ALAN WHITE (14/06-1949 – 26/05-2022)

 ALAN WHITE (14/06-1949 – 26/05-2022)


Mai…

Alan White, dont le nom est peut-être obscur pour certains se doit d’avoir quelques lignes ici.
Juste un hommage, quelques rappels et la reconnexion pour ma part entre son nom, son jeu musical qui y est associé et un groupe qui aura été (et reste) l’un de mes axes fétiches.
Un groupe de prog, n’en déplaise aux éternels détracteurs du genre aux œillères peu capables de discernement. Mais je leur laisse là le débat – on peut le relancer dans n’importe quelle étiquette où le musical n’est pas forcément le premier axe. Malheureusement.

Côté prog et batterie (un instrument que j’ai largement pratiqué avec en ligne de mire référentielle des batteurs entre le prog, le jazz rock puis bien entendu le jazz), je pense directement Bill Bruford.
Bill – dont il faut lire l’auto-bio afin de réaliser le pourquoi de cette musique, de ce mouvement, et sa vérité – c’est pour moi et reste, LE batteur du rock prog…
Même quand celui-ci s’émancipera pour créer ses propres directions volontairement jazz (un jazz écrit bien souvent ou dirigé par ses soins), sa sonorité si reconnaissable, sa pâte technique et inventive/créative, sa personnalité évidente dans le jeu resteront (à son grand regret) implicites des grands groupes du genre pour lesquels il a mis son talent à contribution.

Si Bill est et reste le batteur du prog, Alan White est et reste le batteur de Yes, celui qui succéda à Bill, celui qui au fil des albums a redimensionné le jeu particulier qu’impose la musique de ce groupe.
Bill a ouvert.
Alan a consolidé, fait matière et impliqué avec son jeu, sa technique particulièrement brillante et sa personnalité discrète tant qu’efficace, le « son » Yes.
Je me suis peu penché sur sa carrière.
En chaque album de Yes et dès leurs sorties – des rendez vous que je n’ai jamais lâché – sa présence était une évidence, nombre des ses astuces plurielles renouvelées s’inscrivaient naturellement dans l’image sonore du groupe. En cela – ça m’a largement suffi.
Il est des artistes à la carrière peu protéiforme ou médiatique qui pourtant marquent de leur sceau une époque, un style, une période, une esthétique et une direction.

Un jour j’ai même été surpris, en réécoutant pour la énième fois le « Imagine » (tant le titre que l’album) de Lennon, de découvrir au détour de la line out des musiciens qu’il était le batteur de ce pavé de génie.
J’ai par la suite appris qu’il avait raccroché au nez de Lennon, le sollicitant pour les sessions, croyant à un canular.
Je crois que c’est arrivé à Katché avec Peter Gabriel…
Décidément, ces batteurs…

Si l’on se penche sur cet « Imagine » l’on y remarque un break, simple, direct et efficace qui fait la teneur du jeu de l’artiste.
Pas grand-chose, en soi.
L’évidence même d’ailleurs.
Sauf que ce break est imprimé dans le titre et indéboulonnable de son interprétation.
A partir de là…

Bref Bill, s’en va, après avoir marqué de son empreinte les trois premiers albums de Yes (« The Yes Album », « Fragile » et « Close to The Edge »). Anderson et Squire vont alors le chercher et lui mettent la pression. Il a trois jours pour apprendre le répertoire car la tournée (qui sera immortalisée par Yessongs » est programmée.
En se référant à la bio de Bill, on sait les difficultés relationnelles entre Chris Squire et Bill.
On sait aussi que Bill est parti à la suite de « Close to the Edge », estimant qu’enfin le groupe était arrivé à un chef d’œuvre et qu’il ne voulait plus participer à d’autres accouchements difficiles tels que celui-ci, qu’il avait vécu ainsi, tant musicalement, artistiquement et humainement.
Bon il partira chez Robert.
Bref il faut lire ce bouquin. Et un pan se révèle.

« Yessongs » est un gros pavé, une sorte de gâteau avec beaucoup trop de crème, live et capté avec des moyens redoutables pour l’époque il atteste pourtant, à mon sens, d’une étape transitoire.
Il sert de passerelle et ce sera certainement pour Alan White tant l’occasion de faire ses preuves, que d’intégrer la Yes Family et… d’y rester.
« Yessong » est un objet culte à la pochette de Roger Dean qui le pose véritablement comme un tout artistique. Un tout où musique, son, graphisme et créativité se scellent en un.
Yes, quoi…

Alan White va donc pouvoir passer cette étape de réinterprétation où sortir du cadre du jeu de Bill est un challenge impossible pour désormais partir dans le champ d’investigations des futurs délires créatifs, pharaoniques parfois, toujours gigantesques et ambitieux du groupe.
Ces investigations qui sonneront le glas du genre, le public, ne suivra plus et la démesure tant musicale avec des titres à rallonge et des concerts colossaux mettront Yes en première ligne des futurs détracteurs de cette musique en développement permanent mais qui, connotation rock oblige, s’est par trop éloignée de ses bases.

