IL Y A 150 ANS – MAURICE RAVEL.

IL Y A 150 ANS – MAURICE RAVEL.


Cette année on fête la naissance de Maurice Ravel.
J’aime ce genre de prétextes qui vont permettre de mettre de la lumière, pendant le temps d’une année, sur un compositeur, sur une œuvre.

Maurice Ravel, je l’ai découvert de deux façons.
On en parlait relativement peu dans les études musicales et il fallait « attendre » avant de pouvoir/savoir, l’aborder, le jouer … et en sous-entendu … le comprendre.

C’est, suite à un long travail sur quelques préludes de Debussy - porte d’entrée obligée pour découvrir cette école française qui par la suite ne me lâchera pas, plus ou jamais que mon professeur de piano d’alors (un ‘tit jeune devenu très vite célèbre de son entrée à l’ensemble inter-contemporain, ce qui lui fit arrêter l’enseignement) – que je retrouvais avec un presque soulagement une partition à deux portées (les préludes de Debussy que je travaillais alors étaient - chose curieuse au départ, puis, logique une fois travaillée – sur trois portées).
Cette partition c’était la « Pavane pour une Infante Défunte ».
C’est une pièce maitresse de son œuvre, du moins me semble t’il puisque elle est inévitable tant dans sa version pianistique qu’orchestrale et qu’il en existe un nombre de versions incommensurable.
Justement.
Ce cher professeur, après m’avoir laissé commencer le déchiffrage puis l’assimilation du morceau (en général au Conservatoire, le travail d’un morceau ne doit que rarement excéder les 5 semaines et il est très ciblé – déchiffrage, travail des traits et des moments techniques et enfin interprétation, tout cela semble logique, pourtant, dans certains établissements on a une fâcheuse tendance à oublier ce rythme qui permet, tant d’engranger du répertoire que de s’astreindre à une régularité et une discipline de travail), arrive dans la salle de cours, disque en mains (à l’époque du vinyle, il va de soi).
Il me fait écouter la version orchestrale et, se tournant vers moi, me dit tout simplement : « Maintenant, essaie de retrouver ce jeu des timbres de l’orchestre … au piano ».
Imaginez ma surprise face à un tel défi.
Je venais aussi en un éclair, de découvrir que le piano pouvait et même devait être un orchestre à part entière.
Et j’ai par la suite compris que, malgré sa sonorité inchangeable, cette idée « d’intention » pouvait tout changer dans le jeu, dans l’interprétation, dans le toucher et donnait une direction mais aussi un sens autre que le seul axe que la musique écrite pouvait laisser supposer. Imaginer sous les doigts des cors, des flûtes, des cordes ou même des timbales.
Supposer des contrebasses, des violoncelles.
Faire chanter des hautbois, rendre le rauquement du basson, la douceur ébonite du saxophone.
Arpéger des traits cristallins de harpe…
Tout un univers venait de s’ouvrir à moi et bien évidemment j’ai foncé acheter le précieux disque et me suis penché sur la question comme un gamin obsédé à l’idée de terminer un immense puzzle.

Ce qu’ignore ce professeur que je ne remercierais jamais assez, c’est qu’en même temps il m’a donné la passion de l’écriture orchestrale, de l’arrangement et de la direction d’orchestre, ce bien au-delà du piano.
Par la suite, voyant ma passion envers cette musique, il m’a fait travailler nombre d’œuvres du compositeur dont « Ma Mère L’Oye » ou encore « le Tombeau de Couperin », ce qui m’a amené à lire quelques contes fantasques et fantastiques et à mettre encore plus d’imaginaire sur la musique et, ainsi, de provoquer le récit dans le jeu, ou de mettre de l’intention imagée dans l’interprétation. Et puis cela m’a également fait m’embarquer chez ces compositeurs français d’une période baroque qui n’était malheureusement pas encore redéfinie en interprétation : Rameau, Couperin, Lully et autres Marais.

Seconde entrée.
Mon professeur de chant, ami et mentor passe me prendre pour partir en tournée (il est soliste principal et moi simple choriste, mais grâce à lui, j’entre dans le « milieu » et vais en vivre plusieurs années).
Il vient de s’offrir la dernière Renault et à l’intérieur il fait installer un système HiFi extrêmement sophistiqué. On passe justement chercher la voiture chez l’installateur du système et, en attendant que cela soit fait, un détour à la FNAC s’impose.
Il file au rayon K7s et va faire les emplettes musicales pour la longue route qui nous attend.
Dans celles-ci, il va acheter plusieurs œuvres de Maurice Ravel et de Claude Debussy.
Son choix, Pierre Boulez, dont il me dit que c’est le seul à avoir su capter la couleur orchestrale.
C’est fait.
Le trajet sera éclairé de cette musique – on aura peu parlé, si ce n’est aux haltes essence et autoroute et cette musique aura résonné en nous tout le trajet s’imprimant là encore comme essentielle dans ma vie.

