BIG BAND – GRAND ORCHESTRE – COLLECTIF … Chapitre 1.

BIG BAND – GRAND ORCHESTRE – COLLECTIF … Chapitre 1.
Les indispensables (?) en six étapes.

Le Big Band.
4-5 trompettes …
3-4 trombones, 1 trombone basse, un tuba ou un euphonium (parfois) …
1 flute (parfois).
5 saxophones (2 altos, 2 ténors, 1 baryton)
1 piano – parfois à la direction et souvent aux arrangements.
1 guitare (parfois)
1 basse ou une contrebasse
1 batterie
1 percussion (parfois)

pff … ça fait du monde tout ça.
Et, au fil des décennies du jazz, tant le concept que l’écriture ont évolué, se sont parfois normalisés, ou ont délibérément expérimenté, voire cherché d’autres modes de jeu.
Des Big Bands, il y en a partout, dans le monde, sous couvert du terme jazz et, selon les contrées, chacun apporte sa touche nationale, locale, culturelle, etc.

Des noms, des noms…
Il y en a tant, le Big Band est tout de même un des fleurons du jazz et le métier d’arrangeur qui s’est très rapidement positionné, ou d’orchestrateur si l’on veut bien entendre et cibler une réelle différence.
Si l’on parle Big Band on ne peut éviter Count Basie et Duke Ellington, Glenn Miller et Benny Goodman, Woody Herman ou encore Mel Lewis, sans oublier Quincy Jones - voilà pour les classiques et avec leurs discographies respectives on peut tenir des années d’écoutes quotidiennes, tant ils on produit d’albums et avec ceux-ci, fait évoluer le « genre ».
Car le Big Band c’est… un genre, aussi.
Allez quelques autres : Gil Evans et donc chez nous Laurent Cugny, Bob Mintzer et donc forcément Jaco Pastorius et donc juste à côté le Big Band synthétique que fut Weather Report. Maynard Ferguson, Mc Coy Tyner, Carla Bley, peut être même Frank Zappa, George Gruntz, L’instabile Orchestra, Antoine Hervé, Denis Badault, Claude Barthélémy et en fait les O.N.J …
Deodato, Le Sacre du tympan, Mais où est donc Ornicar, Martial Solal, WDR Big Band, Vienna Art Orchestra, GRP, Paul Anka, Sinatra …
Bon je liste de rapide mémoire et franchement y’a de quoi faire.

Alors, je vais piocher au gré de quelques chapitres, ça et là et passer par les incontournables, mais surtout prendre en compte les coups de cœur et surtout partir en quête, en recherche, en aventures.
Ca va péter dans les enceintes, ça va cuivrer à bloc et nom d’un chien que c’est bon que de prendre cette énergie en pleine face et de vibrer avec cette masse compacte et tendue, nerveuse et rutilante.

Allez, c’est parti !
Feu !

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01- « E=MC2 / THE ATOMIC MR BASIE » - Count Basie Orchestra arrangements Neal Hefti – Roulette 1958.

On va commencer par cet incontournable de la discothèque jazz et en même temps oblitérée « Big Band ».
Count Basie est au Big Band ce que la Tarte Tropézienne est à Saint Tropez … aussi savoureux, aussi crémeux, aussi simple (en apparence).
Count Basie c’est le blues façon jazz et immédiatement dansant à la façon Lindy Hop, festif, jovial, décontract’, intense et sans concession, basé sur des archétypes dont il est tributaire et qui ont servi de mode d’emploi.
De son piano - avec un jeu là encore semblant simple et dépouillé, souvent chargé de ragtime, de stride, de boogie, de swing et de blues/gospel – le Count, dirige de quelques notes, de quelques appuis, de quelques traits et facéties, afin de gérer, entrées, rubatos et autres rigueurs de tempo.
Un pur modèle du genre et si l’on y réfléchit, cette direction depuis le clavier avec regards, mouvements du corps et parfois, quand on le lâche, elle existait avec Mozart, parmi tant d’autres.
Autrement dit, le piano est la synthèse de l’arrangement, sa « réduction », sous les doigts, l’ensemble est « compacté » et de là, il a été élaboré, construit, écrit, arrangé, orchestré.

Count c’est aussi ces petits clichés de fin qui sont inscrits dans la mémoire collective jazz et qui servent bien souvent de coda (en général un petit chromatisme qui en trois notes harmonisées de façon schématique amène l’accord final).

