CARLA BLEY – "Night Glo" - (ECM/Watt 1985)
CARLA BLEY – "Night Glo" - (ECM/Watt 1985)
Tenter une approche de la carrière de la grande dame, aux
vues de sa complexe et imposante discographie (et de toutes ses annexes
qu’elles soient participations, production, ou encore échappée souvent belles
des musicien(e)s avec lesquel(le)s elle a navigué) apparait comme une sorte
d’Himalaya à gravir avec bien des sentiers, chemins retords, voies directes ou
aventureuses...
J’ai donc choisi la « facilité » en m’attachant à cet album paru en 1985, comme toujours chez Watt, le label associé d’ECM.
J’ai donc choisi la « facilité » en m’attachant à cet album paru en 1985, comme toujours chez Watt, le label associé d’ECM.
En 85 je connaissais déjà de façon éparse l’œuvre de Carla Bley, mais je n’y avais attaché plus d’importance que cela.
On parlait beaucoup d’un « Escalator over the hill », il m’avait jusqu’alors échappé.
J’étais entré avec timidité dans « Social Studies », j’avais adoré « The Hapless Child », surtout pour Terje Rypdal et en particulier pour Robert Wyatt, tout cela faisait partie progressive de mes découvertes adolescentes ancrées dans le label ECM.
Avec ces découvertes ECM l’oreille s’ouvrait à un jazz américain souvent free (Art Ensemble, Liberation Music Orchestra, Jack DeJohnette, Barre Phillips...), à une vision nordique du jazz qu’il serait plus logique d’identifier comme simplement de la musique instrumentale contemporaine (on y préférerait actuelle car dès que l’étiquette contemporaine est collée on pense de suite savant, intellectuel, etc... – Garbarek, Rypdal, Weber ) ou encore à des voyages en contrées foisonnantes, en paysages variés, en mondes imaginaires (Gismondi, Garbarek, Micus...).
Avec ECM certaines stars prenaient une dimension planétaire, tout en restant fidèles et intègres à leurs espaces créatifs (Jarrett, Metheny, Abercrombie, Surman, Bley – Paul et donc Carla, Corea, Burton...) et il émergeait (il émerge toujours) de nouvelles figures, de nouveaux arrivants addictifs...
Addictifs, comme ce son si reconnaissable, jugé hâtivement froid, resté identitaire (un mystère...) et ce malgré/avec l’extraordinaire évolution technologique tant en enregistrement qu’en support qu’aura connu le prestigieux label en un paquet de décennies...
En 1985, sort donc ce Night Glo.
Le casting y est aguicheur.
On y trouve des figures telles Randy Brecker prenant une pause entre les délires funky électrisés qu’il mène avec son frère Michael ou encore Hiram Bullock, le fougueux hendrixien partenaire des tournées de David Sanborn...
On y découvre Paul McCandless qui doit tenir à lui seul un espace scénique conséquent puisque responsable de toutes anches et au passage on va trouver original qu’en jazz une orchestration puisse user d’un hautbois, d’un cor anglais ou encore d’une clarinette basse, autour des habituels saxophones.
John Clark lui aussi sera un attrait auditif puisque titulaire en pupitres du cor...
On pensera alors à Gil Evans, pionnier dans le genre...
Comme toujours (ou souvent) Carla Bley aime les trombones qu’ils soient ténor ou basse et l’album ne déroge pas à la règle cuivrée (Tom Malone et David Taylor).
J’y découvrirais un modèle de la batterie pour musique d’ensemble, Mr Victor Lewis que je suivrais tant que possible, comme chez Stan Getz...
Un must de la finesse et de l’à-propos.
Une métrique absolument infaillible...
Puis je serais particulièrement surpris de voir dans un tel espace de rigueur et de précision Manolo Badrena, bien loin des élucubrations épuisantes qu’il offrait inutilement en live avec Weather Report à l’heure de l’entrée en arène planétaire de Jaco.
La dame s’est, bien entendu, réservé l’orgue et quelques touches synthétiques et a pour habitude de laisser le piano à un comparse choisi (ici Larry Willis) et son compagnon Steve Swallow est (et c’est bien là en quelques sorte l’attrait de l’album), avec sa basse, au centre du propos de l’album.
