalement sombré pour filer illico et, bien sûr, un nouveau crime où il lui faudra se rendre, en urgence.

Dans cet album où Sonny est merveilleusement entouré – avec entre autre le magicien Art Blakey qui insuffle un tracé linéaire aux balais – il nous promulgue cette délicieuse balade au cours de laquelle (malgré un Kenny Dorham qui tente une percée en fond de trompette ou un fugace solo de Elmo Hope au piano qui tranche avec la verve du leader) il déploie tout son art du langage improvisé sur fond, forcément, de blues licks.
Le ténor de Rollins est flamboyant, très présent, chaleureux, particulièrement lyrique et toujours volontaire, ce, même dans les balades – comme avec ce titre – les plus délicates.
Il tire le combo à lui, l’emmène vers lui, dans sa direction et celui-ci lui résiste afin de garder le background solide, efficace et surtout « posé », bien au fond du temps qui pourrait très, mais très vite s’emballer.
Alors Sonny peut déployer toute sa panoplie, toute sa fougue inspirée ce, même dans les balades les plus tendres.

Un titre de BO polar absolument idéal – et Connelly le sait bien.
Restait à se rappeler qu’un tel titre existe au fin fond de la discographie majestueuse de Sonny Rollins et penser à le ressortir du milieu des plages de « Moving Out » (un album dans lequel Monk est invité pour un titre… et quel titre !)

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04- MILES DAVIS, « Green Haze » - Album « Miles Davis Quartet : The Musing of Miles » / Prestige 1955.
Miles Davis : Trumpet | Red Garland : Piano | Oscar Pettiford : Bass | Philly Joe Jones : Drums.

Qui se souvient que Miles ait eu un quartet ?
C’était … il y a si longtemps que le temps l’a effacé.
Pourtant, comme tout à chacun, Miles a bel et bien commencé quelque part, chez Bird où immédiatement il s’en est sorti en posant une pâte différente de celle des autres compagnons de route du célèbre altiste au langage que tout le monde a suivi.
Ils auraient tout aussi bien pu suivre Miles qui prenait, à partir de son mentor, de son maitre, de son idole absolue, une voie s’autorisant une voix différente.
Pas d’éclat cuivré surexposé, pas de traits bien trop véloces et criards, pas d’excitation sur vitaminée, mais un contrôle total et un son d’un encore trop rare moelleux qui fera toute la différence.

Le voici donc ici, très jeune leader d’un groupe qui l’est tout autant.
Un quartet…
Red Garland blues tout ce que ses doigts imprimés dans le piano peuvent faire surgir.
Oscar Pettiford est la rondeur pure et pas dure de cet interminable walking bluesy qui le fera même s’en extirper pour un solo plein, rond, chaleureux.
Philly Joe Jones nous gratifie de son astuce de dédoublement de tempo qui est quelque part sa signature et qu’on retrouve tant chez Sonny Rollins que Trane, quand il les accompagne pour leurs albums les plus connus (« Saxophone Colossus » et « Blue Trane »).
Et puis il y a Miles qui sur ce fond de blues chante chaque note, dessine et arrondit chaque contour de sa méticuleuse improvisation pour, déjà, sceller de son originalité visionnaire un futur du jazz dont il sera l’acteur, la star absolue, l’élément clé incontournable d’une histoire à laquelle il participera, non en vétuste spectateur, mais en acteur total et infranchissable.

En attendant, Harry Bosch vient de se lever.
Il a dormi, ou plutôt s’est littéralement écroulé sur le canap’, la tête farcie des méandres d’une enquête aux ramifications auxquelles il ne croit pas encore, tant cela semble tiré par les cheveux.
Maddie vient de le réveiller et ils vont se faire un bon café accompagné de pancakes.
Il va bien et même bien mieux.
L.A s’éclaire d’un lever de soleil relevant de la magie.
Le café fume de son mug en main.
Songeur, il regarde la ville – sa fille l’embrasse avant de filer.
Il est pensif et Miles accompagne ses pensées.
La trompette enfonce ses sentiments mitigés.
La contrebasse, qu’il aime particulièrement, va pulser et rythmer lentement, mais surement (car il sait qu’il a tout découvert) la journée qui vient.
Il résoudra cette affaire seul, sans partenaire – il a à faire et à dire et c’est son affaire.
Un peu comme Miles qui, ici, n’a pas d’équipier saxophoniste à ses côtés.

