DESOLATION

 

DESOLATION

L’été se termine, la foule touristique s’en retourne vers un « chacun sa rentrée ».

Avant-hier, j’ai pu oser et reprendre la route qui passe par la plaine des Maures, franchit La Garde Freinet et redescend vers le littoral du Golfe de Saint Tropez.
Je l’ai prise dans le sens retour.
Partout où mon regard s’est posé c’est la même désolation, la même tristesse, le même sentiment de mélange de dégoût et de haine, d’impuissance et de fatalité, de rancœur et de gâchis face à ces étendues calcinées, devenues en un éclair paysages de mort.
Les larmes me sont venues aux yeux, face à ce désert mortel.
Le noir et un gris lugubres ont fait place à la couleur méditerranéenne de ces pins éclatants d’un vert brillant sur ces cieux bleus, à la majesté de ces chênes liège aux courbes élégantes.
Tout n’est maintenant que dévastation, ruine, une image d’après-guerre d’un conflit entre homme et éléments qui aura duré une trop longue poignée de jours... et de nuits...
Tout cela est, dit-on et croit-on, le résultat d’un simple geste de négligence humaine, une simple cigarette jetée avec toute l’irresponsabilité inacceptable et irrécupérable de la bêtise dans ce qu’elle engendre de pires conséquences.

En un soir le feu a embrasé la plaine puis les collines et petits mont escarpés qui sont à quelques kilomètres de chez moi.
Une âpre fumée, d’épais nuages et le vrombissement de canadairs, l’inquiétant ballet sonore des camions rouges surmontés de leurs bruyantes et angoissantes sirènes ont fait place dès la nuit tombée à une couleur d’un rouge éclatant, une trace qui avançait à une allure ahurissante, suivant les rotations anarchiques d’un vent qui s’en jouait.
Une première nuit qui aura laissé la bataille des hommes à moitié gagnée pour recommencer un lendemain, puis un autre, sous les signaux divers de la croyance mais aussi certainement de l’impuissance et l’on aura décidé avant que les autorités, sur tous les fronts, ne nous l’imposent, d’évacuer en une poignée de mn, notre domicile, emportant en hâte ce qu’il apparaît comme essentiel… à chacun son essentiel…
Chaque jour nous sommes revenus voir où cela en était.
Chaque jour à l’entrée du lotissement le même groupe de riverains se relayant afin de surveiller, prêts à agir et… partir.
Chaque jour d’immenses nuages d’une fumée étouffante qui s’approchaient dangereusement, semblaient être éteints pour repartir de plus belle, à côté, plus loin, ça… là…
L’impuissance, l’angoisse… partout.
Et ce vent qui était bénéfique avec cette chaleur devenue écrasante est passé dans le camp ennemi, redoutable, redouté, un élément face auquel la bataille engagée ne pouvait qu’être au prix de l’attente de l’arrêt son activité.

Il aura fallu plusieurs jours pour que la bataille semble gagnée, pour que les gens reviennent chez eux, pour que les voies d’accès puissent à nouveau être empruntées.

Des villages isolés, coupés du monde, entourés par un paysage devenu lunaire et mortuaire sont restés inaccessibles, mais solidaires.

Un contraste saisissant entre la nonchalance plagiste et le stress de la situation était encore plus évident, visible, lisible.

De retour chez nous il aura fallu plusieurs jours pour que l’odeur de cramé, âpre, étouffante et oppressante commence à, non disparaitre (elle y est encore), mais s’estomper.
Partout des cendres noires jonchent le sol, partout la poussière grise, jusque dans l’intérieur des habitations, a pris sa funeste place, s’est immiscée dans les moindres recoins et a chargé de son odeur l’atmosphère quotidienne.

