ORGAN … (02).
ORGAN … (02).
Nous voici repartis pour une seconde playlist dédiée à l’orgue, qu’il soit
Hammond, Vox, Farfisa ou de quelque autre marque, un orgue, avec certaines
caractéristiques, reste … un orgue.
On peut d’ailleurs assez aisément distinguer parmi les claviéristes ceux qui
usent de leurs divers claviers (pianos, électriques ou non, synthétiseurs,
orgues bien sûr) les musiciens « venus » de l’orgue et ceux
« venus » du piano.
Cela peut sembler intriguant, mais c’est ainsi.
Face à l’orgue on ne « raisonne » pas comme face au piano.
Le piano et donc le pianiste dispose, par exemple, de la pédale qui permet un
sustain, donc une tenue du son. L’orgue n’a strictement pas d’aide ou
d’artifice de ce genre, il faut donc pour lier les notes entre elles user de
notes communes aux accords et quand il s’agit d’une phrase musicale le legato
(ou le percussif selon l’intention) est un jeu digital différent de celui du
piano.
Souvent, également l’organiste use de son instrument comme d’un orchestre en
puissance, l’orgue de l’église possède tant de registres possibles qu’il est en
quelque sorte, un orchestre à lui seul. Le pianiste (prenons par exemple les
œuvres pour piano de Ravel, de Debussy…) compose à partir du piano et orchestre
ensuite et sa musique pianistique même si elle impose de « faire
sonner » orchestral, n’est que suggestion, intention, imaginaire et jeu
d’emprunt (attaques, liés, accords en voicings, etc.).
Nombreux sont les pianistes qui orchestrent avec des claviers, mais ils restent
avant tout des pianistes (Herbie Hancock, Chick Corea, pour les plus célèbres).
Nombreux sont les organistes qui face au piano jouent malgré tout
« orchestral » et qui usent des claviers de cette façon, avec qui
plus est un usage digital empreint au jeu sans pédale de l’instrument (Joe
Zawinul, Jon Lord, Tony Banks)
Et il y a les hybrides, forcément, ceux qui passent d’une fonctionnalité à
l’autre, sans réelle tendance, maitrisant ou plutôt se mettant dans la peau de
tel ou tel langage digital spécifique (Bob James, Keith Emerson, Rick Wakeman –
pour ce dernier tendancieusement plus organiste que pianiste, même si quand il
empoigne le piano il reste incroyable – « Awaken » de l’album
« Going for the One » de Yes en est un brillante démonstration) et
cela suppose des études poussées de l’un ou de l’autre.
Le jeu d’église pour ce qui est des musiciens de blues, de rythm’n’blues, de
pop, de rock est très représentatif d’une culture de l’instrument. Selon
l’éducation instrumentale du musicien (on constate que de nombreux claviéristes
de ces styles de musiques aussi divers que ciblés en générations, ont, enfant
ou adolescent, été accompagnateurs organistes ou pianistes à l’église pour le
répertoire liturgique), le jeu pianistique ou organiste sera forcément
influencé.
Cela est immédiatement audible dans le jeu pianistique d’Elton John, très churchy
et truffé d’emprunts gospel par exemple tout comme cela est immédiat dans le
jeu d’un Jimmy Smith, qui pourtant s’est mis à l’orgue après avoir été de prime
abord pianiste – mais il a injecté dans le digital de l’instrument tout le
patrimoine culturel du jeu soul, gospel et spirituel qui faisait avec le blues,
son creuset musical.
L’orgue liturgique, immense orchestre en soit, offre des possibilités et a au
fil des siècles proposé une littérature musicale qui a suivi son temps. Parfois
les compositeurs étaient restreints, du fait du cadre religieux imposé, évitant
ou s’arrangeant avec certains degrés harmoniques jugés diaboliques, puis une
autre forme de plénitude due à l’évolution de l’écoute, de la création s’est de
toute façon installée et la musique d’orgue liturgique a suivi les mouvements
musicaux et esthétiques de toutes époques.
Il suffit pour s’en rendre compte d’écouter Buxtehude, Orff, Messiaen, Alain
même Liszt sans oublier Saint Saens… la liste est très grande ce au-delà du
grand arbre qui cache l’immense forêt qu’est Jean Sébastien Bach dont l’œuvre
orchestrale est une extension organique quand on y réfléchit plus avant et ce
sans piétiner sur les nombreuses théories théoriciennes des musicologues
« musicophiles » et mathématiciens spécialistes du compositeur.
Avec cette seconde sélection qui va naviguer sans barrières esthétiques, peut-être
y verrons-nous plus clair.
FACE A
01- TERJE RYPDAL : « Rolling Stone » - Album Odissey » -ECM
1975.