Le casting y est aguicheur.
On y trouve des figures telles Randy Brecker prenant une pause entre les délires funky électrisés qu’il mène avec son frère Michael ou encore Hiram Bullock, le fougueux hendrixien partenaire des tournées de David Sanborn...
On y découvre Paul McCandless qui doit tenir à lui seul un espace scénique conséquent puisque responsable de toutes anches et au passage on va trouver original qu’en jazz une orchestration puisse user d’un hautbois, d’un cor anglais ou encore d’une clarinette basse, autour des habituels saxophones.
John Clark lui aussi sera un attrait auditif puisque titulaire en pupitres du cor...
On pensera alors à Gil Evans, pionnier dans le genre...
Comme toujours (ou souvent) Carla Bley aime les trombones qu’ils soient ténor ou basse et l’album ne déroge pas à la règle cuivrée (Tom Malone et David Taylor).
J’y découvrirais un modèle de la batterie pour musique d’ensemble, Mr Victor Lewis que je suivrais tant que possible, comme chez Stan Getz...
Un must de la finesse et de l’à-propos.
Une métrique absolument infaillible...
Puis je serais particulièrement surpris de voir dans un tel espace de rigueur et de précision Manolo Badrena, bien loin des élucubrations épuisantes qu’il offrait inutilement en live avec Weather Report à l’heure de l’entrée en arène planétaire de Jaco.
La dame s’est, bien entendu, réservé l’orgue et quelques touches synthétiques et a pour habitude de laisser le piano à un comparse choisi (ici Larry Willis) et son compagnon Steve Swallow est (et c’est bien là en quelques sorte l’attrait de l’album), avec sa basse, au centre du propos de l’album.
J’en ai entendu des critiques sur Carla Bley et j’ai souvent
tenté face au ton acerbe dont elle était sujette, de replacer l’écoute
« dans l’ordre ».
Son jeu d’orgue est souvent jugé simple, pour ne pas dire minimaliste... boudé par des avis de démonstrateurs virtuoses, pointé comme inutile, superficiel, dispensable.
Un débat un soir de jazz club avec une pointure montante de la scène parisienne, devenu depuis relativement renommé... allez donc expliquer à un maniaque de l’absorption du cliché pour tenter d’avoir son propre langage que Carla Bley ne « cherche pas » à épater la galerie, mais juste à transmettre la musique, et ce de façon avant tout mélodique... qu’elle joue non « sur » mais « dans » l’orchestre...
Ses arrangements aux tournures répétitives, aux plages faites de figures rythmiques simples, de durées qui s’enchevêtrent sans excès de traits rapides ou véloces m’ont aussi souvent forcé au débat.
Il faut y chercher un autre équilibre, une autre dimension, d’autres approches que celles directement issues de l’écriture des Big Band de jazz auxquels on croit devoir se référer uniquement par association esthétique.
Alors avec-grâce à elle on aura vite compris et découvert Rota, Weill, Brahms (cf le « chorale » plus bas) et on aura revisité Gil ou encore exploré Henry Cow.
Prenez ici le doucettement funky « Nigh Glo » titre éponyme...
Les cuivres y reprennent un bout de phrase de la ligne de basse et se développent avec et autour de cette récup’ minimaliste par agencement de timbres. Cela va permettre, sur cette figure minimale, un semi crescendo, celui-ci n’étant dû qu’au simple et logique fait que la progression de ce cumul de timbres s’agence délicatement vers l’aigu...
Puis idem, des appuis progressifs d’octaves ou d’harmonisations viennent se poser en frein rythmique et vont amener une réappropriation de la rythmique issue de la guitare et désormais prise par la basse, rien de plus simple... et pourtant « oh que ça groove » !
Alors nul aigu pétaradant, mais bien au contraire toujours une gestion parfaite des timbres et des couleurs vont s’installer dans un espace qui parait médium, mais qui n’est en fait qu’une superposition, une distinction de plans particulièrement nuancés - ce, pourquoi ?
Pour amener le solo de Randy Brecker qui sera soutenu par myriades pianistiques calculées et par des riffs de saxs mêlés aux trombones cette fois réellement à l’écriture jazzistique.
