EVASIONS CLASSIQUES (01) … ALAN HOVHANESS – « WIND MUSIC ».

EVASIONS  CLASSIQUES (01) … ALAN HOVHANESS – « WIND MUSIC ».


ALAN HOVHANESS (né Alan Vaness Chakmakjian – 1911 - Somerville/2000 - Seattle).

Alan Hovhaness est un compositeur américain d’origine arménienne qui a composé un catalogue de plus de 500 œuvres couvrant tout type de formation.
Si l’influence de la musique traditionnelle arménienne a été importante dans sa carrière, il a très vite dépassé cette zone d’influence originelle.
Le petit Alan était un génie précoce, il a commencé à réellement écrire la musique à l’âge de 4 ans et a même composé sa première œuvre à cet âge, une cantate.
L’axe religieux sera fondamental dans sa carrière et dans ses sources de travail et d’inspiration, on en aura la preuve ci-après.

Il est coutumier de raconter qu’il écrivait, enfant, la musique la nuit – il consacra d’ailleurs une grande partie de sa vie à l’astronomie et a composé nombre d’œuvres qui s’en inspirent - « Vision on a Starry Night, opus 384 », ci-dessous.

Ses parents, conscients du caractère exceptionnel que cet enfant avait, si l’on considère ses aptitudes précoces pour la musique, lui firent prendre très tôt des cours de piano, puis à l’âge de 14 ans il décida de se lancer définitivement dans la composition.

Je ne vais pas ici décliner la vie de ce compositeur, il y a le net pour cela avec plein de sites encyclopédiques qui racontent son exceptionnelle carrière et son engagement pour la musique de façon à mieux le découvrir, biographiquement.

Il faut savoir qu’il a détruit la plupart de ses œuvres de jeunesse, à un moment où il a choisi une orientation dictée par cette réflexion :
« Je propose de créer un style de composition héroïque et monumental, suffisamment simple pour inspirer tous, totalement exempt de modes, de maniérismes artificiels et de fausses sophistications, direct, puissant, sincère, toujours original mais jamais artificiel.
La musique doit être libérée de la décadence et de la stagnation.
On a trop mis l'accent sur les petites choses, tandis que les grandes vérités ont été négligées. Il faut se débarrasser du superficiel.
La musique doit devenir virile pour exprimer de grandes choses.
Mon but n'est pas de fournir à quelques musiciens et critiques pseudo-intellectuels davantage de matière à de brillantes argumentations, mais plutôt d'inspirer à l'humanité entière un nouvel héroïsme et une noblesse spirituelle.
Cela peut paraître sentimental et impossible à certains, mais il faut se rappeler que 
Palestrina , Haendel et Beethoven ne le considéreraient ni comme sentimental ni comme impossible.
En fait, l'art créatif le plus noble a été motivé, consciemment ou inconsciemment, par le désir de régénération de l'humanité. » - Wikipédia.

Si ce n’est pas « puissant », ça !

A partir de là, on va pouvoir découvrir la musique de cet immense compositeur, malheureusement encore peu connu, mais dont les 67 symphonies, par exemple, méritent largement l’attention.

On a pour idée – et c’est certainement juste – que ce compositeur soit une parfaite représentation en filiation, en patrimoine, en tradition, de la musique américaine.
C’est vrai jusqu’à un certain point, car effectivement, il ne l’a jamais ni reniée, ni « oubliée, il l’a même exprimée dans sa plus grande noblesse et avec le plus grand respect, il l’a même fait quelque part, évoluer, ou progresser, actualisé.
Alan Hovhaness c’est une musique qui a sa propre identité, ses modes d’écriture et d’orchestration mais qui va puiser dans l’universalisme.
Une musique qui cherche, à travers les cultures du monde entier (Japon, Inde, Arménie, Pays de l’Est européen, culture nordique – Sibelius – grands classiques…), du fait de l’incroyable brassage de population qui constitue cet immense pays, l’Amérique.
C’est une forme non seulement d’inspiration, de mise en évidence mais aussi de synthèse identitaire.
Cela fut longtemps qualifié d’exotisme… que cet intérêt à relire, rapporter, s’inspirer « d’autres » cultures.
Alan Hovhaness a même voyagé pour s’en imprégner, il a appris ces instruments dit traditionnels et a écrit pour, avec et autour d’eux.