Le nombre d’albums de Count Basie, sous son nom, sous le nom de Count Basie orchestra, de Count Basie Big Band, etc. est encyclopédique.
Il a fait joujou avec les tubes de Beatles, il a célébré Noël, bien évidemment, il a fait une battle mémorable à deux Big Bands avec celui de l’autre pendant du titre anobli du jazz, Mr Duke Ellington.
Il a accompagné tant Frank Sinatra (qui à Las Vegas avait imposé à ses organisateurs que les membres de l’orchestre de Count vivent comme les blancs, à l’hôtel au lieu d’être relégués à l’extérieur de la ville dans des baraquements) que Tony Bennett, Ella et tant d’autres stars pour lesquelles il a prêté son nom et son savoir-faire.
Count c’est aussi le bon vieux blues des hurleurs de Chigago, Jimmy Rushing et Joe Williams, pour des albums là encore indispensables.

Fin 1957, le Count Basie Orchestra entre en studio et enregistre les arrangements et compositions de Neal Hefti, un ancien trompettiste de chez Woody Herman, ami de tournée de Shelly Manne. Il écrivait, dit-on, les partitions à la volée, dans la cuisine, sur commande de son patron Bob Astor.
Il a commencé à travailler pour Count Basie au début des années 50 et cette collaboration a vu son apogée avec cet album audacieux, présentant une réelle évolution de l’écriture et de l’arrangement du schéma Big Band, là où jusqu’alors, les sections s’organisaient soit directement en live sur les grilles d’accords, soit étaient écrites sur ces poncifs d’harmonisation simple du thème et d’organisation de backgrounds très normatives, sur rythmes prédéterminés.

Avec « Atomic Mr Basie » sur des titres restés essentiellement blues (mais dont les grilles et les progressions recèlent de véritables avancées pour le genre) voici que le Big Band passe réellement au degré de musique parfaitement écrite, calibrée, organisée et surtout les « voix » des instruments de déploient bien au-delà de la seule base de l’accord, cherchant des extensions harmoniques qui vont ouvrir le champ orchestral, élargir le spectre et redimensionner la cadre jusqu’alors assez serré, compact et ramassé.

« Atomic Mr Basie » c’est pour moi, l’album de référence de la formation dite Big Band.
Il contient des titres incontournables du genre tels « Splanky » ou encore « Lil Darlin’ » que Hefti avait proposé comme un titre rapide. Mais Basie, fatigué par les sessions et constatant qu’il n’y avait de titre lent, proposa de la jouer dans un tempo d’une rare lenteur.
Ce titre fut l’un des succès de l’album et il possède un solo de trompette mémorable et incontournable.
Quant à « Splanky » il fut l’un des titres que j’avais adoré lorsqu’un jour, il y a très longtemps, lors d’une rencontre de ces grandes formations, l’ensemble référent qui nous avait invité (nous n’étions qu’un Big Band naissant) avait joué ce titre. Ce jour-là, je m’étais dit qu’un jour, nous saurions jouer avec ce swing, ce monument du jazz/blues. Ce ne fut pas fait immédiatement et même jamais avec cet orchestre – mais – c’est bien le premier titre que j’ai mis au répertoire dans ce nouveau Big Band que je dirige et encore une fois, commencer par Basie, c’est, disons, la base.

