JAZZ – 2025 – Revival ? ... JD ALLEN, PARADOX JAZZ ORCHESTRA, CARMEN STAAF, CAITY GYORGY, RACHEL AND VILRAY
JAZZ – 2025 – Revival ? ...
Comme beaucoup d’esthétiques le jazz n’échappe pas à une certaine mode de
revival, une fascination pour le passé, le son « vintage », l’esprit
purement swing, le feeling des années où ses stars étaient Ella, Frankie,
Count, Billie, Bird, Dizz…
Pour certains artistes, explorer n’est pas leur crédo, ils préfèrent reprendre
des directions tracées il y a bien longtemps, à l’heure d’une certaine gloire.
Des reprises, mais aussi des compositions qui curieusement surprennent, tant
originales que semblant sorties d’un vieux cahier, d’un album de la famille du
jazz, d’une autre ère même si leurs sujets (en particulier les textes) sont
tout à fait « actuels ».
Du neuf dans du vieux, du vieux qui veut rester bien présent, des
« jeunes » qui lorgnent vers une tradition qu’ils ne veulent pas
laisser disparaitre et qu’ils font revivre, avec ferveur, foi et talent.
Il y en a finalement bon nombre, presque une mode, comme pour les fringues et
l’incroyable succès d’un certain Vinted, le vinyle et la Hifi, l’ampli à
lampes, la photo argentique, la vaisselle de grand-mère et le bon meuble de
brocante qui passe au relooking – un petit goût de « c’était mieux
avant », mais relifté.
En tout cas, à l’écoute de ces artistes on est dans une émotion
systématiquement palpable, on est dans le souvenir permanent, sans autre
référence que ce petit « quelque chose », charmeur, frais, léger,
teinté d’insouciance ou de pastel.
Ce côté « LaLaLand » si kitch et bien fait qui a fait se pâmer une
jeunesse de tout poil et l’a fait délaisser, un temps, ses artistes r’n’b, rap
et autres post grunge-punkyvores…
Tout est « cyclique » disions-nous avec la patronne d’un magnifique
établissement de piano bar dans lequel j’ai le plaisir de jouer et qui joue
justement cette carte tant classy que vintage.
Chez elle, la musique de fond c’est Ella, M.Buble, M.Peyroux ou Billie…
Et les gens y sont bien, détendus, installés face à une Marina en attendant que
la magie du soleil couchant opère. Alors Frankie les invite à passer à table et
la plongée dans cette classe à l’ancienne revisitée actuelle les happe
totalement.
En albums, sortis cette année, ça donne quoi ?
En voici un échantillon, glané au fil du streaming.
Installez-vous confortablement, pensez champagne plutôt que bière de pub, faites-vous
épicurien-ne d’un soir et voilà, c’est parti.
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JD ALLEN – « Love Letters » - Savant 2025.
JD Allen : saxophone / Brandon McCune : piano / Ian Kenselaar :
upright bass / Nic Cacciopo : drums.
Effectivement, rien de bien nouveau quand on entre dans l’album.
C’est un peu comme si on ressortait un bon vieux Blue Note, Dexter en tête de
gondole.
Quelques vieux standards, oubliés la plupart du temps par les jazzmen cherchant
la voie originale, le projet, la nouveauté et pourtant…
On est là, on savoure, pleinement, avec une prise de son d’une actualité
pénétrante mais qui n’est juste que clarté, dessin précis et netteté du grain
sonore, ce jeu musical familier, charmeur.
On s’installe, délicieusement et confortablement et on se laisse bercer par ce
jazz à l’image parfaite, qui distille l’ambiance feutrée qu’une certaine « image
sonore » nous a inculqué et qui fait partie de notre ADN d’écouteur de
jazz.
S’il fallait en attendre plus, ce serait quoi ?...
Je serais bien incapable de répondre à une telle question, tant et même si le
terrain est connu et conquis d’avance.
Cette plongée moelleuse et bienfaisante me procure le bien-être et le plaisir.
« Love Letters », sous-titré « The Ballad Sessions » n’a
aucune ambiguïté sur le sujet, même si parfois le médium tempo très souple et
au swing incontournable s’invite, permettant à Nic Cacciopo de troquer ses
balais pour des baguettes et de pousser un peu le sujet vers le hard bop.
Cette direction musicale est bien évidemment le fond réel de ce qui est
présenté par le saxophoniste subtil, lyrique, pénétrant et enchantant qu’est JD
Allen (pourtant connu pour présenter une musique plus radicale, truffée
d’électronique, d’actualité groove et hip hop).