Alan Hovhaness résume, ce qui est flagrant à l’écoute d’œuvres qu’il faut déjà trouver tant elles sont rarement interprétées, cette aspiration universelle.

Il a été beaucoup critiqué pour sa simplicité d’écriture.
Des unissons, des effets de fanfares héroïques, beaucoup de place à la pureté soliste… là où la grandiloquence orchestrale a souvent été de mise dans cette musique américaine, à l’exception du minimalisme qui, justement, reconnait ce compositeur de façon respectueuse (John Cage).

Bon, maintenant qu’on a mis un peu de curiosité dans tout cela, qu’en est-il ?

Ce sera souvent chez Naxos, ce label qui met en avant la musique américaine, que l’on va trouver le compositeur. Rien d’étonnant, d’autant que les interprétations des ensembles, forcément américains et de tous états, pour ces musiques qui sont leur patrimoine, est très souvent d’un réalisme qui ne peut laisser indifférent.
Il est passé le temps de ces orchestres plébiscités aux chefs retentissants de gloire qui inondaient le spectre et faisaient passer les autres pour des « sous-interprètes ».
Aujourd’hui, comme dans toute musique et esthétique, la qualité qui a toujours été, s’est démocratisée et partout elle s’affiche
Naxos est un flagrant exemple de cette mise en avant qualitative par des ensembles de tous états, de toutes villes américaines, défendant et jouant leur patrimoine.

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« WIND MUSIC VOL3 » - Central Washington University Wind Ensemble – Larry Gookin, Keith Brion, Mark Goodenberger. Naxos 2018.

Rien de tel pour commencer l’exploration de sa musique que de le faire en fanfare.
On le sait les américains aiment ces ensembles de vents et percussions, qu’ils soient de concert ou marching band, ils sont passés maitres en la matière tant de formations de très haute volée qu’en arrangements et orchestrations pour « le genre ».
Une autre vision de ce qui chez nous s’intitule depuis des lustres : harmonie.
Concert Band, Wind Ensemble, etc.
C’est une tradition de la musique américaine que ces formations.
Alors puisqu’on parle d’un compositeur américain trop peu connu, commençons avec une part de ce qu’il a écrit pour ce type d’orchestre.

D’emblée, une fois passé le premier titre « Tapor N°1, Opus 14 », très martial, très solennel, très « hymne », on sera immédiatement fasciné par l’orientalisme mystérieux et mystique de la seconde pièce présentée : « Mountain under The Sea, opus 392 ».
Un moment irréel, aérien aux percussions disparates composé pour saxophone alto, percussion et harpe, absolument renversant de beauté pure et naturelle.

Puis ce seront trois pièces basées sur des modes traditionnels Bansri, Bengal et Pakistanais qui vont nous faire partir vers ces autres contrées, à nouveau. Entre tuttis martiaux et solennels vont s’insérer – flûtes en avant et bois subtils – de délicieuses parties solistes.
Une écriture d’une ouverture et d’un modernisme qui laisse rêveur si l’on considère que, de surcroit ces pièces furent composées en 1952, prouvant là une avance exploratrice considérable sur son temps, du compositeur.
Trois pièces qui mêlent habilement les poncifs d’écriture purement américains qui interviennent comme des refrains ou des ponts entre ces moments poétiques d’une infinie délicatesse.
On note déjà ce rapport minimaliste, ce souci de la mélodie simple, sans surenchère, entourée de dénuement quasi-total, émaillée de percussions disparates, claviers ou effets de densité de peaux tambourinantes.

Maintenant un autre moment poétique, tel une estampe japonaise, une fine aquarelle, un carnet de voyage : « Vision on a Starry Night, opus 384 » - le titre est dans l’expression sonore avec cette flûte méditative, cette harpe qui scintille et ces percussions claviers qui œuvrent telles les futures fonctionnalités répétitives.
A placer dans une playlist de « favoris » classique, absolument… que cette pièce minimaliste récente composée en 1985.

« October Mountain, opus 135 », pour sextet de percussions aurait pu (s’ils ne l’on fait) être une suite majeure pour certaines percussions de Strasbourg. Composée entre 1942 et 1951 et forte de cinq « mouvements », cette suite ne comporte en titre que des indications rythmiques.
Chaque pièce est courte, si ce n’est très courte. Un versant américain qui sait, des petites pièces pour orchestre, minimales, que composa Webern.
L’inspiration japonaise reste proéminente. Marimbas et xylophones, glockenspiel, etc. vont dialoguer avec d’imposants gongs et autre tambours volumineux, percussions lourdes et denses contre éléments volatiles.