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Maurice Ravel, au-delà du compositeur, inventif, imaginatif, illimité, nouveau … c’est aussi l’orchestrateur qui a fait de l’outil orchestre un véritable univers sonore, le déployant vers des espaces jusqu’alors effleurés, lui ouvrant des possibilités que l’on imaginait pas et usant des registres des instruments pour leur donner la plus intense des expressions.
Je pense en premier lieu à « Daphnis et Chloé » qui accompagnera toujours ma vie et à ces moments orchestraux qui apparaissent par vagues, à ce lever du jour rendu « comme jamais », à ces plages d’instruments solistes antiques qui surgissent et surtout à ces chœurs sans paroles qui agissent comme un élément orchestral majeur (pas le mode, mais la place – le système modal cher à Ravel est, lui, sa matière première qu’il façonne à l’infini que cela a pu lui offrir).

Maurice Ravel a rencontré le jazz et il en a été émerveillé jusqu’à inscrire un blues « à la Ravel » dans l’une de ses œuvres.
Maurice Ravel, en tournée américaine a rencontré Gershwin et leur admiration fut réciproque.
Et l’influence de l’un sur l’autre apparait désormais réelle (« Concerto pour piano »).

Maurice Ravel a dit que son œuvre la plus connue était malheureusement son « Boléro » bien qu’il regrettait qu’en fait, il n’y eut en elle aucune « musique ».

Maurice Ravel a cédé ses droits à un couple d’arnaqueurs et profiteurs qui se sont fait une belle petite fortune sur le dos de son patrimoine et cela a bousculé le giron des lois de droits d’auteurs et testamentaire. D’œuvres dites de « domaine public ».
Sous abus de confiance et influence, il s’est, par gentillesse, par, qui sait, naïveté, tellement happé par la musique, laissé faire.

Maurice Ravel nous a laissé plus qu’une œuvre musicale.
Il a offert au ballet quelques-unes de ses plus belles pages.
Il a posé le dandisme comme art de vivre associé à l’art et l’artiste.
Il a ouvert la voie à la musique pour le cinéma en démontrant ce que l’orchestre pouvait créer en suscitant l’imaginaire.

La musique de Maurice Ravel est toujours ou presque parallèle piano-orchestre.
C’est une somme qui reste tant complexe d’écriture qu’accessible d’écoute, pourquoi ?
Tout simplement parce qu’elle nous parle, qu’elle évoque, qu’elle raconte et qu’elle se positionne avant tout comme une invitation au voyage, qu’il soit imagé ou simplement spirituel.

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BERTRAND CHAMAYOU « RAVEL : FRAGMENTS » - Erato 2025.

J’avais cherché une intégrale de l’œuvre de Maurice Ravel pour piano, cet instrument pour lequel le compositeur a apporté une littérature pianistique et créative hors du commun.
Je m’étais fixé sur celle qu’avait enregistré Bertrand Chamayou, claire, limpide, lumineuse, réaliste et sans effets de jeu, fidèle au texte musical initial et laissant transparaitre l’émotion des pièces de la façon la plus naturelle qui soit.
Quelque part, j’imaginais, comme ça, qu’un jour sortiraient de l’ombre quelques pièces inédites, pour piano, du compositeur. A l’heure où l’on découvre, redécouvre, où l’on fait sortir des placards et des pièces sombres toutes sortes de musiques et de toutes époques, de tous compositeurs et compositrices, un cent-cinquantenaire pouvait laisser la chose possible.

