HERBIE HANCOCK – « Walk into the Sunlight » - (Saison 2)

 

HERBIE HANCOCK – « Walk into the Sunlight » - (Saison 2)

Le chapitre Blue Note s’est terminé en beauté et en s’ouvrant vers l’électricité, la chaleur des lampes des amplis, les doigts ont appris à courir aussi sur des claviers peu sensibles et il a fallu pour cela maîtriser au passage quelques notices, ondes de forme, apprendre à ces doigts à sortir de leurs touches pour jouer aussi des potentiomètres et moduler des ondes pour en faire sons, univers, chatoiement…

C’est ce Herbie là que j’ai découvert en premier.

Nous sommes en pleines seventies, je m’escrime à terminer mes études au conservatoire avec le meilleur brio possible. L’harmonie m’a tendu la perche, mais l’école de celle-ci avec un prof d’une rigidité rarissime et d’une éthique élitiste va me faire progressivement mais et immuablement me tourner vers le rock puis en passant par le prog, vers le jazz.

« Live Evil » de Miles m’a fait entrer dans cette chaleur électrique inédite, vivifiante, transformante…
Je n’y comprends pas grand-chose à cette liberté qui sort à plein jus de mon électrophone, mais ce sera un choc, un vrai, du genre tellurique, du genre qui va me faire poser mes Pourpres chéris avec leurs copains Zeppelin « à part ». Les renier n’est pas et ne sera jamais d’actualité.
Ils ont déjà dû cohabiter dans ma tête (et mes étagères) avec Yes, Genesis et E.L.P puis, côté débats avec les potes et cette arrivée dévastatrice pour le copinage du punk c’est chaud de chez chaud…
Alors là, tu débarques un soir avec « Live Evil » et il y a – comme qui dirait – rupture.
Keith et Chick et même Joe sont là dans ce fatras, ce conglomérat sonique, cette lave en fusion, ce bourbier libertaire… ils triturent leurs claviers respectifs et même dans les moments recueillis ils te sortent des truc lunaires, des jets de virtuosité dans des plans improbables, des masses d’ondes mouvantes mues par leurs modules empruntés (piqués) aux guitaristes…
John Mc Laughlin est réellement barré tel un Ornette ayant empoigné une guitare et Miles, quand à lui se prend pour Hendrix.
Il a wha wha -té sa trompette, la fait hurler tout azimut, elle inonde le spectre, elle trace une « direction » qui bouleverse et tel un boxeur sur le ring il frappe et met tout le monde KO.
Michael Henderson est arrivé de chez Stevie.
Il fait ce qu’il sait faire et qu’il fera pendant toutes ces années électriques aux côtés de Miles : poser des lignes de basse immuables qui seront le point d’ancrage, de racine, de repère pour ces expérimentateurs, barrés, voyageurs, invités, potes, troublions, amuseurs, fous, exciteurs, génies, libertaires … de passage.
Tout va alors se centrer sur et autour de lui – il est le nerf de cette guerre que Miles décide contre le conformisme, l’establishment jazz, mais aussi contre une avant-garde envers laquelle il a un réel mépris qu’il affiche. Il va plus loin et sort du jazz pour flirter avec Hendrix et un flower power aux impros enfumées et sous acide, interminables, réservées aux voyageurs qui ont pris leur billet et se sont eux aussi, embarqués pour une mort qui ne sera pas spécialement reconnaissante.
Au Cellar Door, à Washington, il enregistre une série de concerts, il passe aussi en studio où il fait tourner les bandes pendant des sessions aux compositions ouvertes et aux consignes tant brumeuses qu’évocatrices. Teo Macéro son producteur, sort le cutter et sur le Revox il mélange, découpe, mixe, met en forme ces bribes ou longs moments. Tellement nouveau comme concept, comme technique, comme approche. Le jazz passe non seulement à l’électrique, au binaire, au rock et surtout au funk à la JB, mais il sort de son cadre du « jeu de morceau » pour partir de prise de son en les assemblant afin de créer le morceau, un arrangement sur matériau, sur enregistrements…
Une autre vision.
Révolutionnaire…
Miles devient Selim, Live devient Evil et l’opulence créatrice et de genèse black va s’opposer à la gangrène maladive white. Jeu de contrastes, opposition raciale.