Il est ici en point d’équilibre avec Brandon McCune, un pianiste qui sert, avec
le minimum, le maximum de réalisme musical, exprimant une vérité sans fards, avec
un rien, juste jazz et tellement captivante.
Ian Kenselaar, quant à lui est le parfait bassiste pour tenir l’édifice de ce
quartet miraculeux et offrir à chacun sa juste place dans cet échiquier à
l’organisation parfaite.
« Love Letters » - on écoute une fois cet album et l’on sait d’emblée
que l’on passera de longues soirées d’automne avec lui.
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PARADOX JAZZ ORCHESTRA – « The Vocal Years » - PJO Records.
Paradox Jazz Orchestra
tous les renseignements sur le projet ici.
Ils sont basés à Tilburg, aux Pays Bas.
Ils « existent » depuis 2019 et leur nom vient du jazz club de
la ville, nommé précisément Paradox.
Les jazz clubs ont souvent leur Big Band.
J’ai connu cela.
Depuis son existence récente, ce Big Band créé par Jasper Staps (saxophoniste
et arrangeur) et Teus Nobel (trompettiste) reprend le chemin des Skymasters
(auxquels cet album est dédié). C’était un orchestre néerlandais de renommée
internationale illuminant les années 80.
Paradox Jazz Orchestra est à la fois un espace créatif et un outil de
formation, qui permet aux jeunes musiciens de jazz de développer leurs
connaissances et de les encourager à progresser.
Accompagnant la chanteuse Anna Serierse, nous les écoutons en situation, dans
le club, qui est leur fief.
Et nous voici effectivement en plein revival avec un répertoire de standards
triés sur le volet.
La chanteuse est magistralement soutenue par cet ensemble juste, précis, dans
le style, pêchu et empreint de cette couleur savoureuse émanant de ces grandes
formations de l’ère bénie du swing.
Avec Anna Serierse, pas de fantaisies vocales insensées, pas de vibrato de
circonstance, pas d’effets de cordes vocales dénaturés, juste la pureté du timbre,
la direction musicale de l’interprétation, juste, réaliste, immédiate et oui,
parfaite.
Les arrangements sont écrits avec ce sens précis de soutien au chant, à
l’espace mélodique, à la ligne horizontale de celle-ci.
Feutrés quand cela s’impose, denses et puissants quand ils prennent la parole,
leur écriture est d’une grande expression et augmente indiciblement le chant
naturel et pur d’Anna Serierse.
La performance live démontre un orchestre d’une rare cohésion, d’un
professionnalisme à toutes épreuves et d’une connaissance d’un sujet jazz
qu’ils maitrisent à la perfection.
La rythmique est fédératrice, les pupitres résolus, les solistes non
systématiques mais systématiquement intéressants et de fait, le public est
totalement conquis.
Nous aussi, avec la distance qu’impose celle de l’auditeur « de
salon ».
Avec l’émergence de tels ensembles, le jazz devient effectivement (et sans que
cela ne soit péjoratif ou empreint d’un regard passéiste) et enfin … réellement
… la musique classique du XXe siècle.
On le savait, mais c’est toujours bon que le constater avec de tels
interprètes, car, là encore, on parlera aussi très vite, d’interprétation en usant
de ce terme semblant généralement associé à la musique classique.
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CARMEN STAAF – « Sounding Line » - Sunnyside Records 2025.
Carmen Staaf : piano / Ambrose Akinmusire : trumpet / Ben
Goldberg : clarinettes / Daren Johnston : trumpet / John
Santos : percussions / Hamir Atwal : drums / Dillon Vado :
vibraphone.
Carmen Staaf revisite Monk et Mary Lou Williams et compose, dans cet esprit
intimiste de dialogues, d’échanges autour de ce prétexte, deux titres.
Je ne suis pas si certain qu’un tel album puisse s’auréoler réellement de ce
terme de « revival » si tant est que la musique de ces deux artistes
originaux, uniques, mérite d’être aujourd’hui dans le rangement commun du jazz au
sein duquel, Monk le plus connu et le plus fantasque, devrait être logiquement
placé.
Pas réellement de disgression, d’agression, de fantaisisme ou autre déviance
qu’un tel sujet pourrait prétendre, non, Carmen Staaf perpétue en toute
simplicité, avec sincérité et vérité l’univers si particulier de ces deux
figures du jazz.