Puis, sur cette re-personnalisation funkysante, Larry Willis aura le dernier mot, histoire de calmer un jeu qui jamais ne s’est réellement affolé, histoire d’insister sur le caractère écrit du propos (car ces phrases pianistiques sont de facture écrite) où seule l’improvisation de Mr Brecker aura pu échapper à l’intérieur du contrôle...
Du grand art ?...
Personnellement j’en suis convaincu.
En tout cas, voilà bien en un titre aux connotations esthétiques communes, une parfaite démonstration de la façon très personnelle qu’a Mme Carla Bley d’approcher la composition, l’arrangement et l’écriture conceptuelle comme l’organisation musicale.
Cela elle le fait avec des éléments simples, choisis avec parcimonie, avec acuité (cherchez là les percussions, discrètes, mais essentielles...), avec goût, comme en cuisine l’on sait assembler les saveurs jusqu’à parfois le sucré/salé.
Une pincée de saxs, un nappage de trombones et de cor pour le moelleux, un trait de trompette soliste, une solide pâte d’assise rythmique, quelques pépites de guitare rythmique et le goût principal, la saveur... de la basse de Mr Swallow au jeu si reconnaissable, en accords, en phrasé mélodique, en jeu semi guitaristique...
« Ah ! Mr Swallow, en trio avec John Scofield, je vous avais admiré » ...
« Shinola » - « Out like a light » avec Mr Nussbaum pour les albums...
19 Mars 85 (tiens donc...) en duo au festival de jazz de Grenoble je n’eusse loupé ça sous aucun prétexte... mon ami Pierre sortait de stages avec vous, on ne parlait que de vous...
Alors ici Mme Carla Bley a conçu son propos avec et autour
de ce jeu de basse si personnel, particulier et reconnaissable de son compagnon
à la vie et à la musique : Steve Swallow.
Une preuve d’amour, de respect, un cadeau ?...
Il y a de tout cela.
Night Glo, un mini concerto pour « petit » ensemble et basse électrique ?...
A y bien réfléchir nous n’en sommes pas si loin... et je me dis pourquoi pas, après tout, du moins dans l’idée...
Dans la forme ?
Une preuve d’amour, de respect, un cadeau ?...
Il y a de tout cela.
Night Glo, un mini concerto pour « petit » ensemble et basse électrique ?...
A y bien réfléchir nous n’en sommes pas si loin... et je me dis pourquoi pas, après tout, du moins dans l’idée...
Dans la forme ?
Allez, je passe en désordre à « Wildlife » le dernier titre... 12.33, ça pourrait bien être une durée équivalent à un concerto baroque, ça...
Un majestueux « chorale » de cuivres à l’écriture
directement issue de Weill ouvre l’affaire...
1mn de subtilité harmonique, de son plein et ample où cor et trombone colorisent, où le trombone basse va puiser dans les abysses et où la trompette tente de s’échapper de ce nid douillet aux harmonies pourtant tendues et contemporaines.
L’espace s’élargit et sur une métrique des plus larges, basse, orgue et cor anglais vont « chanter » au gré d’un tapis de semi lumière de cuivres.
Hiram est là, délicat, précis, orfèvre.
Mr Swallow expose son thème, Mme Carla lui donne la réplique, Paul Mc Candless est le hautbois d’amour de cette délicate discussion.
Puis un legato ostinato fera presque oublier l’entrée en samba, les échappées synthétiques flûtées, les wahwahteries en nappes de volume...
Steve Sawllow va alors prendre sa « cadence », Hiram prend un peu plus d’espace, le pattern samba poussé par renforts de nappes cuivrées insiste, s’accroche...
Une percée de hautbois, une échappée de piano et toujours cette guitare rythmique (quel grand rythmicien ce H.Bullock, quel formidable soliste aussi).
La recette de superposition de timbres va faire son effet de crescendo et une forme collective caractérisée de jazz va en coda reprendre, mixer, cumuler, additionner les multiples plan entendus, écoutés, découverts au cours de cette aventure sonique, de cet arrangement fabuleux...
Puis...
Un arrêt sur image va permettre d’apprécier toute la palette expressive de Steve Swallow – Carla n’arrive pas à lâcher son pattern samba et son accord synthétique, Hiram bricole encore sa wahwah, Larry ose une dernière note, Manolo jongle avec habileté de quelques rebonds percussifs ...