J’ai « connu » les incendies de 2003, restés dans les mémoires.
C’est l’année où je suis venu m’installer ici et chaque été, aux départs de ces incendies quasiment systématiquement générés par l’inconscience humaine, ils revenaient aux esprits.
Celui-ci aura été plus rapide, plus incontrôlable, plus radical et angoissant.
Il a été gigantesque.
Notre fragilité face à cette terreur aura été immédiate dans les esprits.
La colère et le fatalisme sont maintenant là, dans tous les esprits, sur toutes les lèvres.
Le bilan humain est déplorable.
Le bilan matériel est déprimant – je pense à ceux qui ont tout perdu.
Le bilan écologique est désarmant, triste et écœurant.

Pompiers et sécurité civile ont été efficaces, audacieux, héroïques et responsables.
Epuisés, désarmés certainement, mais tenaces et avec la volonté de gagner.
Honorables et auxquels il faut rendre un réel hommage, loin des politiques, juste au quotidien.

On le sait, la nature reprendra, repartira et reverdira…
Mais en attendant…
Quelle tristesse… oui, quelle tristesse...



Commentaires

  1. Pas grand chose à dire... Tu le décris très bien. Dire qu'il y a 20 ans, on pouvait même pas faire une remarque à un fumeur comme quoi la fumée pouvait nous déranger, on passait pour des intolérants ou des dictateurs (le monde à l'envers quand on y réfléchit). C'est sans doute déplacé... mais le pire, c'est que le gars ou la nana ne se rappelle sans doute même pas de cette cigarette et dort paisiblement...

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    1. Et oui ...
      Tu te heurtes là à une véritable problématique éducative, de conscience et d'attention minimale envers autrui. Le fameux principe de liberté qui s'arrête là où.

      Il y a vingt ans, non fumeur, je rentrais des clubs, de bals, des concerts où je jouais en laissant mes fringues sur le pas de la porte tellement elles puaient le tabac, l'infect tabac froid...
      J'avais des migraines tenaces, une fatigue glauque et dans certains clubs on ne voyait même pas le plafond tant la fumée pouvait rester en suspens... même ta bière à la pause avait le goût de clope.
      J'ai accueilli pourtant avec surprise cette interdiction dans les lieux publics, comme si ça allait créer une profonde modification.
      Au début les salles se vidaient et la vie était dehors, sur les trottoirs où des petits groupes allaient faire leurs poses clope, puis ça s'est ré-équilibré, stabilisé...
      Tu jouais pour les rares non fumeurs, tiens... se disait-on, y'en avait donc...

      "ça vous dérange pas si j'fume pas ?" avaient-on l'habitude de dire avec l'un de mes amis saxophoniste tellement on en avait ras le bol de subir ce tabagisme passif.
      Je me souviens d'une soirée, dans un club, en quartet avec chanteuse - (ça va me servir de transition sur mon autre idée suite à ton commentaire).
      Un mec bien bedonnant et arrogant s'installe face à elle, la reluque et sort tel sa b..., un énorme cigare dont il pousse les volutes jusqu'à la faire s'étouffer et tousser.
      Elle a dû sortir de scène incapable, suite à de multiples quintes de toux, de penser revenir chanter... on a fini le set en instrumental.
      Ce connard l'a regardée éberlué ... il n'a même pas été capable de piger le pourquoi alors que je suis descendu de scène pour lui expliquer qu'inonder de fumée puante une personne qui chante l'empêche de chanter...
      "Oui mais moi, quand j'écoute de la bonne musique et qu'en plus je peux admirer une jolie fille, il me faut mon cigare et mon whisky" m'avait-il répondu.
      oui mais moi...

      suite...