« The Kid From Red Bank » ouvre l’album tel un feu d’artifice, le jeu pianistique de Count est mis en avant. Un jeu puisant dans le Ragtime, subtil, plein de pastiches, de farces, d’humour le tout relancé, en dialogue avec des cuivres pétaradants, atomique donc.
« Duet » va, sur ce tempo médium-swing et posé sur l’immuable guitare en pompe de Freddie Green, installer un jeu de questions / réponses entre le leader et l’orchestre qui a embouché ses sourdines diverses et variées, pendant que les trombones vont, de temps à autre forcer généreusement le trait pour mieux faire chanter le pupitre de saxs et offrir un solo de trompette inclusif, un modèle donc.
« After Supper » s’ouvre par une entrée blues et le thème l’est tout autant. La trompette soliste en harmon est au loin, au fond puis un majestueux solo de saxophone ténor ponctué de petites touches et installé sur un walking contrebasse va nous faire vibrer de ce blues véritable, authentique. Count s’offre un solo tout en limpidité et touches disséminées. Noblesse oblige.
« Flight of the Foo Birds », up tempo, swing bien que le bop et son phrasé aient déjà fait mouche. D’ailleurs le solo d’alto très parkérien puis les suivants indiquent que le Count suit bel et bien l’actualité de ses comparses et lâche la bride à ses musiciens forcément influencés par ces nouvelles directions.
« Double O », si l’on connait le swing fast à la Basie en voici un autre parfait exemple, dirigé depuis les incartades du piano, envoyant des éclats de trompettes s’insérant dans le thème des saxs et puis comme toujours, nombre d’effets qui donnent « le style » (la descente chromatique côté cuivres, la montée côté saxs…), sans parler de ce solo de ténor, rauque à souhait, frénétique et dansant.
« Teddy the Toad » calme le jeu, encore une fois Basie joue les intrigants au piano, le pupitre de trombones est mis en valeur. Le jeu des pupitres est un véritable puzzle d’agencement orchestral et puis quelle harmonisation !
« Whirly Bird » est l’un des tubes, le socle contrebasse (E.Jones), batterie (Sonny Payne) et guitare ne s’en laisse pas compter et ça avance. La partie de saxs est un véritable enjeu technique sans parler des interventions des cuivres (ah le cliché du glissando…) puis d’un tutti véritable monument d’écriture. Et quel solo sur tempo – de feu.
« Midnite Blue » remporte mon adhésion avec son phrasé qui comporte toute la grandeur de l’écriture pour le jeu collectif bluesy, un moment de feeling pur.
« Splanky » - et son intro qui peine à donner réellement le tempo, son thème ponctué habilement par Basie et puis, ce jeu de question réponse pour le thème lui-même. Et un tutti d’une telle puissance évocatrice. Oui… le JAZZ !
« Fantail » est encore une fois précisé par Basie au piano et puis la rythmique va prendre le pas et alors ça fuse de toute part pour lancer des interventions en solo de batterie absolument jubilatoires.
L’album se conclut par « Lil Darlin » petit diamant qui est posé sur tout l’écrin qui vient de défiler sous nos oreilles éblouies, un moment paradisiaque qui n’avait échappé à notre cher Henri Salvador qui avait mis les paroles « Count Basie » sur ce titre flemmardant.

« Atomic Mr Basie » est un album incontournable pour positionner le son, la texture, l’écriture et l’arrangement ainsi que l’effectif instrumental de l’image sonore du Big Band.
Les compositions sont d’une incroyable qualité et elles sont arrangées en conséquence ce qui fait que sortir ces titres du contexte grand orchestre pour les jouer en petite formation n’a pas encore trouvé son véritable « sens » tant elles sont associées à cette présentation musicale.
Finalement je trouve cela plutôt bien à constater et comme pour une symphonie il apparait non inimaginable, mais bel et bien difficile à concevoir que l’idée de ne l’écouter autrement que dans sa vérité orchestrale puisse être.
C’est sur ce dernier constat que je reste, preuve avec ce pavé incontournable que le jazz a ici eu quelque part les lettres de noblesse (à savoir l’entrée dans le versant savant de l’écriture) auxquelles, musique de transmission, d’improvisation et de peuple … il aspirait en reconnaissance.

Si vous parlez Big Band, vous devez mettre cet album en haut de la pile.
Il existe désormais en album avec le bonus de l’ensemble des sessions – un must.

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En second lieu il est impossible de ne pas présenter une œuvre de Duke Ellington.

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02- « Black, Brown and Beige » - Duke Ellington – Columbia 1958.

