DAVID SANBORN (Tampa 30 Juillet 1945 – Tarrytown 12 Mai 2024).

 

DAVID SANBORN (Tampa 30 Juillet 1945 – Tarrytown 12 Mai 2024).

Et voilà, la nouvelle s’est répandue comme une trainée de notes de blues, David Sanborn est décédé ce week-end.
Il m’est impossible de ne pas lui rendre hommage ici, cet artiste que le seul mot de saxophoniste ne peut suffire à résumer, cet immense musicien a comme nombre d’autres, mais avec une attention toute particulière me concernant, énormément rempli ma vie musicale.
Il reste en ce qui me concerne réellement emblématique non seulement de l’instrument (principalement le saxophone alto, mais il est arrivé de le croiser au soprano), mais également de ce qu’un musicien digne de ce nom se doit d’être en mesure d’installer en exemple.
David Sanborn était un artiste aussi à l’aise dans le jazz le plus exigeant, le plus aventureux  que dans n’importe quel contexte populaire où il était largement sollicité, ratissant tous les styles sans la moindre vergogne, sans exception, sans élitisme primaire, sans honte ni pudeur mais avec une conviction totalement assumée et un savoir-faire unique relevant du génie bien plus que du talent.
Immédiatement identifiable, imité par tant d’altistes mais resté unique et inimitable, David Sanborn m’est toujours apparu aussi important, en ce qui concerne l’instrument saxophone alto et les avancées de jeu sur l’instrument que Charlie Parker.
Un sorte de lignée, de contemporanéité musicale avec un jeu musical, mais aussi une sonorité spécifique qui ont marqué l’auditeur et l’histoire de la musique.

David Sanborn c’est - si l’on parle d’abord de sa sonorité qui est restée identique au fil des décennies tout en ayant évolué, tant techniquement, que technologiquement, qu’expressivement – cette acidité acidulée, cette crispation crispante diront certains, cette fermeté nerveuse et tendue de chaque note, cette hargne et cette ferveur de chaque prise de bec.
Il a partagé par cela.
Mais quant on parle du musicien, bien au-delà de cette sonorité, les avis restent, eux, unanimes.
C’était et cela restera… un grand.
Mais c’était aussi une véritable « voix » par et avec l’instrument, capable de lui faire chanter toutes les palettes de l’expression la plus intense, la plus réelle, la plus vibrante, la plus convaincante, c’était un grand chanteur du saxophone, bien plus que nombre d’autres de ses pairs.
Pourquoi ? 
Parce que là où l’on peut s’esbaudir sur la vélocité, les traits, l’inventivité, le son là encore, bref tout une pléthore d’appréciations liées à la technique instrumentale, David Sanborn qui n’a utilisé toute sa vie que quasiment et uniquement les seules gammes blues (ce qui parait incroyable quand on y pense) ne marquait pas l’auditeur par ses méandres recherchés afin d’explorations diverses et souvent peu utiles (sauf si et quand l’on s’appelle Trane), mais d’abord par son expression.
Avec cela il a donc mis en avant l’instrument comme peu d’autres ont pu le faire et sa sonorité a, de fait, au regard du nombre hallucinant de sessions, groupes, orchestres (sans parler de sa carrière solo), fait partie du patrimoine auditif collectif planétaire associée au nom de saxophone, ce bien plus que tout autre.

Oui David Sanborn a usé, dans toutes les tonalités possibles, la (les) gamme (s) blues jusqu’au paroxysme, tant de tourneries forcément techniques, de traits qui sont sa signature, que de profondeur – et c’est bien là l’essentiel – d’âme.
Si je pense expression de l’âme, je pense en premier lieu à lui et le place aux côtés de Miles, Keith et quelques rares Stan ou encore Trane…
Zut, je reste cantonné dans le jazz quand je dis cela.
Qu’importe, David Sanborn a largement œuvré pour ce jazz, comme il a largement réussi à mettre, finalement, le mot fusion à l’échelle réelle, tellement capable de tout jouer, avec partout et chez n’importe qui, la même envie, vigueur, totale volonté, expression urgente et ultime de celle qui serait digne d’un « dernier solo », de celui qu’on retiendrait, qui serait le paroxysme et ce… à chaque fois.
David Sanborn c’est bien au-delà du jazz, même s’il en use, ceci dit.
Plus exactement il s’exprime et s’épanche par le blues, donc par et avec ses racines, donc à travers la profondeur du gospel qui n’est jamais éloignée de son jeu intense. Le rythm’n’blues est marquant dans ses inflexions, son jeu là encore churchy. Il aime flirter avec les latinos et sa sonorité âpre et sexy émerge alors du fatras des percussions.
Quand on l’invite à tant de sessions rock Calif’ il pose chaque moment comme une anthologie.
Et quand il est la cerise du gâteau des stars du rock ou de la pop, il entraine dans son sillage tous les gamins, ados et même adultes qui un jour se disent qu’ils aimeraient jouer de ce truc, oui, du… saxophone.

