SI VOUS AIMEZ LE JAZZ… (09)
SI VOUS AIMEZ LE JAZZ… (09)
Finalement, on se prend aisément au jeu des playlist…
Le format K7 habituel.
Face A
01 – KEITH JARRETT – CHARLIE HADEN : « Round Midnight » - Album
« Last Dance » - ECM 2014.
Keith Jarrett : piano / Charlie Haden : contrebasse.
Quand Keith s’attaque à n’importe quel standard de jazz, il en transforme
l’allure, la qualité, les contours et le sublime de ses improvisations,
véritables inventions jazzistiques.
Enième version de « Round Midnight », le tempo est plus enlevé qu’à
l’accoutumée pour cette ballade qui célèbre l’éternel et inclassable Monk.
Keith et Charlie se sont retrouvés, chez le premier, dans son petit espace
musical en forme de studio et ils ont partagé le bonheur du jazz et l’amitié
qui les lie depuis tant de lustres que ceux-ci ne s’en souviennent même plus.
Ces moments magiques ont été enregistrés pour notre plus grande joie et surtout
ils sont sortis en albums aussi précieux qu’une de ces bonnes bouteilles qu’on
se réserve le jour où …
Keith chante en jouant, moins débridé qu’en ces sessions live où lors de
concerts ou festivals il est capté. Là l’intimisme amical a pris le pouvoir et
il distille sa verve créatrice avec plus de parcimonie, moins jubilatoire qu’en
public, plus retenu et « profond ».
Charlie Haden, à la sonorité toujours mate, feutrée, presque sèche, en tout cas
délibérément acoustique au sens le plus large du terme adoucit ce jeu
duettiste. Il colle au son du piano Steinway de Keith. Pas l’un de ces modèles
outrageux qu’il a coutume de faire ployer sous son joug, sur des scènes
prestigieuses, non, juste son piano, celui qui trône là, chez lui et pour
lequel on le sait bien il a une affection toute particulière.
Alors avec ce titre monkien, l’on entre dans la chambre, dans la pièce
« réservée » du grand Keith, on inspire afin de prendre un peu de la
sonorité qui est de ce fait, spécifique à son « chez lui ».
Il nous invite chez lui.
Ils sont vraiment sympas ces deux-là de, finalement, nous faire partager leur
amitié et la vie musicale qui les unit, autour, pas seulement de minuit mais
d’albums véritablement attachants, vibrants, sensibles et passionnants.
Le jazz ici n’est que prétexte.
Il sert de fil conducteur, de tronc commun, de sujet … à cette discussion de
notes, de traits lyriques, de mélodies sous-jacentes qui surgissent au gré de
l’avancée du propos, d’accords à l’agencement tant simple que mesuré.
Ici c’est bien du jazz, mais l’on dépasse le jazz.
02 – STANLEY JORDAN : « Freddie Freeloader » - Album Magic
Touch » - Blue Note 1985.
Stanley Jordan : guitare / Charnett Moffett : contrebasse / Peter
Erskine : batterie.
Avec son jeu guitaristique en tapping (même technique que Eddie Van Halen),
Stanley Jordan a « inventé » ou du moins amené un mode de jeu dû à
une technique particulière, complexe et habile … et il l’a transporté dans le
jazz.
L’habileté et l’innovation purement instrumentales ne font pas l’inventivité et
la créativité.
Peu l’auront suivi sur ce critère et il reste un cas unique, donc intéressant à
bien des égards.
C’est un jeu pianistique sur guitare.
Je l’ai admiré en concert solo et il est vrai que c’était plutôt époustouflant,
un performer à l’égal d’un certain Bobby McFerrin lui, vocaliste solo.
Sur son premier album chez Blue Note, au passage, entre ses pièces solo assez
démonstratives de son savoir-faire, il revisite à cette manière quelques
standards de la pop, montrant déjà un esprit d’ouverture générationnel jeune
envers toute la musique et puis, entouré de deux pointures il va reprendre le
célèbre thème de Miles, issu de « Kind of Blue ».
En ce cas précis, ce n’est finalement pas tant que cela le guitariste qui
m’enthousiasme, même si son jeu est subtil, perlé (chose rare due au tapping),
fin et délicat, non : c’est Peter Erskine qui m’embarque totalement.
Son jeu au fil du titre est absolument renversant d’écoute, de relance, de
subtilité, de maitrise sonore, d’inventivité qu’il soit en background sous le
magnifique solo de Moffett, qu’il booste Stanley ou qu’il prenne la parole dans
ce 4-4 absolument obligatoire à connaitre pour tout batteur se voulant… de
jazz…
Du très grand art Mr Erskine !
