# JAM SESSION

# JAM SESSION


La jam session ou le « bœuf » (expression française issue célèbre cabaret parisien « le bœuf sur le toit », fréquenté par les six, par Cocteau, où Mouloudji, Trenet, Ferré firent leurs premières armes … lieu réputé également parce que les musiciens allaient se rencontrer en fin de soirée afin d’improviser) est la rencontre informelle, forcément improvisée, entre musiciens.
Elle s’organise généralement en jazz, autour de titres dits standards.
Il faut bien… une base.
Le terme de « faire-taper le bœuf » sera plus commun et généralement associé au rock et à la pop.

La jam session est un espace de rencontres, mais c’est aussi là que l’on vient faire montre de son savoir-faire et de – bien (trop) souvent – sa virtuosité.
C’est aussi lors de ces moments live que l’on va se frotter à autrui, jouter avec elle ou lui.
En résumé, c’est parfois (et ça l’est devenu de plus en plus – le film Bird ayant augmenté cette idée en mythe), un espace musical de confrontation.
Autrement dit, en jam session, où t’assures, ou tu te tapes la honte et après ça c’est soit la gloire, la reconnaissance du milieu, ou un long chemin de reclus musical désertique et professionnel qui te colle à l’instrument et aux basques.
Vous trouvez ce résumé réducteur ?
Ayant croisé la situation maintes et maintes fois, je peux vous dire qu’il est très proche de l’exactitude.

Il y a les pros et afficionados de la jam session, ces mecs qui viennent là, généralement en fin de soirée, ayant pris soin au préalable de passer un peu plus avant, histoire de se chauffer avec un verre, de jauger l’ambiance et de mater l’assistance afin de savoir avec qui ils vont se confronter.
Dégingandé, sûrs d’eux et suffisants, légendaires parfois, faisant partie du « mobilier », solitaires mais d’apparence amicale, jamais discrets et toujours remarqués, ils arrivent, instrument en housse (ou pas, selon…) et leur seul but n’est pas la musique, ni le partage.
Non, ils sont là pour briller et démontrer qu’eux, au moins, ils sont bons, si ce n’est excellents.
Et c’est en général le cas …
Pourtant… si l’on évoque le mot qui devrait nous concerner, à savoir musique…
Ils n’apporteront strictement rien au propos musical.
De surcroit, ils sont totalement « prévisibles » - jusqu’à leurs phrases ressassées interminablement et issues d’un langage improvisé devenu populaire.
Ils se ressemblent … tous (ou presque).

En France, dans tous les clubs, ils sont là et craints des musiciens lambda.
Tout simplement parce qu’en plus, ils arborent une telle suffisance et confiance en eux, indestructible, qu’ils imposent, par leur attitude et la maîtrise – soyons honnêtes sur ce fait – du sujet, que se mettre à côté d’eux sur scène impose d’être soit suicidaire, soit d’en avoir réellement sous le capot et surtout d’en avoir la certitude.
S’imposer …
Alors dans ce dernier cas, on passera direct dans leur cour et si l’un d’eux t’offre un verre, te propose un gig dans la semaine, forcément payé au rabais, cela veut dire que t’es entré dans leur zone de grandeur éphémère (la jam session n’a pas de projet artistique, elle reste donc éphémère).
Tu bosseras ainsi (et c’est un bon effet) tous les standards possibles – en général les 50 mêmes pour tous, ce que tu découvriras très vite – et tu useras tes doigts en gammes diverses et variés afin de briller le jour J puis les autres … et encore d’autres … jusqu’à ce qu’un jour tu deviennes comme eux, ou que tu réalises que tu ne veux absolument pas/plus être puis devenir comme eux.

Car ils sont aussi amicaux, sympathiques que superficiels, intégristes et obtus. Ils sont culturellement limités à l’idée restrictive qu’ils ont du jazz ayant réduit la musique à un entonnoir si étroit qu’il se résume, justement, à ces quelques poignées de standards, seule référence culturelle qu’ils possèdent et qu’ils maitrisent à la-leurs perfection.
Ces standards, cela fait même bien longtemps qu’ils ne les ont écoutés dans leurs versions originelle, ils écoutent TSF Jazz ou toute autre radio à l’identique, dans la bagnole et c’est cela, le jazz, vu par eux.

Et puis.