JB, le funk, ce truc qui fait directement suer, onduler un corps figé par l’adolescence boutonneuse…
On en parle partout… Best a fait un article du plus mauvais effet sur lui lors d’un de ses passages à Paris, un truc truffé de han,han, shh, oops, bref, la pochette de Macéo avant l’heure…
Mon prof de zic, au collège nous a fait écouter Sex Machine, le live du disque éponyme…
Mon sac besace militaire change d’épaule, ce truc-là, faut que j’aille voir de quoi il en retourne…


Herbie…

Je vais à la médiathèque et je cherche à la lettre H.
On m’a dit qu’il fallait que je découvre ce pianiste puisque j’aime non seulement Miles mais aussi George Duke de chez Zappa.
Le hasard, cette tronche sur fond de ciel bleu, coupe afro, lunettes intello…
« Secrets »…
Le diamant se pose sur le sillon d’entrée et dès ces grattes si merveilleusement réparties que même Defunkt en aura piqué la recette, j’ai su que ce gars entrait définitivement dans ma vie.
J’ai pris une claque incroyable !
Identique à celle de « Live Evil », différente, mais au degré du ressenti tant cérébral que surtout physique, ça a frappé direct.
Alors la quête de ce funk robotique et torride à la fois aura été obsessionnelle, alors mon jeu de batterie a immédiatement et radicalement changé de voie et Harvey comme James ou Mick sont devenus mes nouveaux objectifs.
Tenir le cap, avoir un feeling, un groove, faire danser le drumming et mettre toute la technique jubilatoire en rigueur, en « boite ».

« Secrets », je l’ai finalement acheté, puis usé au sens auditif comme au sens palpable, je crois qu’à ce jour il « craque » tellement qu’il en est devenu quasi inaudible…
Qu’importe j’en ai acheté un autre, puis un autre et encore un autre…
Herbie est monté en haut de mon podium.
Je n’étais qu’un pianiste jouant le classique avec des partitions, certes de haut niveau, mais enfermé dans cette lecture, ce cadre, ce mode de jeu.
J’avais réussi à m’émanciper de la classe de percussions classiques pour devenir batteur.
En une poignée d’années l’instrument et ses approches, ses esthétiques et ses mentors a évolué de façon considérable – les batteurs de Herbie, tout comme le fut très vite Tony Williams, m’ont traumatisé et fait user ma métrique, ma souplesse, ma frappe sèche et pugnace.
Herbie, je l’ai commencé par là… et de nombreuses années après je l’ai continué en écriture mais surtout et aussi derrière les claviers et là… ce fut la récompense que de plonger dans ces rythmiques de clavinets et pianets nerveuses, fédératrices, fusionnelles, magiques bien sûr et apportant oui, simplement… le bonheur. 
« Doin’it » - et c’est parti.
Un agencement tel un puzzle de modules rythmiques qui s’emboitent les uns dans les autres et forment un tout tant complexe qu’immédiatement accrocheur.
LA marque de fabrique Herbie / Mr Funk…
et ce refrain…
EWF peuvent aller se rhabiller, Chic en prendra de la graine mais Herbie reste le maître de cette fusion de bribes rythmiques.
Bennie Maupin – dont on oublie l’apport tant créatif, que sonore et de concept entre improvisateur et mélodiste raffiné – a électrisé ses saxs et leur ajouté des modules empruntés au jeu guitaristique. Lui aussi use de la wah wah et crée ainsi le doute...
Sa multi-instrumentalité fait mouche et les clarinettes basse et autres flûtes ouvrent un champ des possibles souple et léger sur cette rythmique de plomb funkysant.
WahWah Watson et Ray Parker Jr se tirent la bourre avec chacun son rôle, ils sont complémentaires, ils s’amusent, ils s’éclatent même.
Petits gliss… cocotes à foison, rythmiques irrésistibles, tout y passe de même que la mouth box dont un peu plus tard Herbie saura se souvenir en étant le pionnier du… vocoder.

