BILL CHARLAP TRIO

 BILL CHARLAP TRIO


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« Written in the Stars » - Blue Note 2000
« Somewhere : The Songs of Leonard Bernstein » - Blue Note 2004
« Live at The Village Vanguard » - Blue Note 2007
« Uptown, Downtown » - Impulse 2010
« Notes from New York » - Impulse 2016
« Street of Dreams » - Blue Note 2021

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Le trio en mode jazz, tout un art, comme le veut (voudrait ?) Brad Meldhau.
Une sorte de quintessence, un art chambriste, un mode en passe-passe d’équilibres sonores, harmoniques, instrumentaux.
Keith (Jarrett) a porté le « genre » vers des sphères inaccessibles. Keith est inaccessible… et Jack ou encore Gary le sont (furent-Gary) aussi.
Chaque intro, chaque entrée en matière, chaque fulgurance, chaque inflexion rythmique sont traits de génie…
Bill (Evans) a sacralisé le « genre », révisant l’approche classique du standard en lui octroyant ses approches harmoniques uniques, modales, subtiles et sublimes (« Spring is Here »). Des partenaires inoubliables, des albums de légende et obligatoirement référents, tant en mode trio que pour le mot jazz lui-même. Le(s) trio(s) de Bill Evans c’est l’anthologie.
Hank Jones l’a tout simplement fixé en « Great Jazz Trio », pas moins, guère plus et avec là aussi des partenaires de rêve (Elvin, Tony, Al, Ron…) il a porté le « genre » vers un classicisme qui aura été à la fois intimiste, pugnace, engagé et authentique.
J’oublierais presque Brad, qui lui estime le « genre » à la promotion d’art… Ennui… trop souvent pour heureusement parfois la vraie lumière.
E.S.T ?... Le « genre » s’est vu renouvelé, passé à une moulinette bienfaitrice… Des suiveurs, des adorateurs - j’en fus… mais bien trop tard.

Bill Charlap et son trio.
Pourquoi, là, au sortir de ces références à ce point légendaires et incontournables qu’elles semblent imposer leur loi, leur aura… sur le « genre », parler de ce pianiste, certes tant connu qu’extrêmement discret et non tenter, mais s’obliger à lui faire prendre sa juste place parmi ce palmarès exemplaire.

Quelques termes récurrents le décrivent régulièrement et décrivent à juste titre son approche du trio.
Le premier que j’ai souvent retrouvé est « classe » …
Ce « jazz » c’est quelque part, la classe.
Je tente quelque peu de piger ce qui fait qu’en place de classer l’artiste dans un casier jazz c’est le terme de classe qui apparait en premier lieu.
Classe, classieux, classique…
Costard cravate obligato, retenue nécessaire, respect du protocole musical, patrimonial, du catalogue, de ce great american songbook… classe.
Tout est mesuré, délicatement agencé, admirablement présenté, merveilleusement interprété – classieux.
Rien de véritablement moderniste, une approche intégralement ancrée dans les us et coutumes de l’art du jazz. Le respect des valeurs, de la tradition, le langage des anciens et des modernes, le résumé personnel et attentionné du patrimoine ce, installé dans les plus grands clubs de LA ville du jazz, New York. Ce, enregistré, tout de même sous l’égide des deux plus grands labels symboliques du jazz : Blue Note et Impulse... classique.

Le trio devient donc une formule en forme de patrimoine classique à valider, respecter et faire perdurer et sa difficulté de forme tant que de formule n’en est que plus représentative.
Un peu comme le quatuor en musique classique.
Un peu comme ce qui a abouti à cet éclairage et la valeur interprétative du baroque.
Un peu comme les passations de chefs à la direction de grands orchestres, transmettant un savoir, des usages, un patrimoine et une valeur d’exécution.
Un peu comme ces groupes qui tournent en covers pour faire revivre Floyd, Queen et autres légendes.

