EN TOUT SENS, OU EN VRAC, SI VOUS VOULEZ … (02) Kurt Weill, Pat Metheny, Ryuchi Sakamoto
EN TOUT SENS, OU EN VRAC, SI VOUS VOULEZ … (02)
Au gré de mes écoutes hebdomadaires…
KURT WEILL « THE KURT WEILL ALBUM » - Konzerhausorchester Berlin /
chant Katharine Mehrling – direction Joana Mallwitz.
Des symphonies (1 & 2) jouées et très vite oubliées…
Sa première, en un seul mouvement a été composée en 1921 et on l’a découverte
en … 1956.
Sa seconde qui fut commandée par la princesse de Polignac, à Paris, fut créée
sous la direction de Bruno Walter et oubliée jusqu’en 1980.
Et les plus célèbres « Sept Péchés Capitaux ».
Tout cela fut composé avant que le compositeur s’exile aux Etats Unis et prenne
une orientation musicale que Broadway sut utiliser.
Depuis que je l’ai découvert à la fin de mes études musicales au conservatoire,
j’ai toujours voué une admiration sans limites à Kurt Weill, à son art, à sa
composition, à son savoir orchestral, à cette façon si particulière qu’il a de
créer un univers contemporain à partir d’un matériau mélodique souvent simple,
toujours évident et direct.
Cet album est une véritable réjouissance, et pas que pour les passionnés, comme
moi, du compositeur.
D’abord ces deux symphonies possèdent une densité orchestrale envahissante dès
les premières mesures, la sensation qui impose de rester et d’être attentif,
curieux, de se laisser emporter ans ces cheminements tortueux, ces méandres
harmoniques et orchestraux où les timbres s’associent, se contrarient,
s’ajoutent, explosent ou s’unissent.
De grandes envolées lyriques, d’immenses jeu de contrastes nuancés, un
fourmillement d’idées à en donner le tournis, des chants et contre-chants
enveloppés d’une poétique frémissante de beauté – tout cela majestueusement
porté par une direction (Joanna Mallwitz) qui met l’ampleur en exergue, la
dimension orchestrale en espace, l’intensité en pouvoir.
Tout cela surexposé par une prise de son admirable qui permet une valeur
extrême à ces œuvres inégalables.
Pour celles et ceux qui connaissent ces sept péchés, ils seront immédiatement
fascinés dès son prologue par l’impressionnante teneur de l’interprétation du
sujet avec une Katharine Mehrling, chanteuse aux multiples facettes (jazz,
cabaret, classique), actrice, bref, le profil idéal pour faire vivre ces
miniatures stylisées, ces images musicales représentatives du génie du
compositeur.
Des parties vocales (chœurs luthériens dégénérés, solistes déjantés) d’une
clarté et d’un jeu théâtral qui m’ont fait instantanément oublier les multiples
versions que je connais et qui déjà, du fait de la difficulté d’interprétation
du sujet, portaient le sujet plutôt haut.
Mais là, on a dépassé largement ce qui était déjà installé dans les habitudes
auditives de cette œuvre magistrale.
Cette lecture est passionnante et passionnée de bout en bout.
Elle fait entrer dans l’espace Kurt Weill comme si l’on était happé pour être
incapable de s’échapper.
Une sensation unique, tellement rare, presque inédite, un peu comme si l’on
entrait dans ces foires emplies de personnages décalés, fantasques, décalés, burlesques,
cette micro-société d’à côté…
(J’écoute cela et je ne peux m’empêcher de penser à ce livre « Cristal qui
Songe » de Theodore Sturgeon – impossible d’expliquer pourquoi ce
parallèle, mais l’ayant relu récemment je pense que j’aurais accompagné sa
lecture, après avoir écouté préalablement l’album, de cette intrigante sorte de
B.O).
Les Sept Péchés :
Ana part parcourir les Etats Unis pour réunir de l’argent qui permettra à sa
famille de construire une maison familiale…
De ville en Etat elle va devoir résister ou se laisser aller à la tentation.
Un livret de Brecht qui en dit long sur une vision critique et réaliste des
affres, tentations, dilemmes, doubles consciences de notre société et de notre
éducation.
Mais revenons à cet album justement.
Parfaitement organisé autour de ces sept péchés, les deux symphonies encadrant
cet ouvrage essentiel, il éclaire chaque œuvre sous son meilleur jour.
Cet album est l’absolu indispensable « classique » sorti là, cette
année.
Et avec lui et ses interprètes surpassant les autres versions, il y a fort à
vouloir imaginer que Kurt Weill et ses/ces symphonies reprenne une place de
choix dans ce patrimoine incontournable de que la musique du XXe siècle nous a
légué avec … et c’est une relation de cause à effet … sa lamentable histoire.
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RYUCHI SAKAMOTO « Opus » - Milan 2024.
Il est des albums dont on sait dès les premières notes qu’ils auront du mal à
vous quitter et qu’il vont rester en vous à jamais.
Ils sont rares, voués à un ressenti des plus subjectifs car chacun prend la
musique tel qu’il est « conçu », « formé »,
« éduqué » pour le faire, aussi je cède la place lorsque que l’on me
dit que cela ne « me touche pas »…
Question de personnes donc.
Pour en savoir plus sur cet album posthume enregistré magistralement au piano
par le grand compositeur en toute fin de vie, de nombreux articles et
chroniques explicatives quant au concept et aux conditions de l’enregistrement
(sorti également en film) vous renseigneront largement.
La comm’ du label a bien soigné son texte et c’est tant mieux.
Je rentre l’autre soir de contrat, fatigué par une soirée où le son ne fut pas
simple à gérer, la pression atmosphérique jouant beaucoup sur les réglages, la
chaleur ne s’échappant même pas ce soir-là alors qu’en général autour de 21h,
tout « s’arrange »…
Bref on était heureux, mais crevés.