En cela le modernisme n’est que dans la musique proposée, si tant est
qu’aujourd’hui ce modernisme ne soit assimilé, compris et entré dans les us
d’écoutes, ce même pour les « amateurs » de jazz.
Il n’est pas nécessaire de jouer « tordu », sous l’emprise de la
folie de bazar ou de placer çà et là de bizarroïdes voicings de touches noires
pour jouer Monk, mais il est possible de le transgresser et d’en être la
continuité actuelle comme l’atteste le fabuleux « Monk’s Mood » aux
métaux frottés puis égrenés.
La musique de Monk se prête à tant de visions possibles… celle-ci, minimaliste
et presque classique en témoigne.
« Sounding Line » est un album poétique, surchargé d’évocations, de
rêveries sonores, d’arrêts sur images. Il joue de la couleur orchestrale sous
arrangements minimalistes originaux et au traitement qui n’échappe pas à la
récupération actuelle de groove, ambient et autres influences qu’il est
difficile de négliger en ce passage de 25 années d’un XXI siècle qu’on a, pour
ma génération, du mal à intégrer comme tel, le cul entre deux siècles et ayant
été nourris au précédent…
« Boiling Point », une composition de la pianiste respire Thelonious
et s’inspire de Monk (« Shuffle Boy »), avec un fond de swing si
délicat qu’on en oublierait face à cette basse pianistique que la batterie est
là pour ça.
« Libra » de Mary Lou Williams, merveilleusement debussyste va
lentement s’épancher vers la douceur de ces balades jazz dont le real book est
truffé et qui s’exécutent à coup de basse accord pour le jeu pianistique, pour une
oscillation entre deux mondes.
« Koolbonga », autre composition de Mary Lou Williams est le moment african-groove
de l’album, soudés, clarinette basse et trompette harmon vont progressivement
laisser place à la pianiste pour un solo pur jus bluesy, à souhait.
Chaque titre est une plage poétique qui transcende l’idée simple de jazz et qui
pourtant pose une continuité face à un patrimoine issu de deux artistes,
pianistes et compositeur-trice de cette esthétique musicale.
Le fond du blues, même semblant lointain est et reste et l’album se conclut en
porte ouverte sur une merveilleuse composition de Carmen Staaf :
« The Water Wheel ».
Alors les portraits, photos en noir et blanc de Mary Lou et de Thelonious,
réunis ici s’animent, prennent vie. L’une comme l’un, sourient et d’un regard
facétieux se saluent, mutuellement. Leur musique fait encore rêver et cet album
est là pour le prouver.
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CAITY GYORGY – « With Strings » - La Reserve Records 2025.
Caity Georgy : lead vocals / Mark Limacher : piano, conductor,
arranger / Jonathan Wielebnowski : bass / Nathaniel Chiang : drums.
With Symphony Orchestra contracted by Alisa Klebanov and Mark Limacher
Voilà un bien bel album, une sorte de petit miracle musical ciselé avec soin,
aux contours de dentelles enrubannées avec goût, à l’apparence luxueuse
évidente, à la classe presque aristocratique, à la finesse d’une absolue
féminité.
Caity Georgy est une jeune canadienne auréolée de quelques prix jazz
retentissants qui ont très vite fait grandir sa carrière naissante.
Sur un tapis de cordes souplement soutenu par une rythmique jazz elle change
l’axe de son phrasé et de ses usages scat, swing empreints directement à Ella
pour s’amouracher de frêles balades au lyrisme envoutant (le trombone et
l’orchestration éclatante de « If I‘d’ve Know ») dont elle compose
tant généralement la musique qu’écrit les textes.
Ainsi ce jazz suranné, tellement rétroactif, si chargé de cette magie passéiste
se voit non seulement composé dans le style mais également augmenté d’une
actualité textuelle qui pourrait être transposée sur n’importe quelle
production pop, variété internationale ou même rock … peu importe.
Tout cela est enrobé dans un écrin orchestral parfois presque (ou carrément)
disneyien, très Broadway et-ou
hollywoodien, chargé de ces clichés qui firent, entre autre, le succès
inattendu d’un certain « La La Land », sorte de récupération d’un
patrimoine à l’américaine totalement assumé et si difficile à imiter.
On se promène au travers de ces titres, petites diapositives emplies de
souvenirs, tous originaux, avec l’esprit ouvert à la découverte, attisé par la
curiosité, où tant de clichés s’invitent (le clin d’œil inattendu paso-doble de
« Sight to Behold » où le scat d’Ella va subrepticement s’inviter en
fin de parcours) et où les balades les plus sensuelles et sensibles prennent
une place de choix (« Memo 267 »).