03 – MANHATTAN TRANSFER : « That’s Killer Joe » - Album
« Vocalese » - Atlantic 1985.
The Manhattan Transfer : Cheryl Bentyne, Tim Hauser, Alan Paul, Janis
Siegel.
Casey Young : programmation des synthétiseurs / Yaron
Gershovsky : synthétiseurs / Wayne
Johnson : guitares / John
Robinson : batterie.
Ce qui me fait toujours marrer dans le terme fourre-tout d’électro, avec en
plus aujourd’hui cette mode pour les vieux synthés dits vintage (comme les
fringues d’ailleurs – y’aura un jour un Vinted pour synthés qui sait ?),
c’est qu’on oublie que le jazz (et ses artistes) a (ont) lui aussi suivi
l’évolution technologique … et parfois avec des audaces bien plus radicales que
certains effets pouet pouet, ou nappes aussi lisses que dénuées d’imagination
émergeant dans nombre de productions estampillées telles qui sortent
actuellement.
Un tel titre, qui fit l’objet, forcément et on s’en doute, de nombreuses
critiques de vieux snobs rive gauche jazz, de revues effleurant l’audace, etc.
me fait remettre certaines pendules à certaines heures.
Ici Cubase, la synthèse FM (très en vogue dans ces eighties), le
« robotique » viennent inonder la sphère sonique et même si le
célèbre quatuor vocal ne s’écarte pas de son critère de base (à savoir mettre
des paroles sur des solos historiques en les chantant musicalement et
mélodiquement texto), ce « Killer Joe » blindé de vocoders est une
pure merveille électronique.
Du « vieux » qui s’insère dans du très neuf, on garde le corps, on
change le look et d’un coup, la vision de l’objet, de la personne, du titre
change radicalement et l’on crie soit au scandale, préférant toujours la
référence originelle, soit au génie, rarement à l’entre deux.
Il est des choix qui imposent de se positionner clairement, pas en centriste.
J’ai choisi cette version de « Killer Joe », non parmi tant d’autres,
mais justement parce qu’elle n’a strictement rien à voir avec les autres et qu’elle
restera unique en son concept et genre.
Et rien que pour ça !...
04 – STAN GETZ/CHARLIE BYRD : « Samba De uma Nota So » - Album
« Jaz Samba » - Verve 1962
Stan Getz : tenor sax / Charlie Byrd : guitar / Bill
Reichenbach : percussion / buddy Deppeschmidt : drums / Keter
Betts : doublebass.
Avant que l’album le plus connu de la collaboration Getz/Gilberto estampille
définitivement cette nouvelle vague, venue du Brésil, qui va très vite inonder
la planète sous le nom de bossa nova, les musiciens de jazz en tournée,
généralement à Rio, avaient décelé là ce quelque chose qui les feraient fuir
vers des contrées plus ensoleillées que le blues séculaire ou que les seules
lumières du « great american songbook » sorti des planches de
Broadway et de la culture cinématographique.
Cet album, dont j’ai extrait ce titre en coup de génie qui décline la richesse
harmonique du style à partir d’une seule note, avec, il est vrai, une partie B
fluide et véloce – idéale pour le jeu du grand Stan – en est la preuve bien
réelle.
Cette fusion devait se faire, devait être.
Ici l’on est encore dans une approximation pas encore schématisée, plus
enracinée dans l’authenticité transportée vers le jazz. Et c’est d’ailleurs ce
qui captive dans cette version tropicale, à la lisière de la jungle sauvage et
de la plage pour touriste et beautés en bikini sirotant leur cocktail.
Batterie et percussions hyper minimalistes, contrebasse réduite à sa plus
simple expression, guitare ensorcelante et Stan, absolument félin.
05 – HERBIE HANCOCK / JONI MITCHELL : « The Man I Love » - Album
« Gershwin’s World » - Verve 1998.
Herbie Hancock : piano / Joni Mitchell : vocals / Wayne
Shgorter : tenor saxophone / Ira Coleman : bass / Terry Lyne
Carrington : drums.
Un album essentiel dans la volumineuse discographie de Herbie, qui ratisse
tout, absolument tous les styles… quant on y réfléchit, Herbie, c’est une
véritable encyclopédie qualitative de la musique afro-américaine et pas
uniquement du jazz, auquel, pourtant il se réfère en permanence.