Lors des jam sessions il y a aussi le petit groupe qui arrive en rang timide mais serré.
Je les aime beaucoup ceux-là.
Ils sont courageux, plein d’envies, jeunes et audacieux.
Les précédents les regardent avec une curiosité amusée, parfois indignée de les voir oser franchir, sans vergogne, sans « autorisation préalable », l’espace qui jusqu’alors leur était « réservé ».
Par avance, ils les prennent de haut, ou en pitié…
Et en parlant bruyamment, en riant à gorge déployée, tel des beaufs fans de Johnny, accoudés au zinc, ils ne les écouteront pas.
Surtout pas !
Mais, en revanche ils ne seront pas radins en conseils avisés – qu’ils croient tels.
Ils ne monteront pas sur scène pour jammer avec eux, ce serait leur faire trop d’honneurs et si par hasard ils le font ce sera parce qu’ils sont tellement bons qu’il faut tout de même reprendre sa part d’espace réservé et tenter au plus vite de les faire oublier, de les écraser… de briller un peu… à nouveau.
Ou de les récupérer pour les intégrer au petit club fermé dont ils ont les clés.

La jam session à la française, sous couvert fallacieux de rencontres et de partage, c’est d’abord et avant tout ça.
Pas de musique, pas ou peu d’écoute, des solistes démonstratifs à l’excès, de la frime, bref un véritable concours de bi…s.

Bon … ça semble effectivement négatif, mais c’est ainsi mais heureusement pas toujours ainsi.

Alors…
Même si je me prête encore parfois au jeu et que, de temps à autre, ce « sentiment » m’apparait il est vrai et selon les situations, modifié, c’est un moment musical qui ne m’apporte jamais de réelle satisfaction, de retour artistique ou musical (mais j’y fais aussi des rencontres, rarement chez les musiciens, surtout dans le public, mais il est vrai que les deux se mélangent allègrement lors de ces soirées « festives »).
Une sensation de marathon musical face à d’autres marathoniens, d’approximation, de non objectif si ce n’est de se sortir honorablement de ce fatras musical où tout le monde prend la parole, où l’on trépigne pour enfin avoir « une place » dans le jeu collectif souvent désorganisé, rarement arrangé et enfin réduit à sa plus efficace tant que simple expression.

Alors pourquoi m’arrive-t-il encore de m’y prêter ?
En général, la jam session attire du monde, des musiciens qui viennent là se « faire connaitre », aussi, on le sait, en France, les clubs peinent à vivre et même survivre.
Lors de ces soirées, et grand bien leur fasse, la salle est donc comble, le bar marche plein pot et c’est pour eux un bol d’air financier.
Aussi participer à ces moments et jouer ce jeu amical envers eux permet de les aider en participant, c’est aussi simple que cela et … c’est capital.
D’ailleurs on remarquera que les musiciens habitués de ces jam sessions ne sont jamais là les soirs de concert de jazz pour venir écouter leurs « collègues », soutenir les véritables projets musicaux, etc.
Ils n’en ont rien à cirer.
Ils viennent jammer, pour sortir leurs binious et monter sur scène – leur vision du jazz se résume à cela.

Et... faire tourner le bar.

---

Depuis tout jeune j’ai participé à ces moments initialement dédiés au partage.
En rock, puis en jazz.
En rock c’était des moments réellement satisfaisants, bienfaisants avec des musiciens à l’écoute et une réelle envie de musique. On investissait un loft, un squat industriel, on tirait le jus d’où l’on pouvait. Une foule bigarrée commençait à s’amasser, on empoignait les instruments, on montait le son et d’une simple ligne de basse, d’un riff instantané, d’un beat de batterie … naissaient d’immenses plages aux contours autant divers que variés. Sens en alerte, on circulait reptiliens parmi les zones sonores et soniques émanant de chacun.
En jazz, rares furent les moments dépassant le cirque, la surenchère instrumentale, si ce n’est dans le contexte du jazz Nouvelle Orléans ou du Dixieland.

Et dans les deux cas, je me suis bien sûr prêté au jeu.
Et me suis amusé avec ce jeu… (surtout en jazz), cherchant à briser, à étonner, à dévier les chemins balisés.
Avec des recettes simples, reposant sur des constats.
Car comme je l’ai dit plus haut – ils sont tellement … prévisibles…

En gros, il suffit de se positionner « musique » en place d’instrumentiste et déjà l’on va créer la surprise, modifier l’axe et diviser les participants selon leurs aptitudes d’écoute et leurs capacités culturelles à réagir.
Cela semble simple sur le papier, mais dans un fatras de notes à la pelle, trouver la stature d’imposer une vision déviante et forcément sensible impose de gérer la chose par l’effet de surprise et de construire dans le temps là où tout n’est qu’immédiateté, ou court terme.

