ARILD ANDERSEN « Achirana » - ECM 2000 / « Affirmation » - ECM 2022

ARILD ANDERSEN
« Achirana » - ECM 2000
« Affirmation » - ECM 2022

Aujourd’hui il pleut, l’automne, enfin, pour un matin.
Aujourd’hui c’est le temps de prolonger l’écoute de « Affirmation » fraichement sorti, mise en bouche hier, comme l’on déguste une savoureuse assiette, automnale il va de soi.
Arild Andersen, on le connait, un peu.
On se souvient avoir lu son nom, forcément reconnaissable, par exemple, dans les aventures de Jan Garbarek – vous savez, ce saxophoniste si particulièrement formidable, fer de lance de… ECM justement.
Arild Andersen est souvent affilié à l’idée de free… à voir…

---

« Achirana » est un album en trio, la formule piano/contrebasse/batterie.

Vassilis Tsabropoulos est au piano, il sème les notes mélodieuses (« Song For Phyllis ») avec parcimonie, est économe et méticuleux (« Achirana »).
Il choisit et articule, avec grâce et subtilité, le dessin et chacun de ses contours (« Monologue »).
C’est un esthète.
Son jeu est une broderie digitale où se croisent de multiples fils, diaphanes (« She’s Gone »).
Une toile musicale de détails, de finesse exacerbée par une prise de son, forcément (mais c’est si utile nécessaire de le repréciser), limpide, claire, soignée et aérée.

Arild Andersen n’est guère leader ici, il joue simplement son rôle dans ce triptyque créatif, rêveur, presque introspectif où le repli sur soi semble s’imposer d’emblée. Il est large, ample, généreux et chacune de ses phrases, de ses notes est une immense inspiration/respiration que l’on fait avec lui qu’il soit soliste (« Monologue ») ou soutien.
Sa sonorité d’une rondeur bienfaisante irradie l’album (« Achirana »).
Il entre en jeu, s’efface, soutient, sollicite, lance et relance – rien de plus simple que le mot d’ordre musique avec une juste place dans ce puzzle qui se construit et se modèle en toute liberté réorganisée autour de compositions prétextes et textes.

John Marshall, dernier batteur d’un Soft Machine dirigé par Jenkins a trouvé chez ECM une maison à la hauteur de sa palette tant sonore que créative. Ici son immense technique qui fit mon admiration chez ces british de la Canterbury School n’est que musique, peinture sonore, touches précieuses et précises. Il emboite le pas de la contrebasse, il pétille sur les traits pianistiques. Entre rythmique aux flottements délicieux et espace libres en climax (« Monologue »), laissant résonner chaque petit impact de cymbale (« Diamond Cut Diamond »), faisant chanter chaque peau, ou les caressant de balais souples et soyeux (« Song for Phyllis »), il est le canapé confortable sur lequel tout le monde s’est installé.

« Achirana » va obligatoirement et aisément prendre une place presque primordiale dans ma setlist ECM mais également dans celle de l’une de mes formules favorites, cet art du trio ici délicatement, subtilement tant qu’immensément représenté, avec un modernisme, une réelle liberté et une inventivité de chaque seconde (« The Spell »).
Et il ne peut que s’inscrire dans cette envie saisonnière automnale d’écoute paisible, sereine, reposée et enfin autre.

---

« Affirmation ».

L’on parlera bien plus de liberté, dans le sens où l’idée musicale de free, associée au jazz peut s’identifier plus réellement au fil de ces déclinaisons « d’Affirmation », variations autour d’un thème.
Marius Neset est au saxophone ténor, Helge Lien officie au piano, Hakon Mjaset Johansen est placé aux drums et le leader Arild Andersen trace le chemin vers cette liberté bien affirmée, volontairement exprimée, délibérément engagée.
L’écoute et le respect collectif sont les maîtres mots de cet espace qui fait fi du temps – ces nordiques ont l’habitude de ces immensités qu’ils savent et peuvent emplir à leur guise sans pour autant les saturer pour les rendre oppressants.
En trio, un équilibre paritaire semble pouvoir s’installer, de fait.
Ici en quartet, le jeu de dialogues superposés ou enchevêtrés (« Five ») ou de pseudo background pour soliste est bien plus difficile tant que subtil à trouver. Il faut là un niveau d’excellence dans le rapport musical pour arriver à dépasser les axiomes de renvois de balles, de jets de phrases à récupérer, de lancers rythmiques à mettre en échos (« Six ») et créer un véritable rapport « à quatre ».
Cet album se gagne et se « mérite ».
Et si l’école du free y est installée de façon naturelle, il faut bien cette saison introspective pour prendre le temps d’y pénétrer et de franchir ce qui n’est en rien des barrières, mais une forme esthétique délibérée.
C’est faire le choix d’entrer dans la galerie d’art contemporain et se laisser happer pour ces abstractions incitant l’imaginaire et en ressortir lucide et libéré.

Un langage…
Une forme d’expression…
La véritable sensation qu’un sens est donné au mot libre…

« Short Story » va conclure en un contraste presque pop ce voyage dans un espace libertaire, comme si un retour à la réalité au sortir de ce moment intemporel nous permettait de reprendre pied.

« Affirmation » mérite toutes les attentions.
De tels albums où la liberté n’est pas vain mot sont bien trop rares.

Commentaires

  1. C'est la saison ECM ! :)
    Je ne connais pas cet artiste, j'ai écouté "Short story" sur YT, j'y ai bien reconnu un "son" ECM...
    Après la littérature nordique, le jazz nordique est à découvrir ;)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est un peu ça - à l'automne je ressors souvent mes albums ECM...
      Entre les nouvelles sorties, incroyable la pléthore d'albums produits par le label entre jazz, musique disons world méditative ou autre atmosphérique et le catalogue classique/baroque/contemporain, c'est une mine d'or.
      merci de ton passage.
      à très vite

      (pas encore trouvé le temps d'immersion casque Jarre, mais ça va venir...)

      Supprimer
  2. Mes yeux ont directement tapé au cerveau, le genre de pochette (marque de fabrique ECM)qui fait fondre mes oreilles. Je suis au boulot, j'ai mis ces plages contemplatives en sourdine avant mon casque de ce soir. C'est exactement ça, ce que j'attends de l'auberge. C'est de la crème, un régal.. et quel paysage. Merci pour la nouveauté.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pareil, la pochette, le nom, la marque de fabrique et déjà on sait que ça va le faire...
      Oui, ces paysages musicaux...
      Cette respiration...
      Merci du passage, régale toi ce soir au casque ;)

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

« A EUX LA PAROLE » - ELOISE MINAZZO : « En Boucle ».

FELICIA ATKINSON.

REDECOUVERTES, REDECOUVRIR… (Syndrome de l'île déserte ?)