(Je me souviens d’une master classe de direction d’orchestre Big Band avec le grand Laurent Cugny – il nous fait écouter – puis jouer – l’un de ses titres de « Dromesko » et interroge sur le clin d’œil guitare caché là et sur le mode d’agencement des sections qui s’emboitent en puzzle rythmique, forcément je n’ai pas mis plus d’une mesure pour lui citer « Secrets » et Herbie… et forcément on a passé quelques repas ensemble à échanger, il était déjà chef de l’ONJ et son projet Miles faisait carton… C’est ainsi que je lui ai présenté, en toute humilité, le mien… commencé à peu près à la même époque, mais pas suffisamment abouti).
La basse (Paul Jackson) a retenu la leçon davisienne de Henderson et s’invente des lignes absolument effarantes.
Dans « Secrets » Herbie s’invente arrangeur synthétique stratosphérique et le voyage dans l’espace de ces sonorités tirées de ces/ses nouveaux jouets électroniques est vraiment une mirifique invitation.
D’improbables cors, de somptueuses nappes de cordes synthétiques, des clavinets et pianets acidifiés, un Rhodes usant d’un trémolo, de chorus, de wahwah – toute l’artillerie de l’époque y passe et est traitée, redimensionnée, réinventée pour le projet musical.
Il réverbère, delay…e, bref grands frimeurs de l’électro avec vos Nords rougeots, venez jeter une oreille sur le boulot synthétique de Herbie – ou comment faire avec le balbutiement technologique pour créer des espaces / textures sonores inédit(e)s.
L’album passe comme un moment de participation que le corps ne peut éviter, où le pied ne peut s’arrêter de battre une pulsation tellement inévitable.
Il passe par une reprise tellement freak de « Cataloupe » qu’on aurait peine à reconnaitre le célèbre thème, puis en fin de parcours il y aura cette déviance, cette vision qui nous dit « Hé, les gars, attendez, on n’est pas encore arrivés, préparez-vous pour la suite ! »… (« Swamp Rat ») …
« Secrets » reste non mon préféré (quoique), mais en tout cas mon passage électrique le plus marquant dans ce jazz, qui là, n’a strictement plus rien à voir avec l’idée de jazz-rock, mais qui plonge dans des racines afro américaine profondes et populaires.
Le jeu d’Herbie s’est simplifié, rythmisé, ses solis creusent le sillon du blues et par là il devient honky à souhait. Quant aux compositions, elles sont organisées pour tant le live que l’intelligence de forme.
Thèmes en riffs immédiats se mélangent avec plages planantes mélodiques et extrapolées, climats jazz s’emmêlent avec jeu rythmique obstiné directement issu de Stevie qui est ici partout, sans pour autant être mimétisé.

« Secrets » m’aura amené à cet album « V.S.O.P », un live que m’acheta ma copine d’adolescence, elle qui détestait cette musique autant que je ne supportais pas les tubes de Neil Young susurrés et détruits par une méthode à Dadi qui ne lui rendait pas, finalement tant service…