Joni et lui se connaissent depuis fort longtemps, une amitié soutenue par un
immense respect mutuel les unit. Il lui a même dédié un album (« The Joni
Letters »), c’est dire.
Joni a toujours aimé chanter avec un flirt très séducteur envers lui, le jazz.
Elle lui a progressivement après sa carrière folk, puis en parallèle pour enfin
travailler avec les jazzmen de la jeune génération les plus connus (Metheny,
Pastorius, Mays, Alias, Brecker, Tom Scott, Larry Klein etc…) fait place dans sa musique, puis avec
l’album Mingus elle a franchi un cap et d’allers, en retours récurrents elle
est devenue une interprète incontournable … finalement … du jazz.
Cette version de ce titre absolument merveilleux de Gershwin en est une preuve
tangible et d’ailleurs si l’on ne sait que c’est elle, on cherche qui, quelle
voix ?...
Quelle chanteuse … de jazz ?
Les musiciens qui l’accompagnent sont forcément aux petits oignons pour son
propos, Wayne apporte sa touche unique et essentielle, Terry Lyne va
littéralement posséder le beat avec aucun excès, tout en finesse mais avec une
tenue qui permet à Ira la rondeur et l’expression pour coller à Herbie.
Bref, ils savent faire et ce savent ce qu’ils font – et nous, on ne peut que le
constater et rester admiratifs.
06 – JOE HENDERSON : « What’s New » - Album « Mirror,
Mirror » - MPS 1980.
Joe Henderson : tenor saxophone / Chick Corea : piano / Ron
Carter : bass / Billy Higgins : drums.
Parmi les grands du ténor sortis de la fougue hard bop et du sceau Blue Note,
il y a Joe Henderson. Succès entre respect, reconnaissance, estime et juste en
dessous d’une starification que pourtant il mérite largement ce, autant qu’un
Dexter, un Trane, un Rollins.
En 1980 l’ère du jazz a été passée à la moulinette du jazz rock et une nouvelle
ère plus médiatique, à la mode, va le faire bientôt revivre, comme une
attitude, comme un état, comme un « genre ».
Joe n’a que faire de tout cela, il a
continué son bonhomme de chemin, a bossé avec Chick, régulièrement, a été
invité, a cherché un chemin horizontal en trio avec juste une basse et une
batterie, pas de repères harmoniques…
Il a essayé, expérimenté, osé, il a juste… continué.
Il se regarde dans le miroir et se demande…
Doute-t-il ?...
Hmm… un véritable artiste a toujours ce doute en lui.
C’est « génétique ».
Il réunit une génération qui n’est plus considérée jeune, ils se prennent
quelques bons vieux standards (pas forcément des plus connus, d’ailleurs) et
sur la douceur des balais et cymbales de Billy, sur la volupté de Ron et avec
la facétie aisée de Chick ils les actualisent, « à leur sauce ».
Et comme ils sont d’excellents cuisiniers, forcément, ça prend.
« What’s New » …
Joe circule en tous sens et va faire friser son sax vers des aigus possibles,
mais rarement usités.
Chick interfère en mode aléatoire pour enfin prendre un solo des plus serrés,
c’est son style.
Et alors Bill et Ron vont profiter de cet écart pour enfoncer le clou.
Ce sera court ( 4 mn en jazz, c’est – surtout avec eux – une exception) mais il
n’est parfois nul besoin d’en rajouter, en temps comme en notes, pour aller à
l’essentiel.
07 – CHICK COREA : « Think of One » - Album « Trio
Music » - ECM 1981.
Chick Corea : piano / Miroslav Vitous : doublebass / Roy
Haynes : drums.
On reste avec Chick qui, comme bien souvent, va nous ravir en puisant dans le
répertoire de Monk. Il le connait par cœur, il l’a assimilé et il est un des
rares qui a su également se l’approprier, réellement.
Rare aussi, Miroslav qui va improviser à l’archet.
Le solo de Chick est un pur moment de jouvence.
J’arrive enfin et presque être convaincu par Roy Haynes, un batteur pour lequel
j’ai une estime mais qui ne me fait rien si ce n’est pas grand-chose, en
atteste son solo, ici, qui ne m’interpelle même pas.
Et je sais que j’ai dû louper un truc avec lui.
Trop de choses pour pas grand-chose.
Mais en l’état, ici, cela fonctionne et c’est tout ce qui compte, il faut
parfois cesser d’écouter la musique dans les détail et la prendre dans sa
globalité.