Terje Rypdal : guitar, mellotron, soprano saxophone | Torbjorn
Sunde : trombone | Brynjulf Blix : organ | Sveinung Hovensjo –
electric bass | vein Christiansen : drums
Titre qui a mis du temps à être réédité en CD, puis streaming, « Rolling
Stone » figurant sur la face quatre de l’exceptionnel album du guitariste
Terje Rypdal « Odissey » fait partie de ces espaces sonores qui m’ont
fait à la fois adhérer immédiatement à ECM et pencher sérieusement vers ce jazz
européen entre free et rock.
Le magazine Best consacrait une page à ECM, citant cet album tant que ce
guitariste comme une possibilité d’avenir à l’ouverture changeante, rapport aux
usages jazz-rock et prog en vogue à cette époque.
J’en avais trouvé un exemplaire à la médiathèque et immédiatement m’étais
obligé à l’acheter une fois l’avoir quasi usé…
« Odissey » est un immense voyage nordique, d’une froide beauté et
représentatif de musiciens « du cru ». Curieusement et récemment,
Steven Wilson lui-même en parlait sur son compte Instagram, découvrant cet
objet qu’il estimait rare et incroyable par la musique proposée mais aussi sa
présentation « cool » des musiciens semblant être en tournée ou
simplement ayant amené leur matos au studio. Il ne cachait pas sa fascination et
son regret semble-t-il, d’avoir découvert tard cet album.
« Odissey » s’écoute de face en face au gré d’espaces immenses, de
paysages enneigés, glacés, de mythes et légendes d’un passé lointain aux
envahisseurs qui font désormais la une des séries de streaming TV.
Trois faces miraculeuses et le graal.
Ce titre, long, reposant comme le fit Miles sur un riff et une ligne de basse,
obsédante, implacable, indéboulonnable et immuable, sorte de socle autour
duquel tout va s’articuler jusqu’à l’hypnose.
L’orgue de Brynjulf Blix, crépusculaire comme ces journées où la nuit dure des
mois, où parfois le ciel va s’iriser d’aurores boréales, introduit avec moultes
effets guitaristiques (wahwah) embarqués sur l’instrument l’atmosphère générale
du titre. Il tiendra ce rôle entre dissonance, liberté harmonique et tissu
textuel jusqu’au bout, créant ainsi cette atmosphère si particulière, si
exaltante, si inédite. Il n’y a que Miles (encore lui) qui de ses doigts
fatigués usait de tels clusters pour injecter de l’interaction dans son dernier
groupe avant sa longue pause (« Agharta » - « Pangea » -
« Maysha » et l’album « Get up Wit hit »).
Pour déstabiliser l’auditeur, la musique, le groupe et créer un autre équilibre
qu’à l’accoutumée c’est aussi là que j’ai compris que la batterie pouvait être
tout autre que seule fonctionnalité rythmique en forme cadrée, avec Svein
Christiansen - plus connu ensuite sous le nom de Jon Christensen – batteur
complètement atypique, à la conception inédite de l’instrument.
Puis … il y a Terje Rypdal, très souvent comparé à une sorte de Jeff Beck
« nordique » (réécoutons l’album « There and Back »), au
jeu d’un lyrisme grandiose et chantant, développant d’intenses mélodies
improvisées, jouant de possibilités bruitistes de son instrument et cherchant
toujours à l’emmener vers les contrées les plus lointaines de son pays chargé
de légendes.
Au détour de tout cela, le thème de trombone, fort, comme sorti du tréfond d’un
mythe wagnérien, intense, chargé là aussi de lyrisme, de puissance viking
pendant que Terje lisse sous lui une mer de mellotron.
« Rolling Stone » est une évasion, un titre inégalé et une aventure
musicale à lui seul.
Il y a là peut être bien l’essence de ce que sera « l’esprit » ECM,
cette capacité à rendre les choses possibles et leur donner l’extension
potentielle pour créer d’autres champs d’action, d’autres espaces jusqu’alors
inédits et même impensables et jamais pensés…
Il fallait au label des pionniers, Terje Rypdal, Jan Garbarek et autres Bobo
Stenson, Eberhard Weber, Ralph Towner … etc. le furent. Et le free jazz
américain voulant se désolidariser de celui d’Ornette, sans pour autant le nier
mais avec la volonté d’aller voir ailleurs, ou à côté, trouva là aussi terre
d’accueil. Il ne manquait plus qu’un gros coup commercial et ce fut Keith qui
opéra cette réussite avec un « Köln Concert » là aussi, inégalé tant
en concept qu’en performance artistique.
« Odissey » appartient à toute cette nouvelle mouvance et
« Rolling Stone » est sa proue de navire.