David Sanborn est donc emblématique de la musique populaire, pas qu’américaine, quoique, tout bonnement.
Emblématique, représentatif, symbolique et peut être même quelque part, porte-parole voire passerelle de ce possible qui n’a jamais exclu la qualité, l’exigence, l’intégrité, le « niveau », le professionnalisme (il est pour moi un véritable modèle pour signifier ce mot), l’ouverture d’esprit, l’implication profonde et l’écoute véritable.
Un titre lambda, vous invitez David Sanborn et en quelques mesures d’un solo, d’une petite intervention il va transcender le sujet initial pour lui apporter un degré qualitatif inimaginable jusqu’alors, c’est bien pour cela que je parle de lui comme d’un génie musical, ceci par l’instrument mais dépassant largement ce seul axiome.
Alors tellement plébiscité qu’il a dû largement bien gagner sa vie et aura été associé à l’expression de « requin de studio », ces musiciens capables de tout faire, jouer, prompt à enquiller les sessions de studio et les cachets parfois dans une seule journée.
Certes…
Symbolique là aussi d’une époque certainement, une époque où le musicien portait un nom et par ce nom une réputation, une certitude, en sceau emblématique. On lisait ce nom dans la liste des musiciens (là encore un signe de respect envers la profession) et l’on savait que l’album serait forcément de bonne, voir d’excellente facture.
Autour de lui, d’autres noms, tant de noms illustres, marquants, importants … des potes mais surtout des amis qu’il aura invité chez lui, dans ses albums solos, sous, justement, son nom.
Des rencontres de sessions, des moments de partage et de respect, une insatiable envie de musique, de dialogue, de fusion humaine et artistique.

Parcourir l’immense artiste c’est véritablement une sorte de prouesse et pourtant je l’ai intensément suivi, ce jusqu’à maintenant, mais il a participé à tant d’enregistrements, de projets, d’amitiés musicales et a sorti tant d’albums… que je ne vais pas tenter d’escalade de l’impossible mais plutôt vous proposer, au gré de compil’s qui cette fois seront plus qu’un jeu, un panorama passant par mon ressenti à chaque fois profond, de ce que j’ai retenu de lui, de ce qui m’a marqué concernant chaque fois qu’il est apparu dans le spectre d’un titre ou dans la totalité d’un album.
Je vais tenter d’être synthétique (bien que je sais que j’en serais incapable) d’environ 10/12 titres… et surtout, de vous faire découvrir, comprendre et aimer, pour celles et ceux que cette sonorité a rebuté malencontreusement, de prime abord le musicien, l’artiste, le compositeur mais aussi l’humain extraordinaire que fut Mr David Sanborn auquel j’adresse ici mon plus profond respect, ma plus grande reconnaissance et mon éternelle gratitude pour ce qu’il a pu apporter à ma vie – et pas que de musicien (eh oui, il a largement dépassé ce simple fait).

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La première compilation sera intitulée « sessions et participations ».
Vous y trouverez des exemples (et ils sont nombreux, donc il me faut faire un tri…) du « comment » avec sa seule présence, parfois à l’arrache, en studio et ce, peu important le style, il aura pu rendre un titre sublime, à partir de peu… voire de quasi rien ou l’inverse à partir de tant que son apparente simplicité de jeu apparait comme la bouffée d’air frais dans un entrelac musical.

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SESSIONS ET PARTICIPATIONS.
Et au-delà des titres, albums à « flâner ».