Un double album pour un concert retraçant (déjà) la carrière de l’artiste.
Face A et B le fameux VSOP Quintet, sorte de réitération de celui de Miles avec F. Hubbard et une maturité différente. Les compositions Blue Note du maître (et de Wayne) sont à l’honneur et sorties du contexte du label pour un décrassage tant virtuose que débridé, dévastateur et impliqué, elles prennent là une tout autre dimension, s’écartant souvent de la plénitude originelle pour passer dans un modernisme affranchi et assumé, jeté à la face du public. Herbie a, pour des besoins logistiques, sorti son Cp Yamaha, il se fend d’une intro presque evansienne, impressionniste, dont j’ai examiné tous les recoins et puis dès l’entrée avec Tony tonique, souple, puissant, volubile, technique et porteur, poussant le tout dans les extrêmes, c’est parti… !
Puis en face C le sextet prend place et l’on part dans un voyage dont il sera difficile de se ressaisir et qu’oublier sera impossible.
The finest after the greatest introduit Herbie… Deux titres « Toys » extrait de la période Blue Note est à cheval entre jazz post hard bop et modernité électrique et « You’ll know when you get there » sorti directement du jus des albums du sextet – même dimension, même choc, même trip…
J’imagine le casse-tête logistique  afin, enfin, d’installer le Herbie Hancock Group dont on retrouve ici deux titres emblématiques « Hang up your Hang Up » et « Spider »…
Un festival de funk torride, franchement, le bonheur !...
De cet album live j’ai pu commencer à explorer et m’enticher du « tout Herbie » - tellement initiatique furent ces faces que mon entrée en jazz par le VSOP fut plus « simple », que les routes parallèles entre « Bitches Brew » et les albums du Sextet m’apparurent évidentes, qu’enfin le Herbie funky et tritureur de matos devint vite une obsession…

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J’avais dit que chronologiquement je serais mouvant…
J’ai abordé Herbie dans le désordre pour finir à tenter de l’ordonner si cela est possible car il faut tout de même le suivre le gaillard…
Il est capable de passer du jazz le plus acoustiquement engagé à la sauce kitchissime mais tellement bonne funky, il va faire des rencontres inédites, il va de sessions en sessions prêter mains agiles à Stevie, par exemple dont le légendaire « Songs in the key of life » ne lui apparait pas, à sa sortie comme représentatif du génie de l’homme.
Il est déçu et le dit…
C’est à chaud et sans le recul face à un album devenu légende et pourtant l’essence de la magie initiale qui sort dans la version que nous connaissons tous lui apparait comme un gâchis de ce qu’il pressentait lors des sessions où il fut invité.

Dans ce désordre chronologique, le VSOP va désormais prendre une place primordiale et « Tempest at The Colosseum » sera mon album de fatigue instrumentale côté batterie car je travaille à m’en user la santé tout ce que Tony lance de maîtrise et de savoir-faire dans cette explosion live.
L’impatience du suivant achèvera cette quête et osciller entre les grooves du Herbie funky et la liberté désormais sous un contrôle technique inaccessible de Tony me sera difficile à gérer.

Dans ce désordre chronologique il va y avoir l’entrée du Sextet avec un univers interplanétaire qui m’embarque vers des contrées dépassant la terre. Je lis, ado, énormément de SF et d’Heroic fantasy, en bouquins comme en BD et je trouve dans cette musique (tout comme dans celle du Miles de « Bitches Brew », « Big Fun ») des similitudes d’évasion, technologie et sons inédits se mêlant à des univers extra-planétaires, des imaginaires aux lieux et personnages mutés, les pochettes de Herbie aidant à rapprocher rêve issu de ces lectures (et d’autres substances) et voyage sonique extratemporel.
C’est peut-être là et pourquoi pas, par-là, que l’approche musicale de cette période particulièrement foisonnante et créative de nombre de groupe issus de la sphère électrique de Miles a pu me toucher.
Cette plongée dans le son plutôt que dans le chemin harmonique, dans l’ambiance plutôt que dans le véritable solo, dans l’intemporel puisque les plages peuvent atteindre les 25 à 30 mn en s’entrecoupant de découpages en climats variés, différents et émergeant de « nulle part »… ça brisait tout de même sacrément les habitudes…
Tant des jazzeux que de ceux qui comme moi y entraient.
Où étaient les repères ? Quel chemin comptait le plus dans cet entrelac de sonorités encore peu indentifiables (qui fait quoi ?) ? Cette écoute de masse, de globalité, changeait de l’écoute par plans des autres musiques, parfois pas de ligne mélodique, juste… du son et une pseudo pulse et d’un coup, hop ! ...


