EVASIONS CLASSIQUES (02) … ROBERT OBOUSSIER « Works ».
EVASIONS CLASSIQUES (02) … ROBERT OBOUSSIER « Works ».
Robert Oboussier est un compositeur suisse.
Il est né le 09 juillet 1900 à Anvers et il a été assassiné à Zurich le 09 juin
1957, par une prostituée âgée de 18 ans.
Il a été compositeur, chef d’orchestre mais également critique musical pour de
nombreuses revues spécialisées ainsi que conférencier.
Installé en 1939 à Zurich il deviendra conseiller municipal puis directeur des
archives centrales de la musique suisse qui seront fondées en 1942, enfin, il
siègera au comité directeur de l’association suisse des musiciens.
Toute sa vie, Robert Oboussier a tenté de dissimuler ses inclinaisons
homosexuelles.
Son assassinat a contribué à des mesures répressives envers l’organisation
« Der Kreis » (« Le Cercle »), qui était un magazine
trilingue représentatif de ce mouvement homosexuel.
Un magazine très réputé, dont le rédacteur en chef était l’acteur de cabaret et
de théâtre Karl Meier.
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On imagine, sur ces quelques bases de carrière musicale biographiques, que le
compositeur possédait non seulement une connaissance culturelle autant qu’un savoir-faire
orchestral solides qui lui ont permis d’échafauder un langage se détachant
progressivement du romantisme pour aller chercher vers le dodécaphonisme.
Une évolution somme toute logique en cette première moitié du XXe siècle,
marquée, ne l’oublions pas, par deux guerres encore présentes dans les
mémoires, par le nazisme et le fascisme, particulièrement au centre d’une
actualité qui ne cesse de ressurgir de façon récurrente et par un entre-deux
guerres aux ouvertures artistiques et créatrices sans égal.
La Suisse, neutre … qui le reste et restera peut être – un pays qui semble
particulier, aux modes politiques et sociaux que je connais bien, (ma
belle-famille est suisse).
C’est un pays où l’artistique a une grande place, où l’enseignement artistique
est très réputé (le conservatoire de Genève par exemple) et où la vie
culturelle est particulièrement dense – mais cela ne dépasse que peu, ses
frontières.
Aussi, rien d’étonnant à ce que ce compositeur, socialement déviant par ses
penchants naturels dans un pays où la normalité sociale fait légion, même s’il
a œuvré pour le patrimoine musical suisse, ne réapparaisse que… maintenant.
Tout évolue et les pays semblant même les plus immuables, à l’image que l’on
veut bien, de l’extérieur, leur attribuer avancent, eux aussi, avec une société
en mutation rapide, radicale et constante.
Le label : « Musiques Suisses » s’emploie en première (ces
œuvres n’ont jamais été enregistrées) à réparer quelque part l’oubli de ce
compositeur représentatif et actif du patrimoine culturel (et politique) du
pays.
Sous l’intitulé « Works », nous allons, au fil de pièces généralement
chambristes et souvent intimistes, solistes, parcourir une part de ce que l’on
va très vite supposer être tant conséquente que captivante (un opéra,
« Amphytrion », nombres d’œuvres vocales, etc.).
Sans parler de ses écrits dont un ouvrage consacré aux symphonies de Beethoven
qui fait encore référence aujourd’hui chez les spécialistes musicologues.
Dans ce kaléidoscope présentant une partie de sa musique, nous pourrons
apprécier l’évolution du compositeur vers des langages de plus en plus, non
expérimentaux, car il apparait nettement que son savoir dépasse d’emblée les
essais, esquisses et autres tentatives pour aller vers la modernité – mais en
correspondance avec son temps.
Interprétées avec une conscience de la mise en découverte par des talents qui
se mettent au service de cette volonté, chaque moment musical est ici un
témoignage solide attestant que cette musique doit, là aussi, dépasser le stade
du confidentiel, de la curiosité patrimoniale, pour voguer vers des horizons
plus universels.