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02- YES : « Roundabout » - Album « Fragile » -
Atlantic 1972.
Jon Anderson : vocals | Steve Howe : guitars | Rick Wakeman :
keyboards | Chris Squire : bass | Bill Bruford | drums.
« Fragile » est l’album qui m’a fait passer d’un rock aujourd’hui
présenté hard ou classic au prog.
A ses côtés le « Selling England by The Pound » de Genesis.
On était une petite équipe d’échangeurs d’idées et de disques au cours de
solfège de Mme D. (dont je parle dans #solfège), de fil en aiguilles on monta
notre premier groupe. Deux de ce quatuor devinrent célèbres mais je tairais
leurs noms n’en ayant réellement l’autorisation, je bifurquais vers le jazz
rock et le prog (réalisant tant d’années après que si je les avais suivi…),
quant au quatrième, il reste une image, un souvenir.
On était des ados …
Tout dans ce titre que j’ai mis à l’époque en boucle, ne cessant de faire
revenir le diamant de mon électrophone sur le sillon démarquant les titres, m’a
fasciné.
Mais deux éléments remportaient le dessus.
Le batteur très sommaire que j’étais passa alors des heures à tenter de
reproduire le jeu différent, captivant, déstabilisant de Bruford jusqu’à ce
qu’il devienne vite un héros de mon instrument. Ce jeu sec, nerveux, cette
caisse claire tendue, ces breaks incisifs, ces rythmes en figures décomposées,
ces relances improbables tout ça avec un partenaire électron libre en la personne
de Chris Squire, agissant en prog un peu comme le faisait John Entwistle avec
les Who, Jack Bruce avec Cream, comme une sorte de seconde guitare, pas plus
que ça comme une basse (donc un véritable jeu de « guitare basse »).
Et puis il y a eu Rick Wakeman, pianiste, organiste (avec ce solo d’orgue que
j’ai appris par cœur, pour le jouer du mieux possible), tisseur de toiles
sonores.
Un Jon Lord plus symphonique, plus conceptuel, plus « classique » -
mon pré-Keith Emerson.
Un claviériste épique, grandiloquent, magnétique et charismatique, dessinant
dans le rock des circonvolutions classiques, surchargées de références entre
Brahms, le baroque de Haendel ou bien évidemment Liszt. Un vrai pan de culture
dans lequel se mêle le jazz, le blues et la saturation du rock. Associé à Steve
Howe, aux influences également multiples croisant le classique comme le
flamenco et le jazz pour un langage personnel où tout cela devient rock, ils
faisaient des merveilles (quel guitariste n’a pas tenté l’intro de ce titre avec
ses harmoniques sur la guitare… ?).
Puis la voix haut perchée de Jon Anderson, sorte d’ange à l’idée virginale,
sorte d’Elfe, de druide … qui te faisait passer dans d’autres mondes de
chimères, de mythes et légendes du plus profond d’un celtisme bel et bien
spiritualisé.
Et enfin ce titre à la structure complètement inhabituelle, truffé de petits
passages, de ponts, de changements d’atmosphères, changeant radicalement des
schémas couplet refrain ou des schémas blues avec longues improvisations. Un rock
pensé et écrit, conceptualisé et intellectuellement surprenant construit pour
et avec ce solo d’orgue, immédiat, viril, blues, décisif.
Et je suis devenu accro du prog…
03- TOTO : « With a Little Help From my Friends » - Album
« Absolutely Live » - Columbia 1993.
Steve Lukather : guitars and vocals | Mike Porcaro : bass | David
Paich : keyboards | Simon Phillips : drums | John James, Donna
McDaniels, Jenny Douglas McRae : background vocals | Chris Trujsllo :
percussions.
Moment ultime, moment phare, moment des plus denses de Woodstock, ce titre des
Beatles, cette petite amusette destinée à Ringo, transformée en un hymne gospel
par le grand Joe Cocker qui pousse là le plus rauque – rock de hurlements
chantés a marqué les esprits et particulièrement le mien. Je suis d’ailleurs
allé voir, à l’époque où cela était uniquement possible au cinéma et dans des
lieux culturels, le film de nombreuses fois, quasiment « rien que pour
ça » …
Puis peu ou trop peu d’émules reprenant cette phénoménale énergie libératrice à
leur compte. Joe a retenté moultes fois de retrouver, en live, de réitérer la
magie de cet instant légendaire – un moment unique reste … unique.
Puis un beau jour, non tant fan de Toto que cela, mais toujours intéressé par
ce groupe de pointures, je me procure cet album live et, sans trop m’attarder
réellement sur les titres voici qu’en dernière position apparaissent ces notes
d’orgue si caractéristiques puis ce surpuissant appel de Simon Phillips qui
fait tout décoller.