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05- JOHN COLTRANE, « Theme for Ernie » - Album « Soultrane » / Prestige 1958.
John Coltrane : Tenor Saxophone | Red Garland : Piano | Paul Chambers : Bass | Art Taylor : Drums.

Là encore, l’avant Coltrane, celui des « débuts », celui qu’on oublierait presque de remettre en platine.
Coltrane a encore ce son si doux qu’il va progressivement rendre plus rude, plus nerveux, plus agressif et volontaire. Il s’échappe peu du blues qui sert à son épanchement sentimental et presque solitaire.
Pour Coltrane, le quartet, c’est « son format ».
Il n’a pas encore formé – tout comme Miles – celui qui fera (ainsi qu’à ses protagonistes), sa célébrité, son socle, son terrain de jeu d’où partiront toutes ses riches expérimentations et aventures musicales.
Pour l’instant, John Coltrane est un joyau de pure expression blues, de celles qui sont brutes, immédiates et sans le filtre d’une technique avec traits d’usages.
Pour l’instant Coltrane est là, au fond du club et il regarde Harry/Ernie depuis son tabouret fauché au bar.
C’est la fin de son ultime set et il n’y a presque plus personne, le club est vide.
Red, Joe et Art sont épuisés par la soirée où il les a menés avec sa verve habituelle. Ils assurent le minimum afin de lui laisser cet ultime moment de cette soirée tant magique qu’éprouvante. Trane est un leader qu’il faut suivre – il ne se fait, et ne fait aucun cadeau à ses acolytes.
Ils n’ont guère d’autre choix qu’une implication absolue et totale.

Harry est arrivé il y a peu.
Cette musique le pénètre pendant qu’il est posé là, tête penchée et appuyée sur son bras gauche. Il fait tourner à l’infini son verre de whisky et en admire les reflets multiples tout en le dégustant à petites lampées.
Lui aussi a eu une journée épuisante.
Son ami barman le sait et ne va surtout pas le déranger dans ses pensées, forcément sombres.
Puis il rentrera au volant de son vieux 4x4 ou de sa caisse de fonction à la boite manuelle dont le levier est au volant.
Et le saxophone de Trane se dissipera dans le ruban des phares et des luminaires de la ville.

Il doit encore sortir Coltrane, en rentrant.
Maddie est partie faire ses études à l’université et il est bien seul.
Il boit.

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06- RON CARTER, « 12 + 12 » - Album « Pastels » / Original Jazz Classics 1976
Ron Carter : Bass | Kenny Barron : Piano | Hugh McCracken | Harvey Mason : Drums : Guitar + Strings.

Toujours ce blues qui colle à la peau, mais cette fois le ton est guilleret.
Est-ce l’inhabituelle addition de ces cordes chambristes (arrangées par Don Sebesky) qui font cet effet ?
Est-ce ce tempo enlevé sur lequel Ron Carter est la totale vedette (jusqu’au re-recording) lui permettant un axe tant funny que jovial ?
Même Kenny Barron, après un effet modulatoire se prend à ce jeu mi bop, chargé de texte bluesy.
Hugh et Harvey sont sous mixés et malgré tout complètent discrètement la texture médium de l’ensemble.

Harry a placé Ron Carter parmi ses artistes favoris.
Il a, bien sûr, tous ses albums, même les plus collectors et ne sait, ni ne peut s’en séparer.
Dès qu’il entend Ron, sa tête dodeline et son humeur s’ouvre.
Mais attention, comme à la fin, sur cet accord de cordes mystérieux, le tableau est toujours susceptible de s’assombrir.
Et c’est bien ça … un vrai polar, que de passer de la lumière fugace au sombre le plus dense.

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07- CHRIS BOTTI, « What a Wonderful World » - Album « Impressions » / Decca 2012.
Chris Botti : Trumpet | Mark Knopfler : Vocals and Electric Guitars | Jim Cox : Piano | Glenn Worf : Bass | Ian Thomas : Drums | Richard Bennett : Acoustic Guitar | Guy Fletcher : Fender Rhodes | Orchestra arranged by Gil Goldstein.