« Hymn to Yerevan, op83 », va briser ce voyage lointain et nous faire revenir sur des contrées plus familières, mais attention, la surprise centrale, en liberté sur glissandos contemporains risque de vous interpeller. Yerevan, ancienne cité arménienne, est le lieu où le peuple trouva refuge pour échapper aux massacres. Composé sur le cinquième mode usuel de la musique de l’église arménienne dit kimtza (Alan Hovhaness a été organiste à l’église arménienne), cet hymne est de caractère triomphal et solennel.
Il date de 1969 et a contribué, chose logique, à mettre l’étiquette de compositeur arménien à Alan Hovhaness.

« Meditation On Ardalus, opus 156 N°2 » va sérieusement contraster avec la pièce précédente. C’est un moment de recueillement pour flûte solo, d’une grande majesté et pureté musicale. Cette pièce n’est pas « datée », mais représente bien l’attrait exotique du compositeur et sa volonté exprimée de se débarrasser du superficiel.
Ici il n’en est point.

« The Ruins of Ani : Lament for Ani, City of a Thousand Churches, opus 250 N°1 » a été écrit en 1972 pour huit clarinettes et d’emblée va intriguer par tant son actualité que son empreinte traditionnelle. Elle retrace le sort de Ani, cité arménienne envahie par l’empire ottoman autour de l’an 1000, dont les ruines sont désormais inscrites au patrimoine de l’UNESCO.
L’écriture pour ensemble de clarinettes est quasi unique et cela va permettre encore une fois de rencontrer l’incroyable capacité d’innovation dont le compositeur a fait montre au long de sa carrière.

« Overture to the Burning House, opus 185a ». En 1962 le compositeur va recevoir une distinction de l’un des grands maitres de la musique japonaise, Masalaro Togi.
Voici l’ouverture de son opéra en 1 acte, de chambre, composé sur les modes traditionnels de ce pays. Flûte et percussions là encore installent une atmosphère très particulière et très méditative, si ce n’est éparse ponctuée par de grands moments solennels de timbales puissantes et massives.

« Suite for Band, opus15 ». En 1945 le compositeur va, sous la forme du contrepoint, allant même jusqu’à s’inspirer de ses recherches vers la période de la renaissance, composer cette suite de pièces festives sur bases modales de la musique religieuse arménienne.
Cet album va se clore sur ces moments solennels, recueillis et d’une extrême densité spirituelle.



Ce premier voyage dans l’univers d’Alan Hovhaness a dépassé largement mes espérances de simple curiosité. Il me fait découvrir un compositeur majeur.
Naxos documente de façon très précise par son livret les œuvres présentées, ce qui m’a permis de mieux cibler au-delà de la seule impression-sensation d’écoute, les intentions du compositeur.
Que sa musique soit célébrée par un ensemble universitaire de Washington m’apparait, au-delà de l’extraordinaire qualité de l’interprétation qu’en font les musiciens de cet ensemble, plutôt symbolique envers cet homme qui a consacré sa vie à une certaine représentation musicale universelle, dans l’esprit américain, même si aujourd’hui relativiser cette vision est de mise et d’actualité.
Il faut remettre les choses en leurs temps et dates.
Alan Hovhaness : américain, arménien, fasciné par les musiques du monde et au projet d’universalisme musical à la portée de tous et pour tous.

Je vais progressivement pénétrer dans la musique d’Alan Hovhaness et au gré de ces évasions classiques, qui vont me permettre d’aller découvrir tant de ces compositrices et compositeurs rangés sur les étagères de l’oubli du temps, croyez bien qu’il va revenir bien souvent tant sa musique m’a immédiatement fasciné.






 

Commentaires

  1. Tiens du Classique mais inconnu. J'espère trouver de quoi écouter ...Je pars à la chasse.
    Sinon, j'aimerai savoir ce que tu penses du traitement de la voix sur l'album de Canine d'aujourd'hui. Dev trouve que cela fait perdre l'émotion, moi un peu l'inverse.... Ton avis m'intéresse.

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