Cigale, chante !

 Cigale, chante !


Faut bien trouver un titre…
Elles chantent et enchantent – les cigales, d’ailleurs cette année (comme l’an dernier), elles ont un peu tardé et même qu’on s’en est inquiétés, tellement habitués comme bercés par leur chant.
D’autres cigales envahissent les places et les terrasses, les bars et les restaus…
Elles sont souvent seules, crise économique oblige. Certaines s’accompagnent d’une guitare, d’un piano… d’autres d’une tablette chargée de la playlist karaoké de YouTube aux sonorités mp3.
Vous devinez aisément celles qui ont ma préférence.
Et parfois, heureusement, les voici en duo, trio pouvant donner la pleine valeur de leur talent (ou pas…).

Il faut de tout, il y a de tout, mettons Facebook et Instagram là-dessus et les pistes réellement musicales se brouillent. Le monde de l’été, des cigales, des terrasses et de l’image.

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J’avais envie ici de parler un peu de quelques chanteuses pas spécialement ultra connues, mais qui méritent largement un détour en voie parallèle à côté des autoroutes Diana Krall, Natalie Cole et autres stars des genres.

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Sophie Milman « Make Someone Happy » / Linus Entertainement 2007.

Peu d’albums, peu d’informations. Sophie Milman, canadienne d’origine russe semble avoir fait sa petite place auprès du public plutôt large amateur de ce jazz easy, soft et qu’on jette en vrac dans l’étiquette lounge.
Ca ratisse large en covers ou reprises, s’il s’agit de standards de jazz, finalement le terme ne se pose plus en questions, s’il s’agit, par contre de pop, on n’échappe plus à l’affublement d’étiquetages.

Bon qu’en est il et pourquoi, finalement j’accroche, même si une certaine facilité d’écoute est évidence.
Le point d’accroche a été « Rocket Love », titre trop rarement repris parmi la bibliothèque immense de Stevie Wonder, recelant aux côtés des éternels « Isn’t She Lovely », « I Wish » et autres « Superstition » des trésors.
« Rocket love » en est un.
La version originale est un pur joyau et oser s’y attaquer est en soit la preuve d’un goût certain, d’une forme de démarcation, d’une certaine audace. Alors l’ensemble de l’album va prendre une autre allure, une autre saveur.
Le combo qui guide la chanteuse à la voix claire, parfaite, riche en pointes d’émotion, maitrisant swing, groove et feeling ciblé assure en pros de club, rompus à l’exercice du grand hôtel, classieux, juste comme il faut quand il faut, là où il faut. Débordants du rang quand nécessaire, lissant le sujet quand tout pourrait s’emballer, ils accompagnent à merveille la dame qui surfe sur cette vague feutrée et swinguante à souhait.
On s’installe alors, on sort le bourbon, on déguste et admire la plastique tant que la voix, on ose causer un peu, mais pas trop car la musique sous un apparat semblant lisse et aisé s’avère au sortir bien plus attractive que cela.
C’est, en fait, la grande classe, celle où l’image de ce jazz de haute volée vient envahir la soirée à paillettes, ravissant les VIP encanaillés par ce swing irrésistible, cet after beat qui fait claquer les doigts et fredonner des doubidouwhop instinctifs, sortant sans crier gare du rang bien ordonné.

Une bossa en français par ci, une ballade doucereuse par là… et une version de « Fever » à l’arrangement harmonique et de jeu combo (visons auditivement l’orgue…) d’une rare originalité.
Harmonica, trompette, sax soloïsent pour éclairer d’avantage la prestance de l’ensemble.
Peu d’albums, tous de la même trempe…
Ca nous change du réflexe Diana Krall, Sophie Milman se range juste à côté, pas dessous, mais à côté et ça fait largement mon affaire, j’aime cette classe éternelle que le jazz peut insuffler quand c’est produit ainsi.


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Julia Biel « Julia Biel » / Khanti records 2018