Ok, cette fois, en plus, on va causer développement, au-delà de l’incroyable gestion orchestrale, au-delà de la composition d’un thème, ce qui est souvent en jazz primordial (un thème, ou un prétexte thématique, avec une direction de genre, donc aussi de tempo, une trame harmonique pour ensuite des impros qui puiseront dans l’un, dans l’autre, dans les deux, pour une réunion collective terminale), nous voici ici face à des constructions similaires, mais cherchant ailleurs, autrement.
Le thème est lyrique, hyper chantant et pourtant exposé à la basse...
Trois timbres (basse/orgue/hautbois) dialoguent en triple concerto.
Le « genre » est latin/samba sans pourtant en avoir les poncifs ou clichés, juste la sensation...
La coda est effectivement collective et ramasse en un bloc les divers éléments de la progression...
comme en jazz Nouvelle Orléans, on notera même les basses profondes (mais ici contemporaines) de relance du trombone (basse)...
En ouverture, un « chorale », en clôture, le thème, exposé de façon hyper expressive, toujours par la basse avec un chuintement épars et une dé-cumulation instrumentale.
Alors ?... rien de bien nouveau si ce n’est finalement, et c’est important, l’écriture méthodique de tout cela...
Finalement l’improvisation n’a que peu d’espace dans cette écriture agencée, calculée, méthodique.
Elle est signalée, elle est là, à « point nommé », elle n’est plus prioritaire et en aucun cas ne découle du propos thématique, mais apparait à sa place comme un réel élément de composition, elle est amenée, elle n’est plus le passage obligé mais elle prend sa valeur comme étant le point ultime (ou non), d’un moment, d’une séquence, voire d’un flash.
1mn de subtilité harmonique, de son plein et ample où cor et trombone colorisent, où le trombone basse va puiser dans les abysses et où la trompette tente de s’échapper de ce nid douillet aux harmonies pourtant tendues et contemporaines.
L’espace s’élargit et sur une métrique des plus larges, basse, orgue et cor anglais vont « chanter » au gré d’un tapis de semi lumière de cuivres.
Hiram est là, délicat, précis, orfèvre.
Mr Swallow expose son thème, Mme Carla lui donne la réplique, Paul Mc Candless est le hautbois d’amour de cette délicate discussion.
Puis un legato ostinato fera presque oublier l’entrée en samba, les échappées synthétiques flûtées, les wahwahteries en nappes de volume...
Steve Sawllow va alors prendre sa « cadence », Hiram prend un peu plus d’espace, le pattern samba poussé par renforts de nappes cuivrées insiste, s’accroche...
Une percée de hautbois, une échappée de piano et toujours cette guitare rythmique (quel grand rythmicien ce H.Bullock, quel formidable soliste aussi).
La recette de superposition de timbres va faire son effet de crescendo et une forme collective caractérisée de jazz va en coda reprendre, mixer, cumuler, additionner les multiples plan entendus, écoutés, découverts au cours de cette aventure sonique, de cet arrangement fabuleux...
Puis...
Un arrêt sur image va permettre d’apprécier toute la palette expressive de Steve Swallow – Carla n’arrive pas à lâcher son pattern samba et son accord synthétique, Hiram bricole encore sa wahwah, Larry ose une dernière note, Manolo jongle avec habileté de quelques rebonds percussifs ...
Ok, cette fois, en plus, on va causer développement, au-delà de l’incroyable gestion orchestrale, au-delà de la composition d’un thème, ce qui est souvent en jazz primordial (un thème, ou un prétexte thématique, avec une direction de genre, donc aussi de tempo, une trame harmonique pour ensuite des impros qui puiseront dans l’un, dans l’autre, dans les deux, pour une réunion collective terminale), nous voici ici face à des constructions similaires, mais cherchant ailleurs, autrement.
Le thème est lyrique, hyper chantant et pourtant exposé à la basse...
Trois timbres (basse/orgue/hautbois) dialoguent en triple concerto.
Le « genre » est latin/samba sans pourtant en avoir les poncifs ou clichés, juste la sensation...
La coda est effectivement collective et ramasse en un bloc les divers éléments de la progression...
comme en jazz Nouvelle Orléans, on notera même les basses profondes (mais ici contemporaines) de relance du trombone (basse)...