01. DAVID BOWIE « Fascination » | Album « Young Americans » / RCA 1975.

« Arrête-moi cette musique, c’est insupportable ! » me sort ma mère en cet hiver de Noël où, tellement heureux d’emporter avec moi électrophone stéréo et disques, dont celui-ci acheté avec l’argent donné en cadeaux – tellement heureux et fébrile car je n’avais pas eu le temps de l’écouter – à « la neige » (ou plutôt dans cette galère aux souvenirs magnifiques appelée caravaneige) que j’en fus directement frustré.
Je crois que j’ai pu aller jusqu’à « Fascination » et m’est resté ce gout amer d’un truc inédit, là encore, chez Bowie…
Je suis persuadé me souvenir que ma seule obsession a été de profiter d’un moment envisagé seul en ces vacances afin d’explorer cet espace sonique absolument inédit et que j’ai réussi à le faire trop superficiellement … une fois par face en me promettant que rentré à la maison j’aurais le temps de me plonger dans ce « Young Americans » pour tenter d’y entendre plus clair.

Absolument fasciné, c’est le cas, par cet instrument véritablement inidentifiable (mes capacités d’alors n’imaginaient pas que cela puisse être un… saxophone et c’est la lecture de la liste des musiciens qui m’a mis sur la piste après avoir procédé par élimination), omniprésent et à la sonorité d’une rare acidité, nerveuse, crispée, serrée et surtout… propulsant un jeu d’une liberté hallucinante dans un album estampillé pop, mais flirtant allègrement avec le rythm’n’blues.
Bowie comme toujours savait pertinemment ce qu’il faisait en débauchant l’altiste renommé dans le milieu. Et là, il lui offrait à la fois l’aisance budgétaire mais aussi la popularité d’autant qu’il l’embarqua en tournée (« David Live ») et l’entrée dans la sphère rock plus populaire, voire anglaise fut certainement pour l’ar(l)tiste un merveilleux tremplin.

David, tout frais sorti de chez les frangins Brecker (et de chez Gil Evans), habitués à mettre des pédales d’effets identiques à celles de guitaristes (les claviéristes aimaient cela aussi et Miles lui affectionnait la Wah Wah hendrixienne) arrive donc en sessions et branche son attirail wah wah et certainement un overdrive… et le voici tel un serpent qui se balade, en titillant le patron David (l’autre, Bowie), qui éructe tout son blues devant, parmi, autour et derrière une armée de choristes, un Bowie tout mielleux, une bardée de guitares funkysantes et une rythmique plombée au disco/funk/rythm’n’blues bien black ghetto qui plus est bardée de percussions à la collective gospel.
Cet album de par la présence du saxophoniste, certainement peu sobre et forcément cérébralement et physiquement tendu aura rebuté pas mal de suiveurs qui tentaient déjà d’arriver à suivre, justement, Bowie.
Il est ici omniprésent, il inonde le spectre, joue partout, entre chaque brèche, dans chaque interstice, soliste, renfort, contrechant, couleur… il est, finalement, le véritable chant interne de l’album (« Somebody Up There Likes Me »).
Des portes se sont ouvertes de part et d’autre pour les deux David.
L’un aura achevé Ziggy et déterminé son Thin White Duke.
L’autre aura fait dresser l’oreille vers un axe sonore inédit car traficoté ou même quand joué « naturellement », à l’acidité retentissante totalement inhabituelle et installé sa réputation de saxophoniste sortant du jazz, tout terrain, modulable et adaptable à toutes situations…

Moi, j’étais un ado d’environ 15 balais et je n’avais d’oreille que pour ce truc qui faisait des phrases permanentes, sur vitaminées, excitantes, irritantes mais addictives et j’ai immédiatement inscrit ce son (« Right ») dans mon ADN auditif mémoriel, pour ne jamais, plus jamais, l’en sortir.  
J’étais devenu, sans vraiment m’en rendre compte, accro à David Sanborn.