Parmi là aussi, l’impressionnante discographie et œuvre de Duke Ellington, souvent consacrée aux grandes formations telles que le Big Band, ce depuis le début de sa carrière où il écrivait pour le Cotton Club avec certes une formation plus combo et diversifiée au niveau instrumental (banjo, violon, cornet, tuba… côtoyant les traditionnels cuivres du jazz), il en est une majeure : la suite « Black, Brown and Beige ».
Plusieurs raisons expliquent cela.
Si l’on se réfère à l’idée de « suite », c’est là qu’Ellington va composer sa première « suite », ayant choisi cette « forme » musicale bien récurrente dans la musique classique, mais ouvrant une possibilité d’ouverture et d’organisation rapport à des formes plus strictes comme celle dite sonate et bien sûr l’organisation de la symphonie classique), pour positionner le jazz, sa culture, ses racines, sa spiritualité et tant de critères d’appartenance à cette musique… au « grand public ».
L’occasion était de taille pour le faire puisque c’est au Carnegie Hall en 1943, pour son premier concert en ce lieu tenu par les blancs, prestigieux, qu’il présenta cette œuvre, organisée en suite et désireuse, par trois couleurs, de représenter sa race, son peuple et la réalité de l’afro-américain.
C’était audacieux.
Cela n’a pas, on s’en doute, eu le succès escompté, mais l’œuvre et son manifeste restent un emblème pour le jazz et la population afro-américaine.
La première couleur représentée dans le premier mouvement de la suite, c’est le noir.
Il y évoque le chant de travail (work song) et la spiritualité menant vers la lumière.
Le second mouvement de la suite est brun et il nous parle du blues, du métissage antillais et de l’émancipation de son peuple.
Quant au troisième mouvement, il aborde la couleur beige, l’afro américain est maintenant installé avec plus ou moins de liberté, mais il est bien là dans cette nouvelle société et il y a contribué depuis les années 20 jusqu’à la seconde guerre mondiale où en tant qu’américain, le peuple afro-américain est américain à part entière.

Duke Ellington aimera ce schéma structurel de la « suite » et il en composera de multiples dans sa carrière. Celle-ci, n’aura pas été appréhendée à sa juste valeur.
Trop comparée aux suites de la musique classique la critique de l’époque n’aura pas tenu compte du message – ou aura préféré soit le pointer, soit passer à côté – s’en tenant à la forme musicale au lieu de prendre le message contextuel dans son ensemble.

Ecouter cette œuvre c’est pénétrer dans la profondeur authentique de ce peuple, de sa culture, de sa musique.
C’est une prise de conscience musicalement exprimée.
Le véritable chant des trompettes d’une expressivité inimitable et imageant la texture de Duke, les bois (en particulier clarinettes) chauds et lancinants, pleurants et intimes, les saxs en glissades et aux harmonisation sulfureuses, la batterie en mode jungle, le violon qui émerge de cette luxuriance, etc. tout cela est ici en résumé de l’écriture savante de Duke, musicien classique du jazz, représentant de son peuple, ayant laissé des traces d’écriture de la musique le symbolisant.
Depuis, là aussi, son piano, le grand chef, tel un soliste de concerto mène tout cet ensemble aux couleurs diffuses de main de maitre et les solistes n’ont pas plus que cela l’écart possible de la jam.
Ici on est dans du « sérieux » et on constate qu’il n’est pas question de Big Band mais de Duke Ellington and His Orchestra. Il n’est pas question de « divertissement ».
La vérité musicale est écrite et se joue sur partition, le jazz désire entrer dans le panthéon de la musique savante et Ellington est certainement l’un des rares en capacité de relever ce défi (le seul capable à cette époque de le surpasser/sans l’égaler, de façon plus généraliste et moins enracinée, de fait et de culture oblige, étant George Gershwin).

Les fidèles musiciens de l’orchestre ellingtonien sont là de Cat Anderson à Ray Nance, de Paul Gonsalves à Harry Carney, de Ben Webster à Johnny Hodges, de Sonny Greer à Junior Ranglin sans oublier Juan Tizol, bref au grand complet.
Et surtout, afin de donner un poids, une réalité, une force et une valeur émotionnelle supplémentaire Duke a invité la grande chanteuse Mahalia Jackson à exprimer la profondeur de son peuple et en faire la « voix ».
Dès sa première intervention, sur cette contrebasse posée à l’archet, le message qu’elle porte est sans aucune équivoque, Duke veut toucher les consciences et il a choisi avec elle la voix qui portera ce message.

On connait bien sûr le Duke Ellington magnifique d’une période Cotton Club qui me fait toujours autant vibrer.
On connait le Duke Ellington aux multiples standards que tout musicien de jazz se doit de savoir jouer, de « Satin Doll » à « Take the A Train ».
On connait le Duke Ellington qui a été tant chanté par tant de stars féminines (Sarah Vaughn, Ella Fitzgerald) que de crooners (Sinatra, Bennett, etc.) et dont les mélodies caressent les cieux.
Mais il y a aussi ce versant réellement ambitieux et sérieux du grand maitre, avec ses nombreuses suites, toutes aussi remarquables les unes que les autres (il a aussi « mis en jazz » des suites classiques comme le ballet « Casse-noisette » de Tchaïkovski).