Il y a d’abord cette petite voix, mi ado-gamine qui minaude, mi adulte-sensuelle qui peut te repousser, te heurter pour finalement s’installer et t’attacher durablement, Adn vocal, trace identitaire, marque indélébile de ce qui enveloppe cet espace son.
Ce fut mon premier « sentiment », puis la musique a très vite pris une place phénoménale face à cet album.
Une bio là encore assez éparse, mais après tout, même si l’on aime se renseigner, savoir qu’elle sort des albums au compte-goutte, qu’elle a remporté le Perrier Young Jazz Vocalist de l’année 2000, apparait sur Polar Bear aiderait peut-être à cibler…
Là encore, laissons sa musique prendre sa juste place.
Jazz ? … l’étiquette laisse perplexe, même si cette affiliation du fait de Polar Bear (captivant au demeurant et à creuser sérieusement pour ma part) semble l’avoir de fait catégorisée.
Presque dommage, parce que… malgré tout.
Aujourd’hui les étiquettes volent en éclat, les catégorisations n’ont plus vraiment court et s’il y a bien un constat dont je me félicite c’est celui-ci.
Me voici face à une musique d’une rare fraicheur, créative à souhait, délicate et emprunte d’une certaine « pureté ». Ici j’ai dépassé le seul cadre de l’intérêt pour entrer dans cet univers où cette voix centralise l’argumentaire arrangement, environnement, concept, son, espace sonore.
Le format chanson reste repère, ça joue au service et ça le fait grave.
L’ouverture de chaque titre fait entrer dans un espace directement accrocheur, captivant et subtilement motivant.
Ici créatif côtoie intelligence, ici la production aérée fait respirer chaque chanson, pas de surcharge, d’effets massifs ou de basses par trop envahissantes. De la musique, oui, enfin ! ...
Tout défile avec bien être, n’excluant pas les surprises, ce qui rend le voyage encore plus captivant.
Un piano séculaire, au passé sans date, des cordes disparates et réalistes, des guitares enveloppantes, une section rythmique palpable, véritable, authentique… un cocktail immédiatement charmeur et profondément savoureux.
Cet album, depuis qu’il a fait incursion dans mon espace empli de sons, a déjà tourné un bon nombre de fois, m’est devenu familier sans pour autant que je ne sache m’en lasser. On ne se lasse pas de ce qui est bon et au-dessus du lot.
A savourer sans modération aucune.
Me reste à découvrir le reste de ses productions et participations artistiques – car on parle bien ici d’artistique.


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Juliette Armanet « Brûler el feu » - Romance Musique / 2021.

Elle, on en parle beaucoup et parfois on se dit que … pour une fois … si enfin les médias font émerger, après tout ne pas s’en blâmer, c’est bien trop rare face à l’afflux de m… sous cellophane Tf1.
Elle, elle sort de sentiers apparemment bien battus, avec un père compositeur, des études de lettres, du journalisme, Tf1… (tiens donc…).
Bref, les ficelles peut-être bien qu’elle les connait.
Ça lui aura qui sait, permis de gagner du temps et d’aller vers un essentiel en balisant sa carrière pour en une poignée d’années arriver à sortir cet album remarquable sous tous les angles, toutes les entrées, tous les « rapports ».
Alors on y aura été de pléthores de références en poussant les filiations Sheller, Sanson, Berger, Souchon…
De loin moi direct, ça m’est apparu suspect, normal, on les connait trop ces chroniqueurs télévisuels en mal d’accroches permanentes, en besoin de justifier leur contrat, en extase devant le fond du caniveau musical comme face au génie dont on ne sait même pas s’ils sont, en fait réellement aptes à en saisir l’essence, bien trop embringués dans leur délire cathodique.
Puis Elo est passée à la maison, elle m’a demandé de l’accompagner sur les moulins de mon cœur pour un cover et m’a envoyé le passage pour la cérémonie d’ouverture du festival de Cannes 2018, pour l’inspiration et l’idée générale.
Et là…
Dire que j’ai foncé directement l’écouter, non, ce serait malhonnête.
J’ai attendu le moment de me décider.
Comme toujours, j’aime à faire écouter des artistes français à mes élèves, valoriser tant que faire se peut ce qui fut bon, ce qui ne l’est plus guère aujourd’hui et qu’on en débatte.
C’est ainsi que j’ai mis l’album… Que je l’ai écouté x fois, d’autant que je l’ai offert à mon épouse qui le laisse dans le lecteur cd de sa voiture…
Et le débat a été très largement à l’avantage de l’artiste.
Peu de failles, quelques emprunts directs qui prouvent le bon goût et sont évidence (qui ne penserait pas à Sanson, effectivement, mais plus discrètement à Kravitz, le temps d’un son, d’un beat, d’un quasi-mimétisme d’arrangement – à vous de trouver… sans parler du titre de l’album), des textes dont le « Sauver ma vie » reste tant musicalement que conceptuellement l’un de mes titres préférés.
Une chanson d’anniversaire que j’aimerais bien voir détrôner celle de Stevie qu’on me rabâche en restaurants à chaque arrivée de gâteau et de bougies.
Du « vrai » disco à la mode de chez nous, celui qui a fait bouger frenchy les popotins pailletés du dancefloor de ces années où je le détestais en Sheila-Dalida-Cerrone, pour tellement l’adopter ensuite.
La voix, immédiate, sensible, charnelle, inoubliable, à la tessiture technique qui va chercher les aigus les plus rares dans le genre et les médiums les plus voluptueusement travaillés.
Et surtout, l’environnement est d’abord musique.
La voix est mixée dans le son, sans pour autant perdre de sa clarté et de sa compréhension et chaque titre est un vrai moment de musique.
J’irais donc l’écouter en concert, la voir comme on dit maintenant, mais je sens que le terme écouter est enfin ici également approprié.
Enfin ! Justement… voici de la prod Fr médiatique qui sort largement du lot de ce quotidien merdique qui a envahit toute notre vie.
Ne boudez surtout pas votre plaisir et écouter Juliette Armanet (j’ai bien dit écouter), c’est le fun assuré. Et en bagnole, l’asphalte passe de plaisir en émotions, comme un ruban noir… et nous embarque vers l’infini des (de ses) sentiments mêlés.