Elles désireraient un monde bien meilleur.
La mère, vétérante qui a sombré, abandonnée par son pays.
Sa fille tuée et dont l’enquête a été classée, oubliée, négligée.
La fin ne sera pas spécialement heureuse, mais Harry Bosch a rendu justice.

Il sort du cimetière chargé d’un profond soulagement tant que d’une profonde tristesse.
La voix de Knopfler, irréelle, nostalgique et défaitiste semble vouloir croire à une infime lueur d’espoir.
Chris Botti, éminent trompettiste d’une génération nouvelle l’a invité pour ces impressions musicales d’où il fait échapper de sublimes traits soliste. Mark l’a, comme de logique, rejoint pour une petite incartade guitaristique.
Les cordes installent le papier peint pastel qui va envelopper ce tout mélancolique et détourner la célébrissime chanson armstrong-ienne de son socle positif initial, pour la poser en questionnement d’éternité.

Chris et Mark dialoguent vers cette éternel paradis qui fait croire qu’un autre monde sera meilleur et que rien que pour ça l’entrée en celui qui est le notre vaudrait presque la peine d’y survivre.

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08- JACK TEAGARDEN, « Big Eight Blues » - Album « Jack Teagarden’s Big Eight – Pee Wee Russell’s Rythmakers / Riverside 1956.
Billy Taylor : Bass | Dave Tough : Drums | Barney Bigard : Clarinet | Rex Stewart : Cornet | Brick Fleagle : Guitar | Billy Kyle : Piano | Ben Webster : Tenor Saxophone | Jack Teagarden : Trombone.

Harry m’a rappelé le souvenir de Jack Teagarden, ce tromboniste issu du swing, souvent estampillé dixie, en tout cas bien enraciné dans le jazz de ses débuts, qu’il soit blues, jungle, swing – bref, ce rappel à l’oreille de ce que ce fut.
La couleur ellingtonienne du Cotton Club invite directement au polar, à l’époque de la prohibition, aux gangsters devenus plus radicalement gangs que Harry chasse, traque, côtoie sans répit.
Le cornet acide de Rex cri sa douleur, le sax de Ben est enfumé et bien alcoolisé, la clarinette de Barney pleure son blues et le trombone de Jack va, sur une petit riff rythmique s’épancher une dernière fois et presque conclure ce titre à la rythmique de pompe immuable menée par une guitare une basse et une batterie métronomiques. Rex conclut définitivement l’affaire et nous « parle » sur quelques trilles de Billy qui va très vite reprendre le gimmick blues initial sur lequel la jungle ellingtonienne va se replacer, paisiblement.

C’est inscrit là, quelque part, dans nos gênes que cette association polar-jazz et avec un tel titre le rappel est instantané. De quoi accompagner en boucle le bouquin de Mezz Mezzrow qui exprime une certaine « Rage de Vivre ».

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09- ZOOT SIMS ALL STARS, « Zootcase » - Album « The Brothers » / Prestige 1953.
Zoot Sims, Al Cohn : Saxophones Tenor | Kai Winding : Trombone | George Wallington : Piano | Percy Heath : Bass | Art Blakey : Drums.

Le pur West Coast, Cool Jazz.
Le phrasé sans accents, lisse comme une vague sur l’océan, ou défilant comme le ruban des phares sur le périphérique qui entoure L.A.
Plusieurs titres regroupés en un album « The Brothers » où Getz a pris le nom leader.
Pourtant il n’apparait pas ici, ce sont Zoots et Al qui tiennent le crachoir avec ce jeu reptilien caractéristique.
Kai pose un somptueux solo de trombone pendant qu’Art excite le tout talonné par Percy qui insiste.
George a grand peine à se sortir sans trop de difficultés de ce tempo de feu et c’est Art qui remportera la mise avec une poignée de 4-4 où il va sortir du spectre du drive pour balancer quelques magiques jets de batterie.

Harry a la patate, il descend les marches de l’escalier qui mène à sa villa, sur les hauteurs de L.A, à toute allure. Il a rapidos enfilé son blouson, le temps est radieux.
Les nouvelles sont bonnes, l’enquête avance et est sur le point d’être résolue.
Il file au tribunal pour assister à la conclusion de son long et fastidieux travail d’investigation.

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10- COLEMAN HAWKINS with EDDIE LOCKJAW DAVIS, « Night Hawk » - Album « Night Hawk » / Prestige Swingville 1961.
Coleman Hawkins, Eddie Lockjaw Davis : Tenor Saxophones | Tommy Flanagan : Piano | Ron Carter : Bass | Gus Johnson : Drums.