08 – CHARLIE HADEN QUARTET WEST with Chamber Orchestra : « Ruth’s
Waltz » - Album : « The Art of the Song » - DECCA 1999.
Bill Henderson : vocals / Alan Broadbent : piano, artistic direction
/ Murray Adler : concertmaster and violin solo / Ernie Watts : tenir
saxophone / Charlie Haden : bass / Larance Marable : drums.
Nous allons conclure cette face avec Charlie Haden, qui l’a commencée
d’ailleurs.
De tout temps les musiciens de jazz ont aimé jouer avec des cordes… ils ont
pour cela fait appel à des arrangeurs spécialisés dans le genre, souvent issus
du monde cinématographique ou de la « variété ».
Cette obsession cordes, elle a été sublimée avec Bird (with strings) qui a là
propulsé certainement ses plus belles phrases, hors du bop et pourtant avec,
pour une charge émotionnelle jamais égalée.
Ici Charlie Haden a enrobé son Quartet West, dont les musiciens restent à mon
sens à placer sur le plus haut degré qualitatif - avec Ernie Watts, ce
saxophoniste à la sonorité raffinée, au phrasé facile, avec Alan Broadbent,
véritable orfèvre du piano et Larance Marable, trop peu connu et pourtant
parfait complément de la sonorité de Haden – de cordes chambristes, à
l’écriture d’un classicisme assumé et installées pour ce titre afin de séduire
le chant mi crooner de Bill Henderson.
Il faudra pour certains se convaincre du résultat.
J’ai procédé par étapes pour ce faire, en commençant par le quartet, puis le
solo de Watts, puis l’écriture et l’arrangement des cordes et C.Haden qui en
est le point d’équilibre, pour enfin accepter la corrélation avec le chant.
Et ce tout a fini par apporter sa réelle séduction.
Et c’est ainsi qu’on ira flirter avec la face B, peut-être bien plus, radicale
et moins séductrice …
---
Face B
09 – STEVE KUHN TRIO : « Ida Lupino » - Album « Three
Waves » - ACE records 1966.
Steve Kuhn : piano / Steve
Swallow : bass / Pete La Roca : drums.
De suite, l’intrigue…
Cette mélodie enfantine signée Carla Bley, ce drone de basse de Swallow et
cette pureté de Kuhn.
Il ne se passe presque rien, ou si peu … le sujet tourne sur lui-même,
métallisé par ces cymbales et entouré de ces toms.
Le titre passe en un éclair, mais reste en profondeur, c’est cela la magie des
compositions de Carla Bley et en le positionnant Kuhn, en a bien saisi
l’essence.
10 – WAYNE SHORTER : « Speak No Evil » - Album « Speak No
Evil » - BLUE NOTE 1966.
Wayne Shorter : tenor saxophone / Freddie Hubbard : trumpet / Herbie
Hancock : piano / Ron Carter : bass / Elvin Jones : drums.
Album quasi obligatoire pour les amoureux du jazz, ce titre qu’il enrobe le
morceau lui-même ou l’ensemble de ce joyau Blue Note positionne le jazz à un
degré d’évolution tant par le jeu que par la composition modale en elle-même.
Wayne Shorter est l’un des plus grands compositeurs de jazz, c’est une
affirmation et il est l’un des saxophonistes les plus reconnus de ce même jazz.
C’est Miles qui a fait sortir de l’ombre de ses « carnets » ses
compostions et qui lui a offert l’opportunité d’aller plus loin, encore plus
loin, toujours plus loin.
Tout ici est lumière, tout ici est intense, dense, inventif et novateur. Un
thème répétitif, une seconde partie comme sortie (les accords) d’une pièce de
Stravinsky.
Le trio Wayne, Freddie, Herbie qui magnifie le sujet, le soutien Ron, Elvin qui
mixe et mixte l’écoute entre Trane et Miles.
J’ai besoin de jazz, il n’est pas rare que ce titre soit en pensée instantanée
– et s’en suivra la quasi intégralité des albums Blue Note de Wayne (je fais de
même si j’ai besoin de jazz-rock, Weather Report arrive quasi immédiatement,
puis les albums solos de Wayne…).
Tout me passionne chez cet artiste, sa pensée, son acuité, son intelligence,
son esprit novateur, sa personnalité, sa quiétude ce par une vie mue par la
passion de l’art musical qui, privée, ne l’a pourtant pas épargné.
Mais la musique et ses amis (tels qu’ici) furent toujours là.
Comme ici.
11 – BILL EVANS : « The Peacocks » - Album « You must
Believe in Spring » - Warner Bros 1981.