Je me suis créé les clés pour entrer dans ces univers et cette volonté, cette patience tant que cet effort a payé.
« Mwandishi » - « Crossing » - « Sextant » sont des albums où l’on voyage, que l’on voyage et desquels se sortir une fois (et peu importe l’ordre dans lequel on les joue) l’un d’entre eux exploré parait impossible. Alors on en veut encore, et encore.
Herbie et ses amis adoptent un nouveau nom en correspondance avec leur récentes explorations spirituelles qui les amènent au bouddhisme.
Il y a là Eddie Henderson, ce trompettiste méconnu et oublié qui pourtant a été cheville ouvrière de cet ensemble passé légendaire, il y a aussi Julian Priester au trombone qui mettra du temps à se défaire de l’aventure en tentant même de la réitérer chez ECM avec « Love Love ».
Bennie Maupin est essentiel comme il l’était en coloriste chez Miles avec son barda de vents en tous genres qu’il utilise avec ce grain particulier, cette émotion et humanité et cette souple légèreté qui aident à franchir l’espace terrestre pour s’embarquer vers les cieux. C’est un improvisateur à la personnalité marquante, c’est un alter ego idéal pour les aventures musicales de Herbie.
Billy Hart et Buster Williams se jouent des tempis, de la métrique, en usent ou abusent, s’en émancipent et surtout ne font jamais débordements – comme pour « Bitches Brew », ce qui compte c’est la direction et l’axe immuable sur lequel l’on va s’émanciper, s’exprimer et duquel on va sortir pour s’extérioriser pour vite revenir dans cette sphère, ce cocon sonore et pas forcément moelleux.
Des invités sont conviés à l’aventure, parfois… guitare, ou encore spécialiste du traitement de ces synthés tellement nouveaux… et Herbie organise tout cela par pistes claviéristes, par idées desquelles germent beats, impros, textures, sons…
La comparaison avec les versions studio et live permet de comprendre l’axe de créativité et de progression des titres. En fait, elle est en quelque sorte pré-établie, quelques grooves, quelques libertés, des solos répartis et à l’intérieur des sections c’est ouvert, libre, possible…
« Sextant » est le plus âpre et c’est comme si R2D2 s’invitait à une jam session terrestre d’humains échappés dans l’espace. « Crossing » est le plus captivant à mon sens et « Mwandishi » le plus expérimental et libre…
Mais chacune de ces pépites représentatives de ce jazz qui va muter et se barrer ailleurs peut être considérée avec ces points de vue… il suffit d’entrer par une porte et de se laisser porter.

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« Secrets » donc mais aussi « Man Child » sont en ligne de mire de ce Herbie Hancock Group. Deux albums au groove puissant, implacablement agencé en combinaisons rythmiques hypnotiques.
Le vaisseau spatial a embarqué des robots de toutes sortes qui cohabitent avec les humains.
Les uns tentent de se rigidifier et s’ancrent dans la métrique immuable, les autres s’humanisent en sonorités accrocheuses, en interjections de langage soliste sensuelles, freaky et honky.
Ce mélange, cette combinaison, déjà dès le sextet, c’était là, mais déstabilisé (quoique « Hornets »…) – là, avec ces deux albums on va directement à l’essentiel et Herbie va de plus en plus aller en ce sens dans une période funk définitivement affichée.