Avec « Black, Brown and Beige », Duke Ellington a positionné l’écriture dite sérieuse dans le jazz comme un sommet à atteindre et, pour ce faire, il a délibérément choisi de parler de son peuple, d’en exprimer la vérité et les couleurs, d’en faire musique.
Il a aussi choisi, pour cela, un lieu newyorkais symbolique : le Carnegie Hall.
Il a ainsi voulu marquer d’un sceau indélébile son premier passage sur la scène représentative de la musique occidentale écrite, aux Etats Unis en représentant là, en musique, ses racines et son art.

Avec « Black, Brown and Beige » on plongera directement dans une vérité musicale rare et intense.

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03. « In The Digital Mood » - Glenn Miller Orchestra – GRP 1983.

Des albums de Glenn Miller, il y en a une pléthore … en général des compilations avec toujours les mêmes tubes et titres, plus ou moins remixés (ou du moins réégalisées, car les techniques d’enregistrement de l’époque ne supposaient pas de réelles prouesses), plus ou moins remasterisées.
Alors pour les chefs d’orchestres, les musiciens ou tout simplement les jazzophiles, avoir un disque de Glenn Miller (avec, forcément « In the Mood ») c’était posséder certes, un témoignage d’une époque où le jazz récupéré par les blancs, écrit pour danser à la manière d’un orchestre classique avec peu de latitude, avec un son authentique, … mais à la provenance douteuse.

Voici que le label GRP sort le second album de ce qui sera une aventure discographique impressionnante, ça se passe en 1983 et cet album, qui se vendra à plus de 100.000 exemplaires aux Etats Unis fut également l’un des premiers CD à être vendus aux States.
Derrière cet « orchestra » il y a donc toute une histoire et pas que musicale, mais également représentative de la mutation des supports dédiés à la musique.

A cette époque le Glenn Miller Orchestra, toujours vivace et prompt à faire revivre la musique symbolique et marquant un sceau générationnel du célèbre tromboniste/chef d’orchestre est en tournée sous la direction de Larry O’Brien. C’est cette formation, rompue au répertoire que le label sous la houlette d’un Dave Grusin (qui se met au piano pour l’occasion), va enregistrer.
On va crier au scandale, les puristes qui déjà classaient Glenn Miller sur l’étagère du jazz renégat, évitable, vont en profiter pour tirer à boulets rouges sur l’album.
Ils ont de quoi argumenter.
On est loin du 78 tours …

Pourtant, jamais les arrangements originaux n’ont été aussi clairs et limpides à l’écoute, ce qui permet de se rendre compte de la véritable richesse de ce répertoire.
Et puis, côté vocal on est aux anges avec Mel Tormé et sa voix de velours, ou encore Julius LaRosa.
Le répertoire inclura forcément les grands « classiques » et c’est un vrai festival où « In the Mood », le formidable « Tuxedo Junction », « String of pearls » avec le thème à trois temps qui se superpose sur une rythmique à quatre temps, créant un effet des plus inventifs et bien sûr « Moonlight Serenade » à la clarinette (que la mode de cet instrument était sublime ! Dommage qu’il fût par la suite, progressivement abandonné au seul profit du saxophone) … sont mis à neuf, pour une réalisation sonore des plus réussies.

Big Band …
Glenn Miller …
Deux noms qui semblent inexorablement liés l’un avec l’autre.
Alors, si on évoque ce type de formation et ce répertoire, cet album va très positivement repositionner la musique festive, enthousiasmante et fondamentalement américaine en tant que symbole (lié à l’engagement des troupes lors de la seconde guerre mondiale), de Glenn Miller qui reste un emblème, une représentation sonore de ce sentiment patriotique.

Une réussite totale pour un essai digital largement transformé.

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04. « The 3 Herds » - Woody Herman – Columbia 1955.