02.
MICHAEL FRANKS
« Monkey See-Monkey Do » | Album « The Art of Tea » - Warner 1976
« Chain Reaction » | Album « Sleeping Gypsy » - Warner 1977
« Tahitian Moon » | Album « Objects of Desire » - Warner 1982
« Don’t be Shy » | Album « Skin Dive » - Warner 1985

Quatre titres ne suffiront pas à décliner l’immense apport de David Sanborn aux chansons de Michael Franks.
Ils résumeraient, peut être bien…
Mais à quoi bon – en fait, et peut être bien, finalement, un album de Michael Franks sans David Sanborn c’est un peu le gâteau privé de sa sublime cerise, excusez cette image pâtissière et gourmande, mais chez cet artiste, le saxophoniste a peut-être bien propulsé ses solos « populaires » les plus représentatifs, réalistes, véritables et authentiquement, humainement, musicalement marquants.
Pourtant, il sait s’entourer Mr Franks… et bien souvent David se retrouve en sessions aux côtés de l’autre star de l’instrument, au ténor cependant, Michael Brecker qui là aussi, d’ailleurs signe – autrement, ce qui est logique – de magnifiques interventions.
Mais c’est ici que David brille, à mon sens, de ce savoir-faire ultime qui lui est personnel et qui fait de lui l’un des plus grands si ce n’est le plus grand, toutes catégories stylistiques confondues.
Le schéma est pourtant assez ordinaire, ou commun si l’on veut.
Soit il apparait succinctement en introduction…
Soit il attend le moment des deux tiers du titre pour balancer LE solo, celui qui va faire que le titre ne sera plus jamais comme les minuscules minutes de juste avant et il va le rendre génial, il va le magnifier, le booster, lui apporter le contraste d’expression que Michael Franks ne fait que susurrer et intérioriser, là où David Sanborn va exploser littéralement l’expression contenue et la rendre « publique ».
Un formidable jeu de rôles.
Puis, il ne peut « partir » ainsi et il va au fil de la fin du titre parsemer par ci par là les restants de son solo magnifique, par bribes, par derniers jets de notes, toujours bluesy, par cris ou rauquements, par toute une panoplie érotique de sons qui ne nous quitteront plus et dont on attendra avec fébrilité que se réitère dans l’album suivant, le même degré Sanborn de niveau de sensationnel.

J’ai découvert par hasard total Michael Franks et, curieusement par un album live (« with Crossfire » dans lequel il n’apparait pas. Je cherchais un disque d’un artiste peu connu à offrir pour l’anniv’ d’une amie et la vendeuse de la Fnac m’avait conseillé celui-ci).
Bon, non seulement je suis reparti avec, lui empruntant pour ne lui rendre que quelques mois plus tard, mais j’ai directement été me procurer tout ce que je pouvais trouver de Michael Franks et par lui j’ai pu découvrir tous ces musiciens de studio exceptionnels, heureux de retrouver là cette sonorité made in David Sanborn.
Mais écoutez moi ce solo dans « Monkey See », c’est juste simple et… inégalable d’énergie positive.
Mais regardez comme il arrive à s’installer d’entrée comme essentiel avant et autour du chant « Chain Reaction » pour tomber un solo absolument incontournable de groove et de feulements, de hurlements jouissifs, de blues profond… autour de cette rythmique fabuleuse mixte Crusaders/LA Express… et en conclusion il reste là, en l’âme.
Alors le voici qui apparait au loin à l’horizon dans cette délicieuse balade qu’est « Tahitian Moon », effleurant de simplement six petites notes d’intro un sujet qu’il va prendre en patience pour enfin illuminer en beauté mélodique d’un solo minimal mais chargé d’intentions le titre. Il est là et cette chansonnette à la mélodie propre et pop devient éclair musical. Ce avec… strictement … rien…
« Don’t be Shy » - et enfin, parmi tant de perles, le voici qui entre en bataille entre machines eighties, basse de synthèse miraculeuse et arpèges hypnotiques, là encore d’entrée de jeu en quelques notes signifiant sa présence… plus tard…
Là même schéma, verse, puis chorus avec chœurs et bardée de loops et enfin… oui enfin… le voilà, souple, aérien, mélodieux, contrastant avec cette rigidité synthétique, exprimant la seule et véritable musique… ce bien sûr jusqu’au bout en reprenant à son compte sa petite phrase d’intro afin de la transcender… simple comme… Sanborn.

David Sanborn chez Michael Franks…
on devine respect, amitié, envie de, don ultime de soi pour le meilleur…
Et on touche là, effectivement… ce meilleur.

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03.
GIL EVANS « Priestess » | Album « Priestess » - Antilles 1977.