Le trio, parfaite triangulation d’équilibre subtil entre :
- un piano qui n’est (ou ne devrait être) en rien roi, mais juste sommet de celui-ci (le triangle).
- une contrebasse qui peut déployer tout son panorama, se décantonnant d’un rôle fondamental tout en ne pouvant le négliger ou s’en défaire, pour exploiter des contrées mélodiques, parfois frottées, des tessitures haut perchées, des tournures versatiles ou véloces, des registres que seul ce « genre » peut véritablement mettre en exergue.
- une batterie qui se doit de rester « dans » le piano, de promulguer une inventivité rythmique réactive tout en restant responsable d’une pulse jamais réellement exprimée comme telle, et quand bien même, jamais ne se référençant telle. Le jeu de balais obligatoire impose son grain et sa technicité pour rester éminemment efficace, la dureté des baguettes se doit d’être assouplie au profit du maitre mot, le swing et du boostage des solistes quand nécessaire.

Le trio, c’est l’écoute permanente des autres, la mise au service de ceux-ci par chacun des protagonistes, c’est la mise à l’écart de l’ego qui se doit d’être effacé pour l’efficacité musicale et l’attention de chaque instant.
Le trio, c’est l’amitié humaine, musicale, faite de respect, de passage de parole, d’écoute de l’autre et de son argument, pour rebondir, faire avancer le propos, le sujet et le développer en toute réelle convivialité.
Le trio – et en particulier dans cet art et ce savoir-faire que le jazz a imposé comme sceau, à savoir l’improvisation – c’est se connaitre, se respecter, se provoquer parfois, se soutenir, aller dans une direction commune. Avec pour langue, la musique.

Bill Charlap est entouré de l’équipe Washington, Peter est à la basse, Kenny est à la batterie.
Ils sont LA référence newyorkaise de la formule.
Ils représentent la tradition, le classicisme de l’affaire, perpétuent le patrimoine au travers de standards qui, ici en France ou en Europe, semblent peu connus des habituels 50 tourneries éculées issues des real books et jouées par la majorité des « jazzeux ».
Ils sont discrets, peu médiatisés, juste là et surtout très représentatifs – comme incontournables.
Un peu comme ces orchestres symphoniques dont les interprétations des grandes œuvres classiques sont légion, menés par des chefs (Thielemann, Roth..) sauront toujours nous faire voyager au gré d’un répertoire de patrimoine, osant parfois le bousculer quelque peu tout en en respectant l’essence, avec une approche méticuleusement musicologique pour plus de vérité musicale, le trio de Bill Chapman visite (et parfois revisite) le répertoire classique de Broadway, du Great American Songbook – bref, la musique, le jazz de la grosse pomme.

Bill Charlap a tant « le métier », que le talent et les références.
Il connait son sujet sur le bout des doigts pianistiques, aucun compositeur ne lui échappe, c’est sa bibliothèque, sa culture, sa vie bien entendu.
Rien ne l’arrête non plus dans son approche de ce propos. Il met à son service une technicité et une maitrise totale du langage et des usuels de forme tant que de formule. Il ne les impose pas, il ne les éclaire pas, il ne les démontre pas et c’est bien là une des forces qui m’a frappé – il les joue, tout simplement.
Tout simplement… c’est là aussi ce qui semble surgir de l’écoute de ces albums dont le mode easy, canapé whisky (ou bourbon, si ce n’est champagne ou rouge savoureux) semblerait de prime abord être de mise. Mais au fil du déploiement d’un album, cette aisance effective se dévoile maitrise d’une rare et grande complexité tant musicale que technique mais également intellectuelle.
… ça défile, ça passe, ça détend et relaxe. ... mais pas que car ça incite à l'attention et la requiert.
En fait, on est au concert, là, chez soi et le trio, d’albums en albums joue réellement pour nous et la magie opère.
Peter est un sideman de rêve. Il circule sur son manche, tour à tour promeneur invétéré, mélodiste inventif, son jeu est contre chant délicieux, son swing est bonheur permanent, sa sonorité et sa justesse sont uniques. Il est précis, inventif, créatif, point d’équilibre jamais en équilibre.
Ce qu’il faut, où il faut, quand il faut sans jamais tomber dans l’attendu, le cliché ou la facilité.
Il crée la surprise au sein du classicisme pour l’éclairer d’une touche nouvelle et en tout cas captivante.
Kenny est le batteur « parfait » pour cette triangulaire. Son jeu de balais est une référence et cité comme exemple, l’écoute de ces albums ne fait que renforcer cet éclairage légendaire. Discret tant que réellement présent, musicalement mélodiste tant que réel roi du rythme, sachant surprendre, déjanter, décaler, diverger ou être juste et tellement efficace il met la batterie à un niveau musical d’égalité avec ses acolytes. Alors chaque petit roulement est un plaisir, alors la prise de baguettes pour pousser le soliste transporte de jouissance, alors la retenue, le chant des futs, la délicatesse de la frappe, l’envolée de cymbales, font oublier l’idée de batterie, sans jamais qu’elle ne soit « autre chose » que celle-ci.