 

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Denise Donatelli « Soul Shadows » - Savant 2012.

C’est certainement ce titre - issu d’un des albums fétiches des Crusaders, dont la version originale chantée et composée par Bill Whiters a côtoyé dans la pile vinylique sa concurrente « Just a Two of us » installée confortablement chez Grover – qui m’a fait « aller » vers cette chanteuse.
Un « jazz » classieux, parfaitement calibré, de la pop jazzifiée, ça semble lisse et grand hôtel de circonstance, mais ne pas s’y tromper, au détour d’un paquet de sidemen faisant groupe drivé par Geoffrey Keezer on va instantanément rester séduit par cette recette qu’on aime (que j’aime…).
Tant d’ingrédients synonymes de l’accroche sont utilisés là pour un mélange de saveurs.
Finalement, c’est bien ainsi qu’on sublime avec l’art de la « recette » les produits non communs, mais presque quotidiens.
Un zeste percussif auquel Acuna (célébré chez Weather Report) participe, une contrebasse très présente et centrale, un piano diaphane et qui coule de source(s), des couleurs guitaristiques, des cordes en mode chambriste si merveilleusement arrangées (« A Promise » et le magnifique « Postcards and messages »), quelques solistes cuivrés, le terme jazz là encore semble s’englober de bien d’apparats…
On aurait cru avoir affaire à un éternel album de reprises/covers/usage de standards ouvert par « All or nothing at All » au traitement déjà bien déviant et nous voici face à montage musical multiple - centré par une voix, un pianiste arrangeur subtil et délicat - qui va aussi présenter des compositions s’intégrant (ou est-ce l’inverse ?) dans un ensemble esthétique aéré, léger (l’absence de batterie ?) où l’esprit jazz que l’on veut et devine présent invite avec bonheur toutes les musiques (de Sting à Shorter), gommant là encore les étiquettes qui ne peuvent avoir réellement cours ici.
On va alors parcourir l’album comme l’on parcours un livre d’images, un carnet de voyages, un recueil de nouvelles.
Facile à embarquer dans le « téléphone », à la plage (ou autre…) l’été.
Facile ne veut jamais dire simple… car ici, rien, vraiment rien n’est « simple ».

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Elles ont chanté ces cigales, cet été.
Il est bientôt temps pour certaines d’aller se reposer et reposer nos oreilles fatiguées de ces suites d’accords simplissimes exécutées de façon tout aussi simplissime.
Pour celles-ci-dessus, elles peuvent bien chanter pour moi toute l’année, il n’y a pas que cet été qu’elles m’auront bercé.



Commentaires

  1. Un premier passage pour ce que je peux déjà commenter, beaucoup à découvrir, Je commence par Sophie Milman, déjà pour le titre, l'original, "Rocket Love" que j'avais ignoré de cet album fabuleux"Hooter.." , bien vu de l'avoir isolé à l'occasion. La version de la dame seconde après seconde, comme toi, finissent par m'envouter. Un echo Annie Lenox, juste un echo mais suffisant pour me séduire. Maintenant que j'écoute l'album, quel climat.
    Un mot sur le Julie Armanet, que j'écoute beaucoup avec ma dame. Elle me pousse vers la chanson française féminine et d'actualité, elle est comme ça, c'est son sillon. Elle m'a fait vraiment apprécier Camelia Jordana que je te conseille en échange "Si j'étais un Homme" et ce timbre de voix. Vu en concert une femme belle et généreuse, une timidité en force. à suivre

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    1. Merci de ton passage comme toujours tellement appréciable.
      Justement, Camelia Jordana - largement conseillée par mon entourage de djeun's, va très vite prendre place en catégorie à découvrir réellement, car j'ai écouté trop vite.
      je vais donc suivre ton conseil et vais y revenir dès que possible.
      merci et bonne journée

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    2. Hello Pascal, Les cigales chantent toujours à la rentrée? Mention spéciale à la première "Sophie Milman". Elle me parle. Les autres sont beaucoup trop propres. Un grand talent certes, mais une savonnette. Si ça ne sent pas un peu sous les bras, pas pour moi. Je suis resté un vieux punk. Un Doc sur "Monk" qui est à son image... lunaire, saturnien. On respire toujours mieux sur les hauteurs. Gloire à lui, au réalisateur et à Arte qui diffuse ce petit bijou.
      https://www.arte.tv/fr/videos/103053-000-A/rewind-and-play/
      A bientôt.
      Eric.

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    3. Non, c'est fini, les cigales sont reparties... la plupart du moins.
      ça se calme, ça s'étire, la rentrée bat son plein, la musique se débarrasse de ses superficialités.
      On parlera un jour de Monk, l'inaccessible, l'improbable, l'incroyable...
      Et de salir un peu les choses...
      Il y a encore des endroits pour ça... pas l'été, ou si peu, ou en festivals de façon convenue et si peu authentique que j'en suis effrayé.
      De rares clubs comme de trop rares artistes.
      Reste comme ça, c'est tellement nécessaire pour nous de savoir que c'est encore possible.
      Retard de réponses, mais réponses...
      à + et merci de ta fidélité.

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