Des Sonates, des Sonatines, des Pavanes, des Fantaisies, des
« Entrées » et quelques modernes « Abréviations »,
minimales, instantanées, passionnantes.
De la forme « classique » à un redimensionnement moderne, de
l’histoire et du patrimoine à un nouvel imaginaire – c’est ainsi que se
présente ce parcours musical et initiatique de la musique de Robert Oboussier.
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« Entrata » caresse et avoisine subtilement un certain Kurt Weill.
L’association orchestrale cordes et trompette marque d’emblée par une
originalité certaine. Une pièce brève où se mélangent, se superposent et se
croisent les tonalités – pas atonale, juste multi-tonale, comme si l’on avait
oublié de transposer la trompette pour l’accorder avec l’ut des cordes.
Pas si étrange que cela, mais pas franchement familier non plus.
Parfait pour une entrée et celle-ci se fait, solennellement, en brillance
cuivrée, par la grande porte, grand ouverte.
« Introitus » est beaucoup plus intense et dramatique, alternant
consonance et dissonance, masses graves et stridences aigues. Une partition
exigeante, agissant comme ces grandes fresques écrites, de tout temps, pour
ensembles de cordes. Dès cette seconde œuvre il est désormais possible, en
l’espace de ces quelques minutes d’intrigue musicale, d’avoir une
« idée » du chemin qu’il va nous falloir parcourir pour réellement
s’initier à Robert Oboussier, à sa vision musicale qui se déploie vers un
horizon contemporain tout en se maintenant sur de solides poncifs post
romantiques.
Bernard Herrmann aurait adoré ces contrastes saisissants et aurait d’avantage
renforcé, de ces trouvailles insistantes et incisives de jeu instrumental, ses
angoisses cinématographiques.
Superbe, soutenu, quasi dramatique et perturbé, tant que difficile.
« Sonatina Op2 pour deux violons et piano » débute sur un calme
relatif qui va très vite là encore se prêter au jeu des contrastes, de phrasé,
de technique instrumentale, de tessitures et de profondeur sentimentale.
L’évolution de la pièce déstructure l’idée formelle et réagit de façon
expressionniste, agissant par vague de sensations, par flots d’émotions que les
notes ne peuvent réellement contenir.
Entre une harmonie se désirant stable et des entrelacs mélodiques divers qui
permettent un jeu ouvert entre les deux violons, double solistes, égaux,
faisant corps, l’écoute se laisse envahir par cette multiplicité sensationnelle
et complexe.
Le final de la pièce, paisible, réunit les directions qui avaient peut être
bien souhaité s’opposer.
« Fantaisie », pour piano seul a été composée en 1948.
C’est une longue pièce, technique comme le veut la tradition de la fantaisie
qui va déployer un thème ou une atmosphère, dans tous les états que le
compositeur et son âme estiment possibles.
L’œuvre possède de nombreux angles retords, techniquement parlant, et là encore
elle va évoluer par des cheminements particuliers, développant des suites
d’accords absolument inédites, aux enchainements seulement probables par cette
seule musique, lançant des contrepoints couvrant un piano dans son intégralité,
jouant sur des écarts tant de nuances que de dimension sonore qui auront
demandé à l’interprète un véritable travail tant de mise en situation musicale
que d’analyse pour faire « passer » le message initial du compositeur
qui se cache dans ce conglomérat d’intentions pianistiques.
Nous avançons dans ce parcours initiatique de Robert Oboussier et l’intrigue se
mêle à la passionnante sensation qu’est la découverte, la surprise, la
curiosité d’en savoir plus, d’aller plus loin, tant que possible.
Une pièce qui pourrait ou devrait très vite s’inscrire dans les programmes de
ces grands(e)s pianistes en manque d’originalité pour leurs concerts ou futurs
albums.
En 1948 également, Robert Oboussier a composé cette « Pavane et
Gaillarde », pour flûte et piano.