Extraire ici l’un ou l’autre de ces six albums n’est en rien utile ou important.
Chacun – ou même en les enchaînant et peu importe la moindre idée de chronologie – installe un bien être, un savoir-faire, une « qualité » rare. Toute la somme du langage jazz est là, en toute évidence et simplicité – pas de « prise de tête », de barrage intellectuel complaisant, de frime circonstancielle.
On est bien…
On retrouve ou découvre ces pages classiques d’un jazz qui est l’identité de cette ville, de ces lieux emblématiques, fréquentés, adulés, auréolés par ces légendes qui ont fait vivre au XXe siècle, cette musique.
Aujourd’hui le jazz est une musique classique, son langage l’est aussi, le trio de Bill Charlap et Peter, Kenny Whashington est l’une des facettes les plus représentatives de cette idée, ou dirais-je plus simplement de cette réalité.
Où, ailleurs qu’à New York, cette réalité pourrait-elle réellement « être » ?
On m’argumentera La Nouvelle Orleans – berceau.
Mais le jazz s’est posé à New York et il s’y est aussi… imposé.

« Uptown, Downtown » est un titre au swing immédiatement accrocheur.
Accents toniques, balancement de la contrebasse, breaks nerveux.
« One for My Baby » est si posé, si « minimal », si retenu.
Tout… avec strictement rien. C’est peut-être ici la véritable idée de cet « art du trio » avec cette écoute, ce feeling immédiat, ce chant qui est sous-jacent à tout.
« Glitter and be Gay (From Candide) », en demi-teintes installe Leonard Bernstein et ses nombreuses compositions de comédies musicales comme un compositeur essentiel du genre, souvent oublié en tant que tel, rarement joué si ce n’est comme ici, en tribute.
Un tribute qui met justement en valeur les facettes du compositeur, avec et hors des sentiers nombre fois battus en West Side Story. L’album n’échappe pas à cette règle mais le détour et la présentation par la forme trio ouvrent l’axe Bernstein vers d’autres dimensions, plus réelles, moins enrobées. Débarrassés de la magnificence orchestrale ces thèmes prennent leur véritable valeur de standards largement exploitable avec et par le jazz.
« On the Sunny Side of the Street », l’inévitable, presque, par excellence … se retrouve présenté en ballade méditative, fin d’album (donc de soirée) …
Peter a rangé sa contrebasse dans la housse, Kenny laisse la batterie mais range soigneusement ses cymbales. Bill aura avisé la merveilleuse sophisticated lady, en robe de soirée qui l’a aguiché pendant tout le set. Elle l’admire et, fatigué, calme et serein il lui joue ce dernier titre, sans heurts, sans esbrouffe, juste avec cette classe infinie qui le caractérise.
Elle est tombée sous le charme.
Peter et Kenny lui sourient, clins d’œil à l’appui et s’éclipsent discrètement.



  

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