En ouverture, un « chorale », en clôture, le thème, exposé de façon hyper expressive, toujours par la basse avec un chuintement épars et une dé-cumulation instrumentale.
Alors ?... rien de bien nouveau si ce n’est finalement, et c’est important, l’écriture méthodique de tout cela...
Finalement l’improvisation n’a que peu d’espace dans cette écriture agencée, calculée, méthodique.
Elle est signalée, elle est là, à « point nommé », elle n’est plus prioritaire et en aucun cas ne découle du propos thématique, mais apparait à sa place comme un réel élément de composition, elle est amenée, elle n’est plus le passage obligé mais elle prend sa valeur comme étant le point ultime (ou non), d’un moment, d’une séquence, voire d’un flash.
Certains jazzmen boudent Carla Bley...
Il y a peut-être là un élément de réponse.
Il y a peut-être là un élément de réponse.
« Wildlife » est un voyage...
Il parle le jazz et pourtant est un récit écrit, littéral, aux effets choisis, au développement méticuleux, aux personnages et rôles clairs et identitaires, aux paysages et décors magnifiques, détaillés, rigoureusement dessinés, richement colorés, savamment narrés.
Il parle le jazz et pourtant est un récit écrit, littéral, aux effets choisis, au développement méticuleux, aux personnages et rôles clairs et identitaires, aux paysages et décors magnifiques, détaillés, rigoureusement dessinés, richement colorés, savamment narrés.
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« Pretend you’re in love »...
Voici l’ouverture de l’album...
Mr Swallow y expose une mélodie pop (accompagnée pop par Mr Bullock), hautbois, cor anglais et sax soprano et là encore la bribe thématique qui sert de prétexte à l’écriture des cuivres qui dialoguent avec le riff de guitare... voici les ingrédients.
Manolo s’est noyé dans le mix et cherche une porte de sortie aigue...
Il y a aussi ce solo d’orgue jazzy et jouant de la leslie sans pour autant se la jouer reine de délire digital, l’espace... toujours l’espace...
Ces arrêts qui respirent, ce hautbois qui s’envole, l’obsédant motif de basse, les plans qui dialoguent, les montées de tenues des vents qui vont crescendo...
4.20 et voici certainement le lexique de l’axe d’écriture de l’album... les dés sont donc jetés, l’auditeur balisé, orienté, installé confortablement comme Steve dans son fauteuil, les clés de la limousine musicale viennent de lui être généreusement mises en mains... et son voyage peut commencer.
Un voyage de sensualité (la basse ? sensuelle ?... preuve en est...), d’amour... un voyage parfaitement organisé qui laissera pourtant une latitude libertaire, un voyage qui après des années d’occultes explorations, d’émancipation totale, d’aventures hors frontières peut paraitre bien sage...
Après la passion, l’amour sait aussi trouver une place dans la sagesse, la maturité intervient, la vie se construit, s’installe et les personnalités s’additionnent, se réaffirment, se complètent.
« Rut »
Nappe d’orgue, guitare obsédante et élément central, toujours la basse en thématique et ce jeu si métrique et subtil (jusqu’aux appuis thématiques) de Victor Lewis...
La simplissime écriture des vents – les touches aériennes de Larry Willis... l’espace, toujours cet espace... ce vide apparent, parfois, juste pour laisser encore plus de place à...
On se plait à attendre encore les vents en nappes et ce sera le cor/trombone associés qui tromperont l’attente, en une phrase, un contre chant lumineux... puis dialogueront d’abord en riffs infimes pour s’ouvrir enfin en douces nappes de mélange cuivré.
Sucré-salé... aigre-doux...
La basse est d’évidence en re-recording (ligne-thème-impro).
Aigre n’arrive pas à partir... doux tente de lui piquer la saveur gustative... mais non, il aura repris son souffle et ira jusqu’au bout.
« Crazy with you »...
Hiram prend les choses en mains et ravit d’emblée la vedette à Steve.
Rythmique à multi-effets, un de ses atouts fétiches qu’il utilise dans nombre de ses participations...
Steve creuse le socle pour ce thème guitaristique superposé qui décolle comme un gros porteur, en prenant tout l’espace...