« Tales from Topographic Oceans », un double album de quatre titre et de quatre faces mystiques…
« Relayer » qui lorgnera vers le jazz rock à l’occasions d’envolées clavier-istiques de Patrick Moraz, nouveau venu et remplaçant de Rick Wakeman parti concertiser le genre, en solo…
« Going For The One » absolument majestueux de part et part où Wakeman est de retour…
« Tormato » et « Drama » (qui lui aussi opère un virage stylistique et clôt une période de haute créativité…)
Ces albums seront en bonne place de chevet dans mon passage à un âge relativement adulte, entre addiction adolescente au genre par l’accroche première de « Fragile » et un « Relayer » qui aura été usé aux côté des Return to Forever, Jeff Beck, Mahavishnu et autres, forcément, KC ou ELP.  

Au gré de ces albums Alan White s’installe, prend une place obligatoire, incontournable, immuable.
Son jeu s’amplifie, se développe, se perfectionne tant techniquement qu’en densité, souplesse et inventivité. La musique de ce Yes là permet et autorise les sorties d’un jeu par trop carré, cadré ou essentiellement « rythmique ».
L’association Squire / White fonctionne à merveille et va embarquer le groupe vers de puissantes sphères créatives.
Les beats s’alternent avec des envolées chargées de breaks, de climats, d’ouvertures possibles.
Le son de Squire associé à celui de A.White s’arrondit, permettant à Howe de s’envoler en soliste, en side, en rythmique de façon unique et magistrale..., permettant à Anderson de caresser d’avantage ses aigus naturels.
Le spectre s’élargit, les titres prennent les tournures de développement classique, changeant en quelques minutes de directions, prenant des formes de plus en plus complexes.
Alan White est l’architecte des ces formes progressives, il en amène les changements, les consolide, les installe et les fige.
Il est aussi capable d’un jeu nuancé, presque symphonique. Un jeu qui demandera un matériel qui fera se déployer l’instrument batterie, un déploiement auquel il participera activement et qui aujourd’hui est bien visible sur nombre de scènes où la batterie prend une démesure visuelle souvent ahurissante.
Au gré de ces albums on notera sa réappropriation de nombre de styles qu’il va injecter dans les titres, cela va du rock le plus basique à l’insert africanisant sous module percussif, en passant par des clichés latinisants. Pour autant à aucun moment cela n’apparait comme tel, ce n’est qu’en s’y penchant que l’on pourra vérifier, constater.
Une autre preuve de grand talent.
Alan White sait aussi… ne pas jouer… et laisser des plages entières sans batterie, laissant parler la musique quand cela est nécessaire.
Une preuve d’écoute et de personnalité capable d’une mise au service d’une essentiel.
Il est aussi tributaire de parties totalement improbables – injouables diront certains…
Ecoutez « Tormato » où la batterie y a part créative centrale (un solo capté en live et récupéré pour une composition qui s’organise apparemment autour de celui-ci) et une intro rythmique d’une rare étrangeté…

Puis Yes ira caresser les chart, à nouveau.
Le bulldozer tubes va les obliger à revoir la copie.
Genesis va s’enliser, Phil part chanter en solo et les laisse seuls, sans Peter après une trilogie qui eut pu être prometteuse s’engluer dans un fatras où nombre d’albums auront du mal à trouver leur place dans mon environnement pour s’autoflageller avec « I Can’t Dance », le pire objet musical qu’auraient pu créer des types d’une tel génie initial…
Yes va balancer « Owner of a lonely Heart », arbre cachant une forêt de titres d’un album au demeurant captivant.
Alan White met la technologie dans ses futs, « modernise » son jeu (il n’est pas le seul) et radicalise ses beats, revenant à l’essentiel du mode pop song.

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Je suivrais alors toujours Yes, rarement superficiels, commerciaux ou inintéressants.
La voix haut perchée de Jon, les chœurs travaillés qui l’accompagnent (auxquels Alan White prêtait sa voix – autre performance) …
Le jeu volubile et aigu de Squire, plus soliste que pilier.
Les envolées extraordinaires de Wakeman, Moraz, Downes, créateurs d’espaces et d’horizons multiples, chargeant la musique du groupe d’un imaginaire poursuivant la porte d’entrée des pochettes de Dean.
Les myriades sonores de Howe, si identitaires, si particulières, si peu « suivables »…
Le jeu ouvert, puissant, solide et inventif de Alan White.


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Il est des disparitions qui directement rappellent.
Décidément ce mois-ci, entre Vangelis et Alan White, qu’il ne me viendrait pas à l’idée de comparer si ce n'est, qu’à leur manière, ils ont façonné la musique, celle d'une esthétique surnommée prog, à laquelle l’on aura accolé new age ou ambient - cette esthétique, avec leur départ, en a pris un coup.

Des pages se tournent.
Des musiques restent et avec elles ceux qui ont participé à leur son, à leur identité à leur pérennité.
Replongez-vous dans les albums du groupe Yes.
Décollez les étiquettes prog qui servent d’œillères et prenez le temps d’apprécier ces développements qui ne sont en rien des longueurs, ces solos qui ne sont en rien démonstratifs ou virtuoses inutiles, ces plages d’une rare écriture, quasi classique, tout cela soutenu par le jeu incontournable et représentatif de Alan White.

Qu’il repose en paix.
Mon admiration et mon respect vont vers lui.



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