Causer Big Band sans mettre en avant le légendaire Woody Herman, ce serait une négligence.
Woodrow Charles Herman c’est un peu le pendant Glenn Miller, un jazz jumpy à souhait, un swing d’enfer, des titres enlevés et dansants (« Caldonia », Four Brothers », « Non-Alcolohic » … des tubes, quoi…), le tout mené par des batteurs volubiles et bruyants artificiers, qui feront date tel le célèbre Buddy Rich, grand meneur à son compte et incontournable chef … de Big Band.
Buddy Rich qui sera très vite reconnu comme l’un des archétypes du batteur de Big Band, une place essentielle si ce n’est centrale de ce type de formation.

Au-delà de ça, c’est aussi le point de départ d’un certain jazz qui s’étiquettera West Coast et dont Gerry Mulligan cf ici : « Mulligan Twanny ») ou encore Stan Getz et Zoot Sims seront des représentants.

Un premier « troupeau » (Herd) puis un second et enfin un troisième qui suivront sa première formation « The Band that plays the blues » dont le succès fut le célèbre titre « Blues in the Night » (au passage l’un des blues-jazz que je préfère parmi de nombreux standards du genre, ce dû à son texte et contexte mais aussi à sa forme AABA, usant du blues mais permettant un développement harmonique des plus riches) et pour laquelle Stravinsky composa son célèbre « Ebony Concerto », tombé sous le charme du jeu du clarinettiste.

Dans chacun de ses orchestres, des pointures, ou plutôt de jeunes loups qui deviendront vite des stars du jazz, partant creuser leurs propres sillons après ce passage dans cette école exigeante qu’était l’orchestre de Woody Herman.
Jugez plutôt : Al Porcino, Shorty Rodgers, Neal Hefti (tiens donc…), Chuck Wayne, Zoot Sims, Urbie Green, Nat Pierce sans oublier Stan Getz.
Pour « The 2 Herd », sa section de saxophones prendra le nom célébré par un titre délirant de virtuosité, d’écriture et de feeling, un titre qui fera date : « Four Brothers ».
Quatre frères – Stan Getz, Zoot Sims, Herbie Stewart et Serge Chaloff – qui vont révolutionner l’arrangement de la section de saxophones et poser avec ce titre légendaire un mode d’écriture tant que de jeu collectif, à la fois souple et quasi legato, tant qu’aussi véloce qu’un phrasé issu du bebop, tout cela poussé par un swing implacable et sur des tempos en général (très) rapides.
Woody en chef d’orchestre s’octroie des plages ou traits de clarinette (un jeu directement reconnaissable, entre tous), des parties vocales, positionnant l’avant leader de chef d’orchestre instrumentiste.

Dans cet album, des obligatoires, des incontournables qui ont représenté là encore l’écriture de la grande formation en jazz, avec un jeu différent, reconnaissable et bien trempé.
Au menu :
Des cuivres hyper puissants et denses, une section de saxophones moelleuse et au jeu legato, une section rythmique en mode autoroute tracée par un walking basse immuable, où la batterie a le jeu central avec des prises de responsabilité puissantes et quasi leader… tout cela pour un son compact et intense et une richesse de gestion des timbres ne laissant que peu de répit.

C’est un peu tout cela Woody Herman et l’album défile comme un grand moment jouissif et jubilatoire, souriant, entrainant, enjoué, insouciant – une sorte de salve sonore totalement addictive et enthousiasmante !

Parmi les albums du grand leader, clarinettiste et chanteur, hautement recommandables :
« The Woody Herman Big band – Live at The Concord Jazz Festival » enregistré en 1981 où Stan Getz vient reprendre du service et où Woody pose de superbes solos de clarinette.
« Woody Herman and his Big band – 50th Anniversary Tour » - pour une écriture et des choix plus « modernes » sans pour autant délaisser le rapport inébranlablement jubilatoire qu’il insuffle à l’orchestre.

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05. « New Bottle Old Wine » - Gil Evans – World Pacific 1958.

Quand on prononce le nom arrangeur, Big Band, Gil Evans apparait presque immédiatement avec un petit côté « inclassable ».
Gil Evans a tellement révolutionné l’écriture pour grande formation, ce, au fil de sa carrière, que le réduire au simple idiome Big Band serait réducteur, pourtant, un peu comme Quincy, il est parti de là.
En 58, quand il enregistre cet album Gil Evans à 46 ans.
Il n’est plus un débutant et déjà sa collaboration avec Miles Davis - pour lequel il aura écrit pour le nonet de « Birth of the Cool » (en 1948, l’album sortira bien plus tard en 1957), Miles refusant d’entrer chez Duke Ellington et désirant déjà, trouver une autre voie / voix dans le jazz – lui a apporté une reconnaissance professionnelle et esthétique, en posant ni plus ni moins que le tout premier jalon d’un style qui va faire sa place, le « cool jazz ».
Il va d’ailleurs bientôt retravailler avec Miles pour « Porgy and Bess », une relecture de l’opéra de Gershwin absolument divergente, moderniste et « cool ».