Bill Evans : piano / Eddie Gomez : bass / Eliot Zigmund : drums
Attention, romantisme, poésie, pureté et hypersensibilité.
Une composition de Jimmy Rowles que Stan Getz a lui aussi exprimé avec une
sensibilité identique.
Le sujet est d’une telle magnificence que Eddie et Bill y mettent tout leur
cœur, toute leur âme, tout leurs sens et provoquent ainsi un degré d’émotion
rarement atteint en jazz.
Eliot se fait discret face à ce déploiement sentimental à fleur de peau et en
agissant ainsi il aide à l’énergie éminemment positive qui émane de ce
romantisme exacerbé.
Chaque note, chaque trait, chaque poussée de basse, chaque éclat de balai est
chargé de vérité et est l’utilité même au propos.
Alors depuis bien longtemps j’ai cherché à trouver sous mon piano la magie
possible que génère ce thème subliminal. Il me faudra encore du temps…
12 – CHICK COREA : « Waltse for Dave » - Album
« Friends » - Verve 1978.
Chick Corea : piano / Joe Farrell : flûte / Eddie Gomez : double
bass / Steve Gadd : drums.
Un peu de sourire, de lumière, de légèreté.
Est-ce la flûte diaphane de Joe Farrell qui insuffle cette idée ?
Est-ce le piano de Chick, virevoltant en contre chants tel un colibri
fébrile ?
Est-ce le walking nerveux, le solo d’un lyrique fabuleux de Eddie ?
Est-ce le jeu aux infinies trouvailles et astuces de Steve ?
Le mélange de tout cela il va sans dire.
Et là l’occasion – malgré une pochette incroyablement anti commerciale – de
foncer écouter cet album, certainement l’un des plus formidables de la carrière
du pianiste, d’une part pour les musiciens qui œuvrent en osmose parfaite,
d’autre part car c’est peut-être bien ici, au-delà des pirouettes hispanisantes
et des clichés monkiens, des embardées électriques et des univers synthétiques
… que Chick Corea a placé quelques-unes de ses plus remarquables compositions.
13 – STEPS AHEAD : « Pools » - Album « Steps Ahead » -
Elektra Musician 1983.
Michael Brecker : tenor saxophone / Mike Mainieri : vibes / Eliane
Elias : piano / Eddie Gomez : double bass / Peter Erskine :
drums.
Oublier ce titre dans une de mes playlist serait impossible.
Le tout est de savoir où le placer…
J’ai tout dit dans un article concernant ce « Pools », composition de
Don Grolnick taillée sur mesure pour cette bande de fous furieux du jazz, de
musiciens qui m’ont plus que forcé l’admiration.
Le thème et son exposé basse-sax, au caractère ouvert pour développer l’axe
expressif des solistes est un véritable coup de génie.
Et puis … il y a chaque solo, Brecker qui pose en premier lieu ses jalons qu’il
va plus tard surdévelopper, Gomez qui fait chanter sa contrebasse, Mainieri qui
éclaire de son vibraphone électrifié et modulé en M.I.D.I, par un solo aérien
le sujet. Eliane Elias se contente de diriger le tracé de tous ces énergumènes,
véritablement sur vitaminés et Peter Erskine, dans ces années-là est l’un des
batteurs les plus inventifs de la planète.
Je peux écouter ce titre en boucle et chercher encore son essence et ce qui le
fait sortir éternellement du lot.
14 – BEN SIDRAN : « Easy Street » - Album « Old Songs For
The New Depression » - Antilles 1982.
Ben Sidran : vocals & piano /
Marcus Miller : electric bass / Buddy Williams : drums / Richie
Cole : alto saxophone.
Après ce déploiement technicolor une petite pause s’impose.
Alors le spirituel Ben Sidran fera largement l’affaire.
Mais ne nous trompons pas, l’artiste en a sous le capot. Pianiste que
j’assimile aux sommets de l’idée de piano bar jazz, chanteur raconteur,
connaisseur érudit du jazz, habitué des clubs de NY, l’homme a à son actif
nombre d’albums rares et généreux, qu’il est intéressant de connaitre.
C’est avec celui-ci que je l’ai découvert.
Et que j’ai découvert au passage Marcus Miller autrement qu’avec et par Miles,
dans un propos musical où son image déjà funk et slap n’avait pas vraiment lieu
d’être.