S’il faut redécouvrir et réapprécier l’immense Gil Evans je conseille fortement cet indispensable album où David Sanborn est absolument monumental.
En pupitre il insuffle et génère le son du big band (il faut savoir que le premier alto en big band est l’équivalent du premier violon en orchestre symphonique) et impose cette énergie, cette dimension incisive, cette force qui sont le trait déterminant de ce concert exceptionnel.
Comme soliste il est ici prépondérant et décisif, se taillant la part des lions avec de sacrées pointures qui veulent en découdre pour une joute des plus amicale et jubilatoire.

Comme toujours le grand Gil Evans a eu le don de sortir d’improbables albums, ou d’un répertoire diamétralement semblant loin du jazz, des titres pouvant servir de prétextes, de tremplins, d’arguments, de supports pour déployer le talent de ses musiciens auxquels il laisse un libre court enthousiasmant qui fait qu’on écoute cet album « comme si on y était », tant l’énergie qui s’en dégage transpire.
Ce titre « Priestess » connaitra là une heure, enfin quelques grosses minutes, glorieuses, possédé par des interprètes sous l’hypnose musicale du grand shaman et introduit par ce bon gros synthé vintage…
La triade Soloff, Blythe, Sanborn nous propulse vers des sommets que j’estime encore inégalés, ils balancent ici tout leur jus, chacun mettant en évidence son domaine de compétence, de jeu, de personnalité et c’est justement cela qui fait qu’une sauce unique prend.
Ici, ils s’additionnent sans se concurrencer, ils se complètent sans rogner sur leur déterminantes personnalités, chaque solo est un pur représentant de chacun, Sanborn  gueulard et bluesy de l’extrême à souhait, Soloff déchirant tout sur son lumineux passage et Blythe caressant le free.
Un moment rare, un album difficile à se procurer…
C’est curieux comme les grands moments deviennent incidemment « collectors ».
S’il est un album de Gil Evans …
Et David Sanborn a été l’un des piliers essentiels du virage du grand maitre vers Hendrix, vers un jazz ni rock ni autre d’ailleurs, juste exclusivement différent…

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04.
RANDY CRAWFORD « Look Who’s Lonely Now » - « Windsong » | Album « Windsong » - Warner 1982.

Nous voici là dans l’archétype de l’apport qu’a pu faire David Sanborn à tant de chansons.
Ici Randy Crawford offre un album à l’empaquetage classieux en s’entourant des meilleurs musiciens studio de l’époque.
Une sorte de must du genre où l’on croise sur des compositions signées Leon Russell, Bill LaBounty, Steve Wonder ou  encore Michael Sembello les guitares de Buzz Feiten, Dean Parks ou  Steve Lukather, les claviers de Leon Pendarvis, la basse d’Abraham Laboriel, de Neil Stubenhaus ou encore le drumming de Jeff Porcaro. Les cuivres sont arrangés en général par Jerry Hey (Al Jarreau) pour ce son nerveux et quasi synthétique et bien évidemment en couleur émergeante de ceux-ci, David Sanborn.
Il n’est par véritablement surprenant que ce soit lui qui ouvre l’album, d’emblée, posant ainsi la direction FM, le jeu soul/rythm’n’blues/pop-funky que va prendre l’album délibérément « commercial », mais là encore, cette volonté évidente est servie par les meilleurs et donne une certaine saveur à l’ensemble.
L’introduction de « Look Who’s Lonely Now » est indissociable de ce titre que pourtant Dave n’ira pourtant pas enregistrer chez son compositeur le grand Bill LaBounty, laissant (chez LaBounty) la vedette à Steve Lukather.
La voix chargée de ce vibrato unique de Randy est en parfaite adéquation avec le vibrato quasi identique de feeling de Dave et cela donne un résultat émotionnel d’une intensité absolue sans que pour autant aucun surlignage dans ce sens ne soit réellement fait.
L’écriture des cuivres est un must du genre et les chœurs semblent droit sortis d’une église de Harlem. Quant à la section rythmique et sa partition… quel régal !
« Windsong » quant à lui semble carrément écrit afin d’installer le solo de Dave de façon lumineuse et là encore propulser son intervention d’une charge émotionnelle absolument renversante qui me fout le frisson à chaque fois et ce depuis tellement d’années (1982) – comme quoi l’émotion ne se perd pas avec le temps.
Il faut remarquer le background de cors et cordes qui donne un rendu d’une exceptionnelle souplesse sans parler d’un petit triangle qui vient faire groover le truc.
Là encore le vibrato unique de Randy nous fera vibrer.
Un grand album, servi par des musiciens et orchestré avec une rare qualité, si ce n’est un trop rare niveau…
Cela nous manque tellement aujourd’hui dans ce registre estampillé « variété internationale » que ce degré de culture et de conscience d’interprétation mis à la portée volontaire de tous.