Alors c’est réapparu, ce moment incroyable, fédérateur, cette énergie puisée au
fin fond du gospel. L’énormissime guitare de Steve et son chant épuisé, la
basse massive de Mike, l’énergie de Simon et le pianiste aux claviers multiples
David.
Ici l’orgue pourrait passer au second plan bien derrière la guitare, le chant
et ces chœurs emboités à la perfection et de premier abord on remarque … le
piano, agressif, véloce, percussif, brillant…
Mais de suite c’est le travail de toile de fond effectué à l’orgue qui m’a
attiré et intéressé.
David fait ronfler la leslie à bon escient, puis il va pousser la saturation de
l’instrument et relâcher les touches avec autant d’énergie positive qu’à
l’enfoncement – du grand art.
Avec des accords également simples si ce n’est basiques il pose finalement, de
son orgue, toute la texture qui fait décoller le titre à ce point ultime –
puis, comme dans tout bon cliché gospel la fin va se dédoubler et il n’y a plus
qu’à l’attendre pour sa coda pianistique de haut vol, où l’accord de la majeur
va se transforme en mineur tendancieusement #9, laissant trainer en nous ces
nappes organique qui même si elles ne sont plus sont malgré tout restées
inscrites comme par magie.
Ce live de Toto est une véritable lave en fusion et, une fois qu’on l’a écouté
et qu’on a été transportés littéralement par cette transe woodstockienne finale
on revoit définitivement sa copie sur le groupe et on pose ses musiciens sur le
podium des géants.
04- JOEY & PAPA JOHN DE FRANCESCO : « Tuxedo Junction » -
Album : « All in The Family » - High Notes Records 1998 ;
Joey & Papa John De Francesco : organs | Houston Person : tenor
sax | melvin Sparks : guitar | Byron Landham : drums
Un hélicon ou un énorme tuba soutient le tout (pas d’indications sur son joueur
mais sachant Joe joueur justement de tout, cela laisse supposer qu’il s’est
amusé à l’affaire)
Cet album, dont j’ai déjà extrait un titre dans une playlist, est certainement
l’un des albums d’orgue jazz mais aussi d’orgue tout court, que je vénère.
C’est le genre d’album qui me fait comprendre que la musique passe par
l’adhésion du corps au son, à la texture de celui-ci et ici tout ce qui me fait
réellement vibrer, hors la seule musique, mais véritablement de façon physique
et organique, est représenté.
La basse qu’elle soit soufflée puis ensuite relayée par le jeu de pédalier
hallucinant est à elle seule l’instant qui me fait cette inexplicable
sensation.
Puis chaque solo peut prendre sa place et on est admiratif.
Puis ce bon et très vieux thème célébré par le Big Band de Glenn Miller avec ce
pont qui crée l’envie va se parer d’un feeling décisif.
Et enfin, ce bonheur d’être en famille, avec les amis, de concert pour ce
projet simple de retrouvailles autour de l’instrument fétiche, cet orgue qui
sous leurs doigts n’en peut plus de ronfler, de crachoter, de gémir, de
gueuler, de franchir allègrement le cap d’orgasmes successifs est éminemment
évident, dépassant sur un support matériel ou virtuel le simple plaisir
musical.
Organique… et intemporel.
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La face A ne contenait que quatre titres.
Des longueurs dira-t-on … le format chanson a été largement dépassé et l’orgue
a pris des directions sonores obligeant soit à des développements, soit à
tisser des toiles où ses sonorités ont fait le son du titre (et du groupe). Ce
rôle de background, souvent négligé à l’écoute mais qui permet d’un coup, si
l’on se prête à l’écouter, de réaliser à quel point l’importance de ce jeu instrumental,
tant que sa maitrise sonore, est la base de bien des équilibres orchestraux.
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FACE B
HLP TRIO : « You’ve Changed » - Album « As Trio HLP »
- All Life 1980.
Jean Luc Ponty : violon | Eddy Louiss : orgue | Daniel Humair :
batterie.
Enregistré au Caméléon, Paris1968.
On ouvre la face B avec ce monument live du jazz made in France.
Ponty a tout juste vingt ans, ses comparses guère plus…
Tout ici est totalement original, inimitable et incroyable.
En 1968, le jazz français récupère comme il le peut, très certainement, les
partitions et standards de jazz américain. Ce « matériau » est très
difficile à trouver édité, on l’imagine fort bien quand on sait la difficulté
qu’il y avait à récupérer en photocopies, sous le manteau, à prix exorbitants,
dans les années 80, le fameux Real Book aujourd’hui d’un accès tellement à
portée de clic…
Ils sont jeunes et jouent le jazz comme personne encore, ils ont tout compris,
tout assimilé et ont, dès la sortie de cet album en 80, bien trop longtemps
après leur concert en 68, forcé mon admiration.