Et puis… pour en rajouter…
Bluetooth capricieux, redémarrage de la voiture plusieurs fois pour rétablir la
connexion, bref, les petits tracas dont on aimerait se passer une fois la
soirée musicale (au demeurant toujours extra de partage avec mon ami Jean Marc
aux guitares) et… enfin, ça marche.
« Découverte et album de la semaine », allez, hop, Sakamoto,
je suis en terrain conquis, j’envoie …
Et là …
J’ai été carrément envahi par l’émotion directe que déploie cet album.
Je me suis donc laissé porter par la musique, par ce piano dont la prise de son
est absolument magistrale, développant l’ampleur de l’instrument dans tous ses
registres et captant les respirations du maitre, au passage.
Sans aucune information puisque entré dans l’album par le pur des hasards, je
suis arrivé chez moi détendu, captivé, dans une sorte d’état second entre
fascination et relaxation sensorielle.
La route… je l’ai laissé filer sans heurts, lentement, incapable d’imaginer
rentrer avant que l’album ait pu se dérouler intégralement tant l’hypnose de
cette musique m’a transporté.
Puis le lendemain, après une nuit où ces notes ont continué à bercé mon esprit
et contribué à effacer ma fatigue, je suis allé – à l’envers donc – me renseigner sur cet
« Opus » afin d’en savoir d’avantage, de capter par une quelconque
explication le pourquoi de cette sensation ultime déployée par l’écoute et j’ai
retenté, informé succinctement, l’expérience, idem, en voiture, en allant faire
travailler une de mes élèves estivales.
Et finalement, la même magie a opéré, au fil des plages, au fil du ruban
d’asphalte, au fil de cette échappée spirituelle dont le piano est vecteur, au
fil d’un trajet qui en aller comme retour aura été empli de ces touches à fleur
de peau, de cette douce ampleur, de cette infinie nostalgie, de cette évidente
poésie, de cette beauté de l’âge…
Je ne crois pas me passer désormais de cet album.
Je sais que je vais de façon obligatoire installer au-delà de la seule écoute,
cette musique sous mes doigts, respectueusement, avec humilité, avec
« sens ».
La rareté est précieuse.
L’émotion est rareté dans ce monde actuel où tout n’est qu’apparence, image, ego,
surfait …
Alors, quand surgit au hasard, la beauté.
On tente d’en attraper un peu et de garder précieusement… ce peu.
Ryuchi Sakamoto laisse désormais plus qu’une carrière, plus que des albums,
plus que de la musique… mais une trace profonde… d’humanité.
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PAT METHENY « MoonDial » - Modern Recordings 2024.
Pat Metheny est un boulimique de musique, de création, d’invention,
d’expérimentation artistique.
Il innove, cherche à faire évoluer la guitare tant dans son jeu que dans sa
lutherie.
Rappelons son ouverture vers la guitare synthé, souvenons-nous qu’il y a pas si
longtemps son Orchestrion laissait fébrile et pantois.
Là, le voici avec sa « nouvelle guitare », créée spécialement pour
lui par Linda Manzer (luthier).
Qu’apporte ce nouvel instrument ?
Certainement une profondeur inédite et une ampleur acoustique généreuse.
Cela suffit à accueillir le prétexte covers en guitares acoustiques sublimées
et l’adhésion est immédiate.
Pat Metheny n’a plus vraiment grand-chose à démontrer et à se démontrer à tous
les niveaux de la musique, qu’elle soit improvisée, estampillée jazz, récup’
pop, créative, free et bien entendu d’influence brésilienne.
A quoi bon ?...
Il sait finalement tout faire et tout jouer, avec brio, imagination, une
personnalité incontournable et tant d’autres de ces qualités qui laissent
l’artiste rêveur.
Cet album est un album de quiétude, de plaisirs simples de la vie et de la
musique, il se feuillette comme un album de photos souvenirs, comme un
florilège de cartes postales retraçant ses multiples voyages réels, ou intimes,
palpables ou musicaux.
Cet album s’ajoute à la petite pile de ceux qu’il a fait sur le même critère
solo acoustique et cet ajout n’est pas des moindres, il permet même si l’on
veut bien s’y pencher un soupçon, de décliner une évolution logique dans cet
espace intimiste qu’il sait si bien décliner et dans lequel il s’enferme pour
la plus profonde des expressions.
Nombreuses seront les critiques qui auront retenu sa sublime version de Beatles
(« Here There and Everywhere ») et peut être bien que l’on pourrait
simplement en rester là…
Encore une fois il faut bien un pont, une accroche afin d’emmener l’auditeur et
celle-ci est effectivement très attrayante de finesse, de subtilité et de mise
en exergue de l’ampleur sonore de son instrument relayé par une prise de son
des plus réalistes.
Face à la seule musique et seul face à celle-ci, Pat Metheny pose là un énième
album soliste, chargé non plus de maturité mais d’âge, lourd de sentiments et
d’âme, recueilli et presque introverti.
Un repli intimiste qui dépasse la seule écoute facile et impose une forme de
méditation musicale qui apaise, rend la nostalgie palpable, entre en réflexion
avec soi-même que ce soit l’artiste ou son auditeur, ouvre la conscience …
Une proximité avec lui, avec son sublime instrument, avec sa musique et avec
nous-mêmes.
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Bon (long) week-end à tous
Yes..un nouveau Metheny et les infos sur cet instrument. C'est cristallin, magnifique, il va me faire la journée. Merci
RépondreSupprimerC'est sûr, il m'a d'ailleurs fait déjà quelques journées...
Supprimertellement reposant et fluide.
THX