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05.
BILL LABOUNTY « Slow Fade » / « Comin’ Back » … | Album « Bill LaBounty » - Warner 1982.

La même année donc, Dave participe à cet enregistrement de Bill LaBounty.
Le casting des batteurs est à lui seul traumatisant pour ceux qui à cette époque s’ingéniaient à travailler des plans de studio issus des albums de cette facture américaine : Gadd, Porcaro, Newmark sur le même album, de quoi rêver…
Bref un déplacement de CTI et Toto dans un mix musical mi jazz pop, mi country, mi variété internationale somptueusement orchestré par des pointures tels Mandel, De Caro...
L’énumération ici des pointures qui font la facture exceptionnelle de cet album que je chéris encore malgré les innombrables écoutes que j’en ai fait laisse encore à réfléchir dans le sens de cette capacité qu’avaient les américains à cette époque à mettre au service du pop song le plus populaire qui soit le casting musicien le plus high level possible.

Comme pour l’album précédent (Randy), mais dans le registre masculin et sans reprises, avec (et c’est important), des compositions originales… David Sanborn illumine par ses quelques interventions, à tel point qu’il semble apparaitre sur l’ensemble de l’album alors qu’il n’en est rien
Mais sa sonorité et sa présence, y compris en texture dans les cuivres là aussi arrangés par Jerry Hey, apportent l’indéniable touche expressive ajoutée à ce chant si mélancolique de Bill LaBounty.
Un album, pour moi, inoubliable.

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06.
JACO PASTORIUS « Come on, Come Over » | Album Jaco Pastorius – 1976 Epic Records.

Quel bassiste n’a pas joué (ou tenté de… jouer) tant bien que souvent mal cette ligne fabuleuse de Jaco qui groove, s’insinue, tournicote comme lui seul savait le faire avec cette densité, cette vélocité, cette technique, cette sonorité souple et féline qui étaient son sceau, sa pâte.
Ici Dave est avec ses potes les frangins Brecker dont il fit partie dans leur premier album (on en parlera) et il jette en s’échappant du pupitre où il est réellement « le son », ses piqures bluesy geignardes et acides, bataillant entre un Herbie totalement funky, ses amis cuivrés totalement à fond, un Jaco volubile comme pas permis boosté par le redoutable Michael Walden et sur vitaminé par Sam and Dave ; chanteurs soul plus que s’il en est.

Tout le monde a entendu ce titre phare.
Il a positionné Jaco et en a fait la star de la basse électrique que l’on a mis en face de Stanley Clarke, jazz dit rock oblige…
Tout le monde le connait donc mais… le trublion de service qui excite l’affaire… qui pousse tout le monde pour l'envoyer dans ses plus formidables retranchements, c’est… David Sanborn…

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07.
BRIAN FERRY « Don’t Stop The Dance » | Album « Boys and Girls » - E.G 1985

Sur cet album, David Sanborn illumine pour un seul titre, mais au sortir c’est bien celui là que l’on retient, basé sur cette soul british moelleuse comme un canapé de velours, évocatrice comme le crissement subtil du bas nylon, souple comme un bengal, doucereuse comme un rendez-vous aux chandelles…
Brian a énormément progressé vocalement depuis les débuts chevrotants mais authentiques de Roxy.
Il joue à fond son rôle de playboy crooner, à la classe d’un James Bond du pop-rock, et en plein milieu des eighties le voilà qui s’entoure de la crème pour propulser dans les charts son sixième album, sexy en diable.
Le gang des ricains de haute volée est là, Nile Rodgers, Marcus Miller, Neil Jason, Andy Newmark, Omar Hakim et même Mark Knopfler…
Et puis il y a l’alternative british avec ni moins que David Gilmour ou le ressortissant de chez Peter Gabriel/King Crimson, le bassiste Tony Levin, cet américain qui a prêté son Stick Bass pour nombre de prods anglaises.
Sur ce titre absolument hypnotique, Andy Newmark est arrivé à grands renforts de Simmons Drums en complicité avec Marcus Miller tandis que John Carin tisse une toile de nappes affriolantes aux synthés. Nile Rodgers instantanément reconnaissable est là.
Et David Sanborn entre cette fois en catimini, autour d’une simple phrase qu’il va prendre en compte pour progressivement, comme il a l’habitude en sessions de studio, la sublimer.
Il va alors se promener dans le background, surchargé d’effets magiquement dosés, réverbérés, de delays issus directement de la technique du dub et son apparition va, là encore, rester en mémoire, comme l’un des moments clés de ce « Boys and Girls ».
Comment faire beaucoup avec si peu…
Une bien brillante démonstration.