La formule est des plus originales et le représentant violonistique du jazz
était forcément encore Stéphane Grappelli… Eddy Louis a d’ailleurs été l’un de
ses musiciens au gré de nombreuses séances que le célèbre violoniste faisait en
France.
Imaginons…
1968, célèbre pour un soulèvement politique dont la France porte encore les
échos … trois mecs affichant leur identité jazz s’engouffrent dans un
club, reprennent les standards emblématiques de 33 tours de tous poils.
Leur formation … un … violon, un orgue Hammond, une batterie. Strictement rien
de « classique » de commun, d’habituel…
Non, tout est « inédit » de la musique (avec un choix de titres
vraiment pas des plus courants et simples) à la forme et au son.
J’ai épuisé cet album et ai été comblé de joie quand Dreyfus en a sorti deux CD
avec la totale des enregistrements de ces soirées au Caméléon.
Ponty a déjà sa pâte reconnaissable, ce jeu peu legato, fait de sauts
mélodiques, de respirations pour envoyer des phrases qui sont directement
issues du langage bop – il est dans le jeu saxophoniste et nombre de critiques
de ces albums font cette assimilation.
Louis est l’énorme pilier de cet édifice aux ouvertures larges et amples. Le
jeu de sa basse reste un modèle de walking du genre et ses tenues souples et
félines qui tissent le background harmonique sont d’un équilibre parfait.
Daniel (que j’ai eu l’honneur d’avoir comme professeur lors de stages le milieu
dans les années 70) est l’un des batteurs les plus inventifs qui soit et avec
Eddy ils sont absolument fusionnels.
J’ai choisi « You’ve Changed » car au-delà de la version de Billie
dans « Lady in Satin » qui me met systématiquement les larmes aux
yeux, celle-ci me provoque une sensation qui n’est pas loin d’être similaire,
de son intro qui directement prend aux tripes jusqu’à ce plein jeu de tirettes
en fin de parcours après les solo époustouflant de Ponty, mêlant une charge
émotionnelle immédiate avec une virtuosité qui fera forcément de lui, la future
star internationale de l’instrument en jazz.
Ça va être difficile d’enchaîner sans faire un trajet par la case intégralité
des albums…
02- TIMMY THOMAS : « Why Can’t We Live Together » - Album :
« Why Can’t We Live Together » | Glades 1972.
Timmy Thomas : vocals & organ Lowrey.
Je me souviens très bien quand cette chanson est sortie et quand j’y réfléchis
elle a aussi beaucoup contribué à mon rapport avec l’instrument.
La guerre au Viet Nam envahit les médias aux US et les journaux télévisés en
parlent en permanence, annonçant régulièrement le nombre de morts.
L’artiste entre en studio et écrit cette chanson qui deviendra un hymne.
Deux versions, par la suite, célèbres reprendront celle-ci, une de Sade, dans
son premier album, l’autre de Stevie Winwood.
Une chanson enregistrée avec le strict minimum de moyens puisque l’orgue fait
« tout le boulot », basse, accompagnement, boite à rythme et Timmy
chante.
Cela a aussi fait réagir la profession qui par la suite a renforcé les droits
syndicaux des instrumentistes « remplacés » par des machines, une
chanson qui au regard de son succès a généré des profits commerciaux inespérés
- d’autant que très très peu de moyens
étaient mis en jeu…
Cela s’entend d’ailleurs, la version originale a une prise de son des plus
roots (ce qui lui confère une émotion encore plus palpable) et il y a fort à
parier que l’enregistrement a été réalisé en un minima de prises, tant
l’urgence du message semble prendre Timmy à la gorge.
C’est bien entendu cet impact qui a automatiquement fait « réagir »
le public et propulsé le titre au message idéaliste et sur une direction soul
parallèle à celui de Lennon dans son « Imagine » à une place
inattendue de « top » des ventes.
Encore une fois j’ai été bercé par ce 45 tours lors de ces longs week-ends que
je passais chez les amis de mes parents.
Entre eux ils refaisaient le monde avec journaux et actualités en mains et nous
on écoutait Timmy qui le voulait plus beau, plus équitable et sans guerres.
Lui était universel, eux ne dépassaient pas le cadre du repas mal arrosé.
La vie quoi.
Et moi, quand j’entends Timmy je suis encore sous ce choc émotionnel car rien
n’égale cette profondeur ou si peu... et quand je joue Timmy je m’efforce
d’être impliqué, conscient et fort de son message.
03- LED ZEPPELIN : Since I’ve Been Lovin’ You » - Album
« III » - Atlantic 1970.