L’orchestre est remarquable, les arrangements de Mark Limacher tout autant,
l’expression artistique est au plus juste, admirablement interprétée.
Le swing, quand il s’invite est d’un réalisme absolu et est immanquable, poussé
aisément par la section rythmique confortablement installée dans l’orchestre, celui-ci
grandiose, conséquent mais qui jamais ne semble lourd, surexposé, chargé
d’effets d’écriture pompeux.
Bien au contraire, ici l’écriture est d’une rare finesse et son jeu l’est tout
autant.
Et Caity, quelle chanteuse, quelle qualité, quelle distinction, quelle
articulation, quelle souplesse, quelle sensibilité ! etc, etc…
Alors, n’attendez pas un seul instant, mettez ce petit bijou beau et savoureux
comme un éventail de macarons colorés, sortez le champagne et préparez, déjà,
le réveillon le plus classieux et luxueux que vous n’imaginiez jazzer
jusqu’alors.
Elle sera sa B.O évidente, avec cet album, mais aussi les autres de son cru.
Et l’on se souviendra longtemps de la découverte de cette merveilleuse artiste
et vocaliste, compositrice et auteure.
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RACHEL AND VILRAY – « West of Broadway » - Concord Jazz 2025.
Steve Wilson : alto saxophone / Adam Dotson : trombone / Jay
Rattman : clarinet, bass clarinet, barytone saxophone / Neal Miner :
bass / Warren Wolf : piano, vibraphone, xylophone / John Riley : drums.
Rachael Price : vocalist / Vilray : guitar, vocalist, whistle.
C’est par cet album que m’est réellement apparue cette idée de revival.
Dès l’entrée en matière on a cet aspect connu, délibérément familier. Très vite,
cependant, on se rend compte qu’on est face à des compositions originales, mais
traitées dans un mode usuel, avec ce swing inimitable, cool, à l’ancienne.
Puis on va se laisser envahir par ces arrangements écrits pour une
orchestration plutôt originale, tant instrumentalement qu’en écriture
elle-même. Des arrangements où les claviers percussion ont une place prépondérante,
s’accordant aux bois et anches avec délices et permettant au trombone d’être
lyrique - comme on aime à ce qu’il le soit.
Et puis il y a Rachael, chanteuse propulsée dans l’univers jazz indéniable de
ce propos, mais donc le jeu vocal s’apparenterait plus à une pop-folky presque
sucrée, créant ainsi un décalage absolument savoureux, emmenant le swing de ce
jazz vers des contrées parallèles charmeuses et charmantes.
Sans oublier Vilray, leader central de cette douceur affirmée, de cette
coolitude en mode absolu (« To Change »), chanteur-siffleur
décontract’, fin dragueur de beautés à la mode rétro, dandy assumé, soigné et
classieux au jeu de guitare souple et raffiné, sous traits humoristiques.
Un axe totalement créatif sur poncifs revisités sans détours, sans fausse
pudeur, assumés avec une originalité qui dénote, qui fait captiver l’oreille
vers une curiosité de chaque instant, révélant chaque petite phrase, astuce,
petite intervention de xylo, vibra, sifflotement, douceâtre clarinette,
chantant trombone, moelleux sax bar, tremolo d’anche, rondeur de contrebasse,
caresse de balais, phrase presque bopisante (« Love comes around ») parmi
tant de références à ce swing palpable en chaque titre ...
Chaque morceau est un petit moment d’espace de détente, de poésie automnale.
« Off Broadway » opère comme un hymne amoureux où le dixieland, le
barber song et le swing old school s’invitent, le duo vocal est confondant de
simplicité, d’évidence. Et les danseurs de Time Square se mettent soudainement
à prendre vie sous ce radieux titre ensoleillé à l’été indien.
Un des plus beaux albums de jazz qu’il m’ait été offert d’écouter par mon streaming
ces derniers temps et il m’accompagne désormais avec une régularité presque inhabituelle.
Mais écoutez donc « Closer » et son pont mirifique … et refermons ici
cette chronique avec cette sérénade à Manhattan, « Manhattan
Serenade » envoutée par ces duettistes inattendus, couple vocal joyeux,
jovial et amis (?...).
Des complices tels des Laurel et Hardy improbables du jazz …
L’automne à Central Park s’annonce très coloré et avec (grâce à) eux NY présenté
ainsi me rappelle … bien des souvenirs.
Bonne semaine !
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