Voici l’objet, la curiosité et il/elle est rare.
Des pièces, de jeunesse, des esquisses d’étudiant, des réductions d’œuvres destinées à, certainement, des répétitions sans orchestres (« Daphnis et Chloé » en fragments symphoniques, carrément irréels …), récupérées par le pianiste, en l’état avec peu ou pas d’indications et parfois juste des bribes ajoutées en troisième portée, voilà ce que raconte et présente Bertrand Chamayou (cf le livret, sobrement explicatif).
Et parmi de voyage initiatique, qui va nous emmener jusqu’aux versions pour piano des œuvres orchestrales que sont « La Valse » et la « Suite pour piano de Daphnis et Chloé », aboutie cette fois et trop rarement jouée.
Des compositeurs sous influence ravélienne s’invitent avec leurs hommages respectifs, sous les doigts habiles et la pensée conceptuelle du pianiste.
Arthur Honegger, Salvatore Sciarrino, Alexandre Tansman, Betsy Jolas, Frederic Durieux, Xavier Montsalvage, Ricardo Vines prennent ainsi place dans un programme avec et autour de Ravel.
Un parcours initiatique et incitatif qui permet de réaliser l’influence du compositeur et d’en apprécier les ramifications tant diverses qu’homogènes.

Peut-être bien l’album qui sera le plus original tant que pertinent en cette année de cent-
cinquantenaire et croyez bien qu’il offre le voyage …

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ANTONIO PAPPANO / LSO / TENEBRAE – RAVEL : « Daphnis et Chloé – Ballet ». LSO Live 2025.

Pendant que d’innombrables pianistes vont réviser leurs classiques afin de rendre le légitime hommage à Ravel et qu’Arte propose un moment de bonheur visuel, les chefs d’orchestre s’y mettent, eux aussi.
« Daphnis et Chloé » est rarement joué en son entier, on lui préfère une suite (N°2) que Maurice Ravel a écrite pour un programme de concert, délicieuse, d’ailleurs.
Le LSO (London Symphony Orchestra), sous la direction du chef Antonio Pappano s’empare, en live (au Barbican Center), de ce ballet aux accents antiques, orientaux ou disons exotiques, au synopsis envoutant et à l’orchestration majestueuse.

On raconte que Diaghilev, qui avait initialement commandé à Ravel cette œuvre créée en 1912 avec Nijinski sous la direction de Pierre Monteux, n’avait fait jouer, à Londres, d’une part que les suites extraites de l’œuvre intégrale, mais que, d’autre part il avait rayé les chœurs de l’exécution.
Cette « mesquinerie » avait excédé Ravel qui tenait plus que tout à ces chœurs orchestraux et la presse avait relayé ce scandale un certain temps …

Il est vrai, qu’à l’écoute – en particulier dans cette nouvelle version – il semble impossible d’envisager cet ouvrage somptueux sans cet élément vocal essentiel.
Il est, d’une part totalement inédit que d’user de chœurs en seules vocalisations, leur conférant un véritable rôle de pupitre orchestral et en second lieu, c’est véritablement une amputation que de les écarter du process sonore qu’a imaginé le compositeur.
Mais Diaghilev n’avait certainement pas le recul d’aujourd’hui et ses raisons seraient à analyser afin de comprendre sa motivation.

Pour cet anniversaire, le sacrilège est donc effacé et la présentation de « Daphnis et Chloé » dans son intégralité tant de ballet que d’effectif instrumental, qui plus est, en captation publique remet les choses à leur place légitime.
Laissons-nous alors empoigner par ce périple à l’antique où les timbres des bois sont chatoyants, où les cordes sont soyeuses, où les cuivres sont lumière, où les percussions sont éclatantes, où les chœurs sont l’expression de la pureté et où les harpes égrènent leurs délicieux arpèges …
Chaque moment est une surprise, chaque section est une promenade, une traversée.
Les contrastes saisissent, les nuances les plus extrêmes surgissent et attisent l’esprit et l’on se plait à voir la danse s’animer, se mouvoir, emplir de ses mouvement l’espace sonore pour le faire vivre.
Magique !...

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Voilà.
Deux albums.
La richesse du grand compositeur y est merveilleusement exprimée.
D’un côté un parcours pianistique inédit et inhabituel.
De l’autre un concert rutilant, chatoyant, interprété avec une rare ferveur et une dimension orchestrale qui font frissonner face à la beauté.

Ce n’est que le début d’une année Ravel.
Il y aura forcément, je l’espère des surprises autres que de simples intégrales (mais là encore on peut avoir des curiosités) et au gré des sorties qui pourraient être nombreuses, des événements qui devraient emplir plus que l’été festivalier, je tenterais d’y revenir – tant que possible.

En attendant, plongez dans ces deux albums et venez (re)découvrir avec eux l’un de nos plus grands compositeurs français dont l’influence est considérable.

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bon week-end.


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