Aux côtés de son ami Buddy Williams les deux compères sont les parfaits
acolytes pour accompagner la coolitude de Ben, relax, jambes croisée sous le
piano, se répondant à lui-même, sorte de chanteur enchanté et enchantant.
Richie Cole - que l’on a trop souvent associé à l’image d’un successeur de Bird
(du fait encore une fois de son instrument le sax alto, comme si cela
suffisait) – tourne généreusement autour du thème et prolonge le chant de Ben.
Chanson comme album à (re)découvrir, il est empli de pépites.
Le Donald Fagen du jazz…
15 – FREDDIE HUBBARD & WOODY SHAW : « Sandu » - Album
« Double Take » - BLUE NOTE 1986
Freddie Hubbard : trumpet / Woody Shaw : flugelhorn, trumpet / Kenny
Garrett : alto saxophone / Mulgrew Miller : piano / Cecil Mc
Bee : double bass / Carl Allen : drums.
On va terminer pur et dur.
La joute amicale bugle puis trompette de deux grands.
Un arrangement cuivré entre unisson et harmonisation minimale.
D’emblée ça joue, ça hurle, ça jubile de toute part.
Chacun cherche les aigus les plus subliminaux sur ce fond de blues qui ne lâche
pas l’affaire.
Cecil et Carl poussent shuffle parfois plus que swing et ne font pas de cadeaux
aux deux leaders.
Mulgrew insiste, quasi monkien, tortueux et Kenny a réussi à s’insérer vite
fait entre deux, mais bien fait.
Terminer ainsi c’est exactement ce qu’il faut pour fermer la portière de la
voiture, éjecter la K7 et rentrer en cherchant les clés au fond du sac, à la
maison, sans bousculade, en sifflotant, soliste de fortune, ce thème idéal pour
l’improvisation débridée en mode blues.
---
A bientôt pour la suite des aventures de si vous aimez le jazz… (ça ferait une
bonne émission de radio ça…)
Ha zut, je pars pour un coin sans web, bon heureusement j'ai plein d'épisodes en "replay" ;-) A bientôt (dans mes écoutes de vacances sont programmés John Williams: "Death" et "Nixon" ....)
RépondreSupprimerça existe encore ça , des coins sans web ?
Supprimerveinard...
Episode moins facile pour moi, et je ne connaissais déjà que Jazz Samba !
RépondreSupprimerBluffé par le titre inaugural , un voyage sur un titre que je croyais connaître et qui passe dans une autre dimension ; géant
Enfin un titre avec Joni Mitchell qui ne quitte plus mes oreilles, là je perçois sa voix et son charisme, je ne suis plus perdu comme sur ses albums.
Bill Evans féérique, je picore chez lui , mais c'est toujours des perles d'émotion.
Ben Sidran, je ne connaissais pas, mais c'est très agréable et la voix si bluesy est un régal
Manhattan Transfert vraiment étonnant, je garde.
Merci de poursuivre mon éducation, c'est vraiment agréable ces playlists expliquées.
Juste oublié de m'identifier ...
RépondreSupprimerRavi que ces excursions jazz permettent des découvertes et l'envie d'approfondir.
SupprimerC'est vrai que le format est sympa et j'y ai pris plaisir.
J'ai aussi pas mal de retard dans ce format en pop-rock, bien que cela soit peut être moi suivi, je réfléchis à la formule en classique, mais c'est toujours difficile d'extraire un mouvement d'une oeuvre, culturellement j'ai du mal.
J'ai commencé sur d'autres critères, instrumentaux, styles plus ciblés - je teste le truc et dès que ça va me paraitre satisfaisant, je vais chroniquer.
Mais je n'ai pas non plus envie de m'enfermer dans le schéma playlist, compil... un équilibre à trouver donc.
En tout cas, profite bien de ces qq titres et si ça te tente essaie d'aller vers les albums, le keith jarrett est puissant, le bill evans absolument magnifique de poésie, ben sidran est toujours très sympa à écouter (the cat and the hat très proche de bozz scaggs, son album où il revisite dylan, et surtout bop city, très mose allison), joni mitchell a fait un album jazz orchestré par ogerman (deux en fait, dont un travelogue où il a orchestré ses chansons, l'autre étant fait de standards de jazz), quant à M transfer, je prends avec parcimonie, parfois ça me gonfle, d'autres c'est génial, et ça dépend... (l'album brazil superbe, comme mecca for moderns).
je prépare activement les suites, mais d'autres articles avant la prochaine vont sortir.
tu dois le savoir, ça prend du temps...
et l'été mon piano en occupe pas mal de ce temps.