On va terminer cette saison-playlist  autour de Harry Bosch avec ce titre bien planté dans ce que le blues dans le jazz peut exprimer, ne peut oublier, se doit d’être obligation.
Il englobe tout, sert de prétexte, a usé les instruments, les bars, les âmes, les vies.
Le blues…
On retrouve et c’est normal, car Harry a un penchant pour lui, Ron Carter, jeune accompagnateur de sessions aux côtés de Tommy Flanagan qui viendra un temps chez Trane.
Gus Johnson tient le navire et balaie sa caisse en mode imperturbable (il prendra ses baguettes en toute fin) pendant que nos amis Coleman et Eddie sortent toute la panoplie de leurs blues respectifs.
Ils rauquent, ils feulent, ils crient presque, ils gémissent, ils pleurent, ils dialoguent comme deux vieux potes se refaisant le monde, accoudés au bar et s’en prenant une belle. Chacun traine avec lui son lot de vie et l’alcool, l’ambiance jazz, les filles, le bruit du bar vont leur faire oublier ça, le temps d’un morceau, de plusieurs verres, de déglutir une larme.

Comme Harry ils sont usés par la vie.
Comme Harry ils sont seuls, ou presque.
Comme Harry la vie qui est face à eux n’est pas spécialement des plus engageantes, mais c’est leur vie… et le choix qu’ils en ont fait.
Le blues et la musique en sont les seuls accroches, les seules vérités et sans cela ils ne sont rien.
Ils ne font que nous le rappeler et Harry les aime pour ça.
Il a tant d’affinités avec eux…

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Allez, je vous salue sur ce fond de blues, jazz et polar.
La suite sera surement plus lumineuse.
Bonne fin de semaine.




 

Commentaires

  1. Bosch nous en met plein phare.
    Sorti de ce commentaire débile, je m'en vais écouter tout cela. avec attention.

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    1. Et tu vas en prendre plein les mirettes !

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    2. Ha oui, j'ai trouvé le service qui le propose, je dois convaincra ma mie, presque conquise, même si elle trouve les derniers Connely roman un peu paresseux. Pas faux, mais une fois qu'on aime. Je me jette sur QOBUZ pour les 10 titres. Au passage un Masque/Plume sur le dernier qui OOOOSE prendre l'affaire 'Dahlia Noir' https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-masque-et-la-plume/a-qui-sait-attendre-de-l-americain-michael-connelly-3394090

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    3. j'ai attaqué Bosch Legacy, la suite.
      du jazz plus engagé, plus de blues, de rock...
      et toujours la même impression de cette musique qui colle parfaitement à l'action.

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  2. J'ai adoré ce voyage.
    Je ne connais pas grand chose en jazz, faute de mes parents , et seuls les disques de mon oncle m'éduquaient, mais cela s'arrêtait au début des années 60. J'ai donc une oreille qui a du mal avec le bop, tout ce qui est avant m'est plus familier.
    J'ai donc beaucoup aimé ce voyage en cuivres jusqu'au bop débutant. Un régal.
    Beaucoup de titres adoptés sur mon disque dur.
    Cette nuit noire m'a envahi.
    Merci

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  3. Coincidence, je trouve ce matin la sortie du Miles Davis remasterisé 2025

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    1. Idem pour moi, donc directement réécouté.
      lumineux, mais je ne m'embarque plus trop longtemps dans Miles, parce que sinon j'y reste au moins quinze jours... alors, je me "disciplne"...

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  4. Merci de nouveau, nous avons attaqué la série qui a séduit madame le juge (Hooo je plaisante) probable que l'on ne suive pas sept saisons, juste un souci d'avoir du temps pour d'autres. Je conseille hautement deux série anglaises - les plus subtiles ces temps ci - "Adolescence" que j'ai mal regardé trop habitué aux série avec intrigues et "Douglas is cancelled" un angle d'attaque sur le harcèlement très subtil, anglais quoi. les meilleurs

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    1. je note.
      mais j'ai attaqué bosch legacy et là, pareil...
      avec plus de rock, de blues et un jazz plus actuel car y'a Mo, qui lui écoute aussi de la soul, funk etc.
      quel pied !

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