Robert Plant : vocals | Jimmy Page : guitars | John Paul Jones :
bass & keyboards | John Bonham : drums.
Comment parler d’orgue, avoir placé Jon Lord dans la playlist précédente et
oublier, zapper ce titre d’une si rare intensité ?
Le volume trois de Led Zeppelin a ses adeptes, jusqu’au fanatisme…
Son côté bucolique, de retraite campagnarde dans lequel d’énormes brûlots hard
viennent tout fracasser est un coup de génie.
Mais… tous les albums de Led Zeppelin peuvent être associés à ce terme.
Rares sont les groupes de rock au personnel indéboulonnable, à la perspective
créative et visionnaire, aux équilibres entre acteurs musicaux parfaitement
répartis, aux stars individuelles ne faisant en groupe qu’une seule entité qui
ont poussé le bouchon aussi loin, sur la distance et sans failles.
Ici Plant est totalement habité à un point tellement ultime que c’en est
indéfinissable – mais comment peut-on « croire » à ce point en ce
rôle musical ?
Page va faire monter la sauce tant en phrases (son début flirte avec le
jazz-blues) qu’en sonorité jusqu’au paroxysme saturé.
John Bonham enfonce le temps, le clou, avec des baguettes et un pied proche de
la masse ou du marteau de Thor. Paradoxe rapport à tant de batteurs de hard, il
n’est ni démonstrativement technique, ni réellement bourrin… non Bonham est un
grand et son jeu est merveilleusement nuancé et avec lui tout décolle.
John Paul a saturé sa basse d’orgue, il en joue comme de sa basse… il reste
« sage » et tient tout ce navire qui sans lui partirait à la dérive.
Autour de son jeu tendu, intense, puissant et bluesy John organise son drumming
et cette section rythmique, la plus grande de l’histoire du rock démontre là
encore son immensité.
Une section rythmique telle que celle-ci a permis à Robert et Jimmy de se
propulser vers les cieux les plus inimaginables possibles : 2 + 2 faisant
la magie du Zep, en live, en studio, en créativité, en vision…
Zep reste pour moi, le plus grand groupe rock de tous les temps.
04- DONALD FAGEN : « Walk Between Raindrops » - Album « The
Nightfly » - Warner 1982.
Donald Fagen : vocals, electric piano, synthesizers, organ | Larry
Carlton : guitar | Greg Phillinganes : bass synthesizer | Will
Lee : bass | Steve Jordan : drums | Leslie Miller & Donald
Fagen : backing vocals.
Après cette surcharge d’émotion passons à une certaine forme de légèreté entre
doo wop, rock’n’roll, jive, jump jazz.
Donald Fagen fait une pause solo de Steely Dan – il a raison.
Et il pose là un album essentiel, obligatoire et incontournable de ces eithties
– le genre de truc indémodable, référent, légendaire et jamais imité, si ce
n’est par lui-même par la suite ou par Steely Dan également par la suite.
« The Nightfly » est l’un des plus grands albums de rock dit Calif’,
une somme du genre et un îlot qui permet de s’y poser.
« Walk Between Raindrops » peut avoir tant et tant de degrés
d’écoutes…
Bien sûr l’orgue y est majoritaire mais il faut remarquer le formidable travail
des claviers en multicouches… Un piano électrique qui double la basse et fait
des relances saturées, des synthés qui se prennent pour des cuivres, des vibes
et marimbas qui éclairent le tout sur des interventions jazzy comme sorties du
club où Milt Jackson a passé la soirée …
Phillinganes qui renforce le son de la basse.
L’orgue qui envoie un solo pur jus puisant dans le langage véritable de
l’instrument.
Fagen est un véritable génie, un type à la culture musicale américaine d’une
dimension à 180°.
Dans un titre comme celui-ci chaque élément musical s’associe à un rappel de
cette culture, comme une recette de cuisine utilisant des ingrédients éloignés
mais qui sait les associer pour la plus grande des saveurs gustatives.
Et puis il y a Larry, ce guitariste fétiche des sessions de Steely Dan,
débauché ici pour intervenir, faire la pompe, balancer quelques petits
contre-chants, bref, le boulot qu’il abat semble là aussi encyclopédique de
savoir-faire. Il n’y a qu’à écouter son travail admirable pendant le solo de
Donald…
Album indispensable.
Titre fun à un point ultime de plaisir et de bonne humeur porté par un shuffle
à la « Just a Gigolo », bien plus classieux que celui de David Lee
Roth en Carlos américain.
Comme le fut « Singing in The Rain ».