Le jazz modal est en plein essor, les poncifs du blues s’estompent, Gil réunit une fine équipe aux côtés d’un soliste éminent, Cannonball Adderley et il va s’autoriser à mettre tout ce nouveau savoir-faire d’arrangeur au profit de vieux standards, jusqu’alors souvent présentés sous une forme passéiste et codifiée.
Il va faire un gros lifting de tout ça en mettant ce « vieux vin dans une nouvelle bouteille », avec une nouvelle étiquette et une nouvelle présentation.

On va donc retrouver des versions totalement décapées, revisitées, revues et corrigées de titres tels que « Saint Louis Blues », « King Porter Stomp », « Struttin With Some Barbecue » aux côtés de « Round Midnight » ou encore « Manteca », représentants d’un jazz plus récent.
Le « révolu », habituellement joué en mode New Orleans, va se frotter au « neuf », un peu comme ces décos qui mélangent, dans un environnement actuel, contemporain le moderne et l’ancien.

Le résultat est forcément redoutable d’inventivité, de subtilités et de couleurs, Gil Evans, spécialiste de l’écriture en teintes instrumentales, couleurs et atmosphères changeantes, tranchant là encore avec l’écriture devenue normative du Big Band.
Ici, cors et flûtes vont désormais intégrer le panorama instrumental pour des ambiances uniques et qui sont le sceau du grand musicien défricheur, précurseur, innovateur et inventeur que fut Gil Evans.
Un véritable shaman qui a influencé tant d’orchestrateurs contemporains à commencer par Laurent Cugny, en hexagone (qui lui a d’ailleurs dédié un livre et enregistré ses arrangements).

Un album indispensable là encore.

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06. « Big Band Bossa Nova » - Quincy Jones – Mercury 1962

On va conclure ce premier tour d’horizon avec cet album au nom Big Band indissociable d’une pochette orangée, flashy et immédiatement attrayante.
A gauche une nouvelle égérie de la liberté, endiamantée lève son bras vers le ciel.
Elle part danser, sur la plage de Copacabana, verre de cocktail en mains, n’en doutons absolument pas.

Un album hyper tonifiant qui fait la part belle aux cuivres graves (Euphoniums, Tubas, Trombones basse, etc.) et aux aigus distordus et acides des piccolos et diverses flûtes.
Un album où la bossa nova est détournée façon dansante latino, avec une approche rythmique plus proche du mambo et du cha-cha très en vogue que de la bossa que l’on a l’habitude d’associer à la guitare douce et intimiste de Joao Gilberto.
Même si Stan Getz a parfois été tenté par cette direction qui fut prise par Quincy, cette vision des titres représentatifs du style bossa est restée presque unique.
C’est encore une fois la grandeur de Quincy Jones que de s’emparer d’un « sujet » et de le faire sien tout en respectant à minima sa profondeur initiale.
Avec Lalo Shiffrin, ils ont réœuvré l’idée de bossa nova en lui apportant une dynamique festive et la récupération de nombreux titres de cet album pour des supports divers (TV, publicité, jingles, etc.) l’a, qui plus est, installé dans une sorte de mémoire collective, avec cette association ambiance « party » / feu d’artifice sonore / immédiateté des mélodies / percussions débridées.

Tout un ensemble qui a offert à ce disque ensoleillé, un succès là aussi indissociable de l’idée « Big Band » et qui a certainement popularisé bien au-delà de la sphère de l’auditeur jazz, cette approche de texture sonore.
Il vient d’être remasterisé et réédité en vinyle – et franchement, sous ce format, c’est réellement magique.

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Voilà …
Mettez le son à fond, laissez-vous embarquer.
Ce jazz-là est incitatif à l’excès.
Et bien entendu il y aura d’autres chapitres.

Rien de tel pour démarrer l’année – que je vous souhaite des meilleures.



 

 






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