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08.
THE ROLLING STONES « Pretty Beat up » | Album « Undercover » - EMI 1983.

On a eu pas mal de grands du saxophone chez les Stones, il aura fallu attendre 1983 pour ceux-ci l'invitent pour un de ces solos rentre dedans dont il a le secret.
Sur ce beat obsessionnel où Jagger éructe pour sortir de l’enfermement de chœurs de ses comparses qui ne décollent pas de leur boucle infernale, au milieu d’un fatras de guitares sanglantes, d’un bordel approximativement calculé de cuivres saturés, Dave va se tailler la part du lion en poussant son blues rock de jeu pour cette fois quasi guitaristique à la face de tout ce foutoir. Il sature lui-même sa propre sonorité, fait véritablement hurler de jouissance son saxophone en l’envoyant immédiatement vers les contrées aigues les plus tenaces, les plus hargneuses, les plus agressives aussi.
Oui, il aura fallu attendre un paquet de temps pour que le choc de ces titans puisse enfin se faire.
Mais il faut savoir qu’un jour, avec la patience, tout est possible.
Purée, que j’adule ce titre !

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09.
JOHN SCOFIELD « Pick Hits » | Album « Electric Outlet » - Gramavision 1984.

Puisqu’on en parle de titans, alors allons y gaiement.
Ici nous voici face à la rencontre entre le freeman tromboniste funky au son énormissime issu du fin fond de la Nouvelle Orléans, Ray Anderson (Slickaphonics entre autre, pour ceux qui voudraient en baver un peu plus), le leader John Scofield aux audaces harmoniques, soliste et tellement incroyables qu’il en a traumatisé du monde, jusqu’à Miles… et, David Sanborn, tellement puissant, tellement blues, tellement…
Dans ce titre (mais chaque titre de l’album est un petit bijou de perfection) tout est construit, organisé, pensé afin que chaque soliste explose littéralement pour son intervention, puis… rentre dans le rang d’un thème complexe et désintégré, surjacent à ce que l’auditeur retient principalement, à savoir le riff.
L’entrée de batterie par Steve Jordan vaut à elle seule son pesant préfigurant d’emblée un moment anthologique.
Dans cet environnement David Sanborn est « dans son élément »…
Il l’est dans nombre d’autres c’est certain et la petite sélection de titres précédents en atteste, mais ici, dans ce jazz qui n’est plus rock, dans cette fusion qui dépasse ce seul terme et dont il n’a eu de cesse de faire partie, avec à ses côtés l’inventivité, la créativité, la compétence, le haut degré musical et technique, il peut nager à niveau égal, sans contrainte urgente de la session de studio à caractère commercial, où il est généralement engagé pour sa grande valeur ajoutée.
Ici David Sanborn est effectivement, comme ses comparses (en particulier Ray Anderson) l’une des valeurs qui s’ajoutent à cet album où Scofield joue également la basse pour cette sonorité de direction artistique très eighties, sèche, raide, nerveuse, produite par l’ami Steve Swallow, ancien comparse du premier trio de John Scofield avec Adam Nussbaum.

Titre de haute volée…
Album indispensable pour se dire que non, dans les eighties le jazz était encore très chaud et que John Scofield, d’ailleurs, le revendiquait haut et Loud (album « Loud Jazz » qui en atteste…).

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10.
LARRY CARLTON « Upper Kern » | Album « Sleepwalk » - Warner 1981.