4-4, figure d’improvisation où toutes les quatre mesures le batteur intervient pour un petit solo, selon le nombre de tours, les ressorts de la grille harmonique, et le nombre de solistes (car les quatre autres mesures sont réservées aux autres solistes qui interviennent en principe, à tour de rôle), l’insert batterie peut s’avérer congru ou délibérément plus étalé.
En général, le batteur, tout heureux d’avoir cet espace se charge de le remplir à foison puis, au fil des inserts, il finira par s’épuiser, manquer d’idées – il a tout balancé dès les quatre première mesures… mais il a épaté la galerie…
S’inspirer des grands et comprendre, ou tenter de le faire, c’est-à-dire avoir sa propre vue de leur idée, c’est dans ce genre de situation, bien utile et ça peut servir… Gadd, parfois, ne place que peu de « coups » dans cet espace puis il va organiser chaque intervention au fil des 4-4, autour de ces impacts qui lui servent à développer un solo, réel et dans la durée.
La première fois que j’ai tenté cette idée, le contrebassiste, un vieux ringard râleur autocrate m’a quasiment insulté, me disant que plus jamais je ne lui ferait un « coup comme ça », qu’il s’est demandé ce qui se passait et qu’il avait même failli en perdre le tempo.
J’ai alors compris qu’en jam, dès qu’on sort des sentiers battus…
Erskine, lui, joue hors du temps et bien entendu, DeJohnette c’est pire…
Oser faire ça et c’est les foudres assurées et on viendra te dire que certes c’était bien mais qu’il faut réserver ça avec des musiciens avec lesquels ce « concept » a été travaillé… pas en jam, car, ça déstabilise…

Tu sors d’une cavalcade effrénée de cuivres, saxes, tous aussi brillants les uns que les autres…
t’es pianiste, c’est ton tour…
Que faire ?
En mettre tout autant en matière de tonnage, ou regarder ce qui vient de se passer « autrement » ?
Là sera ta grande question…
Mais surtout, avec les moyens tant digitaux qu’harmoniques dont tu disposes, là, maintenant, pourquoi ne pas, tout simplement, rejouer le thème en le détournant un peu, en l’agrémentant, en le variant jusqu’à enfin libérer les quelques traits tant attendus, mais qui cette fois entreront réellement dans un propos musical.
Et puis, rien ne t’empêche, au passage, et tant qu’à faire, de choisir des voicings qui, à eux seuls vont magnifier le moment musical (j’insiste sur musical), histoire de mettre un peu de couleur dans ce monde brutal qui vient de défiler juste à l’instant.

Finalement, jammer, faire le bœuf, c’est tout un art musical, mais c’est aussi le parfait moment de reflet de la personnalité.
Alors l’ego ou le musicien apparaitront …
Il peut parfois y avoir l’un tant que l’autre, mais tout le monde n’est pas Miles… ni Bird.
Et être déjà soi même, c'est ... pas si mal.

Commentaires

  1. Edifiant, et terrifiant cette notion de duel pas si amical que cela, des règles tacites, du travail en amont, de la place de l'égo et de la suffisance...
    Pas évident pour un spectateur lambda comme moi de déceler les moments d'improvisation dans le carré des mesures, dans les soli des artistes, mais oui j'ai déjà perçu en concert de jazz des provocations, des toisements, des surenchères pas toujours bienvenues ... mais aussi parfois des sourires et des râles de satisfaction.
    Est ce la même chose en jazz manouche ? où la tradition, le respect et le carcan des règles est plus dominant.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne joue pas le jazz manouche et c'est avant tout un milieu encore plus fermé et de guitaristes... mais je pense que c'est identique.
      D'autant que cette musique est très souvent hyper technique et démonstrative, et l'est en tout cas devenue, ce qui explique d'ailleurs mon "rejet" face à ces débordements digitaux inutiles...
      Le milieu artistique est blindé d'égos, de suffisants et de certitudes.
      Pour y faire sa place, il y a effectivement des règles à respecter, des jeux à jouer, puis un jour...
      Mais je n'ai jamais joué le véritable jeu.
      Je déteste le jazz de secte, de caste, de "milieu" et ceux qui vont avec.
      Je les connais par cœur, les ai dirigés même en tant que chef d'orchestre de big band et il est bien rare, en France, que cette musique ne revête pas cet aspect compétition, gagne, joute, confrontation, supériorité...
      Mais il y a toujours la possibilité de faire autrement, de jouer ce jeu seulement quand c'est nécessaire ou par amitié envers un musicien, un lieu, etc. et de se dévier tant que dévier les autres (s'ils y sont prêts et ouverts pour) vers un véritable espace... la musique...

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

WILLIAM SHELLER – « Les miroirs dans la boue »

DEAR QUINCY … (Quincy Jones – 14 mars 1933 Chicago / 03 novembre 2024 Los Angeles) - Chapitre 1

SI VOUS AIMEZ LE JAZZ … (6)