Là encore Carla chante de l’orgue avec un soutien lisse et à peine mouvant.
Des riffs la rejoignent histoire de la pousser dans ses retranchements improvisés.
Hiram a harmonisé son thème ascensionnel poussé par le(s) vent(s) et sa propre guitare rythmique, la fin reste là, en l’air, suspendue à ces syncopes cuivrées que l’on détaille enfin, sorties quasiment de leur contexte, comme pour les éclairer.
Victor Lewis n’a pas bougé d’un poil, son cross-stick méthodique sur le quatrième temps aura bloqué la ceinture de tout le monde et permis ce décollage sans turbulence.
C‘est avec cet album qui recèle tant et tant de subtilités que
j’ai pu « réaliser » Carla Bley...
Il est d’une implacable maîtrise, tant en écriture, qu’en organisation musicale et conceptuelle.
Chacun y a une place choisie et la composition est délibérément orchestrée en relation avec les timbres, jeux respectifs et couleurs de chacun.
C’est un
agencement de rôles en quelque sorte et pourtant il n’y a pas ici de
vedettariat outrancier, juste une mise au service respectueuse de la musique et
d’un propos visant à la mise en valeur de la personnalité musicale de Steve
Swallow.
Qui plus est, et de façon notable cor, hautbois ou cor anglais y font des apparitions lumineuses loin d’être effets, ou anecdotes, mais ils ont place prépondérante, augmentant le propos émotionnel de la basse.
Cela a été pour moi, au-delà de l’ajout coloriste dans le schéma habituel des Big Band (4 trompettes/4 trombones avec ou plus un trombone basse / 5 saxophones dont 2 altos, 2 ténors et un baryton) de la flûte, un penchant vers un autre axe d’écriture.
Cette relative et apparente simplicité obligeant parallèlement une justesse impérative m’aura également servi de tremplin pour l’écriture pédagogique, car entre petites cellules rythmiques répétitives, nappes de tenues cuivrées et association de timbres imposant équilibre et accordage sans faille, il y a là une matière à référence indéniable.
Qui plus est, et de façon notable cor, hautbois ou cor anglais y font des apparitions lumineuses loin d’être effets, ou anecdotes, mais ils ont place prépondérante, augmentant le propos émotionnel de la basse.
Cela a été pour moi, au-delà de l’ajout coloriste dans le schéma habituel des Big Band (4 trompettes/4 trombones avec ou plus un trombone basse / 5 saxophones dont 2 altos, 2 ténors et un baryton) de la flûte, un penchant vers un autre axe d’écriture.
Cette relative et apparente simplicité obligeant parallèlement une justesse impérative m’aura également servi de tremplin pour l’écriture pédagogique, car entre petites cellules rythmiques répétitives, nappes de tenues cuivrées et association de timbres imposant équilibre et accordage sans faille, il y a là une matière à référence indéniable.
Et puis, Carla Bley est la passerelle idéale entre le jazz, le Broadway musical, l’autonomie musicale dans le cinéma avec Rota ou encore la dualité du cabaret berlinois-comédie musicale et écriture populaire-contemporaine inscrite dans la musique de Kurt Weill.
Cette passerelle qui mène à « l’Alabama Song » ce truc complètement antinomique et pourtant tellement accroché à l’image des Doors en parade soft ou pas, qui nous rappelle que Soft Machine et Robert dirent merci au Pierrot Lunaire, que Lou Reed passa en orchestrations similaires, comme David Bowie et ce dès les pianos cabarets d’Alladin Sane, par Berlin, que Nick Mason l’engagea (Carla) en liberté totale pour ses sports fictifs, et/ou que Robert (encore là et encore lui) lui consacra quelques-unes de ses plus belles plages vocales...
Merci Pascal pour ce post Carla
RépondreSupprimer( aussitôt dit, aussitôt fait ! )
La lecture attentive de ton billet et l'écoute de l'album vont occuper/enrichir ma soirée, d'autant que cet album particulier sera pour moi une découverte.
réactif, dis donc...
Supprimerbonne soirée musicale.