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    2. Donc cette non éducation, cette suffisance redondante chargée d'une non conscience que tu décris tu la rencontres partout où, par une forme de "pouvoir", le sans gêne s'impose.
      Les routiers qui dès qu'ils sont dans leurs bahuts s'autorisent l'appropriation de l'espace de la route.
      Les livreurs du matin qui, parce qu'eux... "ils bossent" s'autorisent tous les interdits, coupent les virages des petites routes allant parfois te mettre sans vergogne dans le fossé et surtout filant car ne s'en étant même pas rendus compte.
      Les gros cons en rendez vous de Harley qui t'abreuvent de Johnny à longueur de week ends de rendez vous des beaufs et qui envahissent là encore tant physiquement que bruyamment une secteur géographique complet, devenus rois du lieu...
      Alors ta vie passe au second, troisième et plus encore - plan, de la leurre...
      Ils sont là, ont et s'arrogent tous les droits et toi, si tu te permets de gueuler pour simplement revendiquer ton propre espace de liberté quotidienne, tu passes pour un réac', un râleur, un vieux con, etc...
      Hier j'ai failli me prendre un peloton de cyclistes dans la tronche, tu sors d'un virage et les voilà à fond de descente qui t'arrivent en sortie de virage, de plein fouet.
      Je me suis fait insulter alors que j'ai in extrémis dû me mettre sur un bas côté pas franchement sécure...

      Donc le mec, il a fumé sa clope.
      Il n'a plus de cendrier dans sa bagnole (nouvelle loi...), celui de l'aire d'autoroute devait être trop loin, bref il l'a jetée... et est remonté tranquille dans sa caisse pour réitérer à sa pause suivante...

      Deux morts, des hectares de nature calcinée, vingt maisons détruites, et une faune/flore décimée.
      Plus de mille pompiers acharnés et usés par une bataille sans relâche, des canadairs, des hélicos, l'épuisement de l'eau qui déjà est en limite, etc, etc...

      Donc la problématique reste et restera la conscience éducative, ce petit point de départ qui s'installe dans l'esprit avec les socles fondamentaux de respect d'une vie sociale.
      De là peut être...
      enfin, peut être - dis-je...

      Merci d'être passée.
      à très vite.

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    3. Clope, pyromane, imprudent qui brule ses broussailles, les causes sont aussi désespérantes que multiples, par contre la justice doit avoir une réponse unique, la sévérité. Et sur ce point là, on est très loin du compte.

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    4. Je viens de voir ton commentaire (curieusement tes commentaires n'arrivent pas vers ma boite email) - je suis bien d'accord avec toi, la réponse unique est loin du compte.
      Et pourtant ici, dans cette situation le compte est édifiant...
      merci.

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  2. Evidemment je n'ai pas vu et senti ce que tu décris. Alors pas de haine mais beaucoup de peur. J'entends ma fille me dire il y a quelques années que le drame de cette planète et de ses habitants c'est l'Homme. Lars dans son film "Melancholia" dire que la Terre est mauvaise et qu'elle devait disparaître. Penser qu'un simple geste d'inattention, de négligence, même si qualifié de bêtise déclenche un enfer. La bas des inondations. Plus loin des Cyclones/Ouragans qui effacent des traces de vie si ce n'est des vies.
    La version tragique de l'effet papillon.
    J'ai une pensée pour toi qui le vit autrement que par les informations. Je ne connais pas de mots ou d'idées réconfortantes.
    Porte toi bien et ta famille.

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    1. Merci beaucoup pour ce message.
      Face à cela effectivement la peur, un truc assez irrationnel car l'impuissance et la fuite sont les seuls choses qu'il te semble possible d'envisager.
      Heureusement l'amitié est là et on a pu trouver un espace de dialogue et de calme.
      Chez mes voisins c'était là aussi l'incertitude et un relais permanent afin d'être réactifs.
      J'ai un ami qui habite en pleine forêt, il a vécu cet enfer au plus près...

      Ici "dans le sud" on est pris entre deux axiomes, les inondations ou le feu.
      Deux éléments puissants et incontrôlables, ou presque.
      Quand ils entrent en action c'est tellurique et effrayant et ça contraste d'un trait radical avec la vie ensoleillée, cette face A qui cache la B...
      Cette éternelle idée du "côté obscur".

      J'ai des amis, des collègues qui ont, eux, tout perdu ou presque.
      Que leur dire ?...
      Tout cela est juste désarmant.
      La bêtise ... ou du moins le commun de celle ci qui s'est encore échappé ici.
      Dramatique

      Allez, à +
      Amitiés

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