On conclura cette première visite dans l’univers de Dave Sanborn, visite guidée à travers quelques-unes de ses très nombreuses participations, toutes catégories confondues avec cet éclat de lumière qu’il apporte au sein de cet album culte de Larry Carlton.
Un album qui a également permis de faire réellement décoller le guitariste qui, tout comme Dave, a lui aussi eu une carrière tant soliste que de sessions qui laisse rêveur.
La rencontre de deux grands…

Sur ce tapis qu’on appelle aujourd’hui smooth mais qui était plutôt indéfinissable en ces années 80 puisque ce « genre » fusionnel, brèche ouverte entre le jazz, le funk, la variété internationale et le feu jazz-rock était juste en passe de devenir fusion.
Ici Dave dialogue avec le leader, en toute évidente amitié pour un thème écrit en leur perspective de jeu commun.
Dave surfe sur l’orgue de Terry Trotter et les interjections de cordes écrites et dirigées par Larry lui-même.
On oscille d’un groove assez massif (Porcaro-Laboriel) vers un climat presque nocturne – c’est d’ailleurs l’ambiance générale de cet album : nocturne et étoilé.
Le son rond et chaleureux de Carlton contraste généreusement avec celui de Dave, sur un mode bluesy qui leur sied à tous deux et dont ils font leur fer de lance, langage plus que commun les concernant.

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J’avais promis environ 10…

Je ferme les volets, range très provisoirement les nombreux albums où le nom de David Sanborn surgit soit en leader, soit au détour d’une session, tel qu’ici.
Il a quasiment tout joué, tout fait, côtoyé tout le monde, des plus grands aux émergeants…
Et forcément…
On l’a tous, oui tous, entendu un jour.
Pour ma part je l’ai écouté tant de fois…
Merci Mr David Sanborn – à très bientôt pour la (les) suite(s) de votre carrière vue d’ici.






Commentaires

  1. Crois-moi volontiers, avant de lire ton papier j’ai jeté un œil sur la présentation AMG de M. Sanborn, qui porte bien son nom tant il a collaboré (je sais que tu ne l’aurais pas faite celle-là) et je me disais, ce serait bien une compilation comme celle de Duane Allman, regrouper ses participations… Et en attaquant ton papier, exaucé !!
    Le bilan : Un titre de Bowie que je n’écoutais pas beaucoup tant j’ai usé quelques autres titres, pourtant je l’ai en vinyle mais pas fait attention. Surtout que ce même David S. se déchaîne sur le morceau titre.
    Un monument titre le Gil Evans !!
    Michael Franks je connais et grâce à toi. Et mon bonus c’est ma découverte de Randy Crawford, j’ai profité de ma mâtinée pour écouter la dame. Un titre comme « Windsong » me faisait penser à cette période soul de Robert Palmer. Larry Carlton aussi ne m’était connu que de nom.
    Le reste m’était déjà davantage familier.
    En aparté j’ai chargé mais pas encore écouté quelques albums solos de David Sanborn.
    Pour plus tard. Sinon, il y aura une suite ? Sa participation avec Stevie Wonder par exemple ?
    Un autre commentaire, tu as bien fait d’insister sur le talent du monsieur, le son de son saxo, si c’est l’instrument qui est en cause plutôt que la production apporte une couleur que je rejetais à priori, sans insister je trouvais la texture trop synthétique pour reprendre un terme que tu utilises. En décidant que c’était juste pour décorer sans imaginer un vrai travail, en fait sans m’y attarder. Bon, sauf sur le Bowie, son jeu fait en grande partie le plaisir d’écoute.

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    1. David Sanborn fait partie intégrante du paysage musical que j'ai toujours eu et admiré.
      Ce permier opus pour lui rendre hommage et, comme je l'ai fait avec Carla Bley, je vais poursuivre les écrits sur lui, ses participations et collaborations (!), son éclectisme naturel, ses albums solo incommensurables...
      Bref, un gros flash sur lui à travers cet essentiel pour moi, sa carrière et sa musique ...
      En attendant il y a un paquet de ses concerts en mode youtube y compris son émission (très mal pixelisée) où il invite et interview nombre d'artistes amis, etc avant de faire la jamsession avec eux...
      Hautement recommandable que se mettre au hasard un concert de David Sanborn ce, quel que soit "l'année", et pour une fois, moi qui ne suis absolument pas un passionné de la captation de concerts, préférant écouter que voir, je me laisse à chaque fois embarquer par son charisme musical et son implication, sa générosité et son aisance ainsi que l'amitié qui transparait entre ses musciens et lui.
      Donc il y aura une suite.
      Merci d'être comme toujours, passé par ici commenter.
      Belle fin de journée.

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