Mais au milieu de tout ça il y a… les « Headhunters »…
Et là, ce sera pour clore cette saison 2 avec ces derniers épisodes – je parlerais des trios du maestro dans une prochaine saison, tout comme de ses albums truffés de synthés, d’invités, de jeux de mains jamais vilains.
Avant « Headhunters » j’ai eu l’ultra choc de « Thrust »…
Justement, Herbie est dans un vaisseau spatial et part vers des destinations desquelles il va revenir chargé de trésors pas que synthétiques.
Ça commence par un beat drums marqué à souhait, sorte de machine avant les boites à rythmes, impitoyable, ne laissant d’autre choix que hocher du chef et se laisser embarquer. « Spank-a-Lee »…
Puis il y aura « Butterfly » et son solo de Rhodes que je place tout au sommet des solis du grand H.Hancock. Un foisonnement d’idées, de virtuosité, de langage personnel, de feeling, d’énergie…
« Actual proof » c’est ce truc à la progression harmonique inimaginable, à la couleur chatoyante, mystérieux, énigmatique… beau.
« Palm grease »… achève un album et nous achève…
Désormais rien ne sera plus comme avant, cette énergie jubilatoire est entrée dans nos/ma vie et c’est terminé je sais qu’il va falloir compter avec.
J’écoute cet album encore régulièrement et rien n’y fait, je ne peux m’en passer et à chaque fois c’est la même plongée.

« Headhunters » donc sera la passage obligé.
D’abord ce rythme de « Chameleon », à la batterie fait partie du patrimoine et il faut le « sentir »… et ce solo de synthé crado, ce pianet funky… pffff….
Herbie relifte en mode bottle son célèbre « Watermelon Man » et franchement c’est irrésistible et puis - et surtout - il y a « Sly » !
Je suis raide dingue de ce titre qui mêle habilement liberté débridée sur points d’ancrages fixés et prédéterminées, dont il sera difficile de s’émanciper, donnant ainsi au soliste des rdv obligatoires.
Et puis on se joue des tempis, ça part en tous sens rythmiques sans parler ce ces solos…
Un pur chef d’œuvre et il ne faudra pas négliger pour autant le dernier titre « Vein Melter » qui maintenant on l’a compris ne referme pas la porte mais l’ouvre vers le futur…
« Flood » n’est pas sorti en cette période, ce live qui met en évidence la grande complicité et l’écoute de ces embarqués de la symbiose rythmique…
On peut le reconnecter à tout ça…
Jubilatoire !
… Tant qu’indispensable pour parfaire cette plongée électrisante.

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Bon, rien que d’avoir réouvert cette page qui a nourri tant mon adolescence que préfiguré mon chemin irréversible vers le jazz, j’en ai tiré tant souvenirs que le plus grand des plaisirs.
On écoutait Herbie en boucle, on bouffait ses solos, on s’obstinait à « rendre » cette métrique immuable et pourtant si souple, on cherchait la liberté avec des accords et des plages musicales qu’on souhaitait ouvertes, sans prérequis, rien, juste un petit prétexte et go…
Mais on restait pourtant plus aptes à copier Return to Forever et ses ramifications (Stan, Al, Chick et Lenny), on savait faire l’âpreté et la dureté du Mahavishnu mais conceptuellement c’était « autre chose »…
Alors on se rattrapait sur le prog, finalement notre culture européenne, si parallèle au classique de nos études…
On a bien tenté les incartades Zappa et aussi cherché du côté de Gong-Moerlen ou Soft Machine versions « Bundles ».
Un état d’esprit.
Une période de nos vies qui nous a amené tant vers l’exigence technique que l’ouverture musicale.
Mais Herbie, c’était un peu comme Miles – on écoutait, on kiffait, on tentait…
Mais c’était tellement … haut…
Tiens, essayez donc d’imaginer un groupe (même aujourd’hui) de jeunes (ou pas que) se lancer dans « Sly »…
Ou encore de tenter l’essence de « Quasar »…
Amenez en sessions de travail « Eye of the Hurricane »… jouez le, dépassez le afin d’avoir le recul suffisant pour transmettre son « message »…
Non, rien de tout cela n’est « simple » et pourtant Herbie fait passer tout cela avec évidence, comme ça et comme si « de rien n’était »…
Probablement ça, l'essence du génie...
(Mozart... dont Herbie jouait en concert un concerto, tout gamin... déjà...) 