à +
Bien reçu et voilà un commentaire un peu inutile, mais j'attends des amis et en attendant... du coup j'alterne avec mon chouchou (il y avait bien longtemps) "Fleur Carnivore" Pour l'instant je penserai qu'entre les deux la musique de cinéma s'est installé... Trop tôt et je n'ai pas pris le temps de te lire. A+
RépondreSupprimerAh...
SupprimerFleur Carnivore, je l'ai aussi celui là...
qu'est-ce que j'ai pu l'écouter...
pure merveille !
Finalement, ils arrivent vers 20h, j'ai le temps d'avoir lu et même d'apprécier. AMG n'est pas tendre avec mais je suppose qu'à force de talent de mise en place, tu n'as plus d'aspérité, pas de creux ni de sommet. Le terme LISSE approche à l'horizon, mais il a fallu que tu proposes une autre lecture: l'addition de chacun, l'écoute - si possible - séparée pour apprécier le Big Band en total unité mais pas forcément "iso-saveur" pour faire cuisine scientifique. Parfois une peinture on s'éloigne, d'autres on s'approche car les détails ont de l'importance. Donc tu nous approché et du coup... Wildlife est un grand moment. Voyons RUT jugé "interminable"... À suivre.
RépondreSupprimerBon, il est 55...
SupprimerAlors moi aussi vite fait, apéro en attente...
Pas tendre envers Carla Bley et lui préférant toujours ses débuts, ses ""expériences", c'est un schéma classique envers la dame...
Une autre écoute, peut être, mais en tout cas, une écoute et non celle souvent vite faite de ces scribouillards qui mélangent souvent chronologie, bio, références et ne savent du coup plus écouter, j'entends par là, juste avec un autre positionnement, celui, de la musique telle qu'elle se présente...
Pourtant, parfois, c'est bien utile... de n'avoir aucun schéma, aucun a priori... juste la "sensation" puisqu'on est ici d'ailleurs...
Mais ceci dit et pour le dire, Carla Bley, on la reconnaîtrait entre mil et justement par cette touche si personnelle qu'elle soit devenue en apparence lisse ou qu'elle ait été plus folle d’apparence ou aventureuse de jeunesse.
bonne soirée entre amis.
merci du passage.
... ha ha ha Le périph est bouché. J'ai encore du temps qu'à moi.
RépondreSupprimerEt donc je me fais Carnivore + son 8 1/2, et j'y suis plus sensible, davantage de chaleur, plus charnel. Mais il faut dire que je le connais et que pour attendre, cette chaleur est bienvenue. En tout cas merci, tu me l'a remise en tête, je vais même creuser peut-être cette période, comme tu dis, il y a tellement à découvrir, et pour l'instant je ne l'ai qu"effleurée. (Au fait, "Carnivore" et sa pochette, voilà, c'est ça, je suis envoûté)
Ensuite tu n'auras qu'à te faire le sextet et bien sur heavy heart ou encore i hate to sing...
Supprimerà moins qu'en musique mécanique tu ne trouves ton bonheur...
enfin, il y en a tant...et puis la musique du film mortelle randonnée...
, etc, etc...
brrr ce trombone ! (malone, valentin...)
merci de ce retour...
RépondreSupprimeroui Carla Bley a une d'étranges réputations, signe qu'elle ne laisse pas indifférent.
ses titres sont dans certains real books mais bien peu de musiciens de jazz les jouent, un curieux paradoxe.
en fait, pour en avoir joué certains, on se retrouve face à une musique pour laquelle il faut trouver la porte d'entrée, même quant on la joue...
si tu as aimé cet album je te recommande heavy heart, live, mortelle randonnée, fleur carnivore, sextet, musique mécanique et i hate to sing avec des sketches musicaux...
il y a the hapless child avec robert wyatt et le phénoménal album du batteur de floyd, nick mason qu'elle a entièrement écrit : fictitious sports.
tu reviendras alors à escalator, pas forcément évident, mais en tout cas bien ancré dans une époque donc pas simple d'abord premier.
j'aime aussi goes to church et thebig carla bley band...
enfin bon, il y a de quoi faire...
les timbres sont toujours subtilement orchestrés et le trombone souvent en valeeur avec de formidables solistes, mais il y a aussi sur certains albums lew soloff, très très en forme.
et puis un dernier serait l'album de gary burton dreams so real, où il joue la musique de c.bley.
bonne découverte !