On est trempés, mais qu’est-ce qu’on s’amuse…
05- BOB MARLEY AND THE WAILLERS : « Waiting in Vain » - Album
« Exodus » - Tuff Gong-Island 1977.
Bob Marley : vocals, guitars, percussions | I Threes : backing vocals
| Aston Barrett : bass, guitar, percussions | Carlton Barrett :
drums, percussions | Junior Marvin : guitar solo | Tyrone Downie :
keyboards | Alvin Seeco Patterson : percussions.
Marley … certainement au-delà de toute considération l’un des concerts auquel
j’ai assisté qui m’aura définitivement et le plus marqué.
En 1977, alors qu’on est gavés par les épisodes de Best « ainsi parlait
Marley », qui visent certainement à augmenter sa popularité, lui qui n’a
nul besoin d’un tel support médiatique, sort « Exodus ».
L’album sera mis sur K7 et m’accompagnera partout, sorte d’objet mis sur une
Agfa à la couleur orange retentissante indissociable des vacances, voyages,
week-ends forcément enfumés, soirées entre potes… la liste est bien longue et
cette K7 a beaucoup circulé mais n’a jamais été oubliée dans un quelconque
appareil de lecture.
Dès le « Natural Mystic », vas-t-en savoir, cette musique, cette voix
, ce message a le don de s’imprimer dans ta tête, ton corps, ton mental.
La basse énorme pour l’époque te fait vibrer immédiatement, le jeu systématique
en contre temps enchevêtrés insuffle une pulse inévitable, hypnotique et très
vite, ta vie va prendre une tournure reggae…
Et dans cet entrelac de rythmiques up, il y a ces claviers, encore plus
rapidement à contre tout, qui créent cette densité rythmique inexorable, en
double croches qui s’articulent à deux claviers (en général orgue et clavinet)
et pour ça, Tyrone est le maestro en la matière.
Parfait exemple de ce jeu « Waiting in Vain » tisse sa toile
indestructible par et autour de ce jeu.
La mélodie d’orgue s’imprime comme le titre d’un livre en gros caractères, puis
les rythmes claviers vont rebondir, sautiller gaiement et avec une métrique
parfaite de bout en bout.
Un exemple archétype de la fonctionnalité des claviers en reggae qui m’a
énormément servi en pédagogie afin de faire réaliser que pour jouer cette
musique il ne suffit pas de faire des demi-soupirs, croche à la guitare de
façon abrutissante et schématique…
Non, le reggae, c’est… bien autre chose…
« Je ne veux pas attendre en vain ton amour »…
06- MACEO PARKER : « Every Saturday Night » - Album :
« Southern Exposure » - Minor Music 1993.
Maceo Parker : alto saxophone, vocals | Pee Wee Ellis : tenor
saxophone | Fred Wesley : trombone | Rodney Jones : guitar | Will
Boulware : Hammond B3 Organ | Bill Stewart : drums.
Quand on a découvert Macéo avec mon ami trompettiste il était très difficile de
se procurer ses albums. J’avais chargé une de mes amies qui était souvent à
Paris pour affaires de m’en trouver tant que possible et elle est revenue avec
le célèbre live et celui-ci.
On s’est aussitôt empressés de transcrire ça et d’en user pour notre trio
acid-jazz.
Ce titre a été l’un des premiers que l’on jouait. Mon orgue était numérique via
un synthé Roland, la boite à rythme programmée afin de capter ce groove
inimitable et j’ai fait un gros travail de main gauche (qui m’est resté en
réflexes quand je joue ce type de musique ce même aux pianos qu’ils soient
électriques ou acoustique) afin de mettre ce feeling rond et circulatoire en
évidence.
J’avais repiqué les cuivres, manquait juste le trombone pour le côté rugueux et
la trompette a pris la place de l’alto.
On a beaucoup joué ce titre et à chaque fois, généralement dans les prestations
type apéros, vins d’honneurs, cocktail … il remportait le même succès et les
gens qui dansaient ou oscillaient
instantanément venaient nous demander de « qui c’était ».
J’ai été assister à plusieurs concerts de Maceo Parker.
A chaque fois, le même plaisir immédiat, la plongée dans cette sensation
rythmique hypnotisante qui, même si elle ne date pas d’hier puisque directement
sortie des avancées enracinées du défunt James Brown, ratisse tout sur son
passage.
Dans « Every Saturday Night » c’est Will Boulware qui tient l’orgue
de façon absolument phénoménale, avec un sens funky inimitable. Sa ligne de
basse est juste remarquable, sa main droite intervient et la complète avec des
petites pointes parfaitement emboitées, bref, un modèle du genre, là encore.
Macéo rappe, rauque, interjette à la J.B – il a été à bonne école.
Cette fois il provoque Pee Wee qui balance un solo bluesy chargé de bonnes
vibes.