A bientôt pour la troisième saison…




 



 

Commentaires

  1. Superbe. je me suis plongé avec plaisir sur SCRETS et surtout sur VSOP.
    Tiens justement SLY. Pour la discuss.
    Tombé sur une bio qui racontait la fascination d'un Miles Davis pour Sly Stone. Je comprends la même chose côté Herbie Hancock. Reste une interrogation? Et M. Davis et M. Hancock sont de bien plus grands musiciens - dans le sens maitrise de l'instrument - que Sly, c'est une intuition fondée sur l'absence d'information expliquant que Sly était un virtuose ou un innovateur ou un génie de tel ou tel instrument.
    Mais alors, cette attraction? En écoutant le titre "SLY" je me demande si malgré tout il n'y avait pas la recherche de ce que Sly & the family Stone incarnait avec facilité, un groove - quel autre terme? - difficile à reproduire. Le "SLY" de Herbie Hancock est encore très cérébral, j'ai enchaîné "Sex Machine" de Sly (rien à voir avec JB) qui est de suite pffff et si "simple"
    Je reviens sur cette question, est ce qu'ils cherchaient à ajouter, à rechercher, à comprendre un ingrédient à leurs talents?

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    Réponses
    1. je crois que bien souvent des artistes ayant un tel niveau aiment et admirent une forme de simplicité, d'efficacité que leurs approchent ont du mal à rendre aussi directes.
      quand miles a sorti on the corner pour lui cet album était éminemment simple et direct...
      quand toi tu l'écoutes ce n'est pas la même perception.
      sly, jb, hendrix ont marqué les esprits, un impact universel, une musique qui puise dans les sources et qui n'a besoin que de conviction pour être acceptée, car son message est direct.
      alors forcément, cette immédiateté fait rêver tout artiste...
      mais... comment faire ?...

      glass quand il a écrit la heroes symphony basée sur la trilogie bowie/eno a dit que seuls des musiciens autodidactes étaient capables de telles explorations et expérimentations, car la musique savante ayant en elle un bagage tant d'usages que de "science" de suite elle se mettait sans le vouloir des barrières ne permettant pas non d'aller aussi loin, mais d'oser l'immédiateté avec tant d'expérimentation "innée".
      il faut de tout pour faire un monde...
      parker admirait stravinsky et disait que tant que le jazz ne s'écrirait pas sa crédibilité ne dépasserait pas son "peuple".
      miles a cherché à épurer, les accords d'abord (kind of blue), puis progressivement il est arrivé à un seul accord en complexifiant le rythme, claquant sur JB, mais avec le langage jazz qu'il lui était impossible de "rétrograder" qq part.
      herbie a le modal dans les doigts, le blues il l'utilise très peu ou plutôt, à sa manière... et c'est par cela qu'il est reconnaissable immédiatement (bon j'aurais des exemples qui diront le contraire, mais...) - aussi il va lui aussi creuser l'aspect rythmique et il le décompose en 16 beats, ce qui donne ce débit et de fait cette vélocité.
      ils rendent hommage, admirent, de temps en temps s'encanaillent avec... mais ces références sont des socles desquels ils partent de suite extrapoler avec leur vision...

      à +

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  2. Je vois que tu as été prolifique ces derniers mois, et moi qui m'étais arrêtée à l'épisode précédent 😊
    Je reprends donc dans l'ordre, je n'ai écouté que "Takin'off" et "Maiden voyage " pour le moment, il y en a tellement ! Finalement je connaissais déjà un peu, j'ai bien apprécié, suffisamment pour avoir envie de continuer...comme tu ne suis pas l'ordre chronologique, je me demande si je dois plutôt le suivre ou toi dans tes déambulations pour ne pas être trop perdue ?
    Ce sont de passionnants petits essais que tu nous proposes là 😉

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    Réponses
    1. Merci de ton comm'
      Pour l'ordre, c'est comme tu sens en fait, car de tt H.H c'est l'aventure et le fun à chaque album, qq soient les époques...
      Puis si tu fais dans le désordre, tu recolleras ensuite les bouts chronologiques ;)...
      Oui j'ai pas mal écrit ces temps, c'est par période...
      En ce moment j'ai un peu l'envie - et parfois du temps, alors...
      THX
      à +

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