Comme il semblerait coutume, le compositeur ouvre en toute douceur, installe
l’auditeur et installe également l’interprète (les interprètes). La flûte est
un excellent prétexte instrumental pour imaginer quelques méandres mélodiques,
quelques traits véloces et là encore circulant allègrement sur toute la
panoplie de tessiture du délicat instrument. Le dialogue entre les deux
instruments va progressivement réellement s’installer, le piano prenant petit à
petit le pas sur son rôle de simple accompagnateur pour provoquer, insister et
finalement prendre réellement part à un dialogue qui va le placer essentiel, à
fonctionnalités égales.
Une réelle poésie se détache de cette pièce aux facettes changeantes, pleine de
surprenantes divergences.
La « Sonata Brevis », pour violon et piano a été composée en 1923 et
maintenant que l’on a pu apprécier et écouter les pièces de dialogues précédentes
(ce, même à l’intérieur de ses trios), le schéma du jeu de couleurs et la
palette du compositeur semble être entrée dans notre mental.
Là encore le jeu par vagues et flots de sentiments captive et attise
l’attention, cette musique avançant sans cesse dans des directions différentes,
prenant les chemins les plus inattendus possibles et jouant sur notre surprise
permanente.
Les jeu des rôles est un chat-souris incessant, l’un avec l’autre, l’un contre
l’autre, l’un et l’autre mais jamais l’un sans l’autre, ou si seulement cela
est fugacement évoqué, très vite rattrapé par l’autre.
Chez Robert Oboussier, rien n’est simple, la complexité est de mise, qu’elle
soit d’écriture, de technique, de gestion instrumentale, d’enchevêtrement
d’idées, de mise en relief, de « suivi » - mais cette difficulté
s’estompe très vite au profit d’un état d’attention permanent, d’une curiosité
de chaque instant.
Vingt Cinq « Abréviations », pour piano seul, composées en 1938 vont
clore ce parcours.
Chacune de ces abréviations est, de fait, très courte, instantanée, aucune ne
dépassant la minute.
Quand je regarde le timing de ces pièces, je sais par avance la difficulté que
cela , en tant qu’interprète, représente.
Dire, exprimer, faire comprendre en une poignée de secondes, une vie musicale
fugace, immédiate et voulue telle. Quelques notes, quelques traits épars,
quelques accords et voilà, avec ce matériau il faut être Haïku, dire avec un
temps réduit au minimum, le maximum.
D’autres avant Robert Oboussier se sont prêtés à l’exercice, ce même Schumann.
A chaque fois, cela demande à l’exécutant une intense concentration
émotionnelle pour faire surgir ce qui semble dans ces quelques secondes,
essentiel et surtout essentiel au niveau sensibilité.
Grzegorz Fleszar qui a accompagné, au piano tout l’album de la découverte et participé
ainsi à la primeur d’enregistrement de ces œuvres superbes joue ce rôle à la
perfection.
Il en aura été de même avec Eva Maddalena Flesar, certainement son épouse, au
violon, Aurora Pajon Fernandez, à la flûte, Tomas Bachli, au piano pour la
fantaisie, Flurina Sarott, au second violon, Christoph Luchsinger à la
brillante trompette initiale et à la direction des ensembles cordes, Zoi
Tsokanou.
En conclusion, Christian Wernicke aura arrangé quelques-unes de ces
abréviations pour ensemble à plectres, entendons là, médiators. L’atmosphère y
est étrange, l’intrigue de ces miniatures garde de son charme initial et le
choix de l’orchestration et du jeu intéresse.
Mais, personnellement je préfère « classer » ces pièces ajoutées,
« à part », puisqu’il s’agit d’adaptations et non d’écritures
originales. Ce qui n’ôte en rien la qualité de ces titres.
Robert Oboussier, un compositeur qui, là encore, sera bientôt redécouvert, si
ce n’est, au regard de la rareté d’enregistrement possiblement existants de ses
œuvres, découvert.
La Suisse a ouvert sa bibliothèque d’archives musicales et met en avant ses
compositeurs.
Il était temps.
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