La section de cuivres est d’une écriture d’une rare efficacité et l’association
de la ligne de basse (encore elle, mais décidément j’ai du mal à en décrocher)
avec le jeu hyper droit et efficace de Bill Stewart, pendant que Rodney fait
joujou la wahwah est tout ce que le funk le plus roots peut nous offrir de son
meilleur jus.
Ce titre, cet album…
une fois engagé(s) dans la platine le mode replay peut se faire la journée
entière…
07- SERGE GAINSBOURG – JANE BIRKIN : « Je t’aime moi non plus »
- Album Jane Birkin, Serge Gainsbourg – Fontana 1969.
1969, année érotique nous a asséné l’immense Serge, provocateur ultime avec une
muse qui suscitait l’admiration tant que de nombreux fantasmes.
La France est choquée, eux se marrent et encaissent … sous cet érotisme non
voilé et directement exprimé … les droits d’auteurs…
Mais au fait, au-delà des gémissements à peine simulés de Jane et des
élucubrations poétiques de Serge qui n’en peut plus qu’en est-il du
reste… ?
A quoi cela tient-il ?
Mais à cette partie d’orgue qui prend le relai mélodique de ce que Serge va
progressivement mettre en place, à savoir un jeu permanent entre le talking et
le chanté, la partie instrumentale servant de trait continu et impliquant en
l’auditeur cette douce mélodie qui de fait, et miraculeusement car elle est
inscrite de façon instrumentale, ne va plus la quitter en
mémoire.
Coup de génie d’arrangeur, ces cordes qui circulent en contre chants qui eux
aussi finissent par entrer dans la mémoire collective, faisant totalement
partie de la chanson, impossibles à sortir du jeu et cette récupération des
beats sixties londoniens, plus pop que rock, aux guitares contre temps clean et
acoustique sortie du folk, à la basse médiator en jeu de guitare basse et à la
batterie dont le rythme semble être devenu en ces temps un incontournable que
tout à chacun doit absolument savoir maitriser.
Serge avait, comme toujours, tout compris et on le sait, il a provoqué, changé,
fait évoluer la musique populaire en France.
Un art mineur disait-il en provoquant également Guy Béart qui, du haut de ses
chansonnettes à l’eau de rose, voulait – et c’était perdu d’avance – lui
démontrer que, lui aussi était un artiste créateur…
Comparaisons inutiles…
Il suffira d’écouter en boucle et de s’amouracher de Jane, d’envier Serge et de
se laisser emporter par cet orgue simple, mélodique, doucereux et féminin, pour
avoir la certitude de la grandeur créatrice de Serge.
Ce, cette fois, sans équivoque…
08- RICKY PETERSON : « Night Train » - Album : Tribut to
Jimmy Smith » - Jazz Village-Harmonia Mundy 2017.
Ricky peterson : organ | Nicolas Folmer : trumpet | Kelyn
Crapp : guitar | Herlin Riley : drums.
Jimmy Smith/Ricky Peterson, filiation, obligation, ultime sensation organique…
On termine cette K7 et cette seconde face avec eux.
« Night Train », qui figurait sur l’album en duo que firent Jimmy et
Wes est ici repris, logique pour un hommage à Jimmy…
On y appréciera le solo particulièrement sensible tant que bourré de feeling
blues de notre star nationale de la trompette qu’est Nicolas Folmer. Nicolas
que j’ai eu la chance et l’honneur de côtoyer il y a longtemps.
Il était très jeune et j’étais bien plus jeune.
Et il était époustouflant…
Il l’est resté.
J’en profite pour le saluer ici.
Le solo de Ricky s’ouvre avec le trop rare jeu à la sonorité gospel-churchy qui
frise dans les aigus, toutes tirettes dehors et qui abonde de rotary.
Tout le monde tape son after beat, c’est festif et obligatoire quand on veut,
comme ici, mettre l’orgue en valeur.
Ces gars-là sont des « vrais » - ne croyons pas qu’il n’en existe
plus… non ce n’est pas une catégorie en voie de disparition que ces musiciens
engagés, ultimes, croyants et qui ont les vraies valeurs de la musique et du
professionnalisme.
Les croiser comme les écouter c’est juste… grandir et il n’y a pas d’âge pour
ce faire.
Remercions les sincèrement d’exister, d’être là et de continuer ce fil
essentiel de la musique « réelle ».
---
Ainsi se termine cette seconde K7 dédiés à l’orgue sous toutes ses tirettes.
profitez en bien et n’oubliez pas que ça s’écoute fort et en plus si vous avez
un caisson de basse alors montez le un peu en fréquences, la maison va vibrer
